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10/07/2024 | FRANCE | N°21/01823

France | France, Cour d'appel de Colmar, Chambre 1 a, 10 juillet 2024, 21/01823


MINUTE N° 351/24

























Copie exécutoire à



- Me Guillaume HARTER



- Me Thierry CAHN



Le 10.07.2024



Le Greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE COLMAR

PREMIERE CHAMBRE CIVILE - SECTION A



ARRET DU 10 Juillet 2024



Numéro d'inscription au répertoire général : 1 A N° RG 21/01823 - N° Portalis DBVW-V-B7F-HRUY



Décision déférée

à la Cour : 18 Février 2021 par le Tribunal judiciaire de STRASBOURG - 1ère chambre civile



APPELANTS :



Monsieur [L] [G]

[Adresse 2]



Madame [N] [G]

[Adresse 2]



Représentés par Me Guillaume HARTER, avocat à la Cour



INTIMEE :



S.A. CA...

MINUTE N° 351/24

Copie exécutoire à

- Me Guillaume HARTER

- Me Thierry CAHN

Le 10.07.2024

Le Greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE COLMAR

PREMIERE CHAMBRE CIVILE - SECTION A

ARRET DU 10 Juillet 2024

Numéro d'inscription au répertoire général : 1 A N° RG 21/01823 - N° Portalis DBVW-V-B7F-HRUY

Décision déférée à la Cour : 18 Février 2021 par le Tribunal judiciaire de STRASBOURG - 1ère chambre civile

APPELANTS :

Monsieur [L] [G]

[Adresse 2]

Madame [N] [G]

[Adresse 2]

Représentés par Me Guillaume HARTER, avocat à la Cour

INTIMEE :

S.A. CAISSE D'EPARGNE ET DE PREVOYANCE GRAND EST EUROPE prise en la personne de son représentant légal

[Adresse 1]

Représentée par Me Thierry CAHN, avocat à la Cour

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 805 modifié du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 13 Mai 2024, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant M. ROUBLOT, Conseiller faisant fonction de Président, et Mme RHODE, Conseillère.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

M. ROUBLOT, Conseiller faisant fonction de Président

Mme DAYRE, Conseillère

Mme RHODE, Conseillère

qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Mme VELLAINE

ARRET :

- Contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.

- signé par M. Philippe ROUBLOT, conseiller faisant fonction de Président et Mme Régine VELLAINE, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :

Par assignation délivrée le 14 octobre 2019, M [L] [G] et Mme [N] [G] ont fait citer la SA CAISSE D'EPARGNE ET DE PREVOYANCE GRAND EST EUROPE devant le tribunal de grande instance de Strasbourg, devenu le 1er janvier 2020, par application de l'article 95 de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 et de ses décrets d'application n° 2019-965 et 2019-966 du 18 septembre 2019, le tribunal judiciaire de Strasbourg.

Par jugement rendu le 18 février 2021, le tribunal judiciaire de Strasbourg a :

Déclaré irrecevables pour cause de prescription les demandes formées par M [L] [G] et Mme [N] [G],

Condamné M [L] [G] et Mme [N] [G] à payer à la SA CAISSE D'EPARGNE ET DE PREVOYANCE GRAND EST EUROPE la somme de 2 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamné M [L] [G] et Mme [N] [G] aux dépens,

Dit que la décision est exécutoire par provision,

Rejeté les autres demandes.

M. [L] [G] et Mme [N] [G] ont interjeté appel de cette décision par déclaration déposée le 31 mars 2021.

La SA CAISSE D'EPARGNE ET DE PREVOYANCE GRAND EST EUROPE s'est constituée intimée le 19 mai 2021.

Dans leurs dernières conclusions transmises par voie électronique le 12 avril 2024, auxquelles est joint un bordereau de communication de pièces qui n'a fait l'objet d'aucune contestation des parties, les consorts [G] demandent à la cour de :

- INFIRMER le jugement en ce qu'il a :

o déclaré irrecevables pour cause de prescription les demandes formées par Mme et M. [G] ;

o condamné Mme et M. [G] au paiement de la somme de 2.000 euros outre les dépens;

o rejeté les autres demandes.

