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04/11/2021 | FRANCE | N°19/005876

France | France, Cour d'appel de Dijon, 03, 04 novembre 2021, 19/005876


GL/CH

[E] [W]

C/

S.A.S. FRUYTIER BOURGOGNE

Expédition revêtue de la formule exécutoire délivrée

le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE - AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE DIJON

CHAMBRE SOCIALE

ARRÊT DU 04 NOVEMBRE 2021

MINUTE No

No RG 19/00587 - No Portalis DBVF-V-B7D-FKCX

Décision déférée à la Cour : Jugement Au fond, origine Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de DIJON, section INDUSTRIE, décision attaquée en date du 09 Juillet 2019, enregistrée sous le no F 18/00459

A

PPELANT :

[E] [W]
[Adresse 4]
[Localité 2]
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 212310022019004964 du 17/09/2019 accordée par le bur...

GL/CH

[E] [W]

C/

S.A.S. FRUYTIER BOURGOGNE

Expédition revêtue de la formule exécutoire délivrée

le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE - AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE DIJON

CHAMBRE SOCIALE

ARRÊT DU 04 NOVEMBRE 2021

MINUTE No

No RG 19/00587 - No Portalis DBVF-V-B7D-FKCX

Décision déférée à la Cour : Jugement Au fond, origine Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de DIJON, section INDUSTRIE, décision attaquée en date du 09 Juillet 2019, enregistrée sous le no F 18/00459

APPELANT :

[E] [W]
[Adresse 4]
[Localité 2]
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 212310022019004964 du 17/09/2019 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de Dijon)

représenté par Me Fanny XAVIER-BONNEAU, avocat au barreau de DIJON

INTIMÉE :

S.A.S. FRUYTIER BOURGOGNE
[Adresse 10]
[Localité 3]

représentée par Me Jean-Charles MEUNIER de la SELAS ADIDA ET ASSOCIES, avocat au barreau de CHALON-SUR-SAONE substitué par Me Jérôme DUQUENNOY, avocat au barreau de CHALON-SUR-SAONE

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 14 Septembre 2021 en audience publique devant la Cour composée de :

Olivier MANSION, Président de chambre, Président,
Gérard LAUNOY, Conseiller,
Marie-Aleth TRAPET, Conseiller,

qui en ont délibéré,

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Safia BENSOT,

ARRÊT rendu contradictoirement,

PRONONCÉ par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

SIGNÉ par Olivier MANSION, Président de chambre, et par Safia BENSOT, Greffier, à qui la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Les données essentielles de la relation de travail nouée entre M. [E] [W], salarié, et la SAS Fruytier Bourgogne sont les suivantes :
- le 8 novembre 2010, embauche à temps plein en qualité d'ouvrier électricien (niveau IV, échelon H) dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée régi par la convention collective « bois et scierie »,
- le 22 avril 2014, première saisine du conseil de prud'hommes tendant au paiement d'heures supplémentaires, de primes de panier et de repos compensateur, ainsi qu'à l'annulation d'un avertissement, ayant abouti à un jugement du 18 septembre 2018 et à un arrêt rendu par cette cour le 7 janvier 2021,
- le 8 février 2018, convocation à entretien préalable à sanction disciplinaire,
- le 16 février 2018, tenue de cet entretien,
- par lettre recommandée du 1er mars 2018, notification de licenciement pour insuffisance professionnelle.

Par son arrêt précité du 7 janvier 2021, la cour a :
- confirmé le jugement en ce qu'il avait rejeté les demandes d'indemnité pour travail dissimulé, de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail, et de primes de panier,
- déclaré M. [W] non prescrit en ses demandes en paiement remontant jusqu'au 22 octobre 2009,
- condamné l'employeur à lui payer 3.502,59 euros à titre d'heures supplémentaires et 6.036,92 euros au titre du non-respect des repos compensateurs, outre congés payés afférents,
- prononcé la nullité de la mise à pied du 18 février 2015 et condamné en conséquence l'employeur à payer 80,50 euros brut au titre de la rémunération correspondant au jour de mise à pied,
- ordonné à l'employeur de rééditer le bulletin de paie de février 2015 qui ne mentionne pas le motif de l'absence,
- condamné l'employeur à payer 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Contestant son licenciement, prétendant à sa réintégration et invoquant une discrimination, M. [W] a de nouveau saisi, le 17 juillet 2018, le conseil de prud'hommes de Dijon.

