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04/11/2021 | FRANCE | N°19/004276

France | France, Cour d'appel de Dijon, 03, 04 novembre 2021, 19/004276


RUL/CH

S.A. JTEKT JADS

C/

[W] [S]

Expédition revêtue de la formule exécutoire délivrée

le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE - AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE DIJON

CHAMBRE SOCIALE

ARRÊT DU 04 NOVEMBRE 2021

MINUTE No

No RG 19/00427 - No Portalis DBVF-V-B7D-FIWX

Décision déférée à la Cour : Jugement Au fond, origine Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de DIJON, section INDUSTRIE, décision attaquée en date du 28 Mai 2019, enregistrée sous le no 18/00252

APPELANTE :
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[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 4]

représentée par Me Romain CLUZEAU de la SELAS LEGI CONSEILS BOURGOGNE, avocat au barreau de DIJON ...

RUL/CH

S.A. JTEKT JADS

C/

[W] [S]

Expédition revêtue de la formule exécutoire délivrée

le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE - AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE DIJON

CHAMBRE SOCIALE

ARRÊT DU 04 NOVEMBRE 2021

MINUTE No

No RG 19/00427 - No Portalis DBVF-V-B7D-FIWX

Décision déférée à la Cour : Jugement Au fond, origine Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de DIJON, section INDUSTRIE, décision attaquée en date du 28 Mai 2019, enregistrée sous le no 18/00252

APPELANTE :

S.A. JTEKT JADS
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 4]

représentée par Me Romain CLUZEAU de la SELAS LEGI CONSEILS BOURGOGNE, avocat au barreau de DIJON substitué par Me Martin LOISELET, avocat au barreau de DIJON

INTIMÉ :

[W] [S]
[Adresse 2]
[Localité 3]

représenté par Maître Jean-Philippe SCHMITT, avocat au barreau de DIJON

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 28 Septembre 2021 en audience publique devant la Cour composée de :

Olivier MANSION, Président de chambre, Président,
Marie-Aleth TRAPET, Conseiller,
Rodolphe UGEN-LAITHIER, Conseiller,

qui en ont délibéré,

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Kheira BOURAGBA,

ARRÊT rendu contradictoirement,

PRONONCÉ par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

SIGNÉ par Olivier MANSION, Président de chambre, et par Kheira BOURAGBA, Greffier, à qui la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCÉDURE

M. [W] [S] a été embauché par la société Automobiles Peugeot en contrat à durée déterminée à compter du 25 mars 1997 en qualité d'agent professionnnel de fabrication, lequel a été suivi d'un contrat à durée indéterminée le 1er juin 1997.

Suite à une cession intervenue le 1er avril 2000, son contrat de travail a été transféré à la SAS JTEKT JADS, entreprise spécialisée dans la fabrication de directions assistées pour véhicules.
Par courrier du 26 février 2018, il a été convoqué par son employeur à un entretien préalable à un éventuel licenciement suite au constat de quatre défauts de fabrication sur des directions assistées différentes mais aussi de défauts de vissage et la présence de mousse dans un goujon.

A l'issue de son entretien qui s'est tenu le 7 mars 2018, son licenciement pour faute grave lui a été notifié par courrier recommandé avec accusé réception du 5 avril 2018. Il lui est reproché des faits de sabotage, d'exécution défectueuse du travail et de non respect des règles de sécurité sur le site.

Le 25 avril suivant, M. [S] a saisi le conseil de prud'hommes de Dijon pour :

- contester le motif de son licenciement et le dire sans cause réelle et sérieuse,
- condamner la SAS JTEKT JADS notamment au paiement des sommes suivantes :

* 4 216,28 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
* 421,63 euros bruts au titre des congés payés afférents,
* 13 000,32 euros nets à titre d'indemnité légale de licenciement,
* 33 730,24 euros nets de CSG/CRDS à titre de dommages intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
* 5 000 euros nets à titre de dommage intérêts pour préjudice distinct,
* 1 200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par jugement du 28 mai 2019, le conseil de prud'hommes de Dijon a fait partiellement droit aux demandes du salarié en ce que le licenciement de M. [S] a été qualifié sans cause réelle et sérieuse et la SAS JTEKT JADS a été condamnée à lui payer les sommes suivantes :

- 4 216,28 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
- 421,63 euros bruts au titre des congés payés afférents,
- 13 000,32 euros nets à titre d'indemnité légale de licenciement,
- 25 000 euros nets de CSG/CRDS à titre de dommages intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 5 000 euros nets à titre de dommage intérêts pour préjudice distinct,
- 1 200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par déclaration du 13 juin 2019,la SAS JTEKT JADS a relevé appel de cette décision.