Statuant à nouveau :

A titre principal :

- DECLARER abusives les clauses prévoyant le recours au franc suisse comme l'objet des obligations des parties et qu'en conséquence les stipulations qui en découlent, à savoir celles instaurant un remboursement en franc suisse, un risque de change à la charge exclusive de l'emprunteur et une variation de la dette par rapport au franc suisse s'avèrent abusives ;

- DECLARER également abusives les clauses portant taux d'intérêt égal au Libor 3 mois et portant commission de change ;

En conséquence,

- ANNEANTIR rétroactivement le prêt litigieux et ORDONNER les restitutions entre les parties et les compensations entre créances de restitution ;

- PRONONCER si le prêt n'était pas annulé l'inopposabilité des clauses abusives à M. et Mme [G] ;

- CONDAMNER en toute hypothèse la banque à restituer la différence entre le capital en euros débloqués au profit des époux [G], à savoir 200.000 euros, et tout règlement effectué par ces derniers au titre du prêt litigieux, à charge pour la société de crédit de justifier préalablement auprès du débiteur des éléments de ce calcul ;

- CONDAMNER en conséquence la Caisse d'Epargnes à verser à M. et Mme [G] la somme de 141.380 euros ;

- ENJOINDRE sinon sous astreinte de 500 euros par jour de retard la Caisse d'Epargne de produire l'historique des versements effectués par M. et Mme [G] distinguant le capital remboursé et les intérêts depuis l'origine des prêts ainsi que l'échéancier qui aurait été établi si le capital avait depuis l'origine été libellé en euros ;

A titre subsidiaire :

- JUGER que la banque a commis des fautes graves et répétées en fixant le taux d'intérêt conventionnel sans respecter les stipulations de l'offre de prêt ;

- PRONONCER en conséquence la résolution du prêt en raison de la faute de la banque et ce, depuis son origine ;

- JUGER en conséquence que M. et Mme [G] ne sont débiteurs que du capital emprunté en euros à savoir 200.000 euros sans intérêt ;

- CONDAMNER en conséquence la Caisse d'Epargnes à verser à M. et Mme [G] la somme de 141.380 euros ;

- ENJOINDRE sinon sous astreinte de 500 euros par jour de retard la Caisse d'Epargne de produire l'historique des versements effectués par M. et Mme [G] distinguant le capital remboursé et les intérêts depuis l'origine des prêts ainsi que l'échéancier qui aurait été établi si le capital avait depuis l'origine été libellé en euros ;

- CONDAMNER alors la Caisse d'Epargne à rembourser à M. et Mme [G] la somme correspondant à la différence entre le montant effectivement versé par M. et Mme [G] et le montant qui aurait dû être versé si le capital avait été depuis l'origine libellé en euros, étant précisé que l'ensemble des sommes versées par M. et Mme [G] au titre du prêt litigieux s'imputeront sur le capital emprunté en euro, à savoir 202.000 euros ;

A titre plus subsidiaire :

- JUGER que la Caisse d'Epargne n'a pas fixé le taux appliqué au prêt conformément aux stipulations contractuelles ;

- CONDAMNER la banque à rembourser les sommes qu'elle a sollicitées au titre d'intérêts contractuels indus ;

- ENJOINDRE la banque de recalculer les échéances des prêts selon le seul Libor 3 mois ;

- CONDAMNER en conséquence la Caisse d'Epargne à payer à M. et Mme [G] la somme de 141.380 euros à titre de dommages-intérêts pour manquement à l'obligation d'information et de mise en garde ;

En tout état de cause :

- CONDAMNER la Caisse d'Epargne à verser aux demandeurs la somme de 8.400 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- CONDAMNER la Caisse d'Epargne aux entiers dépens.

