COUR D'APPEL DE COLMAR
Chambre 6 (Etrangers)
N° RG 24/02906 - N° Portalis DBVW-V-B7I-ILLF
N° de minute : 304/24
ORDONNANCE
Nous, Anne PAULY, Présidente de Chambre à la Cour d'Appel de Colmar, agissant par délégation de la première présidente, assistée de Iman SOUFIAN, greffière placée ;
Dans l'affaire concernant :
M. [V] [Z]
né le 24 Août 1959 à [Localité 2] (Roumanie)
de nationalité roumaine
Actuellement retenu au centre de rétention de [Localité 1]
VU les articles L.141-2 et L.141-3, L.251-1 à L.261-1, L.611-1 à L.614-19, L.711-2, L.721-3 à L.722-8, L.732-8 à L.733-16, L.741-1 à L.744-17, L.751-9 à L.754-1, L761-8, R.741-1, R.744-16, R.761-5 du Code de l'Entrée et du Séjour des Etrangers et du Droit d'Asile (CESEDA) ;
VU l'arrêté pris le 17 août 2024 par M. LE PREFET DU HAUT-RHIN faisant obligation à M. [V] [Z] de quitter le territoire français ;
VU la décision de placement en rétention administrative prise le 17 août 2024 par M. LE PREFET DU HAUT-RHIN à l'encontre de M. [V] [Z], notifiée à l'intéressé le même jour à 16h55 ;
VU le recours de M. [V] [Z] daté du 21 août 2024, reçu et enregistré le même jour à 15h11 au greffe du tribunal, par lequel il demande l'annulation de la décision de placement en rétention administrative prise à son encontre ;
VU la requête de M. LE PREFET DU HAUT-RHIN datée du 21 août 2024, reçue et enregistrée le même jour à 13h55 au greffe du tribunal, tendant à la prolongation de la rétention administrative pour une durée de vingt-six jours de M. [V] [Z] ;
VU l'ordonnance rendue le 22 Août 2024 à 11h46 par le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Strasbourg, déclarant le recours de M. [V] [Z] recevable, rejetant le recours de M. [V] [Z], déclarant la requête de M. LE PREFET DU HAUT-RHIN recevable et la procédure régulière, et ordonnant la prolongation de la rétention de M. [V] [Z] au centre de rétention de Geispolsheim, ou dans tout autre centre ne dépendant pas de l'administration pénitentiaire, pour une durée de vingt-six jours à compter du 21 août 2024 ;
VU l'appel de cette ordonnance interjeté par M. [V] [Z] par voie électronique reçu au greffe de la Cour le 22 Août 2024 à 16h10 ;
VU les avis d'audience délivrés le 22 août 2024 à l'intéressé, à Maître Mathilde MESSAGEOT, avocat de permanence, à M. [G] [X], interprète en langue roumaine assermenté, à M. LE PREFET DU HAUT-RHIN et à M. Le Procureur Général ;
VU la proposition de M. LE PREFET DU HAUT-RHIN par voie électronique reçue le 23 août 2024 afin que l'audience se tienne par visioconférence ;
Le représentant de M. LE PREFET DU HAUT-RHIN, intimé, dûment informé de l'heure de l'audience par courrier électronique du 22 août 2024, n'a pas comparu, mais a fait parvenir des conclusions en date du 23 août 2024 reçues à 12h29, qui ont été communiquées au conseil de la personne retenue.
Après avoir entendu M. [V] [Z], (qui a confirmé avoir reçu notification de ses droits au centre de rétention), en ses déclarations par visioconférence et par l'intermédiaire de [G] [X], interprète en langue roumaine assermenté, Maître Mathilde MESSAGEOT, avocat au barreau de COLMAR, commise d'office, en ses observations pour le retenu et à nouveau l'appelant qui a eu la parole en dernier.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Sur ce
Le conseil de Monsieur [V] [Z] a repris et développé à l'audience les moyens figurant dans le mémoire produit à l'appui de l'appel et tendant à l'infirmation de l'ordonnance entreprise et à ce que son client soit laissé libre.
Le préfet du Haut-Rhin a transmis par l'intermédiaire de son conseil des conclusions d'intimé un mémoire en réponse au mémoire sus-visé et a conclu dès lors à la confirmation de l'ordonnance du 22 août 2024 du juge des libertés et de la détention de Strasbourg.