Aux termes de ses dernières écritures du 1er juillet 2021, la SAS JTEKT JADS demande :

- à titre principal de déclarer que le licenciement de M. [S] repose sur une faute grave,
- à titre subsidiaire de déclarer que le licenciement de M. [S] repose sur une faute simple caractérisant une cause réelle et sérieuse de licenciement,

et aussi de :

- le débouter de l'ensemble de ses demandes,
- le condamner à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- le condamner aux entiers dépens.

Pour sa part, aux termes de ses dernières écritures du 5 août 2021, M. [S] sollicite la confirmation du jugement entrepris dans toutes ses dispositions sauf à fixer à 33 730,24 euros nets de CSG/CRDS le montant des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et à 1 500 euros celui demandé au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Pour l'exposé complet des moyens des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

I - Sur le bien fondé du licenciement

Il résulte des articles L.1234-1 et L.1234-9 du code du travail que lorsque le licenciement est motivé par une faute grave le salarié n'a droit ni à un préavis ni à une indemnité de licenciement.

La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise.

La lettre de licenciement énumère en substance les griefs suivants :

- des actes de sabotage caractérisés par :

* le sectionnement à plusieurs reprises de câbles de directions assistées de type «M3M4» ;

"Le mercredi 21/02/2018, vous avez pris votre poste à 5h00 sur la ligne 4 d'assemblage au poste final 630 (collage étiquette organe, flashage et chargement de la direction dans le conteneur). La ligne produisait des directions de type M3M4.

A 6h10 du matin, vous avez signalé à votre manager deux directions qui présentaient un défaut sur le faisceau. La gaine isolante du câble était sectionnée. [...].

A 6h10, votre manager déclenche un contrôle visuel unitaire sur 3 postes différents sur la ligne pour garantir la conformité de la production et afin de repérer à quel niveau du process de fabrication le défaut intervient. [...] L'animateur qualité a immédiatement fait l'analyse des pièces défectueuses et a validé la procédure de contrôle mise en place par votre manager.

A 7h00 puis à 7h45, malgré les contrôles engagés en amont sur la ligne, vous signalez une 3ème puis une 4ème directions présentant le même défaut que les deux précédentes : le câble rouge était sectionné. [...]

Lors de l'entretien du 07/03/2018. nous vous avons demandé dans un premier temps de nous expliquer l'origine des défauts sur le câble. Vous nous avez dit ne pas avoir d'explication. Vous nous avez dit que vous n'aviez fait que constater les défauts et appliquer la règle des « 3 A » (En cas d'anomalie : Arrêter, Alerter, Attendre).

Nous vous avons expliqué que 3 personnes sur la ligne de production avaient effectué des contrôles supplémentaires pour garantir la production et que ces 3 personnes ont garanti que les 3 dernières pièces avec un défaut câble étaient conformes lorsqu'elles sont passées sur leur poste. Deux des trois contrôles supplémentaires qui ont été réalisé étaient sur les postes juste avant celui que vous occupiez. Nous vous avons demandé comment il était possible que 3 personnes, à 3 reprises et alors même que la vigilance sur la ligne était maximale compte tenu de la gravité du défaut, avaient pu laisser passer des pièces défectueuses. Vous avez répondu que les trois personnes avaient pu manquer de vigilance et avaient pu laisser passer les pièces.[...]

Les 3 personnes réalisant les contrôles sont certaines que les pièces étaient conformes lorsqu'elles sont passées sur leur poste. Etant donné qu'il est impossible que, mécaniquement, par le process, les pièces soient détériorées entre le poste 620 et 630, nous vous avons précisé que votre manager, s'était mis à observer les 3 derniers postes de la ligne (postes 660, 620 et 630). Il est resté entre 30 et 45 minutes en observation sans qu'un nouveau défaut intervienne. Votre manager a été amené à se déplacer de son poste d'observation (moins de 30 secondes) pour se rendre au milieu de la ligne. Il est revenu et c'est à ce moment-là que vous avez signalé la 4ème direction avec un défaut."

