DOSSIER N 05/01922 ARRÊT DU 14 Mars 2006 4ème CHAMBRE VM COUR D'APPEL DE DOUAI
4ème Chambre - Prononcé publiquement le 14 Mars 2006, par la 4ème Chambre des Appels Correctionnels, Sur appel d'un jugement du T. CORRECT. DE BOULOGNE SUR MER du 26 MAI 2005 PARTIES EN CAUSE DEVANT LA COUR :
X... Gilles Lucien René né le 14 Novembre 1959 à BOULOGNE SUR MER Fils de X... René et de BRULLE Renée De nationalité française, marié Artisan commerçant Demeurant 19 Résidence Brucquedal - Avenue des Rossignols - 62360 HESDIN L ABBE Prévenu, appelant, libre, comparant Assisté de Maître VADUNTHUN Serge, Avocat au barreau de BOULOGNE SUR MER LE MINISTÈRE PUBLIC :
Le Procureur de la République près le Tribunal de Grande Instance de BOULOGNE SUR MER appelant, BROCART Sylviane épouse Y..., demeurant 12 rue des Frères Bouhours - 59490 SOMAIN Comparante, partie civile, appelante, assistée de Maître THERY Raphael, Avocat au barreau de DOUAI Y... Michel, demeurant 12 rue des Frères Bouhours - 59490 SOMAIN Comparant, partie civile, appelant, assisté de Maître THERY Raphael, Avocat au barreau de DOUAI COMPOSITION DE LA COUR : Président :
Christine PARENTY, Conseillers :
Michel Z...,
Bruno CHOLLET. GREFFIER : Edith BASTIEN aux débats et Odette MILAS au prononcé de l'arrêt. MINISTÈRE PUBLIC : Bertrand CHAILLET, Substitut Général. DÉROULEMENT DES DÉBATS : A l'audience publique du 31 Janvier 2006, le Président a constaté l'identité du prévenu. Ont été entendus : Monsieur Z... en son rapport ; X... Gilles Lucien René en ses interrogatoires et moyens de défense ; Le Ministère Public, en ses réquisitions : Les parties en cause ont eu la parole dans l'ordre prévu par les dispositions des articles 513 et 460 du code de procédure pénale. Le prévenu et son Conseil ont eu la parole en dernier. Le Président a ensuite déclaré que l'arrêt serait prononcé le 14 Mars 2006. Et ledit jour, la Cour ne pouvant se constituer de la même façon, le Président, usant de la faculté résultant des dispositions de l'article 485 du code de procédure pénale, a rendu l'arrêt dont la teneur suit, en audience publique, et en présence du Ministère Public et du greffier d'audience. DÉCISION : VU TOUTES LES PIÈCES DU DOSSIER, LA COUR, APRES EN AVOIR DÉLIBÉRÉ CONFORMÉMENT A LA LOI, A RENDU L'ARRÊT SUIVANT :
Devant le Tribunal de Grande Instance de BOULOGNE SUR MER, Gilles X... était prévenu :
d'avoir à LE PORTEL, dans le courant des années 1999 à 2003, en tout cas sur le territoire national et depuis temps non prescrit, obtenu ou tenté d'obtenir par violences, menaces de violences ou contraintes, une signature, un engagement ou la remise de fonds, en l'espèce la remise de plusieurs sommes d'argent au préjudice de Monsieur et Madame Michel Y... et en la menaçant de lui interdire l'accès aux marchés et à la possibilité d'exercer son activité, en empêchant notamment son approvisionnement,
faits qualifiés d'extorsion,
faits prévus et réprimés par les articles 312-1, 312-8, 312-9 et 312-13 du Code Pénal.
Par jugement contradictoire du 26 mai 2005, ledit Tribunal a relaxé le prévenu des faits postérieurs au 31 juillet 2002, l'a déclaré coupable pour le surplus, l'a condamné à 3 mois d'emprisonnement et 15.000 euros d'amende ; il l'a en outre condamné à verser aux époux Y... la somme de 40.093,87 euros en réparation de leur préjudice matériel, à chacun d'entre eux la somme de 2.500 euros pour leur préjudice moral ainsi que 700 euros au titre de l'article 475-1 du Code de Procédure Pénale.
