COUR D'APPEL DE COLMAR
Chambre 6 (Etrangers)
N° RG 24/02962 - N° Portalis DBVW-V-B7I-ILOJ
N° de minute : 309/24
ORDONNANCE
Nous, Catherine DAYRE, Conseillère à la Cour d'Appel de Colmar, agissant par délégation de la première présidente, assistée de Iman SOUFIAN, greffière placée ;
Dans l'affaire concernant :
M. [B] [P]
né le 19 octobre 2005 à [Localité 4] (RUSSIE)
de nationalité russe
Actuellement retenu au centre de rétention de [Localité 3]
VU les articles L.141-2 et L.141-3, L.251-1 à L.261-1, L.611-1 à L.614-19, L.711-2, L.721-3 à L.722-8, L.732-8 à L.733-16, L.741-1 à L.744-17, L.751-9 à L.754-1, L761-8, R.741-1,R743-12 et suivantts R.744-16, R.761-5 du Code de l'Entrée et du Séjour des Etrangers et du Droit d'Asile (CESEDA) ;
VU l'arrêté pris le 20 août 2024 par le préfet du Bas-Rhin faisant obligation à M. [B] [P] de quitter le territoire français ;
VU la décision de placement en rétention administrative prise le 20 août 2024 par le préfet du Bas-Rhin à l'encontre de M. [B] [P], notifiée à l'intéressé le même jour à 18h00 ;
VU le recours de M. [B] [P] daté du 23 août 2024, reçu et enregistré le même jour à 18h47 au greffe du tribunal, par lequel il demande l'annulation de la décision de placement en rétention administrative pris à son encontre ;
VU la requête de Mme la Préfete du Bas-Rhin datée du 24 août 2024, reçue et enregistrée le même jour à 13h08 au greffe du tribunal, tendant à la prolongation de la rétention administrative pour une durée de 26 jours de M. [B] [P] ;
VU l'ordonnance rendue le 26 Août 2024 à 12h25 par le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Strasbourg, déclarant le recours de M. [B] [P] recevable, faisant droit au recours de M. [B] [P], déclarant la requête de Mme la Préfete du Bas-Rhin recevable, la disant sans objet, et ordonnant la remise en liberté de M. [B] [P] et rappelant à l'interessé qu'il à l'obligation de quitter le territoire français ;
VU l'appel de cette ordonnance interjeté par Mme LA PREFETE DU BAS-RHIN par voie électronique reçu au greffe de la Cour le 26 Août 2024 à 20h59 ;
VU les avis d'audience délivrés le 27 août 2024 à l'intéressé, à la SELARL CENTAURE AVOCATS, avocat de permanence, à [I] [S], interprète en langue russe assermenté, à [B] [P] et à M. Le Procureur Général ;
Le représentant de Mme LA PREFETE DU BAS-RHIN, appelant, dûment informé de l'heure de l'audience par courrier électronique du 27 août 2024, n'a pas comparu.
Maître Karima MIMOUNI, avocat au barreau de COLMAR, commise d'office, a été entendue en ses observations pour M. [B] [P].
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Le 20 août 2024, Monsieur [B] [P], ressortissant russe, a fait l'objet d'un arrêté portant obligation de quitter le territoire français , pris par le préfet du Bas-Rhin, à la suite d'une procédure de flagrance relative à des faits de violence, classée sans suite par le ministère public.
Par arrêté du même jour, Monsieur [B] [P] a été placé en rétention administrative.
Le 23 août 2024, il a exercé un recours contre cette décision.
Par requête du 24 août 2024, le préfet du Bas-Rhin a sollicité la prolongation pour vingt-six jours, de la rétention administrative de Monsieur [B] [P].
Par ordonnance du 26 août 2024, rendue à 12h25, le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Strasbourg a fait droit au recours de Monsieur [B] [P], rejeté la demande du préfet et ordonné la remise en liberté de l'intéressé.
Pour statuer ainsi, le juge des libertés et de la détention a considéré que la décision du préfet, contenait des erreurs de fait notamment relativement à la possession et la remise d'un document d'identité, aux garanties de représentation et à l'impossibilité d'emploi de l'étranger.