Par jugement du 9 juillet 2019, cette juridiction a retenu que la discrimination invoquée ne pouvait pas être établie sur la base d'une comparaison avec un seul autre salarié, que le salarié ne démontrait pas que l'employeur avait été informé avant la convocation à entretien préalable de sa candidature au mandat de délégué du personnel au comité social et économique, que les faits décrits dans la lettre de licenciement et de précédentes sanctions démontraient une insuffisance professionnelle répétée alors que l'employeur s'était acquitté de son obligation de formation, que le licenciement avait constitué une sanction proportionnée et que la procédure de licenciement avait été régulière.
En conséquence, elle a :
- dit n'y avoir lieu de faire droit à la demande de remise de documents complémentaires relatifs au salarié [S],

- dit que l'employeur n'avait pas connaissance de l'imminence de la candidature de M. [W] avant d'engager la procédure de licenciement,
- dit cette procédure régulière,
- dit le licenciement régulier et fondé sur une cause réelle et sérieuse,
- dit que l'employeur avait respecté ses obligations de sécurité et de formation,
- débouté le salarié de l'intégralité de ses demandes,
- débouté l'employeur de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné le salarié aux dépens.

Par déclaration au greffe du 2 août 2019, l'avocat de M. [W] a régulièrement interjeté appel de cette décision qui lui avait été notifiée moins d'un mois auparavant.

Par ses dernières conclusions signifiées le 22 mars 2021, M. [W] demande à la cour, avec l'infirmation du jugement, de :
Avant dire droit,
- enjoindre à son adversaire de lui remettre, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir, le ou les contrats régularisés avec [B] [S], les fiches de paie de ce dernier depuis son entrée dans l'entreprise jusqu'au 2 mai 2018 et la liste des formations suivies par lui,
- à défaut de communication spontanée, en tirer toutes les conséquences utiles,
A titre principal,
- débouter son adversaire de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,
- constater l'absence d'autorisation de licenciement par l'inspection du travail et l'imminence de sa candidature pour les élections du comité social et économique du 6 mars 2018, connue de son employeur au 19 janvier 2018 et antérieure à son courrier de convocation à entretien préalable,
- dire nul son licenciement,
- condamner son adversaire à lui payer, à titre de dommages-intérêts :
* 2.314,19 euros brut par mois pour le préjudice moral subi depuis le jour du licenciement jusqu'à la décision à intervenir, qui ne pourra être inférieur à 8 mois de salaire soit 18.513,52 euros,
* 1.981,25 euros pour le préjudice matériel,
A titre subsidiaire,
- débouter son adversaire de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,
- dire son licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- condamner son adversaire à lui payer, à titre de dommages-intérêts :
* 18.513,52 euros pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
* 1.981,25 euros pour le préjudice matériel,
A titre infiniment subsidiaire,
- débouter son adversaire de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,
- dire que la procédure de licenciement est affectée d'une irrégularité,
- condamner son adversaire à lui payer 2.314,19 euros brut, correspondant à un mois de salaire, à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du chef de cette irrégularité,
En tout état de cause,
- débouter son adversaire de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,
- dire que les condamnations prononcées seront assorties des intérêts au taux légal à compter du dépôt de la requête initiale,
- condamner son adversaire à :
* lui remettre, sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir, une attestation destinée à Pôle Emploi modifiée en fonction de cette décision,
* au titre de l'article 700 du code de procédure civile, 5.000 euros pour la procédure d'appel et 2.000 euros pour la procédure de première instance,
* payer les dépens de première instance et d'appel.

