MINUTE N° 384/24
Copie exécutoire à
- Me Valérie PRIEUR
- Me Thierry CAHN
Le 24.07.2024
Le Greffier
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE COLMAR
PREMIERE CHAMBRE CIVILE - SECTION A
ARRET DU 24 Juillet 2024
Numéro d'inscription au répertoire général : 1 A N° RG 22/03631 - N° Portalis DBVW-V-B7G-H5VC
Décision déférée à la Cour : 22 Juillet 2022 par le Tribunal judiciaire de COLMAR - Chambre commerciale
APPELANT :
Monsieur [Z] [I]
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représenté par Me Valérie PRIEUR, avocat à la Cour
INTIMEE :
S.A. BANQUE POPULAIRE ALSACE LORRAINE CHAMPAGNE
prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Thierry CAHN, avocat à la Cour
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 805 modifié du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 19 Juin 2024, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme RHODE, Conseillère.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
M. WALGENWITZ, Président de chambre
M. ROUBLOT, Conseiller
Mme RHODE, Conseillère
qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : Mme VELLAINE
ARRET :
- Contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.
- signé par M. Franck WALGENWITZ, président et Mme Régine VELLAINE, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :
La SA BANQUE POPULAIRE ALSACE LORRAINE CHAMPAGNE a consenti à la SARL ALS DISTRIBUTION divers concours financiers et M. [Z] [I], son dirigeant, s'est porté caution de ces différents engagements.
Par jugement de la chambre commerciale du tribunal judiciaire de Colmar en date du 23 novembre 2021, la SARL ALS DISTRIBUTION a bénéficié de l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire.
La SA BANQUE POPULAIRE ALSACE LORRAINE CHAMPAGNE a déclaré sa créance le 4 janvier 2022.
Par assignation délivrée le 2 mars 2022, la SA BANQUE POPULAIRE ALSACE LORRAINE CHAMPAGNE a fait citer M. [Z] [I], devant la chambre commerciale du tribunal judiciaire de Colmar.
Par jugement rendu le 22 juillet 2022, le tribunal judiciaire de Colmar a :
Condamné M. [Z] [I] à payer à la SA BANQUE POPULAIRE ALSACE LORRAINE CHAMPAGNE la somme de 9 902,25 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter de l'assignation au titre du cautionnement du prêt n°05881908 en date du 3 août 2017,
Condamné M. [Z] [I] à payer à la SA BANQUE POPULAIRE ALSACE LORRAINE CHAMPAGNE la somme de 35 119,72 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter de l'assignation au titre du cautionnement du prêt n°059148999 en date du 9 août 2018,
Condamné M. [Z] [I] à payer à la SA BANQUE POPULAIRE ALSACE LORRAINE CHAMPAGNE la somme de 13 000 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter de l'assignation au titre du cautionnement tous engagements en date du 2 janvier 2019,
Condamné M. [Z] [I] à supporter les entiers dépens,
Condamné M. [Z] [I] à payer à la SA BANQUE POPULAIRE ALSACE LORRAINE CHAMPAGNE la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
Rappelé que le jugement est exécutoire de plein droit par provision.
M. [Z] [I] a interjeté appel de cette décision par déclaration déposée le 26 septembre 2022.
La SA BANQUE POPULAIRE ALSACE LORRAINE CHAMPAGNE s'est constituée intimée le 26 octobre 2022.
