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03/07/2024 | FRANCE | N°19/02866

France | France, Cour d'appel de Colmar, Chambre 1 a, 03 juillet 2024, 19/02866


MINUTE N° 341/24





























Copie exécutoire à



- Me Christine LAISSUE -STRAVOPODIS



- Me Laurence FRICK





Le 03.07.2024



Le Greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE COLMAR

PREMIERE CHAMBRE CIVILE - SECTION A



ARRET DU 03 Juillet 2024



Numéro d'inscription au répertoire général : 1 A N° RG 19/02866 - N° Portalis DBVW-V-B7D-

HDYD



Décision déférée à la Cour : 14 Mai 2019 par le Tribunal de Grande Instance de MULHOUSE - 1ère chambre civile



APPELANTE - INTIMEE INCIDEMMENT :



Madame [O] [J]

[Adresse 1]

[Localité 4]



Représentée par Me Christine LAISSUE-STRAVOPODIS, a...

MINUTE N° 341/24

Copie exécutoire à

- Me Christine LAISSUE -STRAVOPODIS

- Me Laurence FRICK

Le 03.07.2024

Le Greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE COLMAR

PREMIERE CHAMBRE CIVILE - SECTION A

ARRET DU 03 Juillet 2024

Numéro d'inscription au répertoire général : 1 A N° RG 19/02866 - N° Portalis DBVW-V-B7D-HDYD

Décision déférée à la Cour : 14 Mai 2019 par le Tribunal de Grande Instance de MULHOUSE - 1ère chambre civile

APPELANTE - INTIMEE INCIDEMMENT :

Madame [O] [J]

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Christine LAISSUE-STRAVOPODIS, avocat à la Cour

Avocat plaidant : Me FLEURY, avocat au barreau de PARIS

INTIMEE - APPELANTE INCIDEMMENT :

CAISSE DE CREDIT MUTUEL [Localité 3] SAINT PAUL

prise en la personne de son représentant légal

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Laurence FRICK, avocat à la Cour

Avocat plaidant : Me LUTZ, avocat au barreau de STRASBOURG

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 13 Mai 2024, en audience publique, un rapport de l'affaire ayant été présenté à l'audience, devant la Cour composée de :

M. WALGENWITZ, Président de chambre

M. ROUBLOT, Conseiller

Mme RHODE, Conseillère

qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Mme VELLAINE

ARRET :

- Contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.

- signé par M. Franck WALGENWITZ, président et Mme Régine VELLAINE, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES :

Suivant offre de prêt émise le 4 novembre 2004, Mme [O] [J] a souscrit auprès de l'Association coopérative Caisse de Crédit Mutuel [Localité 3] Saint Paul (le Crédit Mutuel), un prêt immobilier, destiné à financer un investissement immobilier portant sur un immeuble sis à [Localité 5] en vue de bénéficier d'une mesure de défiscalisation.

D'un montant de 213.000 CHF, il était remboursable in fine moyennant une échéance unique en capital de 213.000 CHF payable le 31 octobre 2019 et des intérêts et cotisations d'assurance payables mensuellement, moyennant un taux d'intérêt de 2,230 % l'an, indexé sur l'indice Libor 3 Mois.

Avec un taux effectif global (TEG) annoncé dans l'offre de prêt de 2,871 % l'an, le remboursement du prêt était garanti, notamment, par le nantissement, au profit de la banque, d'un 'PLAN ASSUR'.

Suivant acte d'huissier délivré le 10 avril 2015, et sur le fondement, notamment, des articles 1 134, 1147 du code civil, L312-1 et suivants, L311-10 et R313-1, L131-1 et L313-2 du Code de la consommation, L112-2 du Code monétaire et financier, Mme [J] sollicitait, avec le bénéfice de l'exécution provisoire, que le Tribunal de grande instance de Mulhouse déclare certaines dispositions contractuelles abusives et réputées non écrites et condamne la banque à des dommages et intérêts.

Par jugement du 14 mai 2019, le tribunal de grande instance de MULHOUSE a :

- DIT que les règles relatives à la prescription n'ont pas vocation à s'appliquer à une demande tendant à voir des stipulations d'offres de prêt, réputées non écrites au sens de l'article L132-1 du code de la consommation.