* l'ajout de morceaux de mousse sur des directions assistées de type «PBV2» ;

"Vers 11h00, le superviseur constate que vous vous tenez penché sur un conteneur de MCU. Cette posture interpelle le superviseur car elle est totalement inhabituelle. Il signale les faits à votre manager qui décide d'aller vous voir : Il constate que vous avez les mains plongées dans le bac noir où sont rangés les MCU. Vous tourniez le dos à votre manager. Vous ne l'avez pas vu arriver. Votre manager a constaté que vous aviez les mains sur un MCU et vous étiez en train d'appuyer à l'emplacement du taraudage (trou qui permet de visser le goujon pare chaleur). Votre manager a alors constaté qu'il y avait un morceau de polystyrène noir enfoncé au fond du trou. Lorsque votre manager vous a demandé ce que vous étiez en train de faire, vous lui avez répondu "rien". [...]. Etant donné le positionnement des MCU dans le conteneur, il n'y a aucune possibilité qu'un morceau de mousse (= polystyrène) se loge à cet endroit-là tout seul. Votre manager vous a à nouveau demandé ce que vous étiez en train de faire. Vous avez dit "j'enlevais les bouts de mousse dans le trou".[...].

Concernant le MCU avec un morceau de polystyrène au fond, vous avez reconnu pendant l'entretien qu'il était impossible que le morceau de mousse soit arrivé là tout seul. Vous nous avez dit que c'était forcément quelqu'un qui l'avait mis à cet endroit et que ce n'était pas vous. Nous vous avons demandé qui avait pu faire ça., Vous nous avez dit que quelqu'un voulait vous nuire depuis longtemps mais que vous ne saviez pas qui.

Nous vous avons demandé d'où provenait le morceau de mousse. Vous avez répondu qu'il provenait du conteneur. Or les conteneurs ne sont pas usés et la mousse ne se décroche pas toute seule.

Nous avons évoqué avec vous le fait que la semaine précédant les incidents, un de vos collègues de travail vous a vu avec une petite lame de cutter entre les mains. Ce dernier vous a vu en train de gratter la mousse à l'intérieur du conteneur. [...]. Nous vous avons demandé ce que vous vous étiez en train de faire lorsque votre manager vous a surpris avec le MCU dans les mains. Vous nous avez dit que vous enleviez un morceau de mousse. Nous vous avons demandé pourquoi vous aviez pris cette initiative. Vous nous avez dit que vous ne vouliez pas déranger le conducteur de ligne et que vous avez décidé d'enlever le morceau de mousse par vous-même. [...].

Lorsque votre manager vous a retiré du poste 571-572, un collègue a trouvé au sol une vingtaine de morceaux de mousse à votre poste. Vous n'avez pas pu expliquer la provenance de ces morceaux de mousse. Nous vous avons demandé pourquoi d'après vous il y a des défauts mousse uniquement dans votre équipe (aucun défaut identique dans les autres équipes). Vous n'avez pas donné d'explication. Nous n'avions jamais eu ce type de défaut auparavant. Ces défauts mousse sont apparus depuis votre retour le 12/02/2018. Vous ne vous expliquez pas ce phénomène. Vous nous dites que quelqu'un veut vous nuire mais vous ne savez pas qui."

- une exécution défectueuse du travail, à savoir des défauts de vissage de goujons thermiques sur des directions assistées de type «PBV2» ;

"Entre 8h00 et 8h30 du matin le 21/02/2018, nous avons cessé de produire des directions de type M3M4. Nous avons changé de type et nous avons produit sur la ligne des directions de type PBV2. Votre manager vous a affecté au poste 571-572 (préparation MCU et vissage goujon thermique). Vers 10h00, les conducteurs de ligne ont alerté votre manager car ils ont identifié une vingtaine de défauts de vissage du goujon thermique. Ils ne constatent ces défauts que depuis le lundi 12/02/2018, date de votre reprise consécutive à un arrêt maladie de 31 jours.

Vous avez expliqué avoir des difficultés dans le maniement de la visseuse. Votre manager a alors pris la décision de confier cette opération à un autre collègue et vous a demandé de vous charger uniquement du clipage du faisceau, de la mise en place du rubber et de la mise en place du joint torique. Aucun nouveau défaut du même type n'a été constaté dès lors que vous avez été affecté sur un autre poste."

