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04/11/2021 | FRANCE | N°19/004756

France | France, Cour d'appel de Dijon, 03, 04 novembre 2021, 19/004756


RUL/CH

[B] [W]

C/

SARL SERIO

Expédition revêtue de la formule exécutoire délivrée

le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE - AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE DIJON

CHAMBRE SOCIALE

ARRÊT DU 04 NOVEMBRE 2021

MINUTE No

No RG 19/00475 - No Portalis DBVF-V-B7D-FJGM

Décision déférée à la Cour : Jugement Au fond, origine Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de DIJON, section ENCADREMENT, décision attaquée en date du 01 Juillet 2019, enregistrée sous le no 18/00571

APPELANT :
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[Adresse 1]
[Adresse 1]

représenté par Me Nathalie RIGNAULT de la SCP MERIENNE ET ASSOCIES, avocat au barreau de DIJON substituée par Me Lucill...

RUL/CH

[B] [W]

C/

SARL SERIO

Expédition revêtue de la formule exécutoire délivrée

le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE - AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE DIJON

CHAMBRE SOCIALE

ARRÊT DU 04 NOVEMBRE 2021

MINUTE No

No RG 19/00475 - No Portalis DBVF-V-B7D-FJGM

Décision déférée à la Cour : Jugement Au fond, origine Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de DIJON, section ENCADREMENT, décision attaquée en date du 01 Juillet 2019, enregistrée sous le no 18/00571

APPELANT :

[B] [W]
[Adresse 1]
[Adresse 1]

représenté par Me Nathalie RIGNAULT de la SCP MERIENNE ET ASSOCIES, avocat au barreau de DIJON substituée par Me Lucille VENTALON, avocat au barreau de DIJON

INTIMÉE :

SARL SERIO
[Adresse 1]
[Adresse 1]

représentée par Me Simon LAMBERT de la SCP LANCELIN ET LAMBERT, avocat au barreau de DIJON, et Me Vincent BRAILLARD de la SCP AVO-ACT, avocat au barreau de BESANCON

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 28 Septembre 2021 en audience publique devant la Cour composée de :

Olivier MANSION, Président de chambre, Président,
Marie-Aleth TRAPET, Conseiller,
Rodolphe UGEN-LAITHIER, Conseiller,

qui en ont délibéré,

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Kheira BOURAGBA,

ARRÊT rendu contradictoirement,

PRONONCÉ par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

SIGNÉ par Olivier MANSION, Président de chambre, et par Kheira BOURAGBA, Greffier, à qui la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCÉDURE

Expert en bâtiment, M. [B] [W] a créé et développé son cabinet d'expertise sous la forme d'une SARL [B] [W] sise à [Localité 2].

Par acte du 1er septembre 2016, il a cédé la clientèle de son cabinet à la SARL SERIO, gérée par M. [R] [H], moyennant son embauche en qualité de chargé d'affaires, statut cadre, à durée indéterminée et à temps plein et ce pour la même activité dans le même bureau dijonnais.

Du 25 juin au 20 août 2018, il a été placé en arrêt maladie.

Pendant son absence, M. [H] s'est rendu à [Localité 2] pour prendre connaissance des dossiers en cours. A cette occasion, il découvrait divers documents dans le bureau de M. [W] lui laissant penser que ce dernier emploierait une partie de son temps de travail pour traiter certains dossiers pour son compte personnel. Un constat d'huissier en a été dressé le 3 juillet 2018 et la serrure du bureau changée.

M. [W] n'ayant pu accéder à son bureau le dimanche 1er juillet 2018 alors qu'il souhaitait récupérer des documents personnels, il a sollicité des explications de son employeur par courrier recommandé avec accusé réception du 6 juillet 2018 et lui a réclamé le paiement de primes et autres frais. Il a en outre fait délivrer une sommation interpellative à son employeur afin que celui-ci lui remette une clé pour pouvoir accéder à ses locaux, sommation à laquelle il a été répondu que tel serait le cas à l'issue de son arrêt de travail.

