COUR D'APPEL DE DOUAI CHAMBRE 2 SECTION 2 ARRÊT DU 16/03/2006 * * * No RG : 05/05742 Tribunal de Grande Instance de BÉTHUNE statuant commercialement le 7 Septembre 2005 REF : TF/CP APPELANT Monsieur Jacques X... ... par la SCP DELEFORGE FRANCHI, avoués à la Cour Assisté de Maître GORNY substituant Maître DEBARBIEUX, Avocate au barreau de ARRAS INTIMÉS Monsieur Laurent Y... ... par la SCP LEVASSEUR-CASTILLE-LEVASSEUR, avoués à la Cour Assisté de Maître MESSAGER, Avocat au barreau de LILLE Madame Isabelle Z... épouse Y... ... par la SCP LEVASSEUR-CASTILLE-LEVASSEUR, avoués à la Cour Assistée de Maître MESSAGER, Avocat au barreau de LILLE S.A.S. ARTS ET ENTREPRISES prise en la personne de ses représentants légaux ayant son siège social 12 rue Vasco de Gama 62750 LOOS A... GOHELLE Représentée par la SCP LEVASSEUR-CASTILLE-LEVASSEUR, avoués à la Cour Assistée de Maître MESSAGER, Avocat au barreau de LILLE COMPOSITION DE LA COUR LORS DES B... ET DU DÉLIBÉRÉ M. FOSSIER, Président de chambre M. ZANATTA, Conseiller M. REBOUL, Conseiller --------------------- GREFFIER LORS DES B... : Mme C... B... à l'audience publique du 26 Janvier 2006, Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe. ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 16 Mars 2006 (date indiquée à l'issue des débats) par Monsieur FOSSIER, Président, et Mme C..., Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***** La société par actions simplifiée ARTS et ENTREPRISES (ci-après AE) a été créée le 25 juillet 2002. Elle a employé quatre salariés à ses débuts et en emploie quarante aujourd'hui. Jacques
X... a été porteur de presque deux tiers des parts et les époux Y... du surplus. Monsieur D... a été président de cette société jusqu'au 24.2.2003, date de sa démission au profit de M. Y.... Le 3 mai 2005, la société a prononcé l'exclusion de M. X... de son sein sans que l'intéressé soit appelé à voter. Entre ces deux dates, il est constant que M. X... a pris de nombreuses initiatives engageant la société, dans des conditions et pour des raisons qui, elles, sont contestées.
Par jugement contradictoire en date du 7 septembre 2005, le Tribunal de grande instance à compétence commerciale siégeant à Béthune, statuant sur renvoi de son juge des référés, a : - débouté M. X... de sa demande d'annulation de son exclusion et de ses demandes parallèles de réintégration dans le groupement et de dommages et intérêts (15.000 euros) pour exclusion abusive ; - ayant ainsi validé l'exclusion litigieuse, débouté M. X... de sa demande de désignation d'un expert pour déterminer la valeur de ses parts sociales ; constaté qu'une expertise sur ce point avait déjà été ordonnée en référé ; accordé à M. X... aux dépens des époux Y... une provision de 192.825 euros (soit 42,85 euros la part) ; rejeté la demande de dommages et intérêts (220.000 euros) de M. X... pour abus des époux Y... dans l'exclusion. Il avait été demandé 400.000 euros par M. X... de ces chefs (pour provision sur les parts et pour indemniser les rémunérations qu'il n'aurait plus, sur trois années ä) ; - condamné la société AE à payer à J. X... la somme de 285.000 euros en remboursement de son compte courant d'associé, avec intérêt au taux légal ; il avait été demandé 281.587,38 euros de ce chef, avec intérêts au taux contractuel de 4.58 p.100 l'an.
Par acte de son avoué en date du, M. Jacques X... a interjeté appel principal et général de la décision intervenue. A l'attention du second degré de juridiction, la partie appelante a déposé des
conclusions conformes aux articles 915 et 954 du nouveau code de procédure civile, dont les dernières en date sont du 30.12.2005, et dans lesquelles il est demandé à la Cour d'annuler l'exclusion litigieuse, d'ordonner la réintégration conséquente, de condamner les époux Y... à payer 15.000 euros pour le préjudice subi ; subsidiairement, de condamner solidairement la société AE et les époux Y... à payer 220.000 euros pour abus (dispositif des conclusions) ou pour perte de rémunérations sur trois années (motifs des conclusions), 285.000 euros pour le compte courant avec intérêts à 4,58 p.100, et 3.000 euros pour frais de procédure.