- le non-respect des règles de sécurité sur le site ;

"[...] la règle à appliquer dans l'entreprise en cas de défaut est claire et bien connue par vous. Il s'agit de la règle des 3A "Arrêter, Alerter, Attendre". Vous n'avez pas à intervenir pour traiter un défaut. Cette activité ne relève pas de votre mission. Le CL ou votre manager doivent être alertés d'un tel défaut afin d'en prendre connaissance, de mettre en place les contremesures et traiter le problème."

I - 1 Sur les actes de sabotage :

La SA JTEKT JADS expose que M. [S] a pris son poste le 21 février 2018 à 5h du matin au poste final 630 de la ligne de production numéro quatre et qu'entre 6h et 7h45, il a signalé quatre défauts de fabrication (section de la gaine isolante de câbles avec dans la plupart des cas entaille du câble lui-même), alors même qu'un contrôle renforcé avait été mis en place aux précédentes étapes de la production dès le premier signalement. Ces circonstances impliquent selon elle la responsabilité de M. [S] lui-même dans la survenance de ces anomalies.

Pour sa part, M. [S] conteste formellement la réalité de ce grief, arguant avoir eu un comportement exemplaire au sein de l'entreprise depuis de nombreuses années. Il souligne en outre que les attestations produites contre lui émanent de salariés intérimaires ne disposant pas de son expérience professionnelle et qu'il était nécessaire selon lui d'effectuer un contrôle "tactile" des pièces en fin de production car certains défauts n'étaient pas visibles à l'oeil nu.

Au regard des pièces produites, il ressort qu'à la suite du signalement du premier défaut, M. [U] (chef d'équipe), a effectivement mis en place un contrôle renforcé à plusieurs endroits de la ligne de production. Les trois salariés concernés (MM. [N] et [K] [G] ainsi que Mme [T], cette dernière affectée sur un poste situé immédiatement avant celui de M. [S]) ont tous attesté qu'ils n'avaient constaté aucun défaut à leur niveau, ce qui n'avait pourtant pas empêché la survenance de trois autres signalements par M. [S] dans un court laps de temps et chaque fois pour le même motif. (Pièces 12, 13 et 14)

M. [H], responsable qualité sur la ligne 4, affirme pour sa part que "[?] Nous n'avons jamais rencontré ce défaut. Les défauts sur les faisceaux que nous connaissons sont les suivants : - câbles sectionnés nets lors de l'opération de retournement, - câbles écrasés par des opérations de bridage. Le technicien qualité de la ligne et moi avons recherché la cause du défaut. Nous avons fait une analyse du process depuis le poste de soudure [...] jusqu'au poste final de la ligne et nous n'avons pas identifié de risque au niveau du process, ni pu reproduire le défaut. Nous n'avons pas en ligne de produit d'objets de tranchant susceptible de causer ce défaut. Nous n'avons pas identifié non plus de cause au niveau du produit. Depuis le 21/02/2018 et à ce jour, nous n'avons plus eu ce défaut. [?]" (pièce no15)

Dès lors, si l'affirmation de la SA JTEKT JADS selon laquelle aucun processus mécanique de nature à causer de tels dommages n'a été identifié n'est en tout état de cause pas de nature à établir la responsabilité de son salarié, force est de constater en revanche qu'une telle répétition est d'autant plus surprenante qu'il est démontré que le défaut en question s'est révélé à un stade de la production n'impliquant aucune intervention ou manipulation particulière humaine ou mécanique.

M. [U] affirme avoir lui-même observé les trois derniers postes de la ligne pendant 30 à 45 minutes, y compris celui occupé par M. [S], sans détecter aucune anomalie jusqu'à ce qu'il s'absente un instant et que M. [S] lui signale la quatrième et dernière pièce défectueuse, avec toujours le même défaut, à son retour. (Pièce no9)

De plus, l'argument de M. [S] expliquant son intervention par un contrôle "tactile" plutôt que visuel se heurte au constat du caractère particulièrement visible des anomalies signalées, les entailles dans les câbles étant conséquentes (pièce no10, 11). Il est également contredit par Mme [T], laquelle indique « [?] A un moment, j'ai envoyé une pièce. Je suis certaine que le câble n'avait aucun défaut. J'ai vu [W] [S] mettre ses mains dans la poche de sa veste, puis les retirer, puis toucher quelque chose sur la direction au niveau de la partie module (où il y a les câbles). Il a remis les mains dans ses poches et tout de suite après, il a dit qu'il avait trouvé une autre direction avec un défaut câble. Je me suis dit "je suis sure qu'il a coupé le câble". J'étais tremblante car choquée par ce que j'avais vu. Mon chef d'équipe et le superviseur ont vu que je n'étais pas bien. [?] Je ne peux pas dire ce qu'il avait dans les mains mais les gestes qu'il a fait avant d'annoncer la 4ème direction mauvaise me font dire qu'il a fait quelque chose. [?] ». (pièce no11)

