LA DIRECTION GENERALE DES FINANCES PUBLIQUES, agissant poursuites et diligences de Monsieur le Directeur des Services Fiscaux de la Côte d'Or
C/Marie-Véronique Y... épouse Z...
Expédition et copie exécutoire délivrées aux avoués le 24 Juin 2008
COUR D'APPEL DE DIJON
CHAMBRE CIVILE A
ARRÊT DU 24 JUIN 2008
RÉPERTOIRE GÉNÉRAL N° 07/00107
Décision déférée à la Cour : AU FOND du 04 DECEMBRE 2006, rendue par le TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE DIJONRG 1re instance : 05-2198
APPELANTE :
LA DIRECTION GENERALE DES FINANCES PUBLIQUES, agissant poursuites et diligences de Monsieur le Directeur des Services Fiscaux de la Côte d'Or...21000 DIJON
représentée par Me Philippe GERBAY, avoué à la Courassistée de la SCP DOREY - PORTALIS - PERNELLE - FOUCHARD - BERNARD, avocats au barreau de DIJON
INTIMEE :
Madame Marie-Véronique Y... épouse Z...née le 26 Janvier 1951 à BEAUNE (21)demeurant ...60730 NOVILLERS LES CAILLOUX
représentée par la SCP BOURGEON et KAWALA et BOUDY, avoués à la Cour
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 20 Mai 2008 en audience publique devant la Cour composée de :
Madame DUFRENNE, Président de Chambre, Président, ayant fait le rapport,Madame VIGNES, Conseiller, assesseur,Monsieur BESSON, Conseiller, assesseur,qui en ont délibéré.
GREFFIER LORS DES DEBATS : Madame CREMASCHI, greffier
ARRET rendu contradictoirement,
PRONONCE publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
SIGNE par Madame DUFRENNE, Président de Chambre, et par Madame CREMASCHI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS PROCEDURE PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
M. Jean Y... est décédé le 1er juillet 1995 laissant pour lui succéder- son épouse en secondes noces Mme Françoise A...,- ses deux filles majeures issues de sa première union, Mme Christiane Y... épouse de M. B... et Mme Marie Véronique Y... épouse de M. Z....
Faisant grief de la dissimulation d'éléments de la succession de sa mère dont l'origine était connue du prédécesseur de la SCP Echinard - Segaut ainsi que de la méconnaissance par cette SCP de notaires de ses obligations, Mme Z... a, suivant actes d'huissier des 11 et 26 septembre 1995, saisi le président du tribunal de grande instance de Dijon d'une demande en désignation d'un autre notaire chargé de la rédaction des actes prévus par la loi en matière de succession. Par ordonnance de référé du 17 octobre 1995, la SCP Echinard a été chargée de procéder aux opérations d'inventaire et de déclaration de la succession de Jean Y....
En exécution de cette décision (devenue irrévocable à la suite du rejet le 30 mai 2001 du pourvoi formé à l'encontre de l'arrêt confirmatif de cette Cour du 24 juin 1998), la SCP Echinard a déposé le 29 mars 1996 une déclaration de succession que Mme Z... a refusé de signer.
Mise en demeure le 27 janvier 1997 de déposer la déclaration de succession de son père et d'acquitter les droits dont elle était redevable, Mme Z... a fait adresser par son conjoint une déclaration de succession sur formulaires 2705 et 2706 en date à Courbevoie du 29 avril 1997 faisant apparaître un passif supérieur à l'actif et une absence de droit exigible (déclaration enregistrée le 2 mai 1997).
A défaut d'estimation de certains biens figurant à l'actif et au passif, le service des impôts a considéré que le document déposé ne constituait pas la déclaration estimative prévue à l'article 851 du Code général des impôts et adressé à Mme Z... une seconde mise en demeure le 11 mai 1998.
Mme Z... n'ayant toujours pas déposé de déclaration, le service des impôts lui a adressé une notification de redressement le 16 novembre 1998 en application de l'article L 66.4° du Livre des procédures fiscales (prévoyant la taxation d'office des personnes n'ayant pas déposé de déclaration de succession dans le délai légal ni régularisé leur situation dans le délai de quatre-vingt-dix jours de la première mise en demeure).
En réponse aux observations présentées le 16 décembre 1998, le service des impôts a confirmé le redressement notifié le 7 janvier 1999 puis mis les droits et pénalités en recouvrement le 29 janvier 2001.