Par acte, reçu le 26 août 2024 à 20h59, le préfet du Bas-Rhin a interjeté appel de cette décision.
A l'appui de son appel, aux fins d'infirmation de l'ordonnance susvisée, et de prolongation de la rétention administrative de l'intéressé, le préfet du Bas-Rhin a fait valoir que Monsieur [B] [P], précédemment placé sous procédure Dublin, avait fait l'objet d'un arrêté de transfert vers les autorités croates et été assigné à résidence; que s'il avait respecté son obligation de pointage, il avait refusé l'aide au transfert volontaire et s'était sciemment maintenu en France; que le délai de six mois imparti pour l'exécution de la décision de transfert étant expiré, la France était devenue le pays membre responsable de l'examen de la demande d'asile de l'intéressé, mais que celui-ci n'avait pas régularisé de nouvelle demande de protection devant l'OFPRA.
Il a ajouté que si le retenu invoque l'adresse où il a été assigné à résidence, celui-ci a déclaré vivre chez un prétendu oncle sans démontrer les liens de filiation ni être en mesure de citer ou encore de justifier de l'adresse de celui-ci; que dans ces conditions, le risque de soustraction à la 2e mesure d'éloignement étant très élevé en raison des éléments évoqués ci-dessus, la Préfète n'a pas commis d'erreur en retenant l'absence de garanties en termes de départ.
Il a souligné que l'intéressé bénéficiait d'un titre en tant qu'effet associé au bénéfice
d'une procédure de protection, mais n'a pas demandé de titre; que c'est donc à tort que le juge des libertés et de la détention a mis fin à la rétention au motif d'erreur d'appréciation sur les garanties.
A l'audience, le préfet du Bas-Rhin n'a pas comparu.
Monsieur [B] [P] n'a pas comparu.
Son conseil, a fait valoir que Monsieur [B] [P] aurait pu bénéficier dès le départ d'une assignation à résidence.
Sur quoi
Sur la recevabilité des appels
Le préfet du Bas-Rhin a formé appel de l'ordonnance entreprise, rendue le 26 août 2024, à 12h25 par déclaration motivée reçue le 26 juillet 2024 à 20h59
Il sera donc considéré qu'il a été satisfait aux dispositions de l' article R. 743-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, notamment en ses modifications issues du décret n°2024-799 du 2 juillet 2024, et que l'appel est ainsi régulier et recevable.
Sur la régularité du placement en rétention administrative
Aux termes de l'article L741-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile l'autorité administrative peut placer en rétention, pour une durée de quarante-huit heures, l'étranger qui se trouve dans l'un des cas prévus à l'article L. 731-1 lorsqu'il ne présente pas de garanties de représentation effectives propres à prévenir un risque de soustraction à l'exécution de la décision d'éloignement et qu'aucune autre mesure n'apparaît suffisante à garantir efficacement l'exécution effective de cette décision.
Le risque mentionné au premier alinéa est apprécié selon les mêmes critères que ceux prévus à l'article L.612-3 ou au regard de la menace pour l'ordre public que l'étranger représente.
Il ressort de l'arrêté de placement en date du 20 août 2024 que le préfet a motivé sa décision par référence à l'absence de garantie de représentation de l'étranger, relevant notamment que l'intéressé n'était pas muni d'un passeport ou d'un visa en cours de validité, qu'il n'avait déposé aucune demande d'asile depuis que la France était devenue responsable de sa demande d'asile, qu'il ne justifiait pas d'une adresse stable et permanente, déclarant vivre chez son oncle dont il ne connaîtrait pas l'adresse, que l'étude de son dossier ne révèlait pas d'intégration notable dans la société française, qu'il ne justifiait pas exercer une activité professionnelle.
