COUR D'APPEL DE DOUAI TROISIEME CHAMBRE ARRET DU 20/01/2000 * * * No RG : 1999/03409 TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DUNKERQUE du 28/04/1999 Réf : PM/MCH/KH APPELANT FONDS DE GARANTIE DES VICTIMES DES ACTES DE TERRORISME ET D'AUTRES INFRACTIONS, ayant son siège social 64 rue Defrance 94682 VINCENNES CEDEX, représenté par SES DIRIGEANTS LEGAUX Représenté par Mes MASUREL-THERY, Avoués Assisté de Maître MEIGNIE, avocat au barreau de Douai INTIME Monsieur C. X..., né le 04 Novembre 1936 à FORT MARDYCK , demeurant 154 rue de Nancy 59640 DUNKERQUE, Représenté par Mes CONGOS-VANDENDAELE, Avoués Assisté de Maître LEDOUX, avocat au barreau de Paris COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE Monsieur Maîtreau, Président de Chambre Mesdames Chaillet et Barberger, Conseillers DEBATS à l'audience publique du DIX NOVEMBRE MIL NEUF CENT QUATRE VINGT DIX NEUF GREFFIER Madame Y..., présent lors des débats. ARRET CONTRADICTOIRE, prononcé à l'audience publique du VINGT JANVIER DEUX MILLE, date indiquée à l'issue des débats, par P. Maîtreau, président, qui a signé la minute avec M.C.Hannebouw, premier greffier, présents à l'audience lors du prononcé de l'arrêt. ORDONNANCE DE CLOTURE en date du 10/11/1999, OBSERVATIONS ECRITES DU MINISTERE PUBLIC Cf. réquisitions écrites de Monsieur Z..., Avocat Général en date du 4 novembre 1999
Le Fonds de Garantie des Victimes des Actes de Terrorisme et d'Autres Infractions (le Fonds) a relevé appel du jugement rendu le 28 avril 1999 par la Commission d'indemnisation des Victimes d'Infractions du tribunal de grande instance de Dunkerque (la Commission) qui a admis la demande d'indemnisation de X... C. victime d'une affection reprise au tableau 30 B des maladies professionnelles, qui a ordonné une expertise médicale confiée au docteur A... pour déterminer les différents chefs de préjudice à caractère personnel qui en sont la conséquence et qui a écarté la demande de provision.
Le Fonds reproche à la décision déférée de ne pas s'être livrée à une analyse sérieuse des faits de la cause et d'avoir retenu sur la seule base des affirmations du demandeur l'existence, à l'origine du préjudice consécutif à la maladie dont est atteint X... C. , d'une infraction de blessures involontaires qui est contestée et contestable en l'état de l'instruction pénale en cours.
Il demande à la Cour réformant le jugement déféré de surseoir à statuer dans l'attente de la décision que prendra la juridiction pénale saisie de la plainte déposée et à titre subsidiaire de débouter X... C. de l'ensemble de ses demandes.
X... C. conclut de son côté à la confirmation du jugement en ce qu'il a fait droit à sa demande et constaté que les atteintes et les dommages par lui subis résultent de faits qui présentent le caractère matériel des délits de blessures involontaires et d'abstention délictueuse ainsi qu'en ce qu'il a ordonné une expertise médicale.
Il sollicite en revanche sa réformation en ce qu'il a rejeté sa demande d'indemnité provisionnelle et demande à la Cour de condamner le Fonds à lui payer à ce titre la somme de 20 000 F ainsi que 15 000 F par application des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
Le Ministère Public conclut également à la confirmation de la décision entreprise en ce qu'elle a déclaré recevable et bien fondée la demande d'indemnisation et s'en rapporte sur le montant des indemnités. MOTIFS :
11 n'est pas contesté que l'affection dont souffre X... C. (calcifications pleurales) reprise au tableau n° 30 B des maladies professionnelles, a été contractée au cours de son activité professionnelle en qualité de salarié des Ateliers et Chantiers de France à Dunkerque de 1950 à 1988, à la suite d'une longue exposition à l'amiante dans ses conditions de travail :calorifugeage de
tuyauteries, flocage de soutes à fuel de bateaux, découpage d'amiante sur les conduites d'échappement des moteurs, air confiné (cf expertise du docteur B... du 7 janvier 1988).
Il ressort de l'importante documentation produite par X... C. que les dangers, pour la santé auxquels expose l'inhalation des poussières d'amiante (tels les lésions pleurales, l'asbestose et le mésothéliome), identifiés dés le début du vingtième siècle, ont, d'année en année, fait l'objet d'études diverses largement diffusées qui ont permis aux industries qui extraient l'amiante, à celles qui procèdent à son traitement ou à sa manufacture mais également à celles qui l'utilisent massivement d'en prendre conscience (rapport établi en 1906 par Monsieur C..., inspecteur du travail, sur des décès consécutifs à l'inhalation des poussières d'amiante dans une filature. Article publié en 1930 dans la revue "La Médecine du Travail", par le docteur D... gui mentionne qu'il est avéré actuellement que les ouvriers de, l'industrie de l'amiante sont frappés par une maladie professionnelle : l'asbestose pulmonaire" et qui formule des recommandations en direction des professionnels de l'amiante. Rapport Lynch de 1935 gui suggère l'existence, confirmée par l'étude de Doll en 1955, de liens mettant en relation l'asbestose et l'accroissement du risque du cancer du poumon. Rapport de 1954 de la société de médecine et d'hygiène du travail classant l'amiante parmi les dérivés minéraux à l'origine des cancers professionnels. Rapport du B.I.T de 1974 sur l'amiante, ses risques pour la santé et leur prévention). Par ailleurs : - le tableau n°30 des affections professionnelles consécutives à l'inhalation de poussières siliceuses et amiantifères a été créé le 3 août 1945, - le décret du 31 août 1950 a désigné l'asbestose comme étant l'une des maladies engendrées par les poussières d'amiante.
