COUR D'APPEL DE DOUAI CHAMBRE 2 SECTION 1 ARRÊT DU 29/09/2005 * * * No RG : 04/00265 et 04/0003 (jonction) Tribunal de Grande Instance de BÉTHUNE statuant commercialement le 23 Septembre 1998 et 19 Novembre 2003 REF : PR/CP APPELANTE S.A.S ETS BLANQUART prise en la personne de ses représentants légaux ayant son siège social Le Fort Rouge 59173 RENESCURE Représentée par la SCP CARLIER-REGNIER, avoués à la Cour Assistée de Me Philippe MATHOT, avocat au barreau de DOUAI INTIMÉE S.A. VITOGAZ prise en la personne de ses représentants légaux ayant son siège social 2 Place des Vosges 92400 COURBEVOIE Représentée par la SCP DELEFORGE FRANCHI, avoués à la Cour Assistée de Me CAMADRO ( SCP DOLLA-VIAL) avocats au barreau de PARIS COMPOSITION DE LA COUR LORS DES X... ET DU DÉLIBÉRÉ Mme GEERSSEN, Président de chambre M. ROSSI, Conseiller M. REBOUL, Conseiller --------------------- GREFFIER LORS DES X... : Mme J. Y...
X... à l'audience publique du 23 Juin 2005, Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 29 Septembre 2005 (date indiquée à l'issue des débats) par M. ROSSI, conseiller, qui a signé la minute pour le Président empêché, et Mme J. Y..., Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire. ORDONNANCES DE CLÈTURE DES : 20 mai 2005 et 27 mai 2005
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Vu le jugement contradictoire prononcé le 23 septembre 1998 par le Tribunal de grande instance de BÉTHUNE, statuant commercialement, qui a notamment débouté la SA Z... de ses demandes et condamné cette société à payer à la société VITOGAZ la somme de 6000 francs au
titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Vu l'appel formé le 14 janvier 2002 par la SAS ETABLISSEMENTS BLANQUART (ci-après la société BLANQUART) ; Vu l'ordonnance de radiation du 12 juin 2002 et la demande de réinscription au rôle déposée le 14 janvier 2004 ; Vu le jugement prononcé le 19 novembre 2003 par le Tribunal de grande instance de BÉTHUNE, statuant commercialement, qui ordonné la transmission de l'affaire à la cour, en faisant droit à l'exception de litispendance opposée par la société VITOGAZ ; Vu les conclusions déposées pour la SAS BLANQUART ETS le 30 novembre 2004 (affaire 04-00265) et le 19 mai 2005 (affaire 04-03) ; Vu les conclusions déposées pour la SA VITOGAZ LE 26 mai 2005 ; Vu les ordonnances de clôture des 20 et 27 mai 2005 ; [* Attendu qu'il convient, pour une bonne administration de la justice, d'ordonner la jonction des procédures enrôlées sous les numéros 04-00265 et 04-0003 ; *] 1o/ Sur l'irrecevabilité de l'appel formé par la société BLANQUART : Attendu qu'il ressort des éléments de la procédure que la société Z..., partie en première instance et dont les demandes ont été rejetées par les premiers juges le 23 septembre 1998, a été absorbée par la société BLANQUART en juillet 1997 et a été radiée du registre du commerce et des sociétés le 19 septembre 1997, ayant été dissoute sans liquidation ; que la société Z... a interjeté appel à l'encontre de ce jugement par acte du 22 octobre 1998, cet appel ayant été dit irrecevable par la présente cour ; que la société absorbante a elle-même formé appel le 14 janvier 2002 ; Attendu que la société VITOGAZ soutient que ce dernier appel est irrecevable, comme tardif, puisque la signification du jugement querellé a été faite le 18 janvier 1999 au siège de la société absorbante (51 rue SAINTE SOYECQUE 62 BLENDECQUES) et reçue par un membre du personnel de cette dernière ; Attendu cependant que la signification a été délivrée à la société Z..., et qu'aucune pièce produite devant
