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04/11/2021 | FRANCE | N°19/004256

France | France, Cour d'appel de Dijon, 03, 04 novembre 2021, 19/004256


MAT/CH

S.A.R.L. BARTHET

C/

[G] [Z]

Expédition revêtue de la formule exécutoire délivrée

le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE - AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE DIJON

CHAMBRE SOCIALE

ARRÊT DU 04 NOVEMBRE 2021

MINUTE No

No RG 19/00425 - No Portalis DBVF-V-B7D-FIWO

Décision déférée à la Cour : Jugement Au fond, origine Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de DIJON, section COMMERCE, décision attaquée en date du 14 Mai 2019, enregistrée sous le no 18/00214

APPELANTE :
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[Adresse 6]
[Adresse 6]
[Localité 2]

représentée par Me François-Xavier MIGNOT de la SARL CANNET - MIGNOT, avocat au barreau de DIJON ...

MAT/CH

S.A.R.L. BARTHET

C/

[G] [Z]

Expédition revêtue de la formule exécutoire délivrée

le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE - AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE DIJON

CHAMBRE SOCIALE

ARRÊT DU 04 NOVEMBRE 2021

MINUTE No

No RG 19/00425 - No Portalis DBVF-V-B7D-FIWO

Décision déférée à la Cour : Jugement Au fond, origine Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de DIJON, section COMMERCE, décision attaquée en date du 14 Mai 2019, enregistrée sous le no 18/00214

APPELANTE :

S.A.R.L. BARTHET
[Adresse 6]
[Adresse 6]
[Localité 2]

représentée par Me François-Xavier MIGNOT de la SARL CANNET - MIGNOT, avocat au barreau de DIJON substitué par Me Laurence BACHELOT, avocat au barreau de DIJON

INTIMÉE :

[G] [Z]
[Adresse 1]
[Localité 3]

représentée par Me Arnaud BRULTET de la SELARL BRULTET AVOCAT, avocat au barreau de DIJON

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 28 Septembre 2021 en audience publique devant la Cour composée de :

Olivier MANSION, Président de chambre, Président,
Marie-Aleth TRAPET, Conseiller,
Rodolphe UGEN-LAITHIER, Conseiller,

qui en ont délibéré,

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Kheira BOURAGBA,

GREFFIER LORS DU PRONONCÉ : Frédérique FLORENTIN,

ARRÊT rendu contradictoirement,

PRONONCÉ par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

SIGNÉ par Olivier MANSION, Président de chambre, et par Frédérique FLORENTIN, Greffier, à qui la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCÉDURE

Mme [G] [Z] a été engagée par la SARL [D] dans le cadre d'un contrat de travail à durée déterminée et d'un contrat de professionnalisation régularisés à la même date du 5 octobre 2015, pour y exercer les fonctions de commerciale sédentaire sur le secteur de la Région Sud-Ouest, pour un horaire hebdomadaire de 39 heures, en contrepartie d'une rémunération mensuelle brute de 1 616,90 euros et d'une rémunération variable de 11 % de marge brute.

Le contrat est devenu à durée indéterminée à compter du 5 octobre 2016.

Une mise en garde a été adressée à la salariée le 29 mai 2017.

Par lettre du 3 janvier 2018, Mme [Z] a été convoquée à un entretien préalable à licenciement fixé au 12 janvier 2018. Elle a été licenciée par lettre du 19 janvier 2018 pour insuffisance professionnelle et de résultats ainsi que pour une attitude inadéquate au travail. Elle a été dispensée de l'exécution du préavis.

Par courrier du 9 février 2018, Mme [Z] a contesté les motifs de son licenciement.

Le 30 mars 2018, Mme [Z] a saisi la juridiction prud'homale d'une demande tendant au paiement des sommes suivantes :
- 10 759,43 euros brut à titre de rappel de salaire, outre 1 075,94 euros brut de congés payés,
- 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,
- 25 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral et sexuel,
- 874,26 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,
- 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Par jugement du 14 mai 2019, le conseil de prud'hommes de Dijon, en sa section Commerce, a jugé le licenciement de Mme [Z] dépourvu de cause réelle et sérieuse et a condamné la SARL [D] à lui payer :
- 874,26 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 10 089,34 euros brut à titre de rappel de salaire, outre 1 008,93 euros brut de congés payés afférents,
- 1 800 euros de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,
- 700 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Mme [Z] a été déboutée de sa demande au titre du harcèlement moral et des frais irrépétibles.