Dans ses dernières écritures déposées le 6 mai 2024, auxquelles est joint un bordereau de communication de pièces qui n'a fait l'objet d'aucune contestation des parties, la SA CAISSE D'EPARGNE ET DE PREVOYANCE GRAND EST EUROPE demande à la cour de :

CONFIMER la décision querellée en toutes ses dispositions,

CONSTATER la prescription comme étant acquise,

A titre subsidiaire, DIRE ET JUGER les demandes formées irrecevables et en tout état de cause non fondées,

En conséquence, DÉBOUTER les appelants-demandeurs de l'ensemble de leurs fins, moyens et conclusions,

A titre plus subsidiaire,

DIRE ET JUGER que restent dus des intérêts au taux légal majoré de 1,62 points et l'application de l'€URIBOR en tant qu'index,

CONDAMNER les époux [G] conjointement et/ou solidairement à payer à la CAISSE D'EPARGNE ET DE PREVOYANCE GRAND EST EUROPE la somme de 4 000 €, en application de l'article 700 du CPC,

LES CONDAMNER en tous les frais et dépens issus de l'instance.

Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens de chacune des parties, il conviendra de se référer à leurs dernières conclusions respectives.

La clôture de la procédure a été prononcée le 10 mai 2024 et l'affaire renvoyée à l'audience de plaidoirie du 13 mai 2024.

MOTIFS :

Au préalable, la cour rappelle que :

- aux termes de l'article 954, alinéa 3, du code de procédure civile, elle ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion,

- ne constituent pas des prétentions au sens de l'article 4 du code de procédure civile les demandes des parties tendant à 'dire et juger' ou 'constater', en ce que, hors les cas prévus par la loi, elles ne sont pas susceptibles d'emporter de conséquences juridiques, mais constituent en réalité des moyens ou arguments, de sorte que la cour n'y répondra qu'à la condition qu'ils viennent au soutien de la prétention formulée dans le dispositif des conclusions et, en tout état de cause, pas dans son dispositif mais dans ses motifs, sauf à statuer sur les demandes des parties tendant à 'dire et juger' lorsqu'elles constituent un élément substantiel et de fond susceptible de constituer une prétention (2ème Civ., 13 avril 2023, pourvoi n° 21-21.463).

En l'espèce, dans leurs conclusions, les consorts [G] font valoir que la devise suisse est utilisée comme monnaie de paiement, qu'une telle clause est illicite et que la sanction de la nullité absolue est encourue. Cette demande n'étant pas reprise au dispositif de ses conclusions, la cour n'y répondra pas.

Sur la demande au titre des clauses abusives :

Sur la prescription :

- Sur la recevabilité de l'action déclaratoire :

L'article 7, § 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, prévoit que les États membres veillent à ce que, dans l'intérêt des consommateurs ainsi que des concurrents professionnels, des moyens adéquats et efficaces existent afin de faire cesser l'utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel.

Par arrêts du 10 juin 2021 (C-776/19 à C-782/19 et C-609/19), la CJUE a dit pour droit que l'article 6, § 1, et l'article 7, § 1, de la directive 93/13, lus à la lumière du principe d'effectivité, doivent être interprétés en ce qu'ils s'opposent à une réglementation nationale soumettant l'introduction d'une demande par un consommateur aux fins de la constatation du caractère abusif d'une clause figurant dans un contrat conclu entre un professionnel et ce consommateur à un délai de prescription.

Dès lors, la demande tendant à voir réputer non écrite une clause abusive sur le fondement de l'article L132-1 précité n'est pas soumise à la prescription quinquennale de l'article 2224 du code civil.

- Sur la recevabilité de l'action restitutoire :

L'article 2224 du code civil énonce que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

Par arrêts du 10 juin 2021 (C-776/19 à C-782/19 et C-609/19), la CJUE a dit pour droit que l'article 6, § 1, et l'article 7, § 1, de la directive 93/13, lus à la lumière du principe d'effectivité, doivent être interprétés en ce qu'ils s'opposent à une réglementation nationale soumettant l'introduction d'une demande par un consommateur aux fins de la restitution de sommes indûment versées, sur le fondement de telles clauses abusives, à un délai de prescription de cinq ans, dès lors que ce délai commence à courir à la date de l'acceptation de l'offre de prêt de telle sorte que le consommateur a pu, à ce moment-là, ignorer l'ensemble de ses droits découlant de cette directive. Elle a relevé que les modalités de mise en oeuvre de la protection des consommateurs prévue par la directive 93/13 ne doivent pas être moins favorables que celles régissant des situations similaires de nature interne (principe d'équivalence) ni être aménagées de manière à rendre en pratique impossible ou excessivement difficile l'exercice des droits conférés par l'ordre juridique de l'Union (principe d'effectivité).