Il convient de rappeler que l'article L612-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile visé à l'article L741-1 dispose que:
1° L'étranger, qui ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français, n'a pas sollicité la délivrance d'un titre de séjour ;
2° L'étranger s'est maintenu sur le territoire français au-delà de la durée de validité de son visa ou, s'il n'est pas soumis à l'obligation du visa, à l'expiration d'un délai de trois mois à compter de son entrée en France, sans avoir sollicité la délivrance d'un titre de séjour ;
3° L'étranger s'est maintenu sur le territoire français plus d'un mois après l'expiration de son titre de séjour, du document provisoire délivré à l'occasion d'une demande de titre de séjour ou de son autorisation provisoire de séjour, sans en avoir demandé le renouvellement ;
4° L'étranger a explicitement déclaré son intention de ne pas se conformer à son obligation de quitter le territoire français ;
5° L'étranger s'est soustrait à l'exécution d'une précédente mesure d'éloignement ;
6° L'étranger, entré irrégulièrement sur le territoire de l'un des États avec lesquels s'applique l'acquis de Schengen, fait l'objet d'une décision d'éloignement exécutoire prise par l'un des États ou s'est maintenu sur le territoire d'un de ces États sans justifier d'un droit de séjour ;
7° L'étranger a contrefait, falsifié ou établi sous un autre nom que le sien un titre de séjour ou un document d'identité ou de voyage ou a fait usage d'un tel titre ou document ;
8° L'étranger ne présente pas de garanties de représentation suffisantes, notamment parce qu'il ne peut présenter des documents d'identité ou de voyage en cours de validité, qu'il a refusé de communiquer les renseignements permettant d'établir son identité ou sa situation au regard du droit de circulation et de séjour ou a communiqué des renseignements inexacts, qu'il a refusé de se soumettre aux opérations de relevé d'empreintes digitales ou de prise de photographie prévues au 3° de l'article L. 142-1, qu'il ne justifie pas d'une résidence effective et permanente dans un local affecté à son habitation principale ou qu'il s'est précédemment soustrait aux obligations prévues aux articles L. 721-6 à L. 721-8, L. 731-1, L. 731-3, L. 733-1 à L. 733-4, L. 733-6, L. 743-13 à L. 743-15 et L. 751-5.
Le juge saisi d'un recours sur le fondement de la légalité interne , contre un placement en rétention administrative , motivé par l'absence de garanties de représentation, doit vérifier que l'étranger ne présente effectivement pas de garanties de représentation effectives propres à prévenir un risque de soustraction à l'exécution de la décision d'éloignement, ainsi que la réalité de la nécessité absolue de maintenir l'intéressé dans des locaux ne relevant pas de l'administration.
Il sera relevé à cet égard que le texte vise non pas les 'garanties de départ', comme indiqué par l'appelante, mais les 'garanties de représentation', c'est à dire les garanties que l'étranger se présente à toute convocation ou puisse, le cas échéant être appréhendé, en vue d'un éloignement, à l'adresse qu'il a déclaré.
Le juge doit aussi, à cette occasion, apprécier la proportionnalité entre la privation de liberté de l'étranger et le risque de fuite ou de soustraction à la mesure d'éloignement.
En l'espèce, il convient de relever que, contrairement aux énonciations de l'arrêté, Monsieur [B] [P] est bien titulaire d'un passeport valide, ce que la préfecture ne pouvait ignorer puisque ce passeport lui avait été remis à l'occasion de la procédure de transfert vers la Croatie.
Il ne saurait pas ailleurs être retenu comme motif que l'intéressé n'aurait pas sollicité de titre de séjour, alors même que son récépissé de demande d'asile est valable jusqu'au 13 septembre 2024, que la préfecture l'avait informé, le 10 juillet 2024, qu'il ne relevait plus de la procédure Dublin et l'avait convoqué le 2 septembre 2024, manifestement dans l'objectif de concrétiser une nouvelle demande d'asile ou une autre demande de titre de séjour; qu'en effet, muni de cette convocation et sachant que les demandes de titre ne se font pas simplement en se présentant au guichet, mais exigent l'obtention préalable d'un rendez vous, Monsieur [B] [P] pouvait légitimement penser que sa demande serait formalisée lors du rendez vous du 2 septembre.