la cour ne permet d'identifier la personne qui l'a reçue ; que la signification faite à une personne morale inexistante ne peut faire courir le délai d'appel, dès lors que sa dissolution sans liquidation est, comme en l'espèce, opposable aux tiers ; Attendu que les dispositions de l'article 528-1 du nouveau Code de procédure civile ne sont pas invoquées par la société VITOGAZ ; que la société BLANQUART fait valoir néanmoins que la signification effectuée, bien qu'irrégulière, fait obstacle à la forclusion prévue par ce texte ; qu'en effet, dès lors que la société VITOGAZ a entendu se prévaloir de la décision, en la signifiant, peu importe que cette signification n'ait pas été régulière ; Attendu que l'appel formé par la société BLANQUART est donc recevable ; que la fin de non recevoir fondée sur l'autorité de la chose jugée attachée au jugement déféré sera donc écartée ; 2/ Au fond : Attendu que cette dernière demande à la cour d'infirmer le jugement et de condamner la société VITOGAZ à lui payer les sommes de 381.515,80 Euros et 9.000 Euros (au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile) avec intérêts au taux légal à compter de la décision, en ordonnant la capitalisation, ainsi que 103.911,82 Euros avec intérêts au taux légal à compter du 4 mars 1996 et capitalisation ; Qu'elle fait valoir que la société absorbée (la société Z...) intervenait comme intermédiaire non mandataire, ou concessionnaire, dans la distribution des bouteilles de gaz VITOGAZ et disposait d'une exclusivité territoriale, et que le contrat a été rompu fautivement par cette dernière qui invoque à tort, selon elle, un atteinte à l' intuitus personae de la convention et à l'indépendance de son distributeur ; qu'elle affirme être devenue propriétaire des bouteilles de gaz qui ont été reprises par la société VITOGAZ. ; Attendu que la société VITOGAZ conclut à la confirmation du jugement déféré et à la condamnation de la société adverse à lui payer la somme de 8000 Euros au titre de ses frais
irrépétibles ; Qu'elle réplique qu'elle a mis fin aux relations la liant à son distributeur le 10 août 1995 lorsqu'elle a appris, tardivement, que la société Z..., acquéreur en 1985 du fonds de commerce de Monsieur Z..., son ancien concessionnaire depuis 1967, était passée en juin 1995 sous le contrôle de son actionnaire, la société BLANQUART, également concessionnaire de la société TOTALGAZ, alors qu'elle était liée par une exclusivité réciproque ; que compte tenu de cette modification elle n'était pas tenue de respecter un préavis ; qu'elle conteste l'évaluation faite par la société BLANQUART de son préjudice allégué ; qu'elle soutient être restée propriétaire des bouteilles de gaz reprises ; SUR CE :
Attendu qu'il n'est plus contesté que les sociétés Z... et VITOGAZ étaient liées, non par le contrat conclu avec M. Z..., mais par un accord non écrit à durée indéterminée ; qu'il existait entre les parties des relations commerciales établies ; que ce contrat a été rompu par lettre du 10 août 1995, à compter du 10 octobre suivant ; Attendu qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé par le fait, par tout producteur, commerçant ou industriel de rompre brutalement une relation commerciale établie, sans préavis tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels ; qu'a défaut de telles références et en l'absence d'arrêté ministériel, il appartient au juge de déterminer la durée de préavis qui s'imposait aux parties ; que la résiliation sans préavis reste cependant possible en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure ; Attendu qu'il ne peut être contesté qu'un contrat de distribution assorti d'une exclusivité territoriale est une convention conclue en considération de la personne du distributeur par le concédant ;