S'agissant de l'opposition d'un délai de prescription à une demande introduite par un consommateur, aux fins de la restitution de sommes indûment versées, sur le fondement de clauses abusives au sens de la directive 93/13, elle a rappelé avoir dit pour droit que l'article 6, § 1, et l'article 7, § 1, de cette directive ne s'opposent pas à une réglementation nationale qui, tout en prévoyant le caractère imprescriptible de l'action tendant à constater la nullité d'une clause abusive figurant dans un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur, soumet à un délai de prescription l'action visant à faire valoir les effets restitutifs de cette constatation, sous réserve du respect des principes d'équivalence et d'effectivité (CJUE, 9 juillet 2020, Raiffeisen Bank et BRD Groupe Société Générale, C-698/18 et C-699/18 ; CJUE, 16 juillet 2020, Caixabank et Banco [Localité 3] Vizcaya Argentaria, C-224/19 et C-259/19). Ainsi, l'opposition d'un tel délai n'est pas en soi contraire au principe d'effectivité, pour autant que son application ne rend pas en pratique impossible ou excessivement difficile l'exercice des droits conférés par cette directive. En conséquence, un délai de prescription est compatible avec le principe d'effectivité uniquement si le consommateur a eu la possibilité de connaître ses droits avant que ce délai ne commence à courir ou ne s'écoule.

Par arrêt du 9 juillet 2020 (C-698/18 et C-699/18), la CJUE dit pour droit que l'article 2, sous b), l'article 6, § 1, et l'article 7, § 1, de la directive 93/13/CEE ainsi que les principes d'équivalence, d'effectivité et de sécurité juridique doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une interprétation juridictionnelle de la réglementation nationale, selon laquelle l'action judiciaire en restitution des montants indûment payés sur le fondement d'une clause abusive figurant dans un contrat conclu entre un consommateur et un professionnel est soumise à un délai de prescription de trois ans qui court à compter de la date de l'exécution intégrale de ce contrat, lorsqu'il est présumé, sans besoin de vérification, que, à cette date, le consommateur devait avoir connaissance du caractère abusif de la clause en cause ou lorsque, pour des actions similaires, fondées sur certaines dispositions du droit interne, ce même délai ne commence à courir qu'à partir de la constatation judiciaire de la cause de ces actions.

S'agissant du respect du principe d'équivalence, il sera rappelé qu'en droit interne, le délai de prescription des actions en restitution, consécutives à l'annulation d'un contrat ou d'un testament, ne court qu'à compter de cette annulation, que cette annulation résulte de l'accord des parties ou d'une décision de justice (1ère Civ, 1er juillet 2015, n°14-20.369 ; 1ère Civ., 28 octobre 2015, n°14-17.893 ; 3ème Civ, 14 juin 2018, n°17-13.422 ; 1ère Civ, 13 juillet 2022 n°20-20.738).

S'agissant du principe d'effectivité, il serait contradictoire de déclarer imprescriptible l'action en reconnaissance du caractère abusif d'une clause et de soumettre la principale conséquence de cette reconnaissance à un régime de prescription la privant d'effet.

Il s'en déduit que le point de départ du délai de prescription quinquennale, tel qu'énoncé à l'article 2224 du code civil, de l'action fondée sur la constatation du caractère abusif de clauses d'un contrat de prêt libellé en devises étrangères, en restitution de sommes indûment versées doit être fixé à la date de la décision de justice constatant le caractère abusif des clauses. (Cour de cassation, 1ère chambre civile, 12 Juillet 2023, n° 22-17.030).