Le prévenu a interjeté appel des dispositions pénales et civiles du dit jugement le 27 mai 2005, suivi par le Parquet le même jour et les parties civiles le 31 mai 2005.
Toutes les parties ont été citées à personne et sont présentes.
L'affaire sera jugée de façon contradictoire à l'égard de toutes les parties.
Il ressort de la procédure les faits suivants :
Le 31 juillet 2002 les époux Y... déposaient plainte avec constitution de partie civile auprès du doyen des Juges d'Instruction de ce Tribunal contre Gilles X... pour extorsion de fonds.
Les parties civiles exposaient en substance : - qu'au printemps 1999 Gilles X..., gérant le la S.A.R.L. les Pêcheurs de BOULOGNE, qui employait Madame Sylvianne Y... depuis plusieurs années, l'informait de son désir de cesser son activité commerciale et lui suggérait de s'installer à son propre compte en qualité de poissonnier ambulant sur divers marchés ; - que le 1er juillet 1999 Madame Y... achetait à la Société un camion frigorifique pour un prix de 120.600 Francs T.T.C. et démissionnait parallèlement de son emploi ; elle reprenait également une salariée du prévenu ; aucune cession officielle du fonds de commerce n'avait lieu ; - que peu de temps après cette transaction Gilles X... exigeait de leur part le versement d'une redevance de 8.500 Francs par mois en espèce
pendant trois ans afin d"obtenir son agrément pour leur permettre d'accéder à cinq marchés, lui-même en conservant trois, et de les autoriser à s'approvisionner auprès de divers fournisseurs ; il menaçait la partie civile de se réinstaller sur les marchés et estimait la valeur de sa clientèle à 500.000 Francs ; - qu'ils acceptaient les exigences du prévenu et que de septembre 1999 à janvier 2002 ils s'acquittaient, chaque mois, de cette somme, les obligeant à s'endetter auprès de leur entourage familial ; l'argent lui était remis en mains propres sous enveloppe par l'intermédiaire de deux salariés Raymonde DUSSAUTOIS et Christophe A... ; la partie civile admettait qu'elle aurait pu aller sur d'autres marchés et ne savait dire pourquoi vraiment elle avait accepté de payer ; - qu'à partir du mois de février 2002 ils ne parvenaient plus à honorer complètement les échéances et que Gilles X... se mettait alors à les harceler notamment par l'envoi de plusieurs fax, contenant des menaces de divers ordres.
Ces fax, signés "Gilles" et faisant état des "loyers" réclamés étaient joints à la plainte.
Une information judiciaire était ouverte le 28 janvier 2003.
Les époux Y... réitéraient leurs accusations devant les enquêteurs puis devant le magistrat instructeur et les deux salariés suscités confirmaient avoir remis à Gilles X... des enveloppes contenant de l'argent à la demande de leurs employeurs.
Lors de son interrogatoire de première comparution le prévenu reconnaissait être l'auteur des écrits adressés par fax mais il niait farouchement avoir soutiré des fonds sous la contrainte.
Il confirmait qu'il n'avait jamais été question de rachat de clientèle et soutenait que les versements effectués par les époux Y... ainsi que les sommes réclamées dans les fax à titre de "loyers" correspondaient en réalité à la quote-part de Monsieur
Y... au paiement de dommages-intérêts, d'un montant de 600.000 Francs auxquels il avait été condamné dans le cadre d'une affaire de recel de poisson volé.
Il expliquait qu'il n'avait pas dénoncé Michel Y..., bien qu'il soit impliqué dans les faits délictueux, et que ce dernier pour le remercier s'était alors spontanément engagé à participer au règlement des sommes mises à sa charge.
Il ajoutait qu'une partie de l'argent réclamé dans les fax représentait des sommes dues en règlement d'achats de poisson "au noir" effectué dans le courant de l'année 2001 à raison de 2.000 à 3.000 Francs par semaine.