Il est renvoyé aux mémoires sus-visés s'agissant des moyens soulevés par Monsieur [V] [Z] e de ceux qui lui sont opposés par le préfet du Haut-Rhin.
Sur la recevabilité de l'appel
L'appel de Monsieur [V] [Z], à l'encontre de l'ordonnance rendue le 22 août 2024 à 11h 46 par le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Strasbourg, interjeté le 22 août 2024 à 16h10, est recevable pour avoir été formé dans le délai prévu à l'article R 743-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Sur le rejet par l'ordonnance entreprise de la demande d'annulation de la décision de placement en rétention
Le mémoire transmis par Monsieur [V] [Z] évoque l'insuffisante de motivation et l' erreur manifeste d'appréciation entachant la décision du Préfet du Haut-Rhin de placement en rétention au regard de l'article 6 de la CEDH et de la menace à l'ordre public
Sur l'insuffisance de la motivation
Monsieur [V] [Z] argue de la non-prise en compte de sa vulnérabilité par l'autorité préfectorable alors qu'il rencontre des problèmes pulmonaires, a été hospitalisé en juin 2024 en raison d'une méningite à méningocoque et souffre d'alcoolisme. Il souligne ne pas avoir pu s'exprimer sur sa vulnérabilité au regard de la brève durée de son audition par les services de police.
Il ne ressort pas de l'article L 741-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, imposant la prise en compte de l'état de vulnérabilité ou de handicap de l'étranger dans l'appréciation, par l'autorité administrative, du placement en rétention que le préfet soit tenu d'une motivation spéciale sur la vulnérabilité de l'étranger, le contrôle de cette obligation relevant de la légalité interne de l'acte de placement.
Au surplus s'agissant de la motivation relative à la vulnérabilité, le préfet ne peut mentionner dans sa décision que les éléments dont il a connaissance au moment où il rédige la décision de placement en rétention administrative.
En l'espèce, l'arrêté de placement en rétention administrative est motivé en relevant qu'il ne ressort d'aucun élément du dossier que l'intéressé présenterait un état de vulnérabilité qui s'opposerait à un placement en rétention. Il sera relevé à la suite du premier juge que Monsieur [V] [Z], interrogé sur d'éventuels problèmes de santé, s'était contenté de répondre : ' sinusite, bronchite, côtes cassées' et ne produisait alors aucun justificatif d'une hospitalisation évoquée. Au cours de sa garde à vue, il s'était au demeurant opposé à son examen par le médecin requis par les enquêteurs. Il avait aussi souligné en fin de garde à vue ne plus prendre de traitement.
C'est dès lors à juste titre que le premier juge a écarté ce moyen.
Sur l'erreur manifeste d'appréciation
Monsieur [V] [Z] fait valoir qu'il n'a jamais été condamné et que l'administration a commis une erreur d'appréciation en considérant qu'il présentait une menace pour l'ordre public et que de surcroît ne sont pas précisées les raisons pour lesquelles il représenterait une telle menace.
Il est constant que l'existence de mentions au Traitement des Antécédents Judiciaires ne peut être prise en compte, dès lors que ces mentions n'ont pas été suivies de condamnations.
Il convient, comme l'a relevé le premier juge, de noter que l'interpellation de Monsieur [V] [Z] est intervenue après que très fortement alcoolisé, il avait soudainement ,dans un train, menacé avec un couteau un couple de voyageurs . Il sera relevé que l'intervention d'autres voyageurs étant parvenus par surprise à le désarmer et à le plaquer au sol a été nécessaire pour mettre fin à la scène et permettre l'arrestation de l'intéressé, qui a prétendu ne pas se souvenir de la scène tout en admettant être le propriétaire du couteau qui lui avait été enlevé par les témoins.
C'est dès lors sans aucune erreur d'appréciation que l'autorité préfectorale a retenu que son comportement était de nature à menacer l'ordre public de manière actuelle, réelle et grave.