Concernant le moyen relatif à la sécurité juridique soulevé par la SA CAISSE D'EPARGNE ET DE PREVOYANCE GRAND EST EUROPE, il sera rappelé que :

- la prohibition des clauses abusives remonte à la directive 93/13 CEE du Conseil du 5 avril 1993, applicable à tous les contrats conclus à compter du 1er janvier 1995,

- cette directive a été transposée en droit interne par la loi n°95-96 du 1er février 1995,

- la jurisprudence tant européenne que nationale n'a fait qu'interpréter les règles européennes et nationales relatives aux clauses abusives, dont elle a éclairé et précisé la signification et la portée, telles qu'elles auraient dû être comprises depuis leur entrée en vigueur ; en conséquence, ces règles ainsi interprétées doivent être appliquées par le juge à tous les rapports juridiques nés et constitués postérieurement à cette entrée en vigueur, quand bien même ils l'ont été antérieurement à cette jurisprudence et seule la CJUE peut décider des limitations dans le temps à apporter à une telle interprétation (CJUE, 21 décembre 2016, C-154/15, C-307-15 et C-308-12),

- la Cour européenne des droits de l'Homme juge que les exigences de la sécurité juridique et de protection de la confiance légitime des justiciables ne consacrent pas de droit acquis à une jurisprudence constante (CEDH, 18 décembre 2008, Unédic c. France),

- enfin, cette jurisprudence sur l'imprescriptibilité de l'action en reconnaissance du caractère abusif d'une clause d'un contrat et sur le point de départ du délai de prescription de l'action restitutoire ne présente pas d'inconvénients manifestement disproportionnés dès lors qu'elle ne prive pas la banque de son accès au juge et de son droit à un procès équitable mais d'une partie de sa rémunération et qu'elle est sans conséquence sur son droit de propriété.

Dès lors, la décision du premier juge sera infirmée en ce qu'elle a déclaré l'action des consorts [G] fondée sur les clauses abusives irrecevable.

Sur les clauses de paiement et d'opérations de change :

- Sur le caractère abusif de la clause :

L'article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction issue de la loi du 1er février 1995, dispose que 'dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat'.

Les clauses abusives sont réputées non écrites. Le contrat restera applicable dans toutes ses dispositions autres que celles jugées abusives, s'il peut subsister sans lesdites clauses.

La Cour de Justice de l'Union Européenne a jugé que les clauses de monnaie de paiement et de monnaie de compte, qui permettent le remboursement en francs suisses, voire en monnaie nationale, relèvent de l'objet principal du contrat, dans la mesure où elles définissent cet objet principal, dès lors qu'elles décrivent et déclinent l'obligation principale de l'emprunteur.

Il en résulte que de telles clauses ne peuvent être regardées comme abusives, si elles sont rédigées de façon claire et précise. Tel sera le cas si elles sont non seulement intelligibles pour le consommateur sur un plan grammatical, mais également si le contrat expose de manière transparente le fonctionnement concret du mécanisme auquel se réfère la clause concernée.

A cet égard, la Cour de justice de l'Union européenne, dans son arrêt du 10 juin 2021 (C-776/19 à C782-19), a dit pour droit que l'article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que, dans le cadre d'un contrat de prêt libellé en devise étrangère, l'exigence de transparence des clauses qui prévoient que la devise étrangère est la monnaie de compte et que l'euro est la monnaie de paiement et qui ont pour effet de faire porter le risque de change sur l'emprunteur, est satisfaite lorsque le professionnel a fourni des informations suffisantes et exactes, permettant à un consommateur moyen de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause, et d'évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de telles clauses sur ses obligations financières pendant toute la durée de ce même contrat.

La CJUE a rappelé que le consommateur se trouvant dans une situation d'infériorité à l'égard du professionnel, en ce qui concerne son niveau d'information, cette exigence de transparence doit être entendue de manière extensive.

Ainsi, cette exigence de transparence nécessite une information concrète, suffisante et exacte qui met le consommateur en mesure de comprendre le risque encouru et ses conséquences potentielles en cas de réalisation de ce risque, exemples chiffrés et significatifs à l'appui (Cas. 1ère civ., 20 avril 2022, n°20-16.316).

Selon la Cour de Justice de l'Union Européenne, les clauses d'un contrat de prêt qui prévoient que la devise étrangère est la monnaie de compte et que l'euro est la monnaie de paiement et qui ont pour effet de faire porter le risque de change, sans qu'il soit plafonné, sur l'emprunteur, sont susceptibles de créer un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties découlant dudit contrat, au détriment du consommateur, dès lors que le professionnel ne pouvait raisonnablement s'attendre, en respectant l'exigence de transparence à l'égard du consommateur, à ce que ce dernier accepte, à la suite d'une négociation individuelle, un risque disproportionné de change qui résulte de telles clauses.