Par courrier recommandé avec accusé réception du 16 juillet 2018, M. [W] a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 26 juillet 2018 et a concomitamment fait l'objet d'une mise à pied à titre conservatoire.

Par courrier recommandé avec accusé réception du 9 août 2018, la société SERIO a notifié à M. [W] son licenciement pour faute lourde (concurrence déloyale) aux motifs que M. [W] consacrait une partie de son temps de travail au sein de la SARL SERIO pour détourner des dossiers afin de les traiter pour son compte personnel.

Par courrier du 21 février 2019 adressé au procureur de la République de Dijon, la SARL SERIO a en outre déposé plainte contre M. [W] pour faux, usage de faux, vol et abus de confiance.

Saisi par M. [W] le 12 septembre 2018, le conseil de prud'hommes de Dijon a, par jugement du 1er juillet 2019, rejeté ses demandes aux fins de nullité du licenciement et de condamnation de la SARL SERIO au paiement d'heures supplémentaires et diverses autres sommes résultant du caractère irrégulier de son licenciement. Seules ses demandes relatives au paiement d'indemnités kilométriques pour les années 2017 et 2018 ont été accueillies à hauteur de 11 111 euros.

Suivant déclaration du 3 juillet 2019, M. [W] a relevé appel de cette décision.

Par ses derniers écrits déposés le 27 août 2021, l'appelant demande :

- d'infirmer le jugement entrepris sauf en ce qu'il lui accorde une somme de 11 111 euros au titre des frais kilométriques,

- de condamner la SARL SERIO à lui verser les sommes suivantes :

* 11 366,15 euros à titre d'arriérés d'heures supplémentaires outre les congés afférents à hauteur de 1 136,61 euros,
* 657,37 euros au titre des repos compensateurs non pris,
* 11 000 euros au titre d'arriérés de primes outre 1 100 euros au titres des congés afférents,
* 11 111 euros au titre des indemnités kilométriques,
* 3 352,15 euros à titre de salaire de mise à pied conservatoire outre 335,21 euros au titre des congés afférents,
* 14 408,37 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis outre 1 440,83 euros au titre des congés incidents,
* 3 176 euros à titre d'indemnité de licenciement,
* 50 000 euros à titre de dommages intérêts pour rupture nulle et en tout cas sans cause réelle et sérieuse,
* 5 000 euros à titre de dommages intérêts pour licenciement vexatoire,
* 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- de débouter la SARL SERIO de toutes conclusions plus amples ou contraires.

Pour sa part, la SARL SERIO a interjeté appel incident du même jugement s'agissant de sa condamnation au paiement de la somme de 11 111 euros au titre des indemnités kilométriques à M. [W] et la déboutant de sa demande reconventionnelle en réparation du préjudice subi du fait des agissements de son salarié qualifiés de faute lourde.

Dans ses dernières écritures du 29 mars 2021, la SARL SERIO sollicite :

- de confirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de DIJON en ce qu'il a jugé que le licenciement pour faute lourde de M. [W] était bien fondé et en ce qu'il l'a débouté de toutes demandes afférentes,

- de confirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré sauf en ce qu'il a condamné la SARL SERIO à payer à M. [W] la somme de 11 111 euros à titre de remboursement de ses frais kilométriques pour les années 2017 et 2018 et débouté la SARL SERIO de sa demande reconventionnelle,

- de condamner M. [W] à lui payer la somme de 50 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi par elle du fait de ses agissements fautifs dans le cadre de sa responsabilité civile contractuelle,

- de débouter M. [W] de sa demande d'indemnité kilométrique,

- de condamner M. [W] à lui payer la somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- de condamner M. [W] aux entiers dépens de l'instance.

Pour l'exposé complet des moyens des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

I - Sur le bien fondé du licenciement :

M. [W] soutient que les preuves reposant sur le constat d'huissier du 3 juillet 2018 sont déloyales, que les faits qui lui sont reprochés sont prescrits et qu'il a fait l'objet le 3 juillet 2018 d'un licenciement de fait et à tout le moins sans cause réelle et sérieuse.