La partie intimée, M et Mme Y... et la S.A.S. ARTS ET ENTREPRISES, a conclu le 25.1.2006. Ces parties demandent la confirmation du jugement critiqué, en ce qu'il a validé l'exclusion de M. X... A... revanche, elles estiment que les premiers juges ne devaient pas accorder de provision à M. X... sur la valeur de ses parts sociales. Elles demandent aussi à rembourser le compte courant par mensualités, et sans intérêts. Elles fixent à 3.500 euros le montant de leurs frais irrépétibles exposés devant la Cour.
Selon ce qu'autorise l'article 455 du nouveau code de procédure civile, il est renvoyé aux écritures des parties pour l'exposé de leurs moyens. SUR QUOI LA COUR, - Au principal 1o - Sur l'exclusion de M. X... :
Attendu qu'en la forme, comme les premiers juges l'ont relevé, il ne semble plus y avoir de litige sur le respect des formalités entourant la décision d'exclusion ;
Attendu, sur le déroulement du vote, que les premiers juges ont estimé que, dans le contexte de liberté contractuelle totale qui caractérise la S.A.S., il était possible de prévoir, comme l'ont fait les parties, que l'associé dont l'exclusion est prévue ne participe pas au vote ;
Que Monsieur X... affirme que la participation au vote est un droit absolu et d'ordre public et que la clause contraire des statuts de AE est nulle, de même que le vote accompli en l'espèce ;
Attendu que si, par application de l'article 1844 alinéa 1 du Code civil, tout associé a le droit de participer aux décisions collectives et de voter, sans dérogation statutaires possibles (Com. 9 fév. 1999, cité par les parties), ce principe n'est pas "absolu" comme le prétend l'appelant et peut connaître des dérogations législatives, expresses ou implicites ;
Qu'ainsi, pour s'en tenir à la matière commerciale, et alors que l'article L 223-28 du Code de commerce, anciennement article 58 de la loi du24 juillet 1966, affirme que tout associé a droit de participer aux décisions et dispose d'un nombre de voix égal à celui des parts sociales qu'il possède, il existe des actions sans droit de vote (art. L 225-126 C.com.) ; de même qu'il existe des votes réservés, par exemple en cas d'apport ou d'octroi d'un avantage (art. L 225-10 al. 2) ;
Que précisément, la société par actions simplifiée repose, au moins historiquement sinon dans sa pratique en France, sur la dissociation du pouvoir financier et du pouvoir décisionnel ; qu'ainsi en dispose l'article L 227-9 du Code de commerce, qui en son alinéa premier fait de la décision collective une valeur supplétive, selon une énumération limitative des cas dans les statuts ; qu'à l'exception des modifications du capital, du sort de la S.A.S. et de contrôle des comptes (alinéa 2 du même article), toute la vie d'une société de ce type peut obéir aux décisions d'une minorité en capitaux ; que l'article L 227-16, qui évoque l'exclusion d'un associé, ne dispose pas autrement ; que les raisons de cette liberté contractuelle ont été clairement exposées par les premiers juges ;
Attendu par conséquent qu'en autorisant les statuts à déterminer que
les décisions d'exclusion ne seront pas prises collectivement, Monsieur X..., porteur majoritaire, s'est en fait exposé lui-même au jeu de cette stipulation et ne peut de toute façon en droit en faire ici plaider la nullité ;
Attendu, sur les motifs de l'exclusion, que celle-ci est intervenue, selon la motivation des premiers juges que la Cour adopte sans changement, valablement car Monsieur X... s'est comporté, nonobstant sa démission et après elle, comme dirigeant de fait de AE, alors qu'il ne disposait plus que d'une procuration bancaire, sans pouvoir social ;
Que Monsieur X... ne dénie d'ailleurs pas avoir pris de nombreuses initiatives engageant la société, même après sa démission ;
Qu'il expose vainement qu'il s'agissait d'un accord avec les époux Y..., d'abord pour permettre à M. Y... d'être à son tour président de la société, puis pour lui permettre avec son épouse de faire face à la maladie d'un enfant ; et qu'il disposait de la "signature sociale" jusqu'à son exclusion du 3.5.2005, de fait sinon formellement ; que de tels motifs factuels, dès lors qu'aucune modification statutaire ou à tout le moins aucune convention ayant force probante suffisante n'ont été consenties, ne peuvent prévaloir sur les pouvoirs respectifs que les parties s'étaient conférés le 24.2.2003 et dont la loi impose le strict respect pour protéger tant les associés eux-mêmes que les tiers ;
Que Monsieur X... affirme aussi que ses initiatives ont toujours été conformes à l'intérêt social ; que cette proposition, outre qu'elle est contestée par les intimés, met tout au plus M. X... à l'abri d'une demande de dommages et intérêts mais ne valide pas son attitude illicite ;