A la suite du rejet le 29 août 2001 de sa réclamation du 1er mars 2001, Mme Z... a, suivant acte d'huissier du 30 octobre 2001, assigné l'administration devant le tribunal de grande instance de Dijon qui, par jugement du 15 décembre 2003 rappelant que la procédure de taxation d'office n'était permise que dans deux cas, celui où aucune déclaration n'avait été effectuée dans le délai légal et celui où l'acte n'était pas présenté à la formalité de l'enregistrement dans ce délai, a infirmé la décision du 29 août 2001 et annulé le redressement fiscal ainsi que l'avis de mise en recouvrement.
L'administration a formé à l'encontre de ce jugement un appel dont elle s'est désistée le 19 mai 2004 ; les droits et pénalités mis en recouvrement ont alors fait l'objet d'un dégrèvement total le 4 février 2004.
Mme Z... n'ayant toujours pas acquitté les droits lui incombant sur la succession de son père, le service des impôts lui a adressé une nouvelle notification de redressement le 18 octobre 2004 dans le cadre de la procédure de redressement contradictoire prévue à l'article L 55 du Livre des procédures fiscales. Dans cette notification, les biens portés pour mémoire ou non valorisés dans la déclaration de succession du 29 avril 1997 enregistrée le 2 mai 1997 ont été évalués par le service et le passif non justifié non admis en déduction.
Les droits assortis des intérêts de retard et de la majoration de 10 % prévus aux articles 1727 et 1728 du Code général des impôts ont été mis en recouvrement le 21 janvier 2005.
A la suite du rejet le 16 mars 2005 de sa réclamation du 7 mars 2005 fondée sur la violation du principe du contradictoire et la forclusion de la procédure, Mme Z... a, suivant acte d'huissier du 23 mai 2005, assigné l'administration devant le tribunal de grande instance de Dijon qui, par jugement du 4 décembre 2006, a annulé l'avis de mise en recouvrement du 21 janvier 2005 et condamné l'administration à lui verser les sommes de 5 000 € à titre de dommages et intérêts et 1 000 € au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. Les premiers juges ont retenu que le redressement fiscal du 21 janvier 2005 se heurtait à la chose jugée le 15 décembre 2003.
L'administration a formé appel par déclaration remise le 17 janvier 2007.
Par conclusions responsives et récapitulatives déposées le 7 mai 2008, l'administration demande à la Cour d'annuler le jugement et de :décider le rétablissement de Mme Z... à l'imposition des droits de mutation par décès sur la succession de Jean Y... à raison de la cotisation dont la décharge lui a été accordée par le tribunal de grande instance soit un montant de droits de 168 627 € assortis de pénalités de 149 657 €,décider que Mme Z... devra reverser au Trésor public la somme de 5 000 € qui lui a été accordée à tort à titre de dommages et intérêts ainsi que les intérêts moratoires correspondants,réformer la condamnation de l'Etat au paiement de la somme de 1 000 € au titre de l'article 700 du (nouveau) Code de procédure civile,décider que Mme Z... devra reverser au Trésor public la somme de 1 000 € au titre de l'article 700 du (nouveau) Code de procédure civile ainsi que les intérêts moratoires correspondants,condamner Mme Z... aux entiers dépens.
Par conclusions responsives et récapitulatives déposées le 22 avril 2008, Mme Z... sollicite quant à elle la confirmation du jugement, la condamnation des services fiscaux à lui payer les sommes de :100 000 € à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive devant la Cour,1 500 € au titre de l'article 700 du (nouveau) Code de procédure civile,la condamnation des services fiscaux aux entiers dépens.
La Cour se réfère pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et moyens des parties à la décision déférée et aux conclusions échangées en appel et visées plus haut.