Attendu que la recherche de la volonté commune des parties peut se faire à la lumière du contrat écrit qui liait Monsieur Z... à la SOCIÉTÉ HAVRAISE DES PÉTROLES DU HOC, exploitant la marque FRANGAZ, et qui avait été conclu en 1967, la société VITOGAZ ayant par la suite succédé à la SHP - HOC ; qu'il convient en effet de rappeler que le premier (le concessionnaire) a cédé son fonds de commerce en 1974 à la société éponyme qu'il avait créée, cessionnaire de ce fonds en 1985, et qui a été par la suite absorbée par la société BLANQUART ; qu'en effet, même s'il est acquis que ce contrat initial, incessible, ne liait pas les sociétés parties à l'accord de distribution, les éléments de la procédure permettent de constater que ce second accord a été établi sur les mêmes bases économiques et territoriales ; que le premier contrat (1967) stipulait qu'il avait un caractère strictement personnel, et ne pouvait être cédé sous quelque forme que ce soit , ni être apporté en société, sans l'accord préalable du concédant ; qu'aucune précision relative à l'identité des associés de la société concessionnaire n'apparaît dans cet acte, il est vrai concernant une personne physique, ni, de toute évidence, dans l'accord verbal conclu avec la société Z... ; qu'à la date de la rupture, la société Z... n'avait pas été absorbée et avait conservé sa dénomination, seule l'identité de l'actionnaire majoritaire ayant changé ; Que la nature de l'activité en cause ne permet pas d'affirmer que le concédant a attaché une importance déterminante à l'identité des dirigeants ou de l'actionnaire disposant du pouvoir de contrôle de la société concessionnaire ; que la société VITOGAZ n'apparaît pas avoir réagi lorsque le fonds a été cédé, en 1985 ; Qu'aucune clause n'interdisait au concessionnaire de distribuer sur un autre territoire des produits d'une marque concurrente ; que l'on recherche en vain une telle restriction dans le contrat de 1967 ; que contrairement aux
allégations de la société VITOGAZ, il n'est pas établi que le concessionnaire était lié par une exclusivité réciproque ; Que la prise de contrôle d'une société anonyme par un actionnaire exerçant, sur un autre territoire, une activité de distribution d'une marque concurrente n'apparaît pas comme l'une des causes prévues par la loi et justifiant la rupture d'une relation commerciale établie sans préavis suffisant ; qu'aucun élément de la procédure ne permet même d'affirmer que le changement intervenu comportait les germes d'une inexécution future du contrat ; Qu'il convient donc d'infirmer le jugement sur ce chef ; Attendu que le contrat de 1967, bien qu'il ne lie pas les parties en cause, prévoyait un délai de préavis de trois mois ; qu'il convient d'observer que l'ancienneté des relations directes entre les sociétés était d'au moins dix ans à la date de la rupture depuis la cession du fonds de commerce, et que la société Z... exploitait déjà le fonds de commerce en tant que locataire gérant depuis 1974 ; qu'un préavis de deux mois est donc insuffisant ; que la rupture doit donc être qualifiée de brutale ; Attendu que la comparaison faite avec le secteur automobile, où est pratiqué un préavis de deux ans, n'est certainement pas pertinente, les investissements propres à chacune des activités n'étant aucunement identiques ; que la société BLANQUART n'est guère explicite sur les difficultés de rechercher un accord avec une autre société gazière ; qu'elle est silencieuse sur la spécificité de l'activité de concessionnaire dans le domaine des gaz en bouteilles ; Qu'il ressort des documents comptables de synthèse produits que le chiffres d'affaires de vente de marchandises a atteint la somme de 22.299.985 francs sur quinze mois, entre le 1er octobre 1994 et le 31 décembre 1995 ; qu'alors que la société BLANQUART affirme avoir perdu plus de la moitié de son chiffre d'affaires entre 1995 et 1996, ses ventes ont atteint en réalité la somme de 14.347.252 francs sur douze mois