- REJETE la demande formée par Mme [O] [J] tendant à voir réputées non écrites les clauses 5.3 et 11.5 incluses dans l'offre de prêt émise le 4 novembre 2004.

- REJETE en conséquence la demande formée par Mme [O] [J], tendant à voir jugé que l'ensemble des paiements intervenus depuis l'origine des remboursements est réputé être intervenu en euros et à ce qu'il soit ordonné à l'Association coopérative Caisse de Crédit Mutuel [Localité 3] Saint Paul de recalculer les paiements sur ces bases.

- DIT que l'action en nullité de la stipulation prévoyant un remboursement en francs suisses, formée par Mme [O] [J] est irrecevable pour être prescrite.

- REJETE en conséquence la demande de condamnation de l'Association coopérative Caisse de Crédit Mutuel [Localité 3] Saint Paul à recalculer depuis l'origine, les écrits en euros.

- DIT que l'action en responsabilité formée par Mme [O] [J] au titre de manquements de l'Association coopérative Caisse de Crédit Mutuel [Localité 3] Saint Paul aux obligations d'information, de conseil et de mise en garde, est irrecevable pour être prescrite.

- REJETE en conséquence la demande de dommages et intérêts formée par Mme [O] [J] à hauteur de 65.233,00 euros.

- DIT que l'action en responsabilité formée par Mme [O] [J] au titre de manquements de l'Association coopérative Caisse de Crédit Mutuel [Localité 3] Saint Paul à la mise en place d'instruments de couverture, est irrecevable pour être prescrite.

- REJETE en conséquence la demande en réparation formée par Mme [O] [J] à hauteur de 30.000 euros.

- DIT que l'action en déchéance du droit du prêteur aux intérêts contractuels, formée par Mme [O] [J] au titre de l'article L312-8 2 ter du code de la consommation, est irrecevable pour être prescrite.

- DIT que l'action en déchéance du droit du prêteur aux intérêts contractuels, formée par Mme [O] [J] au titre de l'article L312-8 avant dernier alinéa du code de la consommation, est irrecevable pour être prescrite.

- DIT que la demande tendant à voir jugé nulle la clause d'indexation sur le LIBOR 3 Mois est irrecevable pour être prescrite.

- REJETE en conséquence la demande de déchéance du droit du prêteur aux intérêts conventionnels.

- DIT que l'action en déchéance du droit du prêteur aux intérêts conventionnels, formée par Mme [O] [J], au motif que le taux effectif global affiché dans l'offre de prêt n'intègre ni les frais d'assurance incendie, ni le coût du nantissement de valeurs mobilières, est irrecevable pour être prescrite.

- DIT que l'action en nullité de la stipulation d'intérêts conventionnels au titre d'irrégularités affectant le taux effectif global est irrecevable pour être prescrite, sauf en ce qui concerne le non-respect du calcul actuariel du taux effectif global.

- REJETE l'action en nullité de la stipulation d'intérêts conventionnels au titre du non-respect du calcul actuariel du taux effectif global.

- DIT que l'action subsidiaire en déchéance du droit du prêteur aux intérêts conventionnels au titre d'irrégularités affectant le taux effectif global est irrecevable pour être prescrite, sauf en ce qui concerne le non-respect du calcul actuariel du taux effectif global.

- REJETE l'action subsidiaire en déchéance du droit du prêteur aux intérêts conventionnels au titre du non-respect du calcul actuariel du taux effectif global.

- REJETE en conséquence la demande formée par Mme [O] [J] de substitution du taux de l'intérêt légal au taux contractuel ainsi que la demande tendant à voir ordonner la réouverture des débats avec injonction aux prêteurs de deniers de produire un tableau d'amortissement des crédits accordés rémunérés au taux de l'intérêt légal en vigueur à la date de la décision à intervenir et à dire que les paiements effectués s'imputeront sur le capital emprunté selon ledit tableau.