Dans ses dernières conclusions en date du 14 mars 2024, auxquelles est joint un bordereau de communication de pièces qui n'a fait l'objet d'aucune contestation des parties, M. [Z] [I] demande à la cour de :
DECLARER l'appel recevable et bien fondé,
Y faisant droit :
INFIRMER le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
Et, statuant à nouveau :
DEBOUTER l'intimé de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,
CONSTATER l'existence d'une disproportion manifeste entre les biens et revenus de M. [Z] [I] et le montant de l'engagement souscrit par lui au titre des actes de caution des 03.08.2017, 09.08.2018 et 09.04.2019 ;
CONSTATER l'absence de retour à meilleure fortune lors de la mise en oeuvre de l'engagement de caution,
En conséquence :
PRONONCER la déchéance de l'intimée du droit de se prévaloir des actes de caution souscrits par M. [I] les 03.08.2017, 09.08.2018 et 09.04.2019,
DEBOUTER l'intimée de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions plus amples ou contraires à l'encontre de Monsieur [I],
CONSTATER la violation de l'obligation d'information et de conseil, et du devoir de mise en garde de l'intimée à l'égard de M. [I],
DECLARER recevable et bien fondée l'action en responsabilité du fait de la violation de l'obligation d'information et de conseil ainsi que du devoir de mise en garde de la banque formée par M. [I],
CONDAMNER l'intimée à verser à l'appelant la somme de 58.021,97 € en réparation du préjudice subi du fait de la violation de son obligation d'information et de conseil ainsi que de son devoir de mise en garde,
DEBOUTER l'intimée de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,
En tout état de cause :
CONDAMNER la BANQUE POPULAIRE ALSACE LORRAINE CHAMPAGNE à verser à Monsieur [I] la somme de 2.500,00 € au titre de l'article 700,1°, du Code de procédure civile,
CONDAMNER la BANQUE POPULAIRE ALSACE LORRAINE CHAMPAGNE aux entiers dépens de première instance et d'appel, y compris l'intégralité des frais, émoluments et honoraires liés à une éventuelle exécution de l'arrêt à intervenir par voie d'huissier, et en particulier tous les droits de recouvrement ou d'encaissement visés par le Décret n° 2016-230 du 26 février 2016 relatif aux tarifs de certains professionnels du droit et au fonds interprofessionnel de l'accès au droit et à la justice, sans exclusion des droits de recouvrement ou d'encaissement à la charge du créancier.
Dans ses dernières écritures déposées le 15 mars 2023, auxquelles est joint un bordereau de communication de pièces qui n'a fait l'objet d'aucune contestation des parties, la SA BANQUE POPULAIRE ALSACE LORRAINE CHAMPAGNE demande à la cour de :
REJETER l'appel et le dire mal fondé ;
REJETER l'intégralité des demandes, fins et conclusions de Monsieur [I] ;
CONFIRMER le jugement en toutes ses dispositions ;
En tout état de cause :
CONDAMNER Monsieur [I] aux entiers frais et dépens d'appel ainsi que d'avoir à payer la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens de chacune des parties, il conviendra de se référer à leurs dernières conclusions respectives.
La clôture de la procédure a été prononcée le 15 mai 2024 et l'affaire renvoyée à l'audience de plaidoirie du 19 juin 2024.
MOTIFS DE LA DECISION :
Au préalable, la cour rappelle que :
- aux termes de l'article 954, alinéa 3, du code de procédure civile, elle ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion,
- ne constituent pas des prétentions au sens de l'article 4 du code de procédure civile les demandes des parties tendant à 'dire et juger' ou 'constater', en ce que, hors les cas prévus par la loi, elles ne sont pas susceptibles d'emporter de conséquences juridiques, mais constituent en réalité des moyens ou arguments, de sorte que la cour n'y répondra qu'à la condition qu'ils viennent au soutien de la prétention formulée dans le dispositif des conclusions et, en tout état de cause, pas dans son dispositif mais dans ses motifs, sauf à statuer sur les demandes des parties tendant à 'dire et juger' lorsqu'elles constituent un élément substantiel et de fond susceptible de constituer une prétention (2ème Civ., 13 avril 2023, pourvoi n° 21-21.463).
Sur la disproportion des engagements :
L'article L 332-1 du code de la consommation, dans sa version applicable au litige, dispose que 'un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation'.
La charge de la preuve de la disproportion incombe à la caution poursuivie qui l'invoque et celle-ci doit être appréciée à la date de l'engagement, en tenant compte de ses revenus et patrimoine ainsi que de son endettement global. Les éléments d'appréciation doivent être contemporains à la date de souscription du cautionnement (Cass. Com., 8 mars 2017, n°15-20.792).
Les cautionnements antérieurement souscrits doivent être pris en compte au titre de l'endettement, et ce, quand bien même ces cautionnements auraient été déclarés disproportionnés (Com., 8 mars 2017, pourvoi n° 15-20.792).
La banque n'a pas à vérifier les déclarations qui lui sont faites à sa demande par les personnes se proposant d'apporter leur cautionnement, sauf s'il en résulte des anomalies apparentes.