En l'espèce, les consorts [G] soutiennent qu'est abusive la clause XVII qui stipule :

- XVII 1 'L'emprunteur déclare dès à présent accepter toutes modifications de clauses du présent contrat qui découleraient d'une évolution de la réglementation des changes' ;

- XVII 2 'Il est expressément convenu entre les parties que l'emprunteur assume totalement les conséquences du changement de parité entre la devise empruntée et le franc français susceptibles d'intervenir jusqu'au complet remboursement du prêt' ;

- XVII 3 'Tous les remboursements en capital tous les paiements d'intérêts de commissions ou autres frais et accessoires devront avoir lieu dans la devise empruntée. Les échéances seront débitées sur tout compte en devises ouvert au nom de l'un quelconque des emprunteurs dans les livres du prêteur et notamment sur le compte de prélèvement indiqué aux conditions particulières de l'offre. Si le compte en devises ne présente pas la provision suffisante au jour de l'échéance, le prêteur est en droit de convertir le montant de l'échéance impayée en francs français et de prélever le montant sur tout autre compte ouvert dans les livres du prêteur au nom de l'emprunteur ou du coemprunteur' ;

- XVII 6 'L'emprunteur pourra demander au prêteur la conversion du prêt en francs français sous préavis de 30 jours minimum (.). Les caractéristiques du taux d'intérêts seront négociées entre les parties à ce moment-là étant précisé qu'à défaut d'accord, l'emprunteur devra à son choix poursuivre le prêt en devises ou le rembourser par anticipation'.

Cette clause, insérée dans un contrat de crédit conclu dans une devise étrangère entre un professionnel et un consommateur sans avoir fait l'objet d'une négociation individuelle, aux termes de laquelle le crédit doit être remboursé dans cette même devise détermine la nature même de l'obligation de remboursement de l'emprunteur et elle porte ainsi sur l'objet principal du contrat de prêt de sorte qu'il convient d'examiner, en vertu de ce qui précède, si elle est rédigée de manière claire et compréhensible, et ce, en tenant compte des autres clauses en regard desquelles elle doit s'interpréter et, dans l'hypothèse où tel n'est pas le cas si elle crée un déséquilibre significatif au détriment de l'emprunteur.

Cette exigence ne se réduit pas au seul caractère compréhensible sur les plans formel et grammatical puisque le contrat doit également exposer de manière transparente le fonctionnement concret du mécanisme auquel se réfère la clause aux fins que le consommateur soit en mesure d'évaluer, sur le fondement de critères précis et intelligibles, les conséquences économiques envisageables qui en découlent pour lui.

Il y a lieu d'abord d'observer qu'en dépit de ce que la clause affirme que 'Tous les paiements en principal, intérêts et accessoires devront avoir lieu en bonnes espèces ayant cours légal à la caisse de la créancière en son siège social' soit en franc français ou en euro - pour satisfaire à la prohibition de l'usage d'une monnaie étrangère en tant qu'instrument de paiement et non pas seulement en tant qu'unité de compte - elle prévoit, en contradiction avec cette assertion, que tous les remboursements auront lieu dans la devise empruntée, que les échéances seront débitées à titre principal sur tout compte en devises de l'emprunteur et, seulement subsidiairement, sur un compte en francs ou en euros.

Il ne peut ensuite qu'être constaté que le contrat de prêt litigieux ne contient aucune information sur la manière dont la clause est concrètement mise en oeuvre, sur la manière d'effectuer les remboursements en francs suisses, alors même qu'il n'est pas contesté que les appelants ne percevaient que des revenus en francs français puis en euros, et ce, alors qu'il faut nécessairement que des conversions interviennent et qu'en conséquence un taux de change soit appliqué.

La seule mention, selon laquelle le concours financier sera réalisé conformément à la réglementation des changes en vigueur au jour de la réalisation, est notoirement imprécise et laisse l'emprunteur dans l'expectative quant au taux de change pris en compte, quant au moment exact de la prise en compte de la variation de ce taux de change pour que soit opérée une conversion et quant aux modalités selon lesquelles il peut en être informé.