I - 1 : Sur la preuve :

En application des dispositions de l'article L.1222-4 du code du travail, aucune information concernant personnellement un salarié ne peut être collectée par un dispositif qui n'a pas été porté préalablement à sa connaissance. A défaut, la preuve est illicite.

En l'espèce, l'argument soulevé par M. [W] est inopérant, la preuve des allégations de son employeur résultant non pas d'un quelconque "dispositif " mais d'un constat dressé par un huissier. S'il peut être observé qu'il a été dressé hors la présence de l'intéressé, alors en arrêt de travail et donc non susceptible d'être invité à se rendre sur place, il n'en demeure pas moins que la preuve ainsi rapportée n'est pas déloyale.

I - 2 : Sur la prescription :

Aux termes de l'article L.1332-4 du code du travail, aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales. Il appartient à l'employeur, lorsqu'un fait fautif a eu lieu plus de deux mois avant le déclenchement des poursuites disciplinaires, de rapporter la preuve qu'il n'en a eu connaissance que dans les deux mois ayant précédé l'engagement de la procédure disciplinaire.

En l'espèce, M. [W] soutient que tel n'est pas le cas et que les faits allégués sont en conséquence prescrits.

Néanmoins, les faits que reproche la SARL SERIO à son salarié, à savoir le traitement dissimulé de dossiers de la société SERIO à titre personnel par M. [W], se fondent sur un constat d'huissier établi le 3 juillet 2018 et concerne plusieurs cas précisément identifiés.

A cet égard, il ressort des pièces produites par M. [W] que s'il a effectivement été rappelé à l'ordre par son employeur début 2017 parce qu'il utilisait un en-tête de son ancienne société, il s'agissait d'une mise en garde d'ordre générale, distincte des faits qui lui sont reprochés dans la lettre de licenciement. Ils ne sont pas de nature à établir une quelconque connaissance antérieure de ces faits par la SARL SERIO.

Il en résulte la preuve circonstanciée que la SARL SERIO n'a eu connaissance complète des faits reprochés à son salarié que le 3 juillet 2018, date du constat d'huissier, soit moins de deux mois avant l'engagement de la procédure de licenciement.

Dès lors, le moyen tiré de la prescription est inopérant.

I - 3 : Sur le licenciement de fait :

M. [W] soutient qu'il a fait l'objet d'un licenciement de fait puisque l'employeur a fait changer les serrures du bureau dès le 3 juillet, l'empêchant ainsi d'accéder à son lieu de travail, ce qui implique une rupture implicite et irrégulière de son contrat de travail nécessairement dépourvu de cause réelle et sérieuse.

La SARL SERIO relève pour sa part que le changement de serrures était justifié par la disparition de dossiers importants et par le trouble qui en était résulté. Elle ajoute que M. [W] n'était pas censé travailler pendant son arrêt maladie.

Il ressort des pièces produites par les parties et il n'est pas contesté que pendant l'arrêt de travail de M. [W], la SARL SERIO a effectivement fait changer les serrures de ses locaux dijonnais suite au constat de ce qu'elle estimait être des malversations de la part de son salarié. Les mesures prises pour empêcher M. [W] d'accéder à son bureau ont donc été prises en raison d'une suspicion de malversations commises par son salarié et alors qu'en l'absence de celui-ci, aucune explication ne pouvait être recueillie sur le moment.

De par leur nature conservatoire et parce qu'elle se trouvaient justifiées par la sauvegarde des intérêts de la société menacés par les agissements de son salarié, les mesures prises par l'employeur pour la sauvegarde des intérêts de l'entreprise ne s'analysent pas en un licenciement de fait.

I - 4 : Sur la caractérisation de la faute lourde :

En application des dispositions de l'article L.1222-1 du code du travail, le contrat de travail doit être exécuté de bonne foi.