DISCUSSION
Sur la fin de non recevoir tirée de l'autorité de la chose jugée
Attendu en droit qu'il résulte de la combinaison des dispositions des articles 1351 du Code civil et 480 du Code de procédure civile que l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a été tranché dans le dispositif du jugement et qu'il faut que la chose demandée soit la même, que la demande soit fondée sur la même cause et formée entre les mêmes parties, par elles et contre elles en la même qualité ;
Attendu en l'espèce que Mme Z... soutient que la procédure de redressement engagée par l'administration (le 18 octobre 2004) ne présente aucun élément nouveau par rapport au redressement fiscal du 16 novembre 1998 que le tribunal de grande instance de Dijon a annulé par jugement rendu le 15 décembre 2003 et devenu définitif en suite de l'ordonnance (du conseiller de la mise en état de cette Cour) du 2 juin 2004 constatant le désistement par l'administration de son appel et que ce redressement se heurte à l'autorité de la chose jugée ;
Mais attendu d'abord que l'autorité de la chose jugée ne peut s'attacher qu'au dispositif d'une décision de justice ;
Attendu ensuite qu'il résulte des actes de procédure communiqués - que suivant assignation du 30 octobre 2001, Mme Z... a demandé au tribunal de grande instance d'annuler le redressement fiscal du 16 novembre 1998 alors que suivant assignation du 23 mai 2005, cette partie a demandé au même tribunal d'annuler le redressement fiscal du 21 janvier 2005,- et que lorsque le tribunal a apprécié dans sa décision du 15 décembre 2003 la procédure de taxation d'office mise en oeuvre à l'encontre de Mme Z... pour défaut de présentation dans les quatre-vingt-dix jours de la mise en demeure du 11 mai 1998 de la déclaration mentionnée à l'article 641 du Code général des impôts, l'administration n'avait pas encore engagé (et n'avait au demeurant pas encore la possibilité d'engager) la procédure de redressement contradictoire prévue par les dispositions des articles L 55 et suivants du Livre des procédures fiscales, qui est fondée sur un nouveau motif (que l'administration ne pouvait choisir d'invoquer qu'après avoir été informée du manque de pertinence du premier motif allégué) et qui s'oppose à la procédure de taxation d'office des articles L 66 et suivants du Livre des procédures fiscales ;
qu'il s'ensuit que Mme Z..., dont les demandes successives ne présentent pas d'identité de cause et d'objet, n'est pas fondée à se prévaloir de l'autorité de la chose jugée ;
Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription
Attendu en droit que l'article L 186 du Livre des procédures fiscales dispose que dans tous les cas où il n'est pas prévu un délai de prescription plus court, le droit de reprise de l'administration s'exerce pendant dix ans à partir du fait générateur de l'impôt ;
Attendu en l'espèce que Mme Z... oppose à l'administration la prescription triennale de l'article L 180 du Livre des procédures fiscales ;
qu'elle soutient à cet effet que c'est à l'administration qu'il appartient de justifier en quoi les biens déclarés pour mémoire (car divertis de la succession de sa mère) sont à déclarer propriété du défunt et qu'en l'absence de cette preuve la procédure n'est pas contradictoire et sans base légale ;
Attendu, s'agissant des conditions d'application de la prescription triennale, que, selon les dispositions du second alinéa de l'article L 180 du Livre des procédures fiscales, le délai de trois ans n'est opposable à l'administration que si l'exigibilité des droits et taxes a été suffisamment révélée par le document enregistré ou présenté à la formalité, sans qu'il soit nécessaire de procéder à des recherches ultérieures ;
Attendu, s'agissant de la déclaration de succession faisant de l'objet de la présente procédure, que Mme Z... ne conteste pas que la déclaration de succession adressée à l'administration au mois de mai 1997 comporte des biens déclarés pour mémoire ;
Et attendu que l'administration fait justement valoir qu'une telle mention a nécessité de procéder à des recherches et en particulier à l'examen d'autres actes pour déterminer la valeur des biens dépendant de l'actif de la succession et mentionnés pages 6, 7 et 8 "pour mémoire" et pour estimer également les dettes inscrites en page 9 "pour mémoire" ;
que dans la mesure où la déclaration de succession qu'elle a faite ne se suffisait pas à elle-même, Mme Z... ne peut se prévaloir de la prescription abrégée ;
Sur la demande en annulation du redressement notifié le 18 octobre 2004
Attendu d'abord que Mme Z... prétend que conformément à l'ordonnance du 17 octobre 1995, la direction des services fiscaux se devait d'adresser le redressement à la SCP Echinard Segaut ;
Mais attendu que le juge des référés a seulement confié à cette SCP de notaires mission de procéder aux opérations d'inventaire et de déclaration de la succession de Jean Y... ; qu'il ne pouvait en tout état de cause lui conférer la qualité de contribuable ;
