MINUTE N° 24/627
NOTIFICATION :
Copie aux parties
- DRASS
Clause exécutoire aux :
- avocats
- parties non représentées
Le
Le Greffier
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE COLMAR
CHAMBRE SOCIALE - SECTION SB
ARRET DU 29 Août 2024
Numéro d'inscription au répertoire général : 4 SB N° RG 23/00253 - N° Portalis DBVW-V-B7H-H7T4
Décision déférée à la Cour : 28 Novembre 2022 par le pôle social du Tribunal Judiciaire de STRASBOURG
APPELANTE :
CAISSE DE PREVOYANCE ET DE RETRAITE DE LA SNCF
[Adresse 3]
[Localité 1]
Représentée par Me Rachel WEBER, avocat au barreau de STRASBOURG
INTIMEE :
Madame [I] [O]
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par Me Bernard ALEXANDRE, avocat au barreau de STRASBOURG, substitué par Me CAHN, avocat au barreau de COLMAR
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 16 Mai 2024, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant M. LEVEQUE, Président de chambre, chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
M. LEVEQUE, Président de chambre
Mme GREWEY, Conseiller
M. LAETHIER, Vice-Président placé
qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : Mme WALLAERT, Greffier
ARRET :
- contradictoire
- prononcé par mise à disposition au greffe par M. LEVEQUE, Président de chambre,
- signé par M. LEVEQUE, Président de chambre, et Mme WALLAERT, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
* * * * *
Exposé du litige
Sur contestation par Madame [I] [O], infirmière, d'un indu de 5 131,50 euros notifié le 2 mars 2020 par la caisse de prévoyance de la [5] ([5]) pour cotation d'actes excessive, préalablement soumise et rejetée par la commission de recours amiable de la caisse, le tribunal judiciaire Strasbourg, par jugement du 28 novembre 2022, a :
- déclaré le recours recevable ;
- constaté la légalité de la notification de l'indu ;
- infirmé la décision de la caisse du 2 mars 2020 disant que Madame [O] n'est tenu par aucun indu ;
- débouté la caisse de sa demande reconventionnelle en paiement de l'indu ;
- condamné la caisse à payer 1 000 euros à Madame [O] au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et à payer les dépens ;
- rejeté toute demande contraire ;
- ordonné l'exécution provisoire.
Pour statuer ainsi, le premier juge a d'abord retenu que la caisse avait justifié de l'habilitation de la personne qui avait signé pour elle la notification de l'indu.
Le premier juge a ensuite retenu, au visa de l'article L. 162-12-1 du code de la sécurité sociale selon lequel les infirmiers sont tenus d'effectuer leurs actes en observant la plus stricte économie compatible avec l'exécution des prescriptions, au visa de l'article L. 1110-2 du code de la santé publique selon lequel la personne malade a droit au respect et à la dignité, et au visa de la nomenclature générale des actes professionnels (NGAP) des infirmiers,
- que la cote AIS3 de la NGAP correspond à une séance de soins infirmiers d'une durée d'une demi-heure comprenant l'ensemble des actions de soins lié aux fonctions d'entretien et de continuité de la vie, visant à protéger, maintenir, restaurer ou compenser les capacités d'autonomie de la personne ;
- que la cotation AMI4 correspond à une séance de soins spécialisés portant sur l'appareil digestif et urinaire et que l'article 6 du chapitre II des soins spécialisés de la NGAP indique qu'une dialyse péritonéale se cote AMI4 avec un maximum de quatre séances par jour ;
- que cette cotation de la séance de dialyse est largement justifiée par la complexité et la longueur de l'acte à réaliser par l'infirmier ;
- qu'il ressort de prescriptions médicales produites et de la NGAP que l'infirmier avait le droit de coter chaque jour deux AIS3 par jour pour les soins infirmiers courants (prise de médicament, habillage et déshabillage, prise de la tension, pose et retrait des bas de contention), trois AMI4 pour les trois dialyses péritonéales quotidiennes, et cinq déplacements à domicile ;
- que toute autre lecture heurterait le droit du malade au respect et à la dignité, qui, pour le patient [U] [X], passe par le bénéfice d'une prise en charge optimale à domicile en rencontrant son infirmier cinq fois par jour (réveil, trois dialyses à 8 heures, 12 heures et 16 heures, et coucher) ;
- qu'ainsi l'article L. 162-12-1 du code de la sécurité sociale, qui prescrit aux infirmiers la plus grande économie compatible avec l'exécution des prescriptions, doit être interprété en tenant compte d'une part du principe de cohérence entre la prescription médicale et la NGAP, d'autre part du droit à la dignité du malade, et enfin de la réduction des coûts résultant d'une hospitalisation à domicile plutôt qu'à l'hôpital ;
- et qu'à la lumière de ces trois principes, la demande de remboursement de la caisse est mal fondée.