L'argument de M. [S] selon lequel ce qu'il a sorti de sa poche était en réalité un crâne miniature qu'il voulait montrer à un collègue de travail est inopérant, ce collègue n'étant pas cité par lui, ni même évoqué par Mme [T] pourtant témoin de la scène. Il en est de même de l'argument, lui aussi non étayé, que quelqu'un chercherait à lui nuire.

Enfin, il ressort du rapport d'information produit aux débats que le jour même, après le changement de production entre 7h30 et 8h30, M. [S] a été surpris les mains plongées dans un container où se trouvent les MCU (partie moteur de la direction assistée électrique) en train d'appuyer à l'emplacement du taraudage qui permet de visser le goujon thermique. M. [U], chef d'équipe, a alors constaté que la pièce que manipulait M. [S] à ce moment-là contenait un morceau de polystyrène noir au fond du logement destiné au goujon, empêchant son serrage au maximum et qu'il appuyait à cet emplacement (pièce no 9).

Aucun élément ne permet de douter de l'authenticité de ce fait rapporté, ce d'autant que M. [S] ne se prononce pas à ce sujet, pas même pour le contester, se bornant à évoquer la présence de débris de mousse au fond d'une caisse et le fait d'avoir pris l'initiative de les retirer. Or cet événement peut être mis en perspective avec un autre survenu "au cours de la semaine précédente" et rapporté par M. [M] (pièce 16). Celui-ci atteste en effet que « [?] Je tourne le dos à M. [S] quand je travaille sur mon poste. A un moment, je me suis retourné : il avait une petite lame de cutter dans la main. Il grattait la mousse noire de l'intercalaire dans lequel sont positionnés les MCU. Il a vu que je le regardais : il a caché la lame dans sa manche de veste. [?] ». En outre, il ressort de cette même attestation que «[?] Quand le chef d'équipe a demandé à [W] [S] de le suivre en aire UEP, je me suis rendu compte qu'il y avait plein de bouts de mousses par terre au poste de [W] [S]. [?] ».

L'affirmation de M. [S] selon laquelle des défauts similaires ont pu être constatés avant le 21 février 2018 et aussi après n'est étayée que par un seul exemple daté du 6 décembre 2018, le second exemple allégué (dans la nuit du 12 au 13 décembre 2018) n'étant en réalité pas daté (pièce 8, 12 et 13). Or il ressort des justificatifs de la SA JTEKT JADS que les 23 pièces identifiées comme défectueuses en décembre 2018 résultaient d'un défaut de fabrication chez un fournisseur (LEONI) et qu'en tout état de cause, il s'agissait d'un défaut constaté en entrée de production et non à l'étape finale comme celle signalées par M. [S]. En outre, le défaut constaté (câbles abîmés) est distinct de celui objet du litige (câbles en partie sectionnés), comme en atteste M. [H] (pièce 25), de sorte que cet argument est inopérant.

De même, M. [S] ne se prononce pas sur les faits relatifs à l'introduction de mousse dans le trou qui permet de visser le goujon thermique et se borne à évoquer un problème de dégradation des caisses de transport, ce que les attestations des autres salariés versées au dossier n'évoquent pas.

I - 2 Sur l'exécution défectueuse du travail :

La SA JTEKT JADS produit aux débats un relevé détaillé démontrant qu'après le changement de production entre 8h et 8h30, alors que M. [S] était chargé du vissage du goujon thermique sur les « MCU » (partie moteur de la direction assistée électrique), quatorze défauts de vissage du goujon thermique ont été constatés entre 9h14 et 10h20, défaut qui ont cessé une fois qu'un autre salarié a été désigné pour le remplacer.

Sur ce point, l'argument de M. [S] consistant à expliquer qu'il maîtrisait mal l'outil mis à sa disposition est peu compatible avec l'expérience dont il fait état par ailleurs, ce d'autant que plus aucun défaut n'a été constaté une fois qu'il a été remplacé.