La remise à la salariée des documents légaux rectifiés, à savoir le certificat de travail, le solde de tout compte, l'attestation pôle emploi ainsi que l'ensemble des bulletins de salaire, a été ordonnée, sous astreinte de 20 euros par jour de retard dans le délai d'un mois à compter de la date de notification de la décision, le conseil se réservant expressément le droit de liquider cette astreinte.

La SARL [D] a régulièrement formé appel de cette décision le 12 juin 2019.

Aux termes de ses dernières écritures, l'employeur sollicite l'infirmation du jugement entrepris, invitant la cour à juger le licenciement de Mme [Z] fondé sur une cause réelle et sérieuse, à débouter la salariée de toutes ses prétentions et à la condamner à lui payer une indemnité de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

La salariée conclut pour sa part à la confirmation du jugement en ce qu'il a retenu :
- le bénéfice en sa faveur d'un contrat à durée indéterminée,
- l'absence de cause réelle et sérieuse de licenciement,
- le droit au bénéfice de l'échelon 1 du niveau 6 de la classification conventionnelle et une revalorisation salariale,
- une exécution déloyale par l'employeur du contrat de travail,
- la condamnation de la SARL [D] à lui payer :
. 874,26 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
. 700 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle invite la cour, statuant à nouveau, à :
- juger qu'elle a été victime d'un harcèlement moral et sexuel de la part de l'employeur,
- condamner l'employeur à lui payer 25 000 euros de dommages et intérêts à ce titre,
- fixer à 10 000 euros le montant des dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,
- fixer à 10 759,43 euros brut le rappel de salaire consécutif à la requalification de son statut ainsi qu'à une revalorisation salariale sur la période du 5 octobre 2015 au 20 mars 2018, cette somme devant être augmentée des congés payés afférents, soit 1 075,94 euros,
- lui allouer 2 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés,
- lui remettre un certificat de travail, un solde de tout compte, une attestation pôle emploi et l'ensemble des bulletins de salaires rectifiés, ce, sous astreinte de 50 euros par jour de retard suivant un délai de 15 jours à compter de la signification ou de la notification de l'arrêt à intervenir.

Il sera renvoyé pour un plus ample exposé du litige, aux conclusions des parties échangées par RPVA les 10 octobre 2019 et 9 janvier 2020.

SUR QUOI, LA COUR,

Sur l'existence d'un contrat à durée indéterminée

La salariée avait sollicité, devant les premiers juges, la reconnaissance de l'existence d'un contrat à durée indéterminée liant les parties.

Il a été fait droit à cette demande par le seul constat de la poursuite des relations contractuelles à l'issue du contrat de professionnalisation.

Par l'effet des dispositions de l'article L. 1243-11, alinéa 1, du code du travail, le contrat de travail était devenu à durée indéterminée, sans qu'il ait été nécessaire pour l'employeur d'établir un document écrit, aucune disposition légale ni conventionnelle n'exigeant une telle régularisation.

L'employeur n'a au demeurant jamais contesté la nature du contrat la liant à Mme [Z] à compter du 5 octobre 2016.

Le jugement entrepris est confirmé sur ce point.

Sur la demande de rappel de salaire

Mme [Z] a été engagée en qualité de commerciale sédentaire, dans le cadre d'un contrat à durée déterminée, puis d‘un contrat de professionnalisation, aux termes duquel il était indiqué qu'elle était soumise à la classification « commerciale, non cadre, niveau 1, échelon 1 », de la convention collective nationale des commerces de gros.

Or, selon les dispositions conventionnelles, le poste de commercial simple débute au niveau 4.

Aucune modification du statut de la salariée n'est cependant intervenue durant toute la durée des relations contractuelles.

Mme [Z] s'est jointe à une action collective initiée par les salariés de la société qui revendiquaient une requalification du statut ainsi qu'une revalorisation salariale.

Le 19 mars 2018, l'employeur a procédé à un rappel de salaire en faveur de la salariée à hauteur de 670,09 euros brut.