- CONDAMNE Mme [O] [J] à payer à l'Association coopérative Caisse de Crédit Mutuel [Localité 3] Saint Paul la somme de 1.200,00 euros (MILLE DEUX CENTS EUROS) au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

- REJETE la demande formée par Mme [O] [J] au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

- CONDAMNE Mme [O] [J] aux dépens.

- REJETE toutes autres demandes plus amples ou contraires formées par les parties.

- DIT n'y avoir lieu à exécution provisoire de la présente décision.

Par déclaration faite au greffe le 20 juin 2019, Mme [O] [J] a interjeté appel de ce jugement.

Par déclaration faite au greffe en date du 5 juillet 2019, la Caisse de Crédit Mutuel [Localité 3] Saint Paul s'est constituée intimée.

Par un arrêt du 23 août 2021, la Cour d'Appel de Colmar a ordonné la réouverture des débats et prononcé le rabat de l'ordonnance de clôture, afin que les arrêts rendus le 10 juin 2021 soient versés aux débats et que les parties présentent leurs observations sur les conséquences éventuelles de ces arrêts sur la résolution du présent litige.

Par un arrêt du 8 juin 2022, la Cour d'Appel de Colmar a ordonné la réouverture des débats, et prononcé le rabat de l'ordonnance de clôture, afin que les arrêts rendus par la Cour de Cassation le 30 mars 2022 et le 20 avril 2022, soient versés aux débats et que les parties présentent leurs observations sur les conséquences éventuelles de ces arrêts sur la résolution du présent litige.

Par ses dernières conclusions en date du 2 mars 2023, auxquelles a été joint le bordereau de communication de pièces récapitulatif qui n'a fait l'objet d'aucune contestation, Mme [O] [J] sollicite l'infirmation de la décision au fond, pour que soit reconnu le caractère abusif des clauses d'indexation et de change du prêt litigieux, subsidiairement que les clauses du contrat (fixation du TEG) soit annulées et plus subsidiairement encore, que la banque soit condamnée pour défaut à son obligation de conseil (défaut d'information, de mise en garde, sur le risque de change), précision donnée qu'outre le prêt de 213 000 francs suisses objet de la première décision, elle souhaite que la cour statue également sur un second prêt de 175 000 francs suisses, qu'elle a contracté auprès de la même banque.

Aussi, elle demande à la Cour de :

- INFIRMER la décision du tribunal de grande instance de Mulhouse du 14 mai 2019 en ce qu'elle a débouté Madame [J] de ses demandes ;

STATUANT A NOUVEAU :

- JUGER que les dispositions contractuelles :

5.3 'Tous remboursements en capital, paiement des intérêts et des commissions et cotisations d'assurances auront lieu dans la devise empruntée'.

§ 11.5 'Il est expressément convenu que l'emprunteur assume les conséquences du changement de parité entre la devise empruntée et l'Euro, qui pourrait intervenir jusqu'au complet remboursement du prêt'.

o Ne sont ni claires ni compréhensibles par le consommateur à qui elles s'adressent.

o Créent un déséquilibre au détriment de ce dernier qui n'est pas en mesure d'évaluer les conséquences financières qui en découlent pour lui.

o Sont abusives et doivent être réputées non écrites.

Par conséquent,

- DECLARER les clauses 5.3 et 11.5 des contrats de prêts abusives et réputées non écrites.

- ECARTER les effets de ces clauses 5.3 et 11.5, et Juger que Mme [O] [J] n'est pas liée par les effets de ces dispositions.

En conséquence de quoi,

- CONDAMNER le Crédit Mutuel à restituer l'intégralité des fonds versés par Madame [J] dans le cadre du remboursement des prêts 200645-002-03 et 200645-001-02.

- JUGER que le remboursement de Madame [J] sera limité à la somme de 133.000 euros pour le prêt 200645-002-03 et la somme de 111.664 euros pour le prêt 200645-001-02.

SUBSIDIAIREMENT :

- ANNULER la stipulation des intérêts conventionnels et juger que le remboursement du crédit aura à être recalculé en Euro depuis l'origine.

- CONDAMNER le Crédit Mutuel à restituer l'intégralité des fonds versés par Mme [J] dans le cadre du remboursement des prêts 200645-002-03 et 200645-001-02.

