MINUTE N° 394/24
Copie exécutoire à
- Me Raphaël REINS
Copie à M. le PG
Arrêt notifié aux parties
Le 28.08.2024
Le Greffier
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE COLMAR
PREMIERE CHAMBRE CIVILE - SECTION A
ARRET DU 28 Août 2024
Numéro d'inscription au répertoire général : 1 A N° RG 24/00657 - N° Portalis DBVW-V-B7I-IHVA
Décision déférée à la Cour : 23 Janvier 2024 par le Tribunal judiciaire de COLMAR - 1ère chambre civile
APPELANT :
Monsieur [U] [N]
[Adresse 3]
[Localité 4]
Représenté par Me Raphaël REINS, avocat à la Cour
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2024002094 du 28/05/2024 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de COLMAR)
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 805 modifié du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 01 Juillet 2024, en chambre du conseil, les parties ne s'y étant pas opposées, devant M. WALGENWITZ, Président de chambre.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
M. WALGENWITZ, Président de chambre
M. ROUBLOT, Conseiller
Mme RHODE, Conseillère
qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : Mme VELLAINE
En présence de : Mme [K] [Z], élève avocate en stage
Ministère Public :
représenté lors des débats par Mme VUILLET, substitut général, qui a fait connaître son avis et dont les réquisitions écrites ont été communiquées aux parties.
ARRET :
- Contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.
- signé par M. Franck WALGENWITZ, président et Mme Régine VELLAINE, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE :
En date du 21 juillet 2023, M. [U] [N] a fait une déclaration d'insolvabilité notoire.
Selon jugement RG 23/00037 rendu le 23 janvier 2024, le Tribunal Judiciaire de COLMAR, 1ère Chambre Civile, a rejeté sa demande, en statuant comme suit :
'- DEBOUTE Monsieur [U] [N] de sa demande tendant à l'ouverture d'une mesure de liquidation judiciaire sur le fondement de l'article L.670-1 alinéa 1 du Code de Commerce,
- LAISSE les dépens à la charge de ce dernier.'
M. [U] [N] a formé appel par voie électronique le 7 février 2024.
Vu ses conclusions d'appel et dernières conclusions datées du 1er mai 2024, transmises par voie électronique le même jour, auxquelles est joint un bordereau de communication de pièces qui n'a fait l'objet d'aucune contestation, par lesquels M. [U] [N] demande à la cour de :
'DECLARER l'appel formé par le concluant recevable et bien fondé,
FAIRE DROIT à l'ensemble des demandes du concluant,
DEBOUTER l'intimé de toute demande,
Corrélativement, INFIRMER le jugement entrepris en ce qu'il a statué comme suit :
- DEBOUTE Monsieur [U] [N] de sa demande tendant à l'ouverture d'une mesure de liquidation judiciaire sur le fondement de l'article L.670-1 alinéa 1 du Code de Commerce,
- LAISSE les dépens à la charge de ce dernier
Et, statuant à nouveau sur ces points,
Vu l'inventaire du passif, évaluant celui-ci à plus de 40 800.00 Euros,
* DIRE et JUGER Monsieur [U] [N] de bonne foi, et sa demande recevable.
* CONSTATER l'état d'insolvabilité notoire.
* CONSTATER qu'aucun plan ne peut être élaboré, faute de capacité de remboursement.
* ADMETTRE Monsieur [U] [N] au bénéfice de la liquidation judiciaire de biens par application des articles 234 de la loi du 25 janvier 1985 et des articles 22/23 et 24 de la loi du 6 juin 1924.
* FIXER provisoirement la date de cessation des paiements au 1er juillet 2023.
* DESIGNER un liquidateur judiciaire qu'il plaira au Tribunal de désigner.
* LAISSER les frais liés à la procédure de 1ère instance et d'appel à la charge du Trésor.'
Vu les dernières conclusions du ministère public datées du 4 juin 2024, transmises par voie électronique le 6 juin 2024, aux termes desquelles la confirmation de la décision déférée est demandée,
Vu l'audience du 1er juillet 2024 à laquelle l'affaire a été appelée,
Vu le dossier de la procédure, les pièces versées aux débats et les conclusions des parties auxquelles il est référé, en application de l'article 455 du code de procédure civile, pour l'exposé de leurs moyens et prétentions.
MOTIFS DE LA DECISION :
Selon l'article L.670-1 du code de commerce, les dispositions de son livre VI sont applicables aux personnes physiques domiciliées dans les départements du Haut-Rhin, Bas-Rhin et Moselle, qui n'exercent pas une activité professionnelle indépendante, lorsqu'elles sont de bonne foi et en situation d'insolvabilité notoire. On parle alors de faillite civile.