La salariée conteste le calcul opéré par la société, laquelle n'a régularisé que les mois pour lesquels elle avait perçu une rémunération inférieure à 1 713,64 euros brut pour 35 heures, soit 1 897,24 euros pour 38 heures hebdomadaires. Il est reproché à l'employeur d'avoir pris en compte, au titre du calcul de la rémunération brute, les commissions qui avaient été versées à l'intéressée.

Sur la base du décompte réalisé mois par mois par la salariée, et qui n'est pas contesté par l'employeur, le conseil de prud'hommes a condamné la société au paiement d'un rappel de salaire de 10 089,34 euros brut, après déduction de la somme versée par l'employeur au titre de la régularisation du 19 mars 2018.

Or, pour apprécier si un salarié bénéficie du minimum conventionnel, il y a lieu de prendre en considération les commissions perçues, sauf dans l'hypothèse où les partenaires sociaux ont donné une définition plus précise du minimum conventionnel en incluant ou excluant expressément certaines sommes.

En l'espèce, la convention collective nationale de commerces de gros du 23 juin 1970 ne prévoit aucune disposition particulière à cet égard, pas plus que l'avenant du 11 décembre 2008 relatif aux salaires minima au 1er janvier 2009.

Il y a lieu, dès lors, d'infirmer le jugement sur ce point et de débouter Mme [Z] de la demande présentée à ce titre, la salariée ayant été remplie de ses droits.

Sur le licenciement de Mme [Z]

La lettre de licenciement est rédigée dans les termes suivants :
« Nous déplorons toujours à ce jour des résultats bien trop insuffisants.
Par courrier en date du 29 mai 2017, vous avez fait l'objet d'une mise en garde par rapport à la faiblesse de vos résultats.
Ce courrier faisait suite à un entretien fixé au 22 mai 2017 au cours duquel a été évoqué ce problème.
Vos ventes restaient très inférieures à ce qui vous était demandé, vos objectifs n'étant pas atteints.
Nous vous rappelions également qu'il était impératif de changer d'attitude et de vous efforcer d'accomplir votre tâche avec plus de conviction.
Vous avez tenu à contester cet avertissement, que vous considériez comme excessif, rappelant que l'objectif 2017 représentait + 90 % de celui de 2016 et que vous étiez seulement deux commerciales sur cinq en progression au 31 mai 2017.
Par ailleurs, vous indiquiez que :
- votre CA au 31 mai 2016 s'élevait à 54 974 euros avec une marge de 14 671 euros, soit une progression de + 32 % par rapport à l'année 2015,
- votre CA au 31 mai 2017 était de 74 339 euros avec une marge de 17 591 euros, soit une progression de + 35 % par rapport à l'année 2016.
L'objectif qui vous a été fixé pour l'année 2017 était en effet de 4 750 euros de marge HT par mois.
Ce que vous vous gardiez bien de mentionner dans votre courrier de contestation, c'est que l'objectif qui vous avez été fixé en 2016 était ridiculement bas (2 500 euros de marge HT seulement par mois).
Votre objectif pour l'année 2017 était encore très bas par rapport aux objectifs fixés aux autres commerciales, étant précisé que chaque secteur est équivalent :
- [H] : 10 598 euros de marge HT/mois.
- [C] : 12 412 euros de marge HT/mois.
- [X] : 11 949 euros de marge HT/mois.
- [F] : 6 838 euros de marge HT/mois.
- Vous-même : 4 750 euros de marge HT/ mois.
Sur votre propre secteur, et pour information, l'objectif qui avait été fixé à votre prédécesseur était de 7 320 euros de marge HT par mois pour l'année 2012 et de 8 052 euros de marge HT par mois pour l'année 2013?
En tout état de cause, nous vous avons donné en mai 2017 une chance d'améliorer vos résultats que vous n'avez pas su saisir.
Des cinq commerciales, vous êtes celle qui en effet a eu le plus de difficultés à remplir ses objectifs :
Vous-même : - 15% pour un objectif de 4750 euros de marge HT/ mois seulement.
[H] : - 12% pour un objectif de 10 598 euros de marge HT/mois
[C] : - 10 % pour un objectif de 12 412 euros de marge HT/mois
[F] : + 2,11% pour un objectif de 6 838 euros de marge HT/mois
[X] : + 9,58 % pour un objectif de 11 949 euros de marge HT/mois.
Par ailleurs, vous avez réalisé au cours de l'année 2017 un chiffre d'affaires de 204 828,74 euros seulement. A titre comparatif, les autres commerciales ont, en 2017, réalisé les chiffres d'affaires suivants :
- [X] : 399 788,36 euros
- [C] : 391 132,55 euros
- [H] : 328 329, 81 euros
- [F] : 276 515, 77 euros
- Vous-même : 204 828,74 euros.
Force est de constater que la mise en garde du 29 mai 2017 n'a pas été suffisamment suivie d'effet.
Vous ne vous êtes pas suffisamment investie, ce qui explique votre insuffisance.
Chaque commerciale sédentaire dispose d'un portefeuille clients dans son secteur géographique qu'elle doit en parallèle chercher à développer en recherchant de nouveaux clients.
La prospection se fait par téléphone et doit ensuite se traduire par la validation d'une offre de prix par le gérant.
Or, le nombre d'offres de prix que j'avais à valider de votre part étaient bien inférieures par rapport aux autres commerciales.
Un effort a été fait depuis la lettre du 29 mai 2017 mais cet effort n'était que de courte durée.