que Mme Z..., qui ne conteste pas avoir refusé de signer la déclaration rédigée par la SCP Echinard Segaut et qui a souscrit la déclaration de succession lui incombant en sa qualité d'héritière de Jean Y... le 29 avril 1997, ne peut faire grief à l'administration d'avoir dirigé la procédure de redressement à son encontre ;
Attendu ensuite que Mme Z... se prévaut de la méconnaissance du caractère contradictoire de la procédure prévue par les articles L 57 à L 61 A du Livre des procédures fiscales ; qu'elle soutient à cet effet que "malgré ses demandes, la direction des services fiscaux n'a toujours pas fourni les documents authentiques sur lesquels elle a établi la consistance de la succession" de son père et que, "saisie d'une demande tendant à la communication de documents sur lesquels elle entend se fonder pour procéder au redressement litigieux, elle devait y faire droit avant la mise en recouvrement de l'imposition" ;
Mais attendu qu'elle ne conteste pas l'affirmation de l'administration selon laquelle les documents énumérés par jugement du tribunal administratif de Dijon du 16 juin 2001 statuant sur sa demande de communication des documents relatifs à la succession de son père lui ont été transmis par correspondances des 29 août et 12 octobre 2001; que l'administration fait par ailleurs justement observer que Mme Z... était en possession des documents référés par la notification de redressement du 18 octobre 2004 pour avoir déjà contesté les dispositions testamentaires de son auteur ;
Attendu enfin que Mme Z..., qui a charge de preuve de justifier de l'existence, au jour du décès, des dettes à la charge du défunt dont elle demande la déduction de l'actif successoral, ne produit pas de document établissant la réalité des dettes alléguées dans sa déclaration ; que les pièces qu'elle communique ne comportent ni décision de justice, ni rapport d'expertise, ni écrit de nature à remettre en cause la nature et la valeur des biens composant l'actif successoral retenues par l'administration à partir de la déclaration de succession établie par la SCP Echinard Segaut et signée par les autres héritiers de Jean Y... ;
que l'appelante doit être déboutée de sa demande en annulation du redressement notifié le 18 octobre 2004 ;
qu'il convient par conséquent d'infirmer les dispositions du jugement statuant sur ce chef de demande ;
Sur la demande en dommages et intérêts
Attendu que l'administration conteste la recevabilité et le bien fondé de ce chef de demande ;
Attendu, sur la recevabilité, qu'il ressort de la combinaison des dispositions des articles 751 du Code de procédure civile et R 202-2 du Livre des procédures fiscales que la demande en justice est formée par assignation ;
Attendu en l'espèce que l'assignation du 23 mai 2005 ne comporte pas de demande de dommages et intérêts ; que Mme Z... ne justifie pas de la délivrance d'une autre assignation contenant notification d'une telle demande ;
que sa demande en dommages et intérêts sera déclarée irrecevable et rejetée ;
Sur l'article 700 du Code de procédure civile
Attendu qu'il n'y a pas lieu à application de ce texte ;
Sur les demandes en restitution de l'administration
Attendu que l'administration demande à la Cour de décider que Mme Z... devra reverser au Trésor public les sommes de 5 000 € et 1 000 € qui lui ont été accordées à tort ainsi que les intérêts moratoires correspondants ;
Mais attendu d'une part que le présent arrêt, infirmatif sur ces points, constitue le titre ouvrant droit à la restitution des sommes versées en exécution du jugement ;
Attendu d'autre part que les sommes devant être restituées portent intérêts au taux légal à compter de la signification, valant mise en demeure, de la décision ouvrant droit à restitution ;
qu'il n'y a pas lieu de statuer sur ces chefs de demande ;
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Infirme le jugement du tribunal de grande instance de Dijon du 4 décembre 2006,
Statuant à nouveau et ajoutant,
Déboute Mme Z... de ses fins de non recevoir tirées de l'autorité de la chose jugée et de la prescription triennale,
Déboute Mme Z... de sa demande en annulation du redressement notifié le 18 octobre 2004,
Dit que ce redressement sortira son plein effet,
Déclare irrecevable et rejette la demande de Mme Z... ayant pour objet le paiement d'une somme de 100 000 € à titre de dommages et intérêts,
Dit n'y avoir lieu à statuer sur les demandes en "reversement" des sommes versées en exécution du jugement du 4 décembre 2006 déféré à la connaissance de la Cour,
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile,
Condamne Mme Z... aux entiers dépens,
Admet en tant que de besoin les avoués en la cause au bénéfice de l'article 699 du Code de procédure civile.