La charge de la preuve du retour à meilleure fortune incombe à la banque (Com., 13 septembre 2017, n° 15-24.283).
- Sur le cautionnement du prêt n°05881908 :
Par contrat du 3 août 2017, la SA BANQUE POPULAIRE ALSACE LORRAINE CHAMPAGNE a consenti à la SARL ALS DISTRIBUTION un crédit d'un montant de 20 000 €, remboursable en 60 échéances, moyennant un taux d'intérêt de 2,60 %.
Le même jour, M. [Z] [I], dirigeant de la SARL ALS DISTRIBUTION, s'est engagé en qualité de caution solidaire dans la limite de 26 000 €, pour une durée de 60 mois.
Il a également rempli une fiche de renseignements, aux termes de laquelle il a déclaré que :
- Il était séparé ou divorcé, sans enfant à charge,
- Il était locataire et payait un loyer, charges comprises, de 400 € par mois,
- Il était gérant d'une société, dont le capital social était de 20 000 €, tout comme le chiffre d'affaires HT du dernier exercice,
- Il disposait d'un salaire net de 1 500 € par mois,
- Il n'était pas engagé en qualité de caution,
- Son patrimoine se composait d'un fonds de commerce d'une valeur de '200 K€'.
Néanmoins, cette fiche est incomplète, dans la mesure où le tableau mentionnant le fonds de commerce n'est pas correctement rempli. Ainsi, le nom du fonds n'y est pas mentionné et la similitude entre le capital social de la société gérée par M. [Z] [I] (20 000 €) et la valeur du fonds mentionnée conduit à s'interroger sur l'existence d'une erreur.
Cette fiche comportant des anomalies, M. [I] est libre de démontrer devant la présente juridiction, quelle était sa situation financière réelle lors de son engagement (Com., 4 mai 2017, n °15-19.141).
A cette fin, il produit son avis d'impôt sur les revenus de l'année 2017, duquel il résulte que le total de ses salaires et assimilés s'élève à 5 760 €.
Il démontre en outre que, s'il dirigeait la société ALS DISTRIBUTION, il ne détenait aucune part sociale de ladite société.
Il en résulte que l'engagement de caution de M. [I] était manifestement disproportionné à ses biens et revenus.
La banque ne démontre pas qu'au jour où elle l'a appelé, le patrimoine de M. [I] lui permettait de faire face à son obligation.
- Sur le cautionnement du prêt n°059148999 :
Par contrat du 9 août 2018, la SA BANQUE POPULAIRE ALSACE LORRAINE CHAMPAGNE a consenti à la SARL ALS DISTRIBUTION, un crédit d'un montant de 50 000 €, remboursable en 60 échéances moyennant un taux d'intérêt de 1,75 %.
Le même jour, M. [Z] [I], dirigeant de la SARL ALS DISTRIBUTION, s'est engagé en qualité de caution solidaire dans la limite de 65 000 € pour une durée de 60 mois.
Il a également rempli une fiche de renseignements, aux termes de laquelle il a déclaré que :
- Il était séparé ou divorcé, sans enfant à charge,
- Il était logé par son employeur,
- Il exerçait une activité non salariée dans le domaine de la restauration depuis mars 2016, au sein d'une SARL dont le capital social était de 20 000 € et le chiffre d'affaires s'élevait à 182 000 €, il était locataire des murs et propriétaire du fonds,
- Il disposait d'un salaire net de 1 500 € par mois,
- Il était engagé en sa qualité de caution à hauteur de 23 000 €.
Ainsi, les revenus mensuels de M. [I] s'élevaient à 1 500 € et il était déjà engagé à hauteur de 23 000 €, au titre d'un précédent cautionnement.
Il en résulte que le nouvel engagement de caution de M. [I], à hauteur de 65 000 €, était manifestement disproportionné à ses biens et revenus.
La banque ne démontre pas qu'au jour où elle l'a appelé, le patrimoine de M. [I] lui permettait de faire face à son obligation.
- Sur le cautionnement 'tous engagements' :
Par contrat du 2 janvier 2019, la SA BANQUE POPULAIRE ALSACE LORRAINE CHAMPAGNE a consenti à la SARL ALS DISTRIBUTION un crédit-bail mobilier, concernant du matériel de cuisine d'une durée de 60 mois, moyennant un loyer mensuel de 558,33 € TTC.