Ceci n'est guère étonnant eu égard de votre attitude et de votre manque d'implication.
Nous avons en effet constaté que vous vous dispersiez facilement et que votre prospection était manifestement insuffisante.
Vous avez fait preuve de bien trop de détachement par rapport à votre travail.
La faiblesse de vos résultats que nous avons mis dans un premier temps sur le compte de l'inexpérience n'est plus aujourd'hui acceptable.
Compte tenu de votre attitude et du temps que nous vous avons laissé pour vous laisser une chance d'améliorer vos résultats.
En effet, nous avons considéré les six premiers mois que vous étiez en période d'intégration.
De ce fait, nous avons délibérément opté pour des objectifs symboliques.
Nous vous avons ensuite laissé du temps pour prendre vos marques et développer sérieusement vos résultats.
Au cours de l'entretien du 22 mai 2017 cependant, nous vous avons clairement alerté sur l'insuffisance de vos résultats en vous donnant six mois supplémentaires pour redresser la situation.
Vous avez certes amélioré vos résultats en 2017 par rapport à 2016, mais vous n'êtes pas la seule dans ce cas, [X] et [F] également (204 828,74 euros au 31 décembre 2017 par rapport à 136 212 euros au 31 décembre 2016), mais ceux-ci restent nettement insuffisants et trop irréguliers.
Cette insuffisance professionnelle et de résultats se double malheureusement d'une attitude inadéquate au travail.
Votre état d'esprit s'est révélé négatif.
Nous avons constaté de votre part une critique négative récurrente : les méthodes de management du gérant, la remplaçante de la comptable dont vous disiez qu'elle n'avait rien à faire là, bien qu'elle soit très compétente, les fournisseurs, etc.
Un de nos fournisseurs s'est également largement plaint de votre attitude à son égard, vous trouvant particulièrement agressive.
Cette attitude nuit à un travail de qualité et illustre votre absence de réelle motivation à travailler pour le compte de l'entreprise.
Lors de l'entretien préalable, vous nous avez indiqué que :
? vous n'étiez pas d'accord avec l'existence d'une baisse réelle de votre activité, et qu'il y avait une baisse d'activité générale. Je ne partage pas votre appréciation de la situation au regard des résultats de vos collègues.
? Vous aviez peu d'ancienneté par rapport à vos collègues ce qui expliquerait selon vous vos mauvais chiffres.
Vos explications ne nous permettent pas d'espérer une quelconque amélioration de la situation.
Dans ces conditions, nous avons donc décidé de vous licencier, ces faits constituant une cause réelle et sérieuse de licenciement ».

L'insuffisance de résultats ne constitue pas à elle seule une cause réelle et sérieuse de licenciement. Le juge doit vérifier si une insuffisance professionnelle ou une faute du salarié sont à l'origine de l'insuffisance de résultats invoquée par l'employeur pour licencier le salarié.