Que du tout, il s'évince que l'exclusion de M. X... était justifiée, comme l'ont dit les premiers juges, et ne saurait ouvrir de droit à
réparation comme il y prétend;
Que de même, les gains perdus pour M. X... , qu'il invoque dans ses motifs, mais non dans son dispositif (où est visé, pour un même montant, "l'abus des époux Y..."), et qu'il chiffre à 220.000 euros, ne sauraient être répétés à l'appelant, l'exclusion étaient justifiée, de sorte que la décision des premiers juges, qui n'ont pas fait droit de ce chef, sera confirmée là encore ; 2o - Sur les suites de l'exclusion considérée valable
Attendu que l'expertise de la valeur des parts sociales est en cours et les parties s'accordent pour ne plus en voir ordonner une autre ; Attendu que pour contester la provision dûe à M. X... sur cette valeur de parts sociales, les intimés exposent qu'ils n'ont pas le financement pour payer, et qu'en outre, le chiffre de 42,85 euros la part correspond à une offre transactionnelle, caduque faute d'acceptation de M. X... ;
Mais attendu quant au montant, que les premiers juges ont utilisé le chiffre le plus plausible, celui sur lequel les parties s'étaient accordées pendant un temps, et faute d'ailleurs qu'il en soit proposé un autre par l'un ou l'autre des plaideurs au cours du procès ; que la Cour n'est d'ailleurs pas davantage gratifiée d'une évaluation provisoire plus sérieuse ; que dès lors, s'agissant d'une provision, la confirmation est possible ;
Attendu quant aux délais, qu'en la matière, les débiteurs, alors qu'ils ont organisé l'exclusion de l'associé majoritaire et ont accaparé la structure sociale et ses produits de toutes sortes, ne sont pas admis à invoquer qu'ils n'ont pas réuni les fonds pour rembourser leur adversaire ; qu'aucun délai ne leur sera accordé pour s'exécuter;
Attendu, sur le compte courant, que les premiers juges ont consacré
le droit inconditionnel de M. X... au remboursement immédiat de son compte courant et ont retenu, ultra petita semble-t-il, la valeur visée au bilan de l'année 2004 ;
Que les intimés, débiteurs de la somme, n'en contestent cependant pas le principe ni le montant et sollicitent seulement les plus larges délais ;
Que ces délais sont nécessaires à l'entreprise pour qu'elle ne soit pas dépouillée de sa trésorerie ; que la cour entrera en voie de réformation de ce chef ;
Qu'aucun intérêt conventionnel plutôt que légal n'est dû au créancier du compte courant, selon ce qu'ont énoncé à juste titre les premiers juges ; qu'en revanche, il n'est pas de motif de priver M. X... purement et simplement de tout intérêt comme semblent le vouloir les intimés ; que les premiers juges ont fait une exacte application de la loi sur ce point ; - Accessoires
Attendu que, succombant sur l'essentiel du principal, tant en première instance qu'en appel, M. X... supportera la charge des dépens aux deux degrés de juridiction, par voie de réformation ;
Qu'au titre des frais exposés pour la première instance comme pour le présent appel et non compris dans les dépens, la partie condamnée aux dépens paiera à l'autre par application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile la somme de 3.000 euros, soit 1.000 par intimé; PAR CES MOTIFS La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe, en dernier ressort, Infirme le jugement rendu le 7 septembre 2005 par le tribunal de grande instance de BETHUNE siégeant en matière commerciale à en ce qu'il a refusé à la société par actions simplifiée ARTS ET ENTREPRISES tout délai pour rembourser le compte courant de M. Jacques X... ; et en ce qu'il a condamné M. et Mme Y... et la SAS A.E. aux dépens et dit n'y avoir lieu à l'application de l'article
700 du nouveau code de procédure civile ; Confirme pour le surplus ; et statuant à nouveau des chefs d'infirmation : - Accorde à la SAS Arts-et-Entreprises le droit de rembourser le compte courant de M. X... à raison de 185.000 (cent quatre vingt cinq mille) euros le 1o juillet 2006, et le surplus en principal et intérêts le 1o décembre 2006, la totalité devenant exigible en cas d'irrespect de l'échéance du 1.7.2006 ; - Condamne Jacques X... à payer les dépens de première instance et d'appel, outre la somme de 1.000 euros à chacun de ses trois adversaires par application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile pour l'ensemble des deux degrés de juridiction ; Accorde aux avoués constitués, le bénéfice de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.
LE GREFFIER
LE PRÉSIDENT
C. C...
T. Fossier