Au-delà du contrat de prêt lui-même, aucune pièce ne permet d'établir que les consorts [G] ont été destinataires d'informations à cet égard et il est singulier que la banque n'ait pas même produit aux débats, au-delà du tableau d'amortissement prévisionnel, les modalités selon lesquelles les intérêts ont été effectivement payés en exécution du prêt et sur quelle base en matière de taux de change, de même que sa réclamation du solde du prêt dans son décompte du 8 février 2021 est fondée sur le taux de change audit jour.

En dehors de la laconique et sommaire stipulation du contrat de prêt, selon laquelle il est expressément convenu que l'emprunteur assume les conséquences du changement de parité entre la devise empruntée et le franc français, qui pourrait intervenir jusqu'au complet remboursement du prêt, la banque ne justifie pas avoir communiqué la moindre information sur les éléments fondamentaux tenant au risque de change, susceptibles d'avoir une incidence sur la portée de l'engagement permettant aux emprunteurs d'évaluer notamment le coût total potentiel de l'emprunt et de prendre conscience des difficultés auxquelles ils seraient confrontés en cas de dévaluation de la monnaie dans laquelle ils percevaient leurs revenus.

Aucune information pertinente, aucun exemple chiffré n'est ainsi communiqué permettant aux consorts [G] d'évaluer les conséquences économiques de la clause sur leurs obligations financières.

Il résulte de ce qui précède, d'une part, que la clause sur les dispositions propres aux crédits en devises, même éclairée par les autres stipulations du contrat de prêt, n'est pas rédigée de manière claire et qu'elle n'est pas intelligible en elle-même car lacunaire pour l'emprunteur puisqu'il est vain pour quiconque d'y rechercher avec succès la détermination exacte des opérations de change nécessaires à l'exécution du prêt.

D'autre part, la stipulation d'une telle clause institue un déséquilibre significatif entre la banque prêteuse et les emprunteurs, en ce que ces derniers ne sont pas mis en mesure d'envisager les conséquences prévisibles et significatives de la fluctuation des monnaies sur leurs obligations et n'ont pas été suffisamment informés des mécanismes de change dans l'hypothèse d'une dépréciation importante de l'euro, dans laquelle ils percevaient leurs revenus par rapport au franc suisse.

Dans ces conditions, la banque ne pouvait raisonnablement s'attendre à ce que les consorts [G] acceptent ce risque de change disproportionné s'ils avaient été correctement informés.

Aussi, la Cour déclare les clauses litigieuses consacrées au remboursement du crédit abusives, donc non écrites.

- Sur les conséquences du caractère abusif de la clause :

Les alinéas 6 et 8 de l'article L 132-1 ancien du code de la consommation disposent que les clauses abusives sont réputées non écrites et que le contrat restera applicable dans toutes ses dispositions autres que celles jugées abusives, s'il peut subsister sans lesdites clauses.

Suite à la reconnaissance du caractère abusif et non écrit des clauses litigieuses, ni le remboursement en devises, ni l'intérêt stipulé ou d'intérêts au taux légal majoré, ne peuvent subsister, en ce que ces clauses sont consubstantielles au contrat de prêt qui ne saurait survivre sans elles. Dès lors, l'anéantissement rétroactif du contrat de crédit sera prononcé.

La cour de cassation a retenu dans son arrêt du 12 juillet 2023 (Cass. 1ère civ., 12 juill. 2023, n° 22-17.030), qu'il convenait de condamner le consommateur à restituer la contre-valeur en euros de la somme prêtée, selon le taux de change applicable à la date de la mise à disposition des fonds et de condamner la banque à restituer la contre-valeur en euros de chacune des sommes perçues, en exécution du prêt selon le taux de change applicable au moment de chacun des paiements, le différentiel dû après compensation portant ensuite intérêt au taux légal à compter de la signification de l'arrêt avec capitalisation.

Ainsi, il y aura lieu de condamner les consorts [G] à restituer à la SA CAISSE D'EPARGNE ET DE PREVOYANCE GRAND EST EUROPE la contre-valeur en euros, selon le taux de change à la date de mise à disposition des fonds en 1999, de la somme qui leur a été prêtée de 322 000 francs suisses.