Pour contester son licenciement, Mme [Z] invoque :
- l'absence d'objectifs contractuels,
- le caractère disproportionné et inatteignable des résultats revendiqués,
- la comparaison avec les autres salariés,
- l'absence de moyens et de formation de la part de l'employeur pour réaliser ses objectifs.

Il n'est pas contesté que l'objectif de marge mensuelle de 4 750 euros n'a pas été abordé par l'employeur lors de l'entretien individuel de début d'année 2017 et que la salariée n'en a eu connaissance que par une note d'information du 16 février 2017 déposée sur son bureau. Aucun objectif ne lui avait été contractuellement fixé, aucun contrat de travail n'ayant été régularisé à l'issue du contrat de professionnalisation initial d'une durée d'une année.

Mais, dès lors qu'aucune clause contractuelle ne prévoyait que la fixation des objectifs devait résulter d'un accord des parties, les objectifs de la salariée pouvaient être définis unilatéralement par l'employeur dans le cadre de son pouvoir de direction.

La salariée ne démontre pas le caractère irréaliste des objectifs fixés par l'employeur, alors qu'il est établi que l'objectif fixé à la salariée était très nettement inférieur à celui qui avait été imposé à son prédécesseur. Par ailleurs, l'employeur rapporte la preuve de ce que l'objectif de marge mensuelle exigé des quatre salariées ayant une plus grande ancienneté (9, 11, 19 et 21 ans) était nettement plus important que celui qui avait été imposé à la plus jeune d'entre elles.

En revanche, il résulte des pièces produites au débat, d'une part que la salariée n'a pas bénéficié de la formation qui lui avait été promise, d'autre part que les conditions de travail qui lui étaient imposées ne lui permettaient pas de réaliser sereinement la mission qui lui était contractuellement confiée.

S'agissant de l'absence de formation, il est établi que la salariée n'a bénéficié que d'une unique formation de trois heures au cours de son contrat de travail, dispensée par un formateur de l'AGEFOS, formation portant sur un nouveau logiciel commercial et comptable.

L'employeur ne rapporte nullement la preuve de l'effectivité du calendrier prévisionnel des 400 heures de formation, correspondant à huit modules de formation en interne, qui lui avaient été promises lors de la signature du contrat de professionnalisation.

Dans sa lettre de contestation du licenciement, Mme [Z] avait précisé : « Suite à mon embauche, aucune formation sur les méthodes commerciales de l'entreprise ne m'a été dispensée, si ce n'est d'être à l'écoute de mes collègues lorsqu'elles prospectaient.
Ni vous, ni votre père, n'êtes jamais venus m'écouter prospecter, ne m'avez jamais prodigué de conseils ou de remarques à ce sujet ».

Le document soumis à sa signature, le 16 octobre 2015, intitulé « cahier des charges de la formation interne vision pro », précisait pourtant que les formateurs de l'entreprise seraient les deux cogérants.

Il est, par ailleurs, constant que trois anciens collaborateurs ont quitté la société pour créer une entreprise concurrente à celle de la SARL [D]. Le registre du personnel rend compte d'un important turn-over au sein de la société. Pour l'année 2018, 7 entrées et 10 sorties y apparaissent.

Il y a lieu de relever notamment le départ de Mme [V] [N], qui avait été engagée pour remplacer la comptable et dont le contrat à durée déterminée n'a pas été renouvelé. Or, la lecture du procès-verbal de constat retranscrivant l'intégralité de l'entretien professionnel du 31 octobre 2017, dont l'enregistrement avait préalablement été autorisé par les gérants de la société, met en évidence la légitime plainte de Mme [Z] de devoir assumer les erreurs commises par cette salariée, de « récupérer » le travail de la comptable qui n'était plus assuré, de devoir « vérifier les factures, repointer les bordereaux de livraison, prendre les appels téléphoniques, aller chercher les mails, s'inquiéter de savoir si elle avait lu les mails du gérant en son absence, etc. ». Les gérants de la société n'ont apporté aucune réponse satisfaisante à l'interpellation de la salariée lors de son dernier entretien professionnel : « Personne ne fait notre boulot à notre place. Mais vous nous demandez encore du résultat et c'est normal, mais on nous enlève du temps parce qu'elle [[V] [N]] n'est pas capable de prendre un appel téléphonique. C'est quand même grave ».