La faute lourde est caractérisée par l'intention de nuire à l'employeur, laquelle implique la volonté du salarié de lui porter préjudice dans la commission du fait fautif et ne résulte pas de la seule commission d'un acte préjudiciable à l'entreprise.

La lettre de licenciement énumère en l'espèce les griefs suivants :

« Outre la présence d'un cubi de vin rosé de côtes de Provence entamé n'ayant rien à faire sur le lieu de travail et encore moins dans son bureau, j'ai découvert que vous consacriez une partie de votre temps de travail à détourner des dossiers de la société SERIO pour les traiter pour votre compte personnel. Vous alliez même jusqu'à utiliser votre adresse mail personnelle ([Courriel 3]) qui n'est absolument pas celle utilisée par la société, ceci pour dissimuler votre déloyauté à l'égard de votre employeur ainsi que vos actes de concurrence déloyale (...).

Bien entendu, les rendez-vous et réunions relatifs à ces dossiers ne figurent pas sur votre agenda partagé (notamment les 3 mai et 28 mai 2018 dans un dossier [O] et le 9 juillet 2018 dans un dossier EHPAD de [Localité 4]) et vous n'avez déclaré aucun frais kilométrique pour ces déplacements (exemple : dossier numéro 18P003).

Pour dissimuler au mieux ces dossiers détournés, vous avez même utilisé des références de dossiers qui ne sont pas celles utilisées par la société SERIO (exemple 8P005–52).

D'ailleurs, vous n'avez pas hésité à commettre des faux et usage de faux en modifiant le papier à en-tête de la société SERIO et en remplaçant l'adresse mail de la société par la vôtre ainsi que nos références par les vôtres.

Dans d'autres dossiers, vous avez utilisé (notamment le 18 juin 2018 dans un dossier [J]) votre propre papier à en-tête, qui existait avant la cession de la clientèle mais que vous n'aviez plus le droit d'utiliser à partir du 1er septembre 2016 du fait de votre statut de salarié.

Il ne s'agit là que d'exemples mais nous avons relevé de nombreux dossiers où vous avez agi ainsi (dossier [X], dossier [G], dossier [U] etc.). Ces faits ont été constatés par voie d'huissier de justice et consignés dans un procès-verbal de constat.

Votre déloyauté, qualifiable a minima d'abus de confiance, vous a même conduit à encaisser sur le compte bancaire de la SARL [W] qui vous est personnelle, des honoraires à revenir à la société SERIO (notamment le 18 avril 2018 dans un dossier EHPAD de [Localité 4], après avoir émis une facture d'acompte avec un numéro ne correspondant pas à la numérotation des factures SERIO) et donc à détourner des fonds qui ne vous appartenaient pas.

Dans le même ordre d'idées, j'ai découvert qu'un chèque d'acompte sur honoraires avait été libellé à votre ordre dans un dossier rue Fyot à [Localité 2], pour un montant qui bien entendu n'a jamais été encaissé sur le compte bancaire de la société SERIO.

Cette conduite inadmissible témoigne incontestablement d'une intention de nuire à l'encontre de la société SERIO. Elle met par ailleurs en cause la bonne marche de l'agence à laquelle vous étiez affecté. En conséquence, j'ai décidé de vous licencier pour faute lourde. Compte-tenu de la nature de celle-ci et de ses conséquences, votre maintien dans l'entreprise s'avère impossible ».

La SARL SERIO fait valoir que lorsque M. [H] s'est rendu dans les locaux dijonnais de sa société utilisés par M. [W], il a découvert et fait constater par un huissier que M. [W] gérait des dossiers pour son propre compte et encaissait les honoraires correspondants sur ses propres comptes.