en 1996 ; que cette baisse de l'ordre de 20 % à période égale correspond à un peu plus de deux mois d'activité ; qu'il apparaît également que la vente de bouteilles de gaz, qui a notablement régressé en 1996, ne correspondait qu'à une partie des affaires de la société titulaire de la concession ; que des ventes de gaz ont encore été effectuées en 1996 et en 1997 ; Qu'un préavis de quatre mois apparaît dès lors adapté au contexte économique de la relation commerciale, et non deux mois comme pratiqués ; Attendu que le taux de marge commercial déterminé par la société d'expertise comptable de la société Z... était de l'ordre de 26% pour l'ensemble des ventes, y compris celles de bouteilles de gaz ; que le taux de marge brute sur les ventes de gaz sous la marque VITOGAZ était, selon l'intéressée, de l'ordre de 17,6 % ; que celle-ci précise qu'en 1994 le résultat mensuel dégagé par les ventes de ce produit ont atteint la somme de 91.732 francs ; Attendu que le concessionnaire fait par ailleurs valoir que le responsable technique concerné a dû passer quatre mois pour se préparer à de nouvelles fonctions, qu'un chauffeur a dû être affecté à un poste qui ne correspondait pas au niveau de rémunération auquel il était parvenu, ce qui a généré des frais, tandis qu'un autre chauffeur a été transféré en urgence sur une autre activité ; Qu'il ajoute que la mise en .uvre de solutions de remplacement du chiffre d'affaires perdu a été coûteuse ; Attendu que la société BLANQUART produit une attestation d'un responsable de la société TOTALGAZ, datée du 1er juin 2005, dont il ressort qu'elle a repris l'exclusivité de la distribution des produits de cette marque à compter du 1er septembre 2001 ; qu'elle n'a donc pas délaissé entièrement et définitivement l'activité de distributeur de gaz en bouteilles ; Que le contrat était à durée indéterminée, de sorte que seul importe le non-respect d'un préavis suffisant ; Qu'il n'est pas démontré que le respect d'un préavis suffisant aurait eu,
tant au niveau de l'organisation du travail qu'à celui de la politique commerciale, une influence quelconque ; que les pièces de la procédure ne permettent pas de retenir l'existence de dépenses supplémentaires liées à la brutalité de la rupture et nécessitées par un changement imprévu et soudain d'activité ; Qu'une indemnité de 38.112,25 Euros (250.000 francs) réparera le préjudice causé par l'absence d'un préavis suffisant ; [* Attendu, en ce qui concerne les bouteilles reprises par la société VITOGAZ et dont la société BLANQUART réclame le prix, que cette dernière affirme en être devenue propriétaire ; Attendu qu'il convient, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, d'ordonner la disjonction de la procédure en disant que l'instance relative à cette prétention se poursuivra sous le nouveau numéro 05-05735 ; *] é Attendu qu'il sera fait droit à la demande de capitalisation des intérêts annuellement échus ; Attendu que la société VITOGAZ sera condamnée à payer à la société adverse la somme énoncée ci-dessous au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; PAR CES MOTIFS La Cour, statuant La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe, en dernier ressort, Ordonne la jonction des procédures inscrites au répertoire général de la cour portant les numéros 04-00265 et 04-0003. Reçoit l'appel en la forme ; Ecarte la fin de non recevoir ; Réforme le jugement du 23 septembre 1998 ; Condamne la société VITOGAZ à payer à la SAS BLANQUART la somme de 38.112,25 Euros à titre de dommages et intérêts ; Ordonne la capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1154 du Code civil ; Ordonne la disjonction de l'instance, en ce qui concerne les demandes formées par la société BLANQUART en paiement du prix des bouteilles de gaz ; Dit que l'instance concernant ce chef de demande se poursuivra sous le numéro 05/05735. Condamne la société VITOGAZ à payer à la société BLANQUART la somme de 1500 Euros au titre des
frais irrépétibles exposés dans le cadre de l'instance disjointe enrôlée sous le numéro 04-0003 ; Condamne la société VITOGAZ aux dépens d'appel relatif à cette instance qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.
LE GREFFIER,
/ LE PRÉSIDENT empêché,
LE CONSEILLER,
J. Y...
P. Rossi