- JUGER que le remboursement de Mme [J] sera limité à la somme de 133.000 euros pour le prêt 200645-002-03 et la somme de 111.664,00 euros pour le prêt 200645001-02.

PLUS SUBSIDIAIREMENT :

- DIRE ET JUGER que le CRÉDIT MUTUEL a manqué à ses obligations d'information, de conseil et de mise en garde sur les risques spéciaux et anormaux auxquels l'offre de crédit du 4 novembre 2004 a exposé l'emprunteur, et engagé sa responsabilité de ce chef.

- CONDAMNER le CREDIT MUTUEL à restituer l'intégralité des fonds versés par Mme [O] [J] dans le cadre du remboursement des prêts 200645-002-03 et 200645-001-02 à titre de dommages et intérêts.

- JUGER que le remboursement de Mme [O] [J] sera limité à la somme de 133.000,00 euros pour le prêt 200645-002-03 et la somme de 111.664 euros pour le prêt 200645-001-02.

EN TOUT ETAT DE CAUSE :

- DIRE ET JUGER que l'offre de crédit immobilier du 4 novembre méconnait formellement les exigences issues de dispositions de l'article L.312-8 2 ter du Code de la consommation, en ce qu'aucun de ce document ne prévoit d'exemples chiffrés relatif à la variation du taux effectif global.

- DECHOIR de ce chef l'émetteur de l'offre de son droit aux intérêts contractuels.

- DIRE ET JUGER que l'offre de crédit immobilier du 4 novembre méconnait formellement les exigences issues de dispositions des articles L.312-8 4° et L.313-1 du Code de la consommation, l'évaluation des assurances et frais de garantie indiqués ne tiennent pas compte de l'ensemble des assurances et garanties exigées.

- DECHOIR de ce chef l'émetteur de l'offre de son droit aux intérêts contractuels.

- DIRE ET JUGER que l'offre de crédit immobilier du 4 novembre méconnait formellement les exigences issues de dispositions de l'article L.312-8 avant dernier alinéa du Code de la consommation, en ce qu'aucune nouvelle offre n'a été émise.

- DECHOIR de ce chef l'émetteur de l'offre de son droit aux intérêts contractuels.

- DIRE ET JUGER nulle la clause d'indexation LIBOR 3 mois en raison de la fictivité du recours à cet indice compte tenu de l'activité des parties.

- DECHOIR en conséquence l'émetteur de l'offre de son droit aux intérêts contractuels.

- En outre, DIRE, ET JUGER que le TEG mentionné à l'offre de crédit immobilier émise par le CRÉDIT MUTUEL, et porté à la connaissance de l'emprunteur, est erroné.

- ANNULER les stipulations ayant mis à la charge de l'emprunteur un intérêt contractuel contenu dans l'offre de crédit immobilier du 4 novembre 2004.

- ORDONNER subsidiairement la déchéance des intérêts de ce contrat de crédit depuis l'origine de l'amortissement.

EN TOUT ÉTAT DE CAUSE :

- DIRE ET JUGER qu'en exposant Mme [O] [J] à des risques de marché et de change tout en s'abstenant de mettre en place les instruments de couverture adéquats permettant de limiter raisonnablement les risques sous-jacents, le CRÉDIT MUTUEL, qui dispose d'une parfaite maîtrise de ces instruments, a engagé une responsabilité envers l'emprunteur.

- CONDAMNER de ce chef le CRÉDIT MUTUEL à réparer le préjudice de souffrance causé à l'emprunteur, et l'évaluer à la somme de 30.000 euros.

- CONDAMNER le CRÉDIT MUTUEL à réparer le préjudice financier subi par Mme [J] à hauteur de 50.000 euros.

- CONDAMNER le CRÉDIT MUTUEL à payer la somme de 25.000 euros au titre des frais irrépétibles visés aux dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

- CONDAMNER le CRÉDIT MUTUEL aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Par ses dernières conclusions en date du 5 septembre 2023, auxquelles a été joint le bordereau de communication de pièces récapitulatif qui n'a fait l'objet d'aucune contestation, la CAISSE DE CREDIT MUTUEL [Localité 3] SAINT PAUL demande à la Cour de :

- DECLARER les demandes de Madame [O] [J] relatives à un prêt de 175.000 CHF irrecevables, car nouvelles, ayant été formulées pour la première fois devant la Cour.