A cette fin, il a été noté le recours à différents biais tels que :

- l'utilisation d'une adresse e-mail personnelle,
- l'omission de faire figurer certains rendez-vous ou réunions d'expertise dans l'agenda partagé,
- l'omission de formuler des demandes de remboursement de frais kilométriques dans les dossiers correspondants,
- l'utilisation de références de dossiers différents de ceux employés par la SARL SERIO,
- le classement des documents émanant des dossiers traités à titre personnel dans des pochettes relatives à d'autres dossiers,
- la falsification du papier à en-tête de son employeur par l'ajout de son adresse e-mail personnelle ou l'utilisation de papier à en-tête personnel et ce, dans plusieurs dossiers précisément identifiés (dossiers [O], gendarmerie de [Localité 2], EHPAD de [Localité 4], MANGIN, AQUA CITY).

Pour sa part, M. [W] conteste tout détournement de dossiers, justifiant la poursuite de l'usage de son adresse électronique personnelle par le fait qu'elle était connue de ses interlocuteurs antérieurs et par la configuration de son ordinateur qui lui permettait d'utiliser indifféremment les adresses « SERIO », « IXI » et son adresse personnelle. Il ajoute que seuls les rendez-vous confirmés étaient inscrits à son agenda, que l'enregistrement des dossiers différait selon qu'il s'agissait de dossiers de particuliers ou de compagnies d'assurances et enfin qu'il n'a nullement falsifié le papier à en-tête, sauf peut-être par erreur, se bornant à ajouter son adresse personnelle à celle de la SARL SERIO qui continuait d'y figurer ainsi que les références.

Néanmoins, nonobstant le fait que M. [W] ne saurait légitimement arguer que le bureau fouillé et photographié par son employeur et l'huissier de justice n'est pas son bureau de travail mais un lieu pour l'entrepôt notamment pour les dossiers s'agissant en tout état de cause des mêmes locaux que ceux utilisés par lui seul, ses arguments sur une méthodologie qui lui aurait été propre se heurte au constat que tous les dossiers ne répondent pas à cette méthodologie. En outre, il est relevé que la combinaison des éléments relevés à son encontre (contacts via une messagerie privée, hors agenda, sous une référence distincte et sous couvert d'une en-tête au minimum trompeur) trouve difficilement à s'expliquer hors d'une volonté caractérisée de dissimuler l'existence de certains dossiers.

Il est par ailleurs permis de s'interroger sur l'impérieuse nécessité qu'il avait de se rendre sur son lieu de travail un dimanche alors qu'il était en arrêt de travail depuis plusieurs semaines.

Enfin, si l'argument de l'emploi de son adresse personnelle pour faciliter les contacts avec sa clientèle peut s'entendre pour la période de 2016 lorsqu'il l'a cédée à la SARL SERIO, un tel argument est inopérant deux années après la cession.

De surcroît, il a pu être observé l'encaissement d'un chèque d'acompte sur son compte bancaire personnel. Sur ce point, l'argument de M. [W] selon lequel le libellé de ce chèque à l'ordre de "[B] [W] SERIO 21" nécessitait le recours à son compte personnel avant régularisation au moment de la facturation du dossier se heurte au fait que la mention "SERIO 21" lui permettait d'employer la voie d'encaissement traditionnelle sans avoir recours à un compte intermédiaire.

En outre, dans un autre dossier (EHPAD de [Localité 4]), le relevé d'identité bancaire (RIB) transmis par lui au client pour paiement de la facture correspond à un RIB de la SARL [B] [W] et non de la SARL SERIO et que cette dernière indique qu'aucun paiement n'est intervenu à son profit. Subsidiairement, le retrait immédiat de cette somme du compte de la SARL [B] [W] pour l'affecter sur un de ses comptes personnels témoigne du caractère volontaire de la manoeuvre et d'une volonté claire de dissimulation, ce d'autant que ce n'est qu'après la découverte des faits incriminés que M. [W] s'est manifesté auprès de son client pour signaler une "erreur d'encaissement" (courrier du 9 juillet 2018).

Enfin, il peut être observé que dans le cas du dossier AQUA CITY, c'est par le hasard d'une convocation à expertise pour une réunion fixée le 10 juillet 2018 à 14 heures à [Localité 8] que la SARL SERIO a découvert l'existence d'un dossier en cours alors même que celui-ci ne figurait pas sur l'agenda de M. [W].