Face à ces dangers et pour les prévenir, existait, avant même la
parution du décret du 17 août 1977 relatif aux mesures particulières d'hygiène applicables dans les établissements où le personnel est exposé à l'action des poussières d'amiante, un ensemble de textes de portée générale, notamment : le décret du 10 juillet 1913 modifié le 13 décembre 1948, le 6 mars 1961 puis le 15 novembre 1993, prescrivant en son article 6 l'élimination directe des poussières par ventilation aspirante et le décret du 13 décembre 1948 disposant dans son article 7 que dans les cas exceptionnels où serait reconnue impossible l'exécution des mesures de protection collective contre les poussières des masques et dispositifs de protection appropriés devront être mis à la disposition des travailleurs.
En outre l'obligation de sécurité qui pèse sur l'employeur le contraint, même en l'absence d'une réglementation spécifique, à prendre les mesures adaptées pour assurer la protection de son personnel.
Or, en fait, X... C., dans son audition de partie civile du 21 octobre 1997, a indiqué que son travail s'effectuait dans le compartiment machine des bateaux, en atmosphère confinée. Il était chargé d'opérations de flocage des cuves à fioul et d'isolation des tuyauteries chaudes. L'amiante utilisée était broyée à l'intérieur de ce compartiment et les particules d'amiante étaient en suspension dans l'air. Il était également procédé dans le compartiment machine à des découpes de plaques d'amiante. Aucune information sur la nocivité de l'amiante n'a été donnée. Il n'était mis à la disposition des travailleurs aucun matériel de protection tels que combinaisons ou masques, les gants n'ont été fournis que plus tard, "vers les années 1970" pour protéger les-mains d'éventuelles coupures, pincements ou chute d'objet mais non pour se protéger des effets de l'amiante.
Ces déclarations sont confirmées par celles recueillies au cours de l'enquête de police auprès de collègues de travail de X... C.
(Sodez, Thery, Rogier, Soigrut, Vandenbussche, Ceuquiez, Dekoninck, Facon, Mariotto, Pluta, Platevoet, Delautre, Jonvel, Pasko, Grisolet, Schodet) qui unanimement décrivent les mêmes conditions de travail au contact des poussières d'amiante dans une atmosphère confinée jusqu'en 1988, date de fermeture des chantiers, et l'absence tant d'information sur la dangerosité de l'amiante que de tout moyen de protection, collectif ou individuel.
La seule note discordante émane de Rémy M. qui occupait les fonctions d'adjoint au chef de service sécurité, qui indique, tout en admettant que l'amiante n'était pas "véritablement au centre des débats", qu'il y avait eu de 1977 à 1987 une prise de conscience des difficultés liées à son utilisation, qu'une information avait été diffusée aux travailleurs par voie d'affiche, qu'il avait été mis à la disposition de ceux-ci des combinaisons jetables et des masques à poussières, que les postes de travail particulièrement exposés faisaient l'objet d'une visite régulière, enfin qu'à partir de 1978 l'utilisation de l'amiante avait quasiment été réduite à néant.
Cependant, il y a lieu de remarquer d'abord qu'aux termes mêmes de cette déclaration les moyens prétendument mis en oeuvre pour la protection des salariés n'auraient été installés qu'à compter de 1977, ensuite que cette déclaration est formellement contredite non seulement par les nombreuses déclarations précitées mais également par celle de Gérard Duforeau qui a travaillé aux Chantiers de France de 1949 à 1986, a exercé les fonctions d'ingénieur de travaux et se rendait fréquemment sur le poste de travail de X... C., et qui confirme également les conditions de travail au contact permanent de l'amiante ainsi que l'absence de toute information sur les risques et de tout moyen de protection.
Dès lors les éléments matériels d'une infraction de blessures involontaires, à savoir l'inobservation de règlements, ou à tout le
moins une négligence ou une imprudence, en relation avec l'atteinte à son état de santé dont souffre X... C., sont ici caractérisés.
C'est donc à juste titre que le jugement déféré qui sera confirmé pour les motifs précédents a rejeté la demande de sursis à statuer formulée par le Fonds, a admis la demande de X... C. et ordonné avant dire droit une mesure d'expertise pour quantifier le préjudice de ce dernier, observation étant faite que X... C. a dans l'intervalle engagé une autre procédure en reconnaissance de faute inexcusable.
X... C. qui s'est vu reconnaître par la C.P.A.M. un taux d'I.P.P. de 5 % a perçu de cet organisme un capital de 9 501 F en 1996.
Il n'apporte aujourd'hui aucun élément pour justifier sa demande en paiement d'une provision qui a été écartée à bon droit par la Commission.
En revanche, il sera fait application à son bénéfice des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile à hauteur de 5 000 F pour la procédure d'appel. PAR CES MOTIFS : La Cour, Statuant publiquement et contradictoirement, Confirme le jugement déféré, Y ajoutant, Condamne le Fonds de Garantie des Victimes des Actes de Terrorisme et d'Autres Infractions à payer à X... C. la somme de 5 000 F par application des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, Laisse les dépens d'appel à la charge du Trésor Public. Le Premier Greffier,
Le Président, M.C. Y...
P.Maîtreau.