Par ses plus récentes conclusions signifiées le 23 avril 2021, la société Fruytier Bourgogne prie la cour de :
- dire l'appel mal fondé et confirmer le jugement déféré,
- dire aussi irrecevables que mal fondées les prétentions formées par M. [W],
- en conséquence, le débouter de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,
- le condamner à lui payer 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi que tous les dépens.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie aux conclusions précitées pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties.

La clôture a été prononcée par ordonnance du 5 août 2021, l'affaire étant fixée à l'audience de plaidoiries du 14 septembre 2021, date à laquelle l'arrêt a été mis en délibéré à ce jour.

MOTIFS DE LA DÉCISION DE LA COUR

La cour constate que l'ensemble des moyens développés par la société Fruytier Bourgogne dans ses conclusions tendent à contester le bien fondé des demandes de son adversaire et ne comportent ni exception de procédure ni fin de non recevoir.
La recevabilité des demandes de M. [W] n'est donc pas en cause.

Sur la demande d'annulation du licenciement

Il résulte de l'article L. 2411-7 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance no 2017-1386 du 22 septembre 2017 et applicable à la date de convocation de M. [W] à entretien préalable, que l'autorisation de l'inspecteur du travail est requise pour licencier lorsque le salarié a fait la preuve que l'employeur a eu connaissance de l'imminence de sa candidature aux fonctions de délégué du personnel avant que le candidat ait été convoqué à l'entretien préalable au licenciement.

Il n'est pas contesté que des élections ont eu lieu dans l'entreprise le 6 mars 2018 pour désigner les membres de son comité social et économique.
A cette occasion, M. [W] a été présenté avec trois autres candidats par le syndicat CFTC.

L'employeur justifie par les attestations de ses salariées [A] [H] [F], responsable des ressources humaines, et [O] [X], comptable, ainsi que par les courriers produits que :
- dans la matinée du 12 février 2018, Mme [H] a rappelé au salarié [Z] [T], responsable syndical, que le délai imparti pour communiquer les listes de candidats allait expirer le jour même et lui a demandé de lui faire parvenir les listes de son syndicat,
- M. [T] a envoyé les listes par message électronique le même jour à 11 heures 47.

Il est soutenu qu'en réalité, l'employeur aurait eu connaissance dès le 19 janvier 2018 de l'imminence de la candidature de M. [W]. A cette date, le directeur général [I] [U] a reçu des membres du syndicat précité pour conclure des protocoles préélectoraux. Après la signature de ces documents, il a continué à échanger avec M. [T], déjà cité, et le responsable départemental [J] [K] :
- selon ce dernier, la discussion a, à un moment, porté sur le contenu de la liste des candidats, M. [K] a signalé que la liste à présenter était peut-être incomplète, il précise dans son attestation : « nous avons évoqué les noms de nos candidats dont le nom de M. [W]... »,

- d'après M. [T] : « nous avons parlé des candidats potentiels comme monsieur [W] et des certains comme moi-même et monsieur [M] [P] [C] »,
- M. [U] affirme au contraire qu'en aucun cas, ses interlocuteurs ont cité les noms de la future liste, le seul sujet abordé au sujet des élections ayant été le respect d'une obligation de parité entre les hommes et les femmes,
- le salarié [R] [Y] indique que lors d'une discussion tenue le 12 avril 2018 sur le contenu de son attestation, M. [T] a maintenu qu'on avait parlé des noms de la future liste, mais a ajouté que M. [U] utilisait son portable et n'avait probablement pas entendu ce qui avait été dit à ce sujet.

La cour déduit de ces éléments que M. [W] n'établit pas que M. [U] a été informé de l'imminence de sa candidature lors de la réunion du 19 janvier 2018 alors qu'une telle candidature n'était alors que potentielle, que le syndicat CFTC a attendu le dernier jour imparti pour régulariser sa liste et qu'il n'est pas certain que M. [U] ait participé à la partie de la discussion au moment de laquelle des perspectives de constitution de la liste ont été exposées.

M. [W] ne pouvant prétendre à la protection qu'il invoque à la date du 8 février 2018, le rejet de sa demande tendant à l'annulation du licenciement et de ses demandes financières corrélatives doit être confirmé.