Par ailleurs, selon convention en date du 25 avril 2016, la SARL ALS DISTRIBUTION a ouvert, dans les livres de la SA BANQUE POPULAIRE ALSACE LORRAINE CHAMPAGNE, un compte courant professionnel n°31621933931.
Par acte sous seing privé du 9 avril 2019, M. [Z] [I], dirigeant de la SARL ALS DISTRIBUTION, s'est engagé en qualité de caution solidaire de tous les engagements de la SARL ALS DISTRIBUTION, à l'égard de la SA BANQUE POPULAIRE ALSACE LORRAINE CHAMPAGNE, dans la limite de 13 000 € pour une durée de 10 ans.
Il a également rempli une fiche de renseignements, aux termes de laquelle il a déclaré que :
- Il était célibataire,
- Il était locataire et payait un loyer, charges comprises, de 400 € par mois,
- Il exerçait une activité non salariée au sein d'une SARL, dont le capital social était de 20 000 € et le chiffre d'affaires s'élevait à 182 000 €, il était locataire des murs et du fonds,
- Il percevait le RSA à hauteur de 500 € par mois,
- Il ne s'était pas porté caution.
Ainsi, les revenus mensuels de M. [I] s'élevaient à 500 €. En outre, la banque ne pouvait ignorer qu'il était engagé à hauteur de 88 000 €, au titre de précédents cautionnements.
Il en résulte que le nouvel engagement de caution de M. [I], à hauteur de 13 000 €, était manifestement disproportionné à ses biens et revenus.
La banque ne démontre pas qu'au jour où elle l'a appelé, le patrimoine de M. [I] lui permettait de faire face à son obligation.
En conséquence, le jugement déféré sera infirmé en ce qu'il a condamné M. [I] à payer à la SA BANQUE POPULAIRE ALSACE LORRAINE CHAMPAGNE la somme de 9 902,25 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter de l'assignation, au titre du cautionnement du prêt n°05881908 en date du 3 août 2017, la somme de 35 119,72 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter de l'assignation au titre du cautionnement du prêt n°059148999 en date du 9 août 2018 et la somme de 13 000 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter de l'assignation au titre du cautionnement tous engagements en date du 2 janvier 2019.
Sur les demandes accessoires :
Succombant pour l'essentiel, la SA BANQUE POPULAIRE ALSACE LORRAINE CHAMPAGNE sera tenue des entiers dépens des procédures de première instance et d'appel, la décision déférée étant infirmée de ce chef.
La demande de M. [Z] [I], tendant à voir mettre à la charge de la banque l'intégralité des frais, émoluments et honoraires liés à une éventuelle exécution de l'arrêt à intervenir par voie d'huissier, sera rejetée. En effet, la charge des frais d'une éventuelle exécution forcée est réglée par la loi et le règlement, sous le contrôle du juge de l'exécution, et il n'appartient pas à la cour de statuer par avance à cet égard.
L'équité commande de ne pas faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, le jugement déféré étant infirmé de ce chef.
P A R C E S M O T I F S
LA COUR,
INFIRME le jugement rendu le 22 juillet 2022 par le tribunal judiciaire de Colmar,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
DEBOUTE la SA BANQUE POPULAIRE ALSACE LORRAINE CHAMPAGNE de ses demandes de condamnation de M. [Z] [I], au titre du cautionnement du prêt n°05881908 en date du 3 août 2017, au titre du cautionnement du prêt n°059148999 en date du 9 août 2018 et au titre du cautionnement tous engagements en date du 2 janvier 2019,
CONDAMNE la SA BANQUE POPULAIRE ALSACE LORRAINE CHAMPAGNE aux dépens des procédures de première instance et d'appel,
DEBOUTE M. [Z] [I] de sa demande tendant à voir mettre à la charge de la banque l'intégralité des frais, émoluments et honoraires liés à une éventuelle exécution de l'arrêt à intervenir par voie d'huissier,
DEBOUTE les parties de leurs prétentions au titre des frais irrépétibles.
LA GREFFIÈRE : LE PRÉSIDENT :