La caisse de prévoyance et de retraite de la [5] a interjeté appel de cette décision, qui lui a été notifiée à le 23 décembre 2022, par courrier recommandé avec demande d'avis de réception parvenu au greffe le 17 janvier 2023.
L'appelante, par conclusions en date du 28 août 2023, demande à la cour de :
- infirmer le jugement ;
- condamner Madame [O] au paiement de la somme de 3 786,90 euros outre intérêts au taux légal à compter de la décision à intervenir ;
- débouter Madame [O] de l'intégralité de ses demandes ;
- condamner Madame [O] au paiement de la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'à payer les dépens.
L'appelante soutient, après rappels des dispositions des articles 132-1 du code civil et L. 133-4 du code de la sécurité social relatives au recouvrement de l'indu en cas d'inobservation des règles de tarification ou de facturation :
- qu'aux termes de l'article L. 162-12-1 du code de la sécurité sociale les infirmiers sont tenus d'effectuer leurs actes dans le respect des dispositions prises pour l'application du titre II du livre IV du code de la santé publique et en observant la plus stricte économie compatible avec l'exécution des prestations ;
- qu'il résulte de l'article 11 du chapitre 1er du titre XVI de la deuxième partie de la NGAP que la cotation de la séance de soins infirmer inclut forfaitairement l'ensemble des actes relevant de la compétence de l'infirmier réalisés au cours de la séance et que la possibilité dérogatoire de cumul avec des soins spécifiques ne concerne pas les soins de dialyse ;
- que les prescriptions médicales comportaient deux fois par semaine la « réfection du pansement du KT de dialyse péritonéale », trois fois par jour et tous les jours un échange de DPCA, c'est-à-dire un forfait de dialyse péritonéale continue ambulatoire, et deux séances par jour de soins infirmiers concernant la « mise en place et le retrait de bas de contention et la réfection du pansement péritonéal » ;
- que ces prescriptions ne mentionnaient pas la nécessité de donner des soins cotés AIS3 à distance des séances de dialyse, coté AIM4 ;
- qu'en conséquence l'infirmière ne pouvait, comme elle l'a fait, cumuler pour la même séance les cotations AIS3 et AIM4, de sorte qu'il doit reverser les remboursements des cotations AIM4 qu'il a cumulées à tort avec la cotation AIS3 ;
- que par ailleurs l'infirmière ne pouvait facturer chaque jour cinq indemnités pour frais de déplacement au domicile du malade, cotées IF, alors qu'elle ne s'y rendait que quatre fois ;
- que la prescription de deux réfections du pansement de cathéter n'a en réalité été exécutée qu'à raison d'une fois par semaine, ce qui a finalement conduit la caisse à accorder à ce titre non seulement la facturation d'un pansement lourd coté AMI4 par semaine, mais aussi la majoration de coordination infirmier prévue par la NGAP lors de la facturation d'un pansement lourd, et en conséquence, à réduire le montant initial de l'indu de 5 131,50 euros à 3 786,90 euros
Madame [O], par conclusions 7 décembre 2023, demande à la cour de :
- débouter l'appelante de ses demandes ;
- confirmer le jugement ;
- et condamner l'appelante à lui payer 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'à payer les dépens.
L'intimée soutient,
- que la réfection du pansement de cathéter est un pansement lourd et complexe au sens de l'article 11, I du chapitre 1er du titre XVI de la NGAP, dont le cumul avec la séance de soins infirmier est prévue par le même texte ;
- que dès lors elle était en droit de facturer chaque jour deux AIS3 pour les soins infirmiers courants, trois AMI4 pour les trois dialyses péritonéales et cinq déplacements ;
- qu'en conséquence le jugement doit être confirmé.
À l'audience du 16 mai 2024, les parties ont demandé le bénéfice de leurs écritures, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de leurs moyens de fait et de droit, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
Motifs de la décision
La recevabilité du recours n'est pas critiquée dans la déclaration d'appel, ni le constat de la légalité de la notification de l'indu. La cour n'a donc pas à statuer de ces chefs.