Sur l'existence d'une cause réelle et sérieuse de licenciement

La lettre de licenciement précitée est ainsi rédigée :
« [?] Le 6 février 2018, vous avez changé une chaîne de sécurité sur le compartiment des fraises de la VEISTO. Puis, M. [V] [B], responsable électrotechnique a été appelé pour constater un dysfonctionnement de la sécurité de la VEISTO. En effet, les opérateurs pouvaient ouvrir cette machine sans être en sécurité puisqu'ils pouvaient ouvrir la porte d'accès aux fraises sans les arrêter.

En effet, la chaîne de sécurité que vous aviez changée quelques minutes auparavant était beaucoup trop longue. Nous vous avons montré des photo et vous avez reconnu avoir changé la chaîne avec cette longueur.

M. [V] vous avait alors appelé et en réponse à ses questions vous lui avez répondu « j'ai mis ce que j'avais ». Celui-ci vous a rétorqué qu'il avait seulement pris la chaîne que vous aviez installé et que vous pensiez que cette chaîne servait de porte clé.

Ces faits révèlent un manque de connaissances dans vos fonctions. Lors de l'entretien, je vous ai expliqué le fonctionnement de cette fermeture de sécurité et que sans celle-ci, un opérateur pouvait ouvrir la porte et se faire découper les mains par les fraises.

Vous me rétorquez que vous auriez pu aussi la faire trop courte et là je vous réponds que dans ce cas précis les opérateurs ne pouvant refermer la sécurité, il leur était donc impossible de mettre en route la machine ce qui les mettait automatiquement en sécurité.

Vous nous dites également ne pas avoir pris le temps de réfléchir au fonctionnement de cette sécurité.

M. [V] rappelle que cette sécurité a été livrée en même temps que la machine et vous demande si c'est la première fois que vous changez une chaîne de sécurité. Vous lui avez répondu que vous ne saviez pas.

A la fin de cette réunion, vous me présentez un courrier qui évoque que la direction précédente vous avait passé en horaire de journée afin de vous perfectionner en accompagnant l'un de vos collègues. Je relis ce document et vous rappelle aussi que la direction avait constaté que vous aviez de réelles difficultés lors des dépannages, difficultés que vous avez toujours aujourd'hui malgré les efforts de coaching qui ont été déployés pour rétablir la situation depuis le 6 mars 2017.

Cette incapacité à assumer correctement vos fonctions met en cause la bonne marche de votre service et la sécurité de l'entreprise et lors de notre entretien du 16 février 2018, vous n'avez fourni aucun élément de nature à nous faire espérer un quelconque changement.
[dispense d'exécuter le préavis de deux mois avec paiement d'une indemnité compensatrice] ».

M. [W] occupait toujours, au moment de son licenciement, les fonctions d'électricien, ainsi définies dans son contrat de travail : essais et tests, modification de câblage, câblage à partir de plans et de schémas, manipulation de marchandises, produits et matériels, respect des consignes de sécurité, installation, amélioration, entretien et dépannage d'équipements, notamment mécaniques et électroniques, entretien et maintenance.

Selon l'attestation du salarié [B] [V], responsable électro-technique, des responsables de ligne de production s'étaient régulièrement plaints d'un manque de compétence et de connaissance de la part de M. [W]. Cependant aucune précision n'est fournie sur ces prétendues carences.
La cour ne peut pas prendre en considération la mise à pied disciplinaire d'un jour, exécutée le 18 février 2015, dès lors que cette sanction a été annulée par l'arrêt précité du 7 janvier 2021.

Selon son courrier du 9 mars 2017, l'employeur a décidé de faire passer M. [W] en horaire de journée en raison de ses « difficultés » en matière de dépannage afin de :
- pouvoir l'affecter à des tâches de longue haleine difficilement réalisables en travail posté,
- lui permettre d'effectuer des tâches pour lesquelles il disposait de la compétence et de l'autonomie nécessaires (comme des câblages, des raccords d'équipement des passages de câble),
- le mettre en mesure de se perfectionner en matière de diagnostic et de dépannage au contact de salariés ayant de meilleures aptitudes.