Dans ces conditions, l'employeur ne pouvait reprocher à la salariée d'avoir critiqué « la remplaçante de la comptable dont [elle avait dit] qu'elle n'avait rien à faire là », alors que sa critique, dans le cadre d'un entretien professionnel, ne manquait pas de pertinence.

La doléance d'un fournisseur se plaignant de l'agressivité de Mme [Z] à son égard, à raison de ce qu'elle lui aurait reproché son manque de réactivité et critiqué sa façon de travailler, n'est pas suffisamment précise pour établir, à elle seule, la réalité d'un « état d'esprit négatif » dénoncé dans la lettre de licenciement.

En dépit d'un contexte de travail éprouvant, d'un manquement de l'employeur à son obligation de formation en adéquation avec le poste confié à la salariée, et d'un défaut d'accompagnement dans son travail de prospection, Mme [Z] a réalisé son objectif à 80 %, avec une évolution de sa marge de plus de 34 % et une évolution du chiffre d'affaires de plus de 50 %, étant observé qu'il s'agissait là des plus hauts taux d'évolution de la société pour l'année 2017. Par ailleurs, la salariée a apporté 40 nouveaux clients et « récupéré » une vingtaine de clients parmi ceux qui avaient suivi son prédécesseur à la concurrence.

Il n'est pas établi que l'insuffisance de résultats reprochée à la salariée résulterait d'une insuffisance professionnelle ni moins encore d'une faute de la salariée.

Dans ces conditions, le jugement entrepris mérite confirmation en ce qu'il a jugé que le licenciement pour insuffisance professionnelle de la salariée était privé de cause réelle et sérieuse.

Une somme de 674,26 euros lui a été allouée par les premiers juges à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (entreprise de moins de 11 salariés, ancienneté de 2 ans et 5 mois,), représentant un demi-mois de salaire, par application des dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail, dans sa version résultant de la loi no 2018-217 du 29 mars 2018.

Il y a lieu de confirmer également le montant de cette indemnisation.

Sur le harcèlement moral et sexuel allégué

Aux termes de l'article L. 1153-1 du code du travail, les agissements de harcèlement de toute personne dans le but d'obtenir des faveurs de nature sexuelle à son profit ou au profit d'un tiers sont interdits.

Selon l'article L. 1153-2 du code du travail, aucun salarié, aucun candidat à un recrutement, à un stage ou à une période de formation en entreprise ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements de harcèlement sexuel.

Il résulte des dispositions des articles L. 1152-1 et L. 1154-1 du code du travail que, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du même code. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et si ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En l'espèce, Mme [Z] invoque les faits suivants : elle aurait été victime, le 20 octobre 2017, d'une attitude de harcèlement moral et sexuel de la part de l'un des dirigeants, M. [U] [D], sur son lieu de travail. L'employeur se serait permis de faire des allusions suggestives sur sa tenue vestimentaire. Il se serait penché sur le bureau de l'intéressée pour regarder au niveau de sa poitrine et de son décolleté.

Pour étayer ses affirmations, la salariée produit :
- le courrier d'alerte adressé au service de la médecine du travail le 22 octobre 2017,
- le procès-verbal de constat d'huissier établi par la société Altaneo, portant retranscription de l'enregistrement de l'entretien professionnel du 30 octobre 2017, avec les deux cogérants de la société, dont celui qu'elle accuse de harcèlement,
- une attestation établie par M. [A] [O], ancien salarié de la SARL [D], qui indique avoir entendu M. [D] « tenir des propos déplacés concernant le décolleté et la poitrine de sa collègue », lui reprochant d'être « débraillée et que l'on voyait ses seins » ; l'extrême finesse des parois des bureaux aurait permis d'entendre distinctement la conversation tenue dans le bureau voisin du sien.

La cour ne trouve cependant dans les échanges intervenus entre les parties au cours de l'entretien du 30 octobre 2017 aucune preuve de l'aveu de M. [U] [D] portant sur l'attitude décriée.

L'employeur a, par ailleurs, établi une attestation rapportant les circonstances dans lesquelles il avait eu l'occasion de demander à Mme [Z] de « se rhabiller », dès lors qu'elle était « bien débraillée », cette remarque ayant entraîné la colère de la salariée.