Statuant sur l'appel principal :

- DECLARER l'appel mal fondé.

- DEBOUTER Madame [O] [J] de toutes ses fins et prétentions.

- CONFIRMER le jugement entrepris en toutes ses dispositions, sauf celle déclarant l'action fondée sur les clauses abusives imprescriptible.

- CONDAMNER Mme [O] [J] à payer à la CAISSE DE CREDIT MUTUEL [Localité 3] SAINT PAUL d'une indemnité de 6.000 euros au titre de l'article 700 du CPC.

- CONDAMNER Mme [O] [J] aux entiers frais et dépens.

Statuant sur l'appel incident formé par la CCM concluante :

- DECLARER l'appel incident recevable.

- DECLARER l'appel incident bien fondé.

- INFIRMER le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré l'action restitutoire fondée sur les clauses abusives imprescriptible.

Et statuant à nouveau dans cette limite :

- DECLARER l'action restitutoire fondée sur les clauses abusives prescriptible et en l'espèce prescrite, et de ce fait irrecevable.

- En toute hypothèse, REJETER l'action fondée sur les clauses abusives.

- Subsidiairement, DECLARER que la suppression de clauses abusives ne peut affecter une situation acquise depuis plus de 5 ans avant l'assignation, respectivement les conclusions adverses, et DIRE que le taux de change euro/CHF ne peut être inférieur à celui du 12.07.2023.

- CONFIRMER le jugement entrepris pour le surplus.

- CONDAMNER Mme [O] [J] sur appel incident à payer à la CAISSE DE CREDIT MUTUEL [Localité 3] SAINT PAUL d'une indemnité supplémentaire de 2.500 euros au titre de l'article 700 du CPC.

- CONDAMNER Mme [O] [J] aux entiers frais et dépens de l'appel incident.

L'ordonnance de clôture de la procédure est finalement intervenue le 22 septembre 2023.

L'affaire a été retenue à l'audience du 13 mai 2024.

Pour un plus ample exposé des faits et des prétentions respectives des parties, il sera fait renvoi à leurs conclusions respectives.

MOTIFS :

1) Sur un rappel du contexte et sur le périmètre de l'appel :

La cour rappelle, tout d'abord, que Madame [O] [J] est un emprunteur qui ne possédait pas de ressources en francs suisses, ni au jour de la signature du prêt, ni tout au long de la vie passée du prêt.

La décision de première instance portait sur l'offre de prêt immobilier 200645-002-03 émise par la Caisse de Crédit Mutuel [Localité 3] Saint Paul, qu'elle avait acceptée le 25 novembre 2004, d'un montant de 213 000 francs suisses (CHF), payable en une échéance unique de capital fixé au 30 octobre 2019, les cotisations d'assurance et les intérêts indexés sur le Libor trois mois en francs suisses majorés d'une marge de 1,50 % s'établissant initialement à 2,23 % l'an, étant payables mensuellement.

Ce prêt était destiné à financer l'acquisition d'un bien immobilier situé à [Localité 5], le remboursement du prêt étant garanti par le nantissement d'un plan de capitalisation souscrit distinctement par l'emprunteur et par une hypothèque conventionnelle sur le bien financé.

L'emprunteur a saisi la juridiction de première instance pour contester la validité de certaines clauses de ce prêt, sans jamais faire état de l'existence d'un deuxième prêt (200645 -001-02), d'un montant de 175 000 euros, qu'elle a également contracté auprès de l'intimée, dans le cadre de la même opération d'investissement immobilier.

Aux termes de l'article 564 du code de procédure civile, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait. En outre, il résulte des articles 565 et 566 du même code, que les prétentions ne sont pas nouvelles, dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent, les parties pouvant aussi expliciter les prétentions qui étaient virtuellement comprises dans les demandes et défenses soumises au premier juge et ajouter à celles-ci toutes les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément.