Un rappel à l'ordre a été notifié en raison de faits du 23 août 2017 : l'employeur a notamment considéré que M. [W] avait omis d'utiliser des schémas électriques pour déterminer quelle boucle de contrôle par contact était en cause dans un défaut de signal de non retour d'arrêt de zone à l'empilage principal, et avait ainsi compliqué la situation en déclenchant tous les arrêts de zone au moyen d'un tournevis. M. [W] a fait valoir que la rédaction en langue allemande des schémas, non contestée par l'employeur, avait rendu leur interprétation difficile.

Durant cette période, M. [W] a bénéficié d'une formation de recyclage pour habilitation électrique d'une journée le 15 décembre 2016. D'autres formations n'ont pas concerné directement ses fonctions d'électricien : habitations à la conduite d'une plate-forme élévatrice et d'un chariot automoteur, sauveteur secouriste.

Les photographies communiquées et les attestations des salariés [D] [N] et [B] [V] démontrent que le 7 février 2018, M. [W] a mal remis en état un dispositif de sécurité destiné à empêcher l'ouverture sur une machine d'une porte donnant accès à des organes dangereux.

Ce dispositif consistait en une chaîne devant barrer la porte et terminer par une clé devant être insérée dans une serrure ; le retrait de cette clé entraînait l'arrêt de la machine. M. [W] a mis en place une chaîne trop longue de sorte qu'une ouverture partielle de la porte demeurait possible pendant qu'elle était en fonctionnement.
Ce travail entrait dans les fonctions de M. [W] dès lors que la chaîne n'était qu'un accessoire du dispositif électrique de sécurité en cause. Ce salarié ne peut pas invoquer un défaut de formation ou d'explication dès lors qu'il s'agissait d'une installation simple dont les principes de bon fonctionnement étaient apparents. M. [W] s'est donc rendu responsable d'une mauvaise exécution de son travail.

La cour estime toutefois que l'inexécution de ses obligations n'a été que partielle puisque la chaîne, même trop longue, constituait toujours un obstacle dissuadant sérieusement les utilisateurs d'ouvrir la porte et d'agir sur les fraises pendant leur fonctionnement. Alors que les faits du 23 août 2017 ont concerné une panne d'une particulière complexité, on ne peut pas considérer que le manquement du 7 février 2018 a révélé une inaptitude du salarié à réaliser des tâches essentielles inhérentes à ses fonctions.

La mesure de licenciement apparaît disproportionnée et se trouve donc dépourvue de cause réelle et sérieuse. Le jugement doit être infirmé sur ce point.

Sur les conséquences du licenciement

Au moment de son licenciement, M. [W] avait acquis une ancienneté de sept ans et cinq mois au service de la société Fruytier Bourgogne qui occupait habituellement plus de dix salariés au 31 décembre de l'année précédente.

Sa rémunération comprenait un salaire de base de 1.744,21 euros, une prime d'ancienneté de 43,05 euros, des temps de pause variant de 5,75 à 11,50 euros ainsi que des heures supplémentaires variables. La cour retient un salaire moyen mensuel de 1.950,66 euros.

Il justifie avoir perçu des allocations de chômage jusqu'à février 2019, mais ne communique aucun document sur l'évolution de sa situation socio-professionnelle après cette dernière date.

En outre, il invoque, sous l'intitulé de préjudice matériel, des frais liés à ses quinze déplacements entre son domicile et la ville de Dijon pour rencontrer son avocat et assister aux audiences du conseil de prud'hommes.
Domicilié à [Localité 8] (Yonne) à l'époque du licenciement, il a déménagé à [Localité 9] (Côte-d'Or), commune limitrophe, dès février 2019. La présente instance a donné lieu à une audience de conciliation et à une audience de jugement. Il n'y a pas lieu de tenir compte des instances distinctes non liées à la rupture du contrat de travail.