Ces agissements justifient à suffisance la qualification de faute lourde retenue par les premiers juges en raison de l'intention manifeste de leur auteur de causer volontairement préjudice à la société.

Il suit de là que le jugement entrepris doit être confirmé.

II - Sur le paiement des heures supplémentaires :

Aux termes de l'article L. 3171-2, alinéa 1er, du code du travail, lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l'employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés.

Selon l'article L. 3171-3 du même code, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi no 2016-1088 du 8 août 2016, l'employeur tient à la disposition de l'inspecteur ou du contrôleur du travail les documents permettant de comptabiliser le temps de travail accompli par chaque salarié. La nature des documents et la durée pendant laquelle ils sont tenus à disposition sont déterminées par voie réglementaire.

Selon l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.

Il résulte de ces dispositions, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.

En l'espèce M. [W] produit un décompte des heures supplémentaires effectuées depuis le 28 septembre 2016 listant les dépassements liés aux déplacements en expertises (pièce 13) et ceux effectués au bureau en journée ou le week-end sur la base de l'horodatage de courriers électroniques (pièce 14). Il sollicite sur cette base le paiement de la somme de 11 366,15 euros à titre de rappel d'heures supplémentaires pour un total de 354,45 heures accomplies au-delà de 35 heures de travail, outre congés payés afférents et repos compensateur.

S'il peut être considéré que ce tableau récapitulatif est précis, retraçant les jours et heures d'envoi de courriers électroniques, M. [W] ne fournit toutefois pas la moindre copie d'un de ces courriers électronique, ce qui aurait permis de s'assurer non seulement de l'authenticité du décompte mais aussi de l'objet réellement professionnel des très nombreux courriers ainsi listés.

En outre, à supposer qu'il s'agisse effectivement de courriers électroniques envoyés ou reçus directement en lien avec son activité professionnelle, leur valeur probante se limite à l'heure de leur envoi ou de leur réception, aucunement du temps de travail effectivement réalisés avant ou après.

De surcroît, alors même que la SARL conteste avoir autorisé M. [W] à effectuer la moindre heure supplémentaire et fait observer à juste titre que l'absence de décompte hebdomadaire ne place pas la cour en situation de s'assurer de la réalité des dépassements allégués, il peut être souligné que l'explication de l'absence de secrétariat pendant plusieurs mois pour justifier de tels dépassements ne convainc pas dans la mesure où la demande formulée à ce titre porte sur une période couvrant l'intégralité de la période durant laquelle il a été salarié de la SARL SERIO.

Enfin, dès lors qu'il est établi que M. [W] consacrait une partie non définissable de son temps de travail à la prise en charge et la gestion de dossiers pour son compte personnel, il ne saurait concomitamment se prévaloir de l'accomplissement d'heures supplémentaires pour ce qui concerne l'exécution de son contrat de travail au sein de la SARL SERIO.

En conséquence, le jugement entrepris sera confirmé sur ce point.

III - Sur la demande de remboursement des frais kilométriques 2017 et 2018 :

Pour faire droit à la demande de M. [W] à hauteur de 11 111 euros, déduction faite d'un acompte de 3 000 euros déjà perçu, les premiers juges ont relevé que le décompte produit par M. [W] est suffisamment étayé et que la société SERIO ne justifie d'autres comptes que ceux évoqués par le salarié lui même.

Pour sa part, la SARL SERIO souligne que M. [W] omet de comptabiliser un autre acompte de 5 000 euros déjà versé mais surtout qu'il lui est impossible de s'assurer de la réalité des déplacements effectués, ce qui impliquerait pour les années 2017 et 2018 une reprise de l'ensemble des rapports d'expertise dont elle dispose, à supposer qu'elle en dispose en totalité.