I - 3 Sur le non-respect des règles de sécurité :

Aux termes de l'article 14 de la convention collective de la métallurgie de la Côte-d'Or (« Hygiène et sécurité »), «les salariés s'engagent à respecter les dispositions prévues en la matière par le règlement intérieur, lorsqu'il existe, et par les notes de service ».

La SA JTEKT JADS justifie à cet égard que l'article 3-1 du règlement intérieur de la société stipule que "[?] Chaque salarié à l'obligation de se tenir informé (panneau d'affichage, sensibilisation sécurité, note d'information, etc.) et de respecter toutes les consignes de sécurité spécifiques à cette exécution.

Tout salarié qui refuse ou s'abstient d'utiliser un équipement de sécurité, conformément aux instructions qui lui sont données, peut encourir l'une des sanctions disciplinaires prévues par le règlement intérieur. [?] ».

En outre, l'article 3-1-4 stipule que « [?] l'intervention sur des équipements de travail, l'utilisation de matériels spécifiques ou la mise en place d'installations particulières sont exclusivement réservées aux salariés affectés à cet effet ou autorisés à le faire. [?]».

En l'espèce, il ressort des règles internes à l'entreprise que chaque opérateur doit appliquer, en cas de survenance d'un problème lié à la production, une règle dite des «3A» (Arrêter, Appeler, Attendre). De fait, le non respect de cette règle constitue à l'évidence un manquement de la part du salarié concerné.

Il ne peut toutefois être reproché à M. [S] un tel manquement s'agissant du signalement des quatre anomalies sur la ligne de production des directions assistées de type «M3M4». En effet, nonobstant la question de savoir s'il est lui-même à l'origine de ces anomalies, force est de constater qu'il a appliqué la règle des « 3A » et alerté les personnes compétentes pour que des mesures adéquates soient prises. De même, le fait pour M. [S] d'admettre avoir voulu enlever un morceau de mousse, à supposer que son intention ait été celle-là, constitue un manquement insuffisant pour caractériser une faute.

***

Il résulte de l'ensemble des développements qui précèdent qu'à l'exception de la question relative au non respect des règles internes de l'entreprise, l'employeur établit à suffisance à l'encontre de son salarié les éléments propres à caractériser une faute susceptible d'être sanctionnée.

Un tel comportement de la part d'un salarié, qui plus est expérimenté et exerçant dans une industrie en charge de la fabrication de composants sensibles s'agissant d'organes de sécurité de véhicules, caractérise à cet égard une faute grave rendant impossible le maintien du salarié dans l'entreprise.

Il suit de là que le jugement doit être infirmé en ce qu'il a jugé le licenciement de M. [S] dépourvu de cause réelle et sérieuse.

IV- Sur la demande de dommages-intérêts pour préjudice distinct :

M. [S] sollicite la condamnation de son employeur à lui verser 5 000 euros en réparation du préjudice moral subi du fait d'avoir été accusé à tort d'actes de sabotage, d'avoir vu son image atteinte auprès de ses anciens collègues, tous informés du motif de la rupture, et d'avoir fait été congédié de façon expéditive et vexatoire.

Le licenciement de M. [S] étant fondé sur une faute grave, la demande formulée à ce titre sera rejetée.

V - Sur les demandes accessoires :

Le jugement sera infirmé en ses dispositions sur ce point et il sera alloué à la SA JTEKT JADS la somme de 2 000 euros en vertu de l'article 700 du code de procédure civile.

La demande de M. [S] au titre de l'article 700 du code de procédure civile sera rejetée.

M. [S] succombant, il sera condamné aux dépens de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par décision contradictoire :

INFIRME le jugement rendu le 28 mai 2019 par le conseil de prud'hommes de Dijon
en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau,

DIT que le licenciement de M. [W] [S] repose sur une faute grave,

REJETTE l'ensemble des demandes de M. [W] [S],

REJETTE la demande de M. [W] [S] au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE M. [W] [S] à payer à la SA JTEKT JADS la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE M. [W] [S] aux dépens de première instance et d'appel.

Le greffierLe président

Kheira BOURAGBAOlivier MANSION


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Dijon
Formation : 03
Numéro d'arrêt : 19/004276
Date de la décision : 04/11/2021
Sens de l'arrêt : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Références :

Décision attaquée : Conseil de prud'hommes de Dijon, 28 mai 2019


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.dijon;arret;2021-11-04;19.004276 ?
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