Par ailleurs, s'il est exact que Monsieur [V] [Z] fait l'objet d'une convocation par officier de police judiciaire pour une audience du 11 février 2025 du tribunal judiciaire de Mulhouse pour répondre de ces faits sous la qualification délictuelle de violences sans incapacité totale de travail sous la menace d'une arme , il est constant que les litiges concernant l'entrée, le séjour et l'éloignement des étrangers n'entrent pas dans le champ d'application de l'article 6 1 de la CEDH. Au demeurant la circonstance qu'il soit placé en rétention en vue de son éloignement ne peut être considérée comme une atteinte à son droit de comparaître à l'audience, alors qu' il lui sera loisible s'il entend comparaître en personne de solliciter un relèvement ponctuel de l'interdiction de séjour en France pour pouvoir se présenter à l'audience.
Sur la prolongation de la rétention administrative
Aux termes de l'article L742-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le maintien en rétention au-delà de quarante-huit heures à compter de la notification de la décision de placement initiale peut être autorisé, pour une durée de vingt-six jours par le juge des libertés et de la détention saisie à cette fin par l'autorité administrative
Sur l'irrégularité de la requête,
Le mémoire après avoir rappelé les dispositions de l'article R 742-1 du Ceseda rappelle qu'aux termes de l'article R 743-2 du même code, la requête de l'autorité administrative saisissant le juge des libertés et de la détention aux fins de prolongation de la rétention doit, à peine d'irrecevabilité, être motivée, datée et signée... par l'autorité administrative qui a ordonné le placement en rétention... et être accompagnée de toutes pièces justificatives utiles, notamment une copie du registre prévu à l'article L 744-2...Un juge judiciaire a pu rejeter une demande de prolongation au motif que la requête saisissant le juge des libertés et de la détention n'était pas communiquée en entier et ne comportait pas sa dernière page comportant l'identification et la signature de son auteur ne permettant pas de s'assurer que celle-ci avait bien compétence pour le faire.
En se contentant d'évoquer des dispositions textuelles et une jurisprudence sans aucunement exposer en quoi la requête ayant en l'espèce saisi le juge des libertés et de la détention de Strasbourg d'une demande tendant à la prolongation de sa propre rétention, serait irrégulière Monsieur [V] [Z] ne présente pas un moyen d'appel recevable.
De manière surabondante, il sera observé que la requête du 21 août 2024 du préfet du Haut-Rhin saisissant le juge des libertés et de la détention aux fins de première prolongation de la rétention de Monsieur [V] [Z] est motivée, datée et signée, la signataire, parfaitement identifiable, Madame [L] [T], étant, au vu de l'arrêté du Préfet du Haut-Rhin du 5 juillet 2024 publié au Recueil des actes administratifs, joint à la procédure,incontestablement titulaire d'une délégation de signature (page 9).
Sur le pouvoir renforcé de l'autorité judiciaire dans le contrôle de la rétention: examen d'office de la légalité de la rétention et recevabilité de nouveaux moyens
Le mémoire fait par ailleurs valoir qu'il incombe à l'autorité judiciaire de relever d'office l'éventuel non respect d'une condition de légalité de la rétention qui n'aurait pas été invoquée par la personne concernée.
En l'espèce, il ne ressort de l'examen précis du dossier aucune méconnaissance, par l'administration, d'une condition de légalité découlant du droit de l'Union et devant être dès lors, soulevée d'office.
Sur le caractère disproportionné de la prorogation du fait de la situation personnelle de l'intéressé
Monsieur [V] [Z] fait valoir qu'il rencontre des problèmes pulmonaires, a été hospitalisé en juin 2024 en raison d'une méningite à méningocoque et qu'il souffre d'alcoolisme.
Sont ensuite évoqués diverses décisions par lesquelles le juge judiciaire a refusé une prolongation de la rétention, l'estimant disproportionnée au regard soit d'une adresse stable étayée par des justificatifs, soit d'une communauté de vie effective et permanente avec une compagne, enceinte ou encore de l'existence d'enfants mineurs à la charge de la personne concernée.
Sur le premier point, il y a lieu d'observer que les documents médicaux désormais produits montrent que l'épisode infectieux évoqué, qui avait donné lieu à une hospitalisation du 23 juin au 5 juillet 2024, est révolu, son évolution favorable ayant permis à l'intéressé de quitter l' hôpital.