Si cette attestation établie par l'employeur lui-même ne présente pas de valeur probante, la cour observe qu'elle correspond précisément aux propos entendus et rapportés par le collègue de travail de la salariée.

Une telle remarque, dont il n'est pas établi qu'elle ait été réitérée, ne peut suffire à caractériser un « harcèlement sexuel » dont la salariée aurait été victime.

Il importe encore de relever qu'aucun élément n'est allégué qui permettrait de retenir l'existence d'un harcèlement moral.

En l'état des explications et des pièces fournies, les quelques faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, ne permettent pas de présumer l'existence d'un harcèlement sexuel ou moral au sens des articles L. 1152-1 et L. 1153-1 du même code. Les demandes relatives au harcèlement doivent, en conséquence, être rejetées. Le jugement mérite encore confirmation en ce qu'il a rejeté la demande d'indemnisation présentée de ce chef.

Sur la demande de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail

Les premiers juges ont alloué à la salariée des dommages et intérêts à hauteur de 1 800 euros à ce titre, aux motifs que :
- l'employeur n'avait pas fixé d'objectif à la salariée,
- il ne lui avait pas assuré une véritable formation,
- il l'avait licenciée à tort pour insuffisance professionnelle,
- il n'avait pas modifié sa classification à l'issue de son contrat de professionnalisation.

En réalité, l'employeur avait la possibilité de fixer unilatéralement des objectifs à la salariée.

Il importe aussi de tenir compte du fait que l'employeur a régularisé la situation salariale de Mme [Z] en lui versant un rappel de salaire, avant même l'intervention de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi.

Il est vrai que l'employeur a manqué à son obligation de formation, mais ce manquement a été sanctionné par la reconnaissance de l'absence de cause réelle et sérieuse de licenciement.

La cour n'a, par ailleurs, retenu aucun comportement de harcèlement, moral ou sexuel, de la part de l'employeur.

Enfin, la salariée ne justifie pas de l'existence d'un préjudice spécifique lié à une exécution déloyale du contrat de travail, de sorte que la demande présentée à ce titre n'est pas justifiée.

Le jugement est infirmé en ce qu'il a accueilli le principe de la demande de la salariée et lui a alloué des dommages et intérêts à hauteur de 1 800 euros.

Sur la remise des documents sociaux

Il y a lieu d'ordonner à l'employeur de remettre à la salariée une attestation Pôle emploi, un certificat de travail et un bulletin de paie récapitulatif conformes au présent arrêt, sans qu'il soit nécessaire d'assortir cette remise d'une astreinte. Le jugement est infirmé de ce chef uniquement en ce qu'il a prononcé une astreinte et ordonné la remise de « l'ensemble des bulletins de salaire », la remise d'un unique bulletin de paie récapitulatif étant suffisante pour remplir la salariée de ses droits.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a :
- jugé le licenciement de Mme [Z] sans cause réelle et sérieuse,
- condamné la SARL [D] à lui payer une somme de 874,26 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- débouté Mme [Z] de sa demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral et sexuel,
- alloué à Mme [Z] une indemnité de 700 euros au titre des frais irrépétibles exposés devant le conseil de prud'hommes ;

L'infirme pour le surplus ;

Et, statuant à nouveau,

Déboute Mme [Z] de sa demande de rappel de salaire et de sa demande de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail ;

Ordonne à l'employeur de remettre à la salariée un certificat de travail, un solde de tout compte, une attestation Pôle emploi ainsi qu'un bulletin de salaire rectificatif conformes à la présente décision, sans qu'il soit nécessaire d'ordonner une astreinte ;

Ajoutant,

Condamne la SARL [D] à payer à Mme [Z] une indemnité de 1 800 euros au titre des frais irrépétibles exposés devant la cour ;

Déboute la SARL [D] de sa demande présentée sur le même fondement ;

Condamne la SARL [D] aux dépens de première instance et d'appel.

Le greffierLe président

Florentin FLORENTINOlivier MANSION


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Dijon
Formation : 03
Numéro d'arrêt : 19/004256
Date de la décision : 04/11/2021
Sens de l'arrêt : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Références :

Décision attaquée : Conseil de prud'hommes de Dijon, 14 mai 2019


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.dijon;arret;2021-11-04;19.004256 ?
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