Le jugement de première instance déféré a été rendu au sujet de la régularité du seul prêt immobilier, dont l'offre a été émise par la Caisse de Crédit Mutuel le 4 novembre 2004, et que Mme [O] [J] a accepté le 25 novembre 2004, portant sur un montant de 213 000 francs suisses.

Dans ces conditions, le deuxième prêt de 175 000 francs suisses n'ayant pas été évoqué en première instance, il ne peut entrer dans le périmètre de la saisine de la cour, qui constate au demeurant que l'emprunteur n'a jamais produit aux débats copie dudit prêt.

Cette demande portant sur le prêt de 175 000 francs suisses constitue à l'évidence une prétention nouvelle prohibée par les textes précités.

Par conséquent, toutes les demandes portant sur ce prêt de 175 000 francs suisses sont irrecevables.

2) Sur les clauses abusives :

Mme [O] [J] demande, à titre principal, l'infirmation de la décision du tribunal de grande instance de Mulhouse, qui l'a déboutée de ses demandes tendant à voir déclarer les clauses 5.3 et 11.5 de l'offre de prêt abusives, en ce qu'elles n'étaient pas claires et contraires à la législation sur la monnaie de change ou de nature à créer un déséquilibre au détriment du consommateur. La banque estime que cette action serait prescrite, ou à défaut mal fondée.

2-1) Sur la prescription des actions pour clause abusive :

Sur l'action déclaratoire :

L'article 7, § 1 de la directive 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, prévoit que les États membres veillent à ce que, dans l'intérêt des consommateurs ainsi que des concurrents professionnels, des moyens adéquats et efficaces existent afin de faire cesser l'utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel.

Par arrêts du 10 juin 2021 (C-776/19 à C-782/19 et C-609/19), la CJUE a dit pour droit que l'article 6, § 1 et l'article 7, § 1 de la directive 93/13, lus à la lumière du principe d'effectivité, doivent être interprétés en ce qu'ils s'opposent à une réglementation nationale soumettant l'introduction d'une demande par un consommateur, aux fins de la constatation du caractère abusif d'une clause figurant dans un contrat conclu entre un professionnel et ce consommateur, à un délai de prescription.

Dès lors, la demande tendant à voir réputée non écrite une clause abusive sur le fondement de l'article L132-1 du code de la consommation n'est pas soumise à la prescription quinquennale de l'article 2224 du code civil.

Sur l'action restitutoire :

L'article 2224 du code civil énonce que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans, à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

Par arrêts du 10 juin 2021 (C-776/19 à C-782/19 et C-609/19), la CJUE a dit pour droit que l'article 6, § 1 et l'article 7, § 1 de la directive 93/13, lus à la lumière du principe d'effectivité, doivent être interprétés en ce qu'ils s'opposent à une réglementation nationale soumettant l'introduction d'une demande par un consommateur aux fins de la restitution de sommes indûment versées, sur le fondement de telles clauses abusives, à un délai de prescription de cinq ans, dès lors que ce délai commence à courir à la date de l'acceptation de l'offre de prêt de telle sorte que le consommateur a pu, à ce moment-là, ignorer l'ensemble de ses droits découlant de cette directive. Elle a relevé que les modalités de mise en oeuvre de la protection des consommateurs prévue par la directive 93/13 ne doivent pas être moins favorables que celles régissant des situations similaires de nature interne (principe d'équivalence) ni être aménagées de manière à rendre, en pratique, impossible ou excessivement difficile, l'exercice des droits conférés par l'ordre juridique de l'Union (principe d'effectivité).