Au delà du fait que la SARL SERIO se borne à affirmer qu'elle a déjà versé un acompte supplémentaire de 5 000 euros sans en justifier, il ressort de l'examen des pièces produites que M. [W] a pour sa part transmis annuellement à son employeur le décompte de ses trajets. Concernant ceux correspondant aux années 2017 et 2018, il convient de relever que la SARL SERIO n'en conteste pas l'authenticité, alléguant seulement de son incapacité à en vérifier la teneur.

Or il y a lieu de constater que ces décomptes sont précis et circonstanciés, les trajets et les distances parcourues étant mentionnés mensuellement, répondant de fait à son obligation contractuelle de justifier de ses déplacements professionnels pour pouvoir prétendre à une prise en charge par l'employeur.

A cet égard, la SARL SERIO ne peut légitimement se prévaloir du temps écoulé pour justifier qu'elle ne puisse pas faire les vérifications qu'elle estime nécessaire, cette distance depuis la transmission des justificatifs étant précisément de son fait. En outre, il ressort des échanges de courriers électroniques versés aux dossiers à ce sujet que si des reproches étaient faits à M. [W] par son employeur, il s'agissait du retard avec lequel la demande de remboursement avait été effectuée plus que l'absence éventuelle de justificatifs.

Dès lors, en application du barème retenu par l'administration fiscale pour un véhicule de 12 chevaux fiscaux, ce que la SARL SERIO ne conteste pas non plus, et faute pour celle-ci de justifier du versement effectif d'un acompte de 5 000 euros tel qu'allégué, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a alloué la somme de 11 111 euros à M. [W].

IV - Sur les primes :

En application des dispositions de l'article 1134 ancien du code civil applicable au litige, les conventions légalement formées tenant lieu de loi à ceux qui les ont faites.

Selon l'article 562 du code de procédure civile, l'appel défère à la cour la connaissance des chefs de jugement qu'il critique expressément et de ceux qui en dépendent.

En l'espèce, M. [W] sollicite le paiement d'une somme de 11 000 euros correspondant à :

- 5 000 euros pour le maintien du chiffre d'affaires sur l'année 2015,
- 6 000 euros au regard de l'augmentation du chiffre d'affaires entre l'année 2017 et l'année 2016.

A l'appui de sa demande, il justifie d'un décompte manuel et d'un listing des factures émises entre le 1er janvier et le 31 décembre 2017 (pièce no19 et 43).

Par sa part, la SARL SERIO relève que la loi des parties est le contrat de travail or celui-ci ne prévoit aucune prime au profit de M. [W] et qu'en tout état de cause, il ne justifie pas de l'augmentation du chiffre d'affaires de la société.

Il ressort en effet de l'acte de cession de clientèle intervenu entre la SARL SERIO et la société [B] [W] le 1er septembre 2016 que l'embauche de M. [W] en qualité de salarié devait effectivement se faire moyennant un salaire annuel de 36 000 euros nets et le paiement, sous condition uniquement de résultat, de certaines primes. Or ces conditions financières ne sont pas reprises par le contrat de travail lui-même qui stipule une rémunération mensuelle brute de 3 890,79 euros pour 151,67 heures de travail mais ne prévoit aucune prime.

Il demeure néanmoins que le cadre juridique de la relation de travail entre la SARL SERIO et M. [W] ne repose pas uniquement sur le contrat de travail puisque ce dernier s'inscrit dans le cadre préalable et complémentaire d'un contrat de cession de clientèle prévoyant les conditions de son embauche.

Il peut en outre être observé que la SARL SERIO admet dans ses écritures avoir versé à M. [W] un acompte de 5 000 euros pour le remboursement de ses frais kilométriques, alors même que cette autre obligation contractuelle ne figure pas dans le contrat de travail mais seulement dans le contrat de cession de clientèle.

Par ailleurs, lorsque le calcul d'une rémunération dépend d'éléments détenus par l'employeur, celui-ci est tenu de les produire en vue d'une discussion contradictoire. Il appartient donc à la SARL SERIO de justifier du chiffre d'affaires réalisé pendant la période sur laquelle porte la réclamation, ce qu'elle ne fait pas.