Au cours de la confrontation avec les parties civiles, Gilles X... modifiait ses premières déclarations indiquant qu'il n'avait pas reçu d'argent au titre des dommages-intérêts mais uniquement à celui des achats occultes de poisson.
Les époux Y... contestaient ces prétendus achats sans facture et produisaient l'appui de leurs dires des documents comptables justifiant du caractère officiel de leurs approvisionnements auprès de la S.A.R.L. les Pêcheurs de BOULOGNE.
Il convient de noter que c'est en Juin 2000 que le prévenu a été condamné pour recel avec 600.000 Francs à rembourser, solidairement avec trois autres prévenus, à la victime ; que ledit jugement a été confirmé par la Cour d'Appel de DOUAI fin mars 2001, alors que les "loyers" payés par les parties civiles ont commencé en septembre 1999 ;
Les époux Y... contestaient avoir été mêlés d'une quelconque façon à cette affaire de recel ;
Le prévenu niait, malgré les déclarations de Monsieur A..., salarié de la partie civile, avoir touché 8.500 Francs en liquide chaque mois mais affirmait avoir touché 16.000 Francs par mois jusqu'en décembre 2000 puis 3 ou 4.000 Francs par mois, le tout pour du poisson "au noir" exclusivement.
Devant la Cour, la défense maintient sa version des faits expliquant que les sommes versées en liquide -qui n'étaient pas aussi régulières que la partie civile le prétend- étaient justifiées par la contribution au paiement des dommages-intérêts et par des ventes de poisson "au noir".
Elle souligne que les parties civiles n'ont porté plainte qu'en juillet 2002, soit près de 3 ans avant les premiers versements, sans jamais réagir auparavant et sans pouvoir produire, avant mai 2002, la moindre preuve de menaces.
Les parties civiles affirment qu'elles se sont installées en toute confiance après achat du matériel, pensant que le prévenu abandonnait cinq marchés sur 8 et allait prendre sa retraite et acheter un camping ; que l'extorsion sous la menace de venir concurrencer l'acheteur n'est venue qu'en septembre 1999 et s'est matérialisée courant 2002 lorsqu'elles ont cessé de payer les "loyers". Elles affirment ne rien avoir su des problèmes de cession de fonds de commerce.
Attendu qu'à l'audience, les parties civiles confirment avoir demandé au prévenu un acte notarié qu'il avait refusé ; qu'il était bien convenu qu'après 36 mensualités, ce dernier ne réclamerait plus rien ;
Attendu que les explications fournies par le prévenu quant à l'origine des dites mensualités sont fantaisistes ;
Attendu que pendant près de 3 ans, les parties civiles ont payé, sans preuve d'une quelconque contrainte, 8.500 Francs par mois, sans s'en
plaindre d'une quelconque façon ; que ce n'est qu'au début de 2002, lorsqu'elles n'ont plus été capables d'honorer leurs échéances, qu'elles ont consulté un avocat avant de se constituer partie civile le 31 juillet 2002 auprès du doyen des Juges d'Instruction ; qu'ainsi il apparaît que c'est volontairement que les parties civiles ont payé des mensualités au prévenu qui semblent avoir été convenues d'avance dans leurs modalités et notamment dans leur durée ; que cette opération s'analyse en réalité comme une cession de fonds de commerce occulte mais librement acceptée par les deux parties même si, peut-être, le montant de ladite cession a été mal appréciée par les parties civiles ; que les deux parties avaient un intérêt fiscal à ne pas formaliser la cession de fonds ;
Attendu que l'infraction d'extorsion n'est donc pas constituée et que le prévenu sera relaxé de toutes poursuites et les parties civiles déboutées de toutes leurs prétentions, le jugement étant infirmé dans sa totalité.
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Statuant publiquement et contradictoirement à l'égard de toutes les parties, - Infirme le jugement déféré, - Relaxe Gilles X... de toutes les poursuites, - Déboutes les parties civiles de toutes leurs demandes.
LE GREFFIER,
LE PRÉSIDENT,
O. MILAS
C. PARENTY