S'agissant de l'absence de résidence effective et permanente dans un local affecté à son habitation principale, il est constant qu'au moment de sa décision le préfet n'avait pas connaissance de la possibilité d'hébergement dont s'est prévalu Monsieur [B] [P] lors de la phase judiciaire au moyen, notamment, d'une attestation d'hébergement en date du 23 août 2024.
Mais le préfet, lors de sa décision d'assignation en résidence en date du 8 avril 2024, avait considéré que Monsieur [B] [P] , qui se domiciliait à l'association Spada 67, [Adresse 1] à [Localité 5], disposait 'de ce fait de garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque qu'il se soustrait à l'exécution de la décision de transfert' , de sorte qu'on peine à comprendre pourquoi cette domiciliation n'assurerait désormais plus la garantie de représentation de l'intéressé, étant observé au demeurant que celui-ci a parfaitement respecté son obligation de pointage.
Il ne saurait non plus être reproché à l'étranger de ne pas avoir respecté la mesure d'éloignement alors même que celle-ci est datée du même jour que le placement en rétention administrative.
Enfin lors de son audition, par la police, en date du 19 août 2024 Monsieur [B] [P] n'a aucun moment exprimé l'intention de ne pas exécuter la mesure d'éloignement qui allait lui être notifiée.
Le placement en rétention administrative de l'intéressé, dans ces conditions, alors même que ni l'Ofpra ni le tribunal administratif n'ont été mis en mesure d'examiner sa demande d'asile ou un éventuel recours contre l'obligation de quitter le territoire français , paraît largement précipité et disproportionné, envers un étranger, qui a remis son passeport valide aux autorités, qui a respecté son assignation à résidence, qui n'a pas eu, encore, l'occasion de se soustraire délibèrément à la mesure d'éloignement le concernant, puisqu'il a été immédiatement placé en rétention administrative, et ce, alors même qu'il ne représente aucune menace pour l'ordre public.
C'est donc de manière bien fondée que le premier juge a pu déclarer irrégulier l'arrêté de placement en rétention administrative et ordonner la remise en liberté de Monsieur [B] [P].
Sa décision sera par conséquent confirmée.
PAR CES MOTIFS :
DÉCLARONS l'appel de Mme LA PREFETE DU BAS-RHIN recevable en la forme ;
Au fond, le REJETANT,
CONFIRMONS l'ordonnance rendue par le juge de la liberté et de la détention du tribunal judiciaire de Strasbourg le 26 août 2024 ;
Prononcé à [Localité 2], en audience publique, le 28 Août 2024 à 14h38, en présence de
- Maître Karima MIMOUNI, conseil de M. [B] [P]
Le greffier, Le président,
reçu notification et copie de la présente,
le 28 Août 2024 à 14h38
l'avocat de l'intéressé
Maître Karima MIMOUNI
comparante
l'intéressé
M. [P] [B]
non-comparant
l'avocat de la préfecture
LA SELARL CENTAURE
non-représentée
EXERCICE DES VOIES DE RECOURS :
- pour information : l'ordonnance n'est pas susceptible d'opposition,
- le pourvoi en cassation est ouvert à l'étranger, à l'autorité administrative qui a prononcé le maintien en zone d'attente ou en rétention et au ministère public,
- le délai du pourvoi en cassation est de deux mois à compter du jour de la notification de la décision, ce délai étant augmenté de deux mois lorsque l'auteur du pourvoi demeure à l'étranger,
- le pourvoi en cassation doit être formé par déclaration au Greffe de la Cour de cassation qui doit être obligatoirement faite par un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation,
- l'auteur d'un pourvoi abusif ou dilatoire peut être condamné à une amende civile,
- ledit pourvoi n'est pas suspensif.
La présente ordonnance a été, ce jour, communiquée :
- à M. [B] [P] (par LRAR)
- à Me MIMOUNI Karima
- à Mme LA PREFETE DU BAS-RHIN
- à la SELARL CENTAURE AVOCATS
- à M. Le Procureur Général près la Cour de ce siège.
Le Greffier