Les autres pièces médicales font apparaître que Monsieur [V] [Z] a, à diverses reprises, été conduit en service hospitalier dans des contextes d'alcoolisations aiguës en lien avec sa marginalité, l'intéressé sans domicile fixe vivant à la rue . Il sera rappelé que le centre de rétention bénéficie d'une présence médicale assurée par des médecins du CHU de [Localité 3], que l'intéressé peut consulter et que sa présence en ce lieu conduira au contraire en pratique Monsieur [V] [Z] à bénéficier de possibilités de suivi et d'un contexte de vie plus protecteurs.
Sur le second point,
La cour relève que les jurisprudences évoquées par le mémoire, qui s'abstient au demeurant de toute articulation avec les éléments de l'espèce, ne sont pas transférables au cas de Monsieur [V] [Z], l'intéressé divorcé n'ayant aucun enfant à charge ni d'ailleurs de famille en France et ne dispose d'aucune adresse.
Enfin l'intéressé est dépourvu de domicile fixe, se logeant grâce au '115", il ne détient pas de passeport et ne veut pas retourner en Roumanie. Il ressort de ces éléments qu'il ne peut bénéficier d'une assignation à résidence.
Les démarches immédiatement entreprises par l'autorité administrative ont d'ores et déjà permis d'obtenir l'identification de l'intéressé comme citoyen roumain par les autorités consulaires roumaines, lesquelles sont engagées à délivrer un laissez-passer (réponse en ce sens le 19 août 2024), une demande de routing ayant été transmise dès réception de cette réponse
Il s'ensuit que toutes diligences nécessaires ont été effectuées en temps utile par l'administration en vue de l'éloignement de Monsieur [V] [Z], qui devrait intervenir à bref délai.
Il convient dès lors de confirmer l'ordonnance du juge des libertés et de la détention de Strasbourg du 22 août 2024 prolongeant la rétention de Monsieur [V] [Z].
PAR CES MOTIFS :
DÉCLARONS l'appel de M. [V] [Z] recevable en la forme ;
au fond, le REJETONS ;
CONFIRMONS l'ordonnance rendue par le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Strasbourg le 22 Août 2024 ;
RAPPELONS à l'intéressé les droits qui lui sont reconnus pendant la rétention :
- il peut demander l'assistance d'un interprète, d'un conseil ainsi que d'un médecin,
- il peut communiquer avec son consulat et avec une personne de son choix ;
DISONS avoir informé M. [V] [Z] des possibilités et délais de recours contre les décisions le concernant.
Prononcé à Colmar, en audience publique, le 23 Août 2024 à 15h30, en présence de :
- l'intéressé par visio-conférence
- Maître Mathilde MESSAGEOT, conseil de M. [V] [Z]
- de l'interprète, lequel a traduit la présente décision à l'intéressé lors de son prononcé.
Le greffier, Le président,
reçu notification et copie de la présente,
le 23 Août 2024 à 15h30
l'avocat de l'intéressé
Maître Mathilde MESSAGEOT
comparante
l'intéressé
M. [V] [Z]
comparant par visio-conférence
l'interprète
M. [X]
comparant
l'avocat de la préfecture
LA SELARL CENTAURE
non représentée
EXERCICE DES VOIES DE RECOURS :
- pour information : l'ordonnance n'est pas susceptible d'opposition,
- le pourvoi en cassation est ouvert à l'étranger, à l'autorité administrative qui a prononcé le maintien en zone d'attente ou en rétention et au ministère public,
- le délai du pourvoi en cassation est de deux mois à compter du jour de la notification de la décision, ce délai étant augmenté de deux mois lorsque l'auteur du pourvoi demeure à l'étranger,
- le pourvoi en cassation doit être formé par déclaration au Greffe de la Cour de cassation qui doit être obligatoirement faite par un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation,
- l'auteur d'un pourvoi abusif ou dilatoire peut être condamné à une amende civile,
- ledit pourvoi n'est pas suspensif.
La présente ordonnance a été, ce jour, communiquée :
- au CRA de [Localité 1] pour notification à M. [V] [Z]
- à Maître Mathilde MESSAGEOT
- à M. LE PREFET DU HAUT-RHIN
- à la SELARL CENTAURE AVOCATS
- à M. Le Procureur Général près la Cour de ce siège.
Le Greffier
M. [V] [Z] reconnaît avoir reçu notification de la présente ordonnance
le À heures
Signature de l'intéressé