S'agissant de l'opposition d'un délai de prescription à une demande introduite par un consommateur, aux fins de la restitution de sommes indûment versées, sur le fondement de clauses abusives au sens de la directive 93/13, elle a rappelé avoir dit pour droit que l'article 6, § 1 et l'article 7, § 1 de cette directive ne s'opposent pas à une réglementation nationale qui, tout en prévoyant le caractère imprescriptible de l'action tendant à constater la nullité d'une clause abusive figurant dans un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur, soumet à un délai de prescription l'action visant à faire valoir les effets restitutifs de cette constatation, sous réserve du respect des principes d'équivalence et d'effectivité (CJUE, 9 juillet 2020, Raiffeisen Bank et BRD Groupe Société Générale, C-698/18 et C-699/18 ; CJUE, 16 juillet 2020, Caixabank et Banco Bilbao Vizcaya Argentaria, C-224/19 et C-259/19). Ainsi, l'opposition d'un tel délai n'est pas en soi contraire au principe d'effectivité, pour autant que son application ne rende pas, en pratique, impossible ou excessivement difficile, l'exercice des droits conférés par cette directive. En conséquence, un délai de prescription est compatible avec le principe d'effectivité uniquement si le consommateur a eu la possibilité de connaître ses droits avant que ce délai ne commence à courir ou ne s'écoule.

Par arrêt du 9 juillet 2020 (C-698/18 et C-699/18), la CJUE a dit pour droit que l'article 2, sous b), l'article 6, § 1, et l'article 7, § 1 de la directive 93/13/CEE ainsi que les principes d'équivalence, d'effectivité et de sécurité juridique doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une interprétation juridictionnelle de la réglementation nationale selon laquelle l'action judiciaire en restitution des montants indûment payés sur le fondement d'une clause abusive figurant dans un contrat conclu entre un consommateur et un professionnel est soumise à un délai de prescription de trois ans qui court à compter de la date de l'exécution intégrale de ce contrat, lorsqu'il est présumé, sans besoin de vérification, que, à cette date, le consommateur devait avoir connaissance du caractère abusif de la clause en cause ou lorsque, pour des actions similaires, fondées sur certaines dispositions du droit interne, ce même délai ne commence à courir qu'à partir de la constatation judiciaire de la cause de ces actions.

S'agissant du respect du principe d'équivalence, il sera rappelé qu'en droit interne, le délai de prescription des actions en restitution, consécutives à l'annulation d'un contrat ou d'un testament, ne court qu'à compter de cette annulation, que cette annulation résulte de l'accord des parties ou d'une décision de justice (1ère Civ, 1er juillet 2015, n°14-20.369 ; 1ère Civ., 28 octobre 2015, n°14-17.893 ; 3ème Civ, 14 juin 2018, n°17-13.422 ; 1ère civ, 13 juillet 2022 n°20-20.738).

S'agissant du principe d'effectivité, il serait contradictoire de déclarer imprescriptible l'action en reconnaissance du caractère abusif d'une clause et de soumettre la principale conséquence de cette reconnaissance à un régime de prescription la privant d'effet.

Il s'en déduit que le point de départ du délai de prescription quinquennale, tel qu'énoncé à l'article 2224 du code civil, de l'action, fondée sur la constatation du caractère abusif de clauses d'un contrat de prêt libellé en devises étrangères, en restitution de sommes indûment versées, doit être fixé à la date de la décision de justice constatant le caractère abusif des clauses (Cour de cassation, 1ère chambre civile, 12 Juillet 2023, n° 22-17.030).

Par conséquent, la Cour confirmera la décision entreprise en ce qu'elle a considéré que la demande de Mme [O] [J], tendant à voir réputées non écrites les clauses 5.3 et 11.5 de l'offre de prêt, était recevable.

2-2) Sur la demande tendant à voir réputées non écrites les clauses 5.3 et 11.5 de l'offre de prêt :

Sur le rappel des principes :

Aux termes de l'article L.132-1 du code de la consommation, dans sa version applicable au litige, dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, doivent être déclarées abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.

Les clauses abusives sont réputées non écrites. Le contrat restera applicable dans toutes ses dispositions autres que celles jugées abusives, s'il peut subsister sans lesdites clauses.

La Cour de Justice de l'Union Européenne a jugé que les clauses de monnaie de paiement et de monnaie de compte, qui permettent le remboursement en francs suisses, voire en monnaie nationale, relèvent de l'objet principal du contrat, dans la mesure où elles définissent cet objet principal, dès lors qu'elles décrivent et déclinent l'obligation principale de l'emprunteur.

Il en résulte que de telles clauses ne peuvent être