Deux conditions sont donc à remplir :
- la première réside dans la preuve d'une 'insolvabilité notoire', caractérisée lorsque des faits et circonstances extérieurs (notamment des mesures d'exécution demeurées infructueuses, mais pas exclusivement) sont de nature à accréditer l'opinion que cette insolvabilité existe et révèlent en outre un arrêt matériel des paiements et une insuffisance d'actif, mais aussi une situation patrimoniale irrémédiablement - ou durablement - compromise et sans autre issue, notamment par l'obtention de garanties, de crédit ou de délais de paiement,
- la seconde réside dans la bonne foi de la personne invoquant un état d'insolvabilité notoire ; la bonne foi est présumée, et pour qu'elle soit écartée, il convient que soit démontrée l'existence d'un élément intentionnel propre au débiteur, d'une inconséquence assimilable à une faute, qui ne peut être une simple négligence.
En l'espèce, la première condition de 'l'insolvabilité notoire' ne pose pas de difficulté. Comme l'a rappelé le premier juge, Monsieur [N] présente un passif de l'ordre de 40 000 euros, composé exclusivement de dettes contractées au titre de crédits à la consommation, en sachant qu'il ne dispose d'aucun actif.
Sa déclaration des revenus pour l'année fiscale 2022 fait apparaître un revenu de 11 656 Euros (annexes 1 et 2), constitué de sa pension de retraite, ce qui lui procure un revenu mensuel de 971 euros inférieur au seuil de pauvreté de 1 158 euros, tel que calculé pour une personne vivant seule par l'INSEE.
L'intéressé a aussi fait l'objet d'une saisie attribution dénoncée le 6 avril 2023, à la demande de la société [6] à hauteur de 6 894,42 Euros, et de saisies sur ses rémunérations effectuées entre les mains de sa caisse de retraite (CAVAMAC), au profit de [5] pour 4 287 Euros, et au profit de [7] pour 2 607,19 Euros.
Le tribunal a débouté Monsieur [N] de sa demande estimant que la seconde condition, relative à la bonne foi, n'était pas remplie.
La juridiction a fait référence à une précédente demande de liquidation judiciaire de droit local, que M. [U] [N] avait formulée le 3 mars 2021, rejetée le 23 avril 2021, au motif que le requérant - ayant contracté les trois derniers crédits renouvelables en 2019 et 2020, alors qu'il savait pertinemment qu'il ne parviendrait pas à rembourser ses précédents crédits et en ayant minoré ses charges, lorsqu'il avait rempli les fiches de renseignements afférentes - devait être considéré comme étant de mauvaise foi.
Le tribunal a considéré dans la décision déférée du 23 janvier 2024, que :
'les éléments ayant justifié le rejet (= dans la décision de 2021) pour mauvaise foi, sont toujours d'actualité. Monsieur [N] ne démontre pas avoir tenté de régler son passif ni que celui-ci ait diminué ; ses charges ont diminué car il est actuellement hébergé gratuitement.
Dès lors, en l'absence d'éléments nouveaux intervenus depuis la dernière décision, la mauvaise foi doit toujours être retenue et la demande en liquidation judiciaire de sera rejetée'.
Cependant, le tribunal ne pouvait rendre une telle décision, en indiquant que le requérant ne démontrait pas sa bonne foi, alors que selon l'article 2274 du code civil, la bonne foi est présumée et que c'est au ministère public ou au créancier de la démontrer.
Il est rappelé que pour que la mauvaise foi soit retenue, il convient de reprocher un élément intentionnel au débiteur, en particulier le fait de s'endetter en ayant conscience des problèmes ultérieurs de remboursement, au détriment des créanciers (Civ. 2ème, 11 janv. 2006 : pourvoi n o 04-04.170, Bull 9) et qu'à tout le moins, doit être rapportée la preuve d'une 'inconséquence assimilable à une faute' (Civ. 2ème, 22 mars 2007 : pourvoi n° 06- 10.061, inédit).
Or, force est de constater qu'ici, une telle preuve n'est pas rapportée, étant remarqué que la situation du débiteur a connu une modification depuis la décision rendue en 2021, en ce qu'il est désormais hébergé gratuitement et n'a plus de loyer à sa charge, ce qui laisse à penser qu'il a fait un effort pour tenter de dégager une capacité de remboursement, plus importante, peu compatible avec la mauvaise foi.
Le jugement déféré sera en conséquence infirmé en ce qu'il a rejeté la demande d'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire au bénéfice de Monsieur [N].
Les dépens de première instance et d'appel resteront à la charge du trésor public.
P A R C E S M O T I F S
La Cour,
Infirme le jugement rendu le 23 janvier 2024 par la première chambre civile du tribunal judiciaire de Colmar,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Vu l'article L 670-1 du code de commerce et les articles 22, 23 et 24 de la loi du 6 juin 1924,
Ordonne l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire civile de Monsieur [U] [N],
Fixe provisoirement la date de l'insolvabilité notoire au 31 juillet 2023,
Désigne aux fonctions de liquidateur, la SAS [Y] [1], prise en la personne de Maître [O] [Y], en qualité de mandataire judiciaire, [Adresse 2],
Renvoie l'affaire devant la 1ère chambre civile - RJLJ CIVILS du tribunal judiciaire de Colmar, en vue de désigner le juge-commissaire et de procéder aux publications légales,
Laisse les dépens de la procédure de première instance et d'appel à la charge du Trésor Public.
La Greffière : le Président :