Compte tenu de son ancienneté, des circonstances de la rupture, du montant de sa rémunération, de son âge (né le [Date naissance 1] 1984), de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et son expérience professionnelle, des conséquences du licenciement, tels qu'ils résultent des pièces et des explications fournies, et du nombre de déplacements rendus nécessaires par l'exercice des droits de la défense, il y a lieu de lui allouer :
- en application de l'article L.1235-3 du code du travail, la somme globale de 12.000 euros en réparation du préjudice causé par le licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- la somme de 500 euros en réparation du préjudice matériel distinct.

Ces indemnités porteront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.

Il n'y pas lieu d'examiner la demande subsidiaire fondée sur une irrégularité de la procédure de licenciement.

L'attestation établie pour Pôle Emploi ne précise pas le motif du licenciement alors que cette indication est requise. Il y a lieu à délivrance d'une attestation rectifiée pour combler cette lacune. Le prononcé d'une astreinte n'apparaît cependant pas nécessaire.

Sur la demande de communication de pièces

Invoquant l'article R. 1454-14 du code du travail, M. [W] fait valoir qu'il a besoin des pièces demandées :
- pour prouver l'inégalité de traitement entre lui-même et ses collègues en matière d'évolution de salaires et de qualifications,
- surtout pour corroborer ou confirmer que son collègue [S] a bénéficié de formations supplémentaires alors que l'employeur, qui aurait dû le mettre en mesure de suivre ces formations, l'a licencié pour « inaptitude » (page 7 de ses conclusions).

La cour déclare le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse. Les pièces en cause ne sont donc pas nécessaires pour apprécier le bien fondé du licenciement.

Pour le surplus, l'article R. 1454-14 du code du travail permet à la juridiction prud'homale de prendre notamment toutes mesures nécessaires à la conservation des preuves ou des objets litigieux.
L'échange de messages téléphoniques communiqués aux débats montre que M. [S] a fourni à M. [W] toutes les informations dont il avait gardé mémoire au sujet de ses actions de formation. Il ne résulte pas du dossier que M. [W] aurait été placé dans l'impossibilité d'obtenir de lui copie de son contrat de travail et de ses bulletins de paie.
La communication demandée n'apparaît pas nécessaire à la conservation des preuves de sorte que le rejet de cette prétention doit être confirmé.

Sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile

Les dépens doivent incomber à la société Fruytier Bourgogne.

Il y a lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de M. [W].
Les frais de déplacement liés à sa défense ont cependant déjà été pris en compte dans les conséquences pécuniaires du licenciement.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Confirme le jugement rendu le 9 juillet 2019 par le conseil de prud'hommes de Dijon, sauf en ce qu'il a déclaré le licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse et rejeté les demandes indemnitaires afférentes,

Statuant à nouveau sur les points infirmés,

Dit que le licenciement de M. [E] [W] est dépourvu de cause réelle et sérieuse,

Condamne la SAS Fruytier Bourgogne à payer à Mr [E] [W], avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt :
- en réparation du préjudice causé par le licenciement sans cause réelle et sérieuse, à titre de dommages-intérêts, la somme nette de CSG et de CRDS de douze mille euros (12.000 €),
- en réparation du préjudice matériel distinct, la somme de cinq cents euros (500 €),
- par application de l'article 700 du code de procédure civile, la somme de mille cinq cents euros (1.500 €),

Dit que la SAS Fruytier Bourgogne devra, dans les deux mois qui suivront la notification, à défaut la signification, du présent arrêt remettre à M. [E] [W] une attestation pour Pôle Emploi rectifiée pour faire apparaître le motif du licenciement,

Déboute la SAS Fruytier Bourgogne de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile,

La condamne à payer les dépens de première instance et d'appel.

Le greffierLe président

Safia BENSOTOlivier MANSION


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Dijon
Formation : 03
Numéro d'arrêt : 19/005876
Date de la décision : 04/11/2021
Sens de l'arrêt : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Références :

Décision attaquée : Conseil de prud'hommes de Dijon, 09 juillet 2019


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.dijon;arret;2021-11-04;19.005876 ?
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