La SA CAISSE D'EPARGNE ET DE PREVOYANCE GRAND EST EUROPE sera, quant à elle, condamnée à restituer aux consorts [G], toutes les sommes perçues en exécution du prêt, soit la contre-valeur en euros de chacune des sommes perçues selon le taux de change applicable au moment de chacun des paiements.

Il est cohérent, de surcroît, d'ordonner la compensation des sommes dues réciproquement, et d'assortir la somme résiduelle de l'intérêt légal, à compter de la signification du présent arrêt.

S'agissant de la demande de faire injonction à la banque de produire l'historique des versements effectués par les consorts [G], distinguant le capital remboursé et les intérêts depuis l'origine du prêt, cette demande relève de l'exécution de la présente décision, et il n'y a donc pas lieu d'y faire droit.

Compte tenu du fait que la demande principale des consorts [G] a été accueillie, leurs demandes formulées au titre de la clause LIBOR, de l'inopposabilité des clauses, leurs demandes formulées à 'titre subsidiaire' (résolution du prêt) et 'plus subsidiaire' (recherche de la responsabilité de la banque), deviennent sans objet.

Sur les demandes accessoires :

Le jugement sera infirmé.

Succombant, la SA CAISSE D'EPARGNE ET DE PREVOYANCE GRAND EST EUROPE sera condamnée aux entiers dépens des procédures de première instance et d'appel.

La SA CAISSE D'EPARGNE ET DE PREVOYANCE GRAND EST EUROPE sera condamnée à payer aux consorts [G], la somme de 5 000 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

La SA CAISSE D'EPARGNE ET DE PREVOYANCE GRAND EST EUROPE sera déboutée de ses prétentions au titre des dépens et frais irrépétibles.

P A R C E S M O T I F S

LA COUR,

INFIRME le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Strasbourg en date du 18 février 2021,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

DECLARE M. [L] [G] et Mme [N] [G] recevables en leurs actions déclaratoires et restitutoires dirigées à l'encontre de la SA CAISSE D'EPARGNE ET DE PREVOYANCE GRAND EST EUROPE,

DECLARE abusives et non écrites les clauses de l'offre et contrat de prêt immobilier émises le 25 mai 1999 par la CAISSE D'EPARGNE D'ALSACE, aux droits de laquelle vient la SA CAISSE D'EPARGNE ET DE PREVOYANCE GRAND EST EUROPE, en direction de M. [L] [G] et Mme [N] [G],

PRONONCE l'anéantissement rétroactif du contrat de crédit,

CONDAMNE M. [L] [G] et Mme [N] [G] à restituer à la SA CAISSE D'EPARGNE ET DE PREVOYANCE GRAND EST EUROPE la contre-valeur en euros, selon le taux de change à la date de mise à disposition des fonds en 1999, de la somme qui lui a été prêtée de 322 000 francs suisses,

CONDAMNE la SA CAISSE D'EPARGNE ET DE PREVOYANCE GRAND EST EUROPE à restituer à M. [L] [G] et Mme [N] [G], toutes les sommes perçues en exécution du prêt, soit la contre-valeur en euros de chacune des sommes perçues selon le taux de change applicable au moment de chacun des paiements,

ORDONNE la compensation des sommes dues réciproquement, et ASSORTIT la somme résiduelle de l'intérêt légal, à compter de la signification du présent arrêt,

DEBOUTE la SA CAISSE D'EPARGNE ET DE PREVOYANCE GRAND EST EUROPE de sa demande au titre des intérêts,

CONDAMNE la SA CAISSE D'EPARGNE ET DE PREVOYANCE GRAND EST EUROPE aux dépens des procédures de première instance et d'appel,

CONDAMNE la SA CAISSE D'EPARGNE ET DE PREVOYANCE GRAND EST EUROPE à payer à M. [L] [G] et Mme [N] [G] la somme de 5 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

DEBOUTE la SA CAISSE D'EPARGNE ET DE PREVOYANCE GRAND EST EUROPE de ses prétentions au titre des dépens et frais irrépétibles.

LA GREFFIÈRE : LE CONSEILLER :


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Colmar
Formation : Chambre 1 a
Numéro d'arrêt : 21/01823
Date de la décision : 10/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 22/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-07-10;21.01823 ?
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