Dans ces conditions, le jugement entrepris sera infirmé sur ce point et la SARL SERIO condamnée à payer à l'appelant la somme de 11 000 euros.

V - Sur la réparation du préjudice subi par la SARL SERIO du fait des agissements de M. [W] :

La faute lourde permet d'engager la responsabilité pécuniaire du salarié.

A l'appui de sa demande, la SARL SERIO soutient que suite au rachat de la clientèle de M. [W], le chiffre d'affaires de l'entreprise a été globalement constant sur la période 2016-2017 mais a connu une baisse significative en 2018, baisse qu'elle attribue aux agissements de M. [W]. En outre, l'arrêt de l'activité de celui-ci n'a pas permis à l'agence de [Localité 2] de poursuivre son activité.

Toutefois, au-delà du fait que le préjudice économique allégué n'est aucunement justifié par la production de pièces comptables, il n'est pas non plus établi que cette baisse du chiffre d'affaires de la SARL SERIO est uniquement liée au fait que M. [W] gérait pour son propre compte certains dossiers. En outre, le nombre exact de ces dossiers, au-delà des cinq précisément identifiés, reste non défini.

En revanche, le licenciement de M. [W] a eu pour conséquence de mettre à la charge de la SARL SERIO le loyer du local alors même qu'il n'était pas exploité et ne pouvait pas l'être par un éventuel remplaçant dans la mesure où le bail commercial mis en oeuvre dans le cadre du contrat de cession de clientèle à compter du 1er septembre 2016 pour trois années désignait la SCI JAJ dont l'épouse de M. [W] était gérante comme bailleur et la société de M. [B] [W] comme locataire.

Dès lors que le licenciement de M. [W] repose sur une faute lourde, le préjudice ainsi invoqué est susceptible d'indemnisation sous réserve de la démonstration de son bien fondé.

Néanmoins, s'il ressort tant des conclusions des parties que de l'assignation devant le tribunal judiciaire de Dijon délivrée à l'initiative du bailleur contre la SARL SERIO qu'un bail sous seing privé aurait été signé entre elle et la SCI JAJ concernant les locaux utilisés par M. [W] à Dijon, cette pièce n'est toutefois pas produite, ce qui ne permet pas à la cour d'en apprécier les termes et les conditions, notamment s'agissant d'une éventuelle possible résiliation anticipée.

Dans ces conditions, la SARL SERIO sera déboutée de sa demande faute d'établir la cause ou la réalité de son préjudice.

Le jugement entrepris sera donc confirmé sur ce point.

IV- Sur les demandes accessoires :

Le jugement sera infirmé en ses dispositions sur ce point. La demande de M. [W] à ce titre sera rejetée et il sera alloué à la SARL SERIO la somme de 1 500 euros en vertu de l'article 700 du code de procédure civile.

M. [W] succombant au principal, il sera condamné aux dépens de première instance et d'appel, le jugement déféré étant infirmé de ce chef.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire,

CONFIRME le jugement rendu le 1er juillet 2019 par le conseil de prud'hommes de Dijon en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a rejeté la demande au titre des primes sur le chiffre d'affaires et celles au titre de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens,

Statuant à nouveau,

CONDAMNE la SARL SERIO à verser à M. [B] [W] la somme de 11 000 euros au titre des primes sur le chiffre d'affaires,

REJETTE la demande d'indemnité de procédure de M. [B] [W],

CONDAMNE M. [B] [W] à payer à la SARL SERIO la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE M. [B] [W] aux dépens de première instance et d'appel.

Le greffierLe président

Kheira BOURAGBAOlivier MANSION


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Dijon
Formation : 03
Numéro d'arrêt : 19/004756
Date de la décision : 04/11/2021
Sens de l'arrêt : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Références :

Décision attaquée : Conseil de prud'hommes de Dijon, 01 juillet 2019


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.dijon;arret;2021-11-04;19.004756 ?
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