L'intimée ne démontre pas la nécessité d'effectuer cinq déplacements par jour pour soigner le patient, alors qu'il résulte des prescriptions médicales qu'elle devait effectuer d'une part deux fois par semaine la « réfection du pansement du KT de dialyse péritonéale », réfection qu'elle a expliqué dans un mail à la caisse du 7 février 2020 n'avoir en réalité effectué qu'une fois par semaine, d'autre part tous les jours et trois fois par jour un échange de DPCA, c'est-à-dire un forfait de dialyse péritonéale continue ambulatoire, et enfin deux fois par jour une séance de soins infirmiers concernant la « mise en place et le retrait de bas de contention et la réfection du pansement péritonéal ».
En effet, Mme [O] n'explique pas pourquoi il lui aurait été nécessaire d'effectuer cinq déplacements par jour pour assurer les trois échanges de DPCA et les deux séances de soins infirmiers, plutôt que d'effectuer ne serait-ci qu'une fois dans la journée les deux prestations au cours du même déplacement, conformément à l'obligation de stricte économie qui résultait pour elle des dispositions de l'article L. 162-12-1 du code de la sécurité sociale, précité. En conséquence, ce chef de contestation de l'indu n'apparaît pas fondé.
Quant à la contestation de la facturation cumulée des séances de soins infirmiers et des dialyses péritonéales, ainsi que l'a relevé le premier juge, il résulte de l'article 6 du chapitre II de la deuxième partie de la NGAP que la dialyse péritonéale est cotée AMI avec un coefficient 4. Toutefois, l'article 11 du chapitre précédent énonce clairement que la cotation forfaitaire des séances de soins infirmiers inclut l'ensemble des actes relevant de la compétence de l'infirmier réalisé au cours de la séance, et que par dérogation, la cotation de la séance de soins infirmiers peut se cumuler avec la cotation à taux plein d'un pansement lourd et complexe, et avec d'autres soins étrangers au présent litige, mais pas avec la cotation de la dialyse péritonéale.
Il en résulte que l'infirmière, qui tente devant la cour d'introduire une confusion entre le soin de dialyse proprement dit et la réfection du pansement du cathéter de dialyse péritonéale, qui est un pansement lourd et complexe, pouvait cumuler la cotation AIS3 des séances de soins infirmiers quotidiens avec la cotation AMI4 de la réfection de ce pansement, mais non avec les dialyses elles-mêmes, qui restaient soumises au principe de non-cumul.
Le premier juge ne pouvait écarter ces dispositions claires et précises de la NGAP au motif qu'elles contreviendraient au droit supérieur du malade au respect et à la dignité, énoncé à l'article L. 1110-2 du code de la santé publique, dès lors que le litige ne porte pas sur la nature ou la qualité des soins effectifs reçus par le patient, mais sur la rémunération de l'infirmier qui les a effectués, ce qui est indifférent au respect et à la dignité du patient.
La critique de l'indu résultant de la facturation cumulée des dialyses qui ont été effectuées au cours d'une séance de soins infirmier est en conséquence infondée.
Ainsi, les deux chefs de contestation de l'indu étant écartés la cour infirmera le jugement pour condamner Madame [O] à rembourser la somme réclamée par la caisse.
Les intérêts au taux légal à compter de la présente décision sont de droit.
Par ces motifs
La cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe ;
Infirme partiellement le jugement rendu entre les parties le 28 novembre 2022 par le tribunal judiciaire de Strasbourg en ce qu'il a :
- infirmé la décision de la caisse du 24 février 2020 disant que Madame [O] n'est tenue par aucun indu ;
- débouté la caisse de sa demande reconventionnelle en paiement de l'indu ;
- condamné la caisse à payer 1 000 euros à Madame [O] au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et à payer les dépens ;
- rejeté toute demande contraire.
Le confirme pour le surplus dans les limites de l'appel ;
statuant à nouveau et y ajoutant,
Condamne Madame [I] [O] à payer à la caisse de prévoyance et de retraite de la [5] la somme de 3 786,90 euros (trois mille sept cent quatre vingt six euros et quatre vingt dix centimes) ;
La condamne à lui payer la somme de 1 500 euros (mille cinq cents euros) en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
La déboute du même chef ;
La condamne aux dépens de première instance et d'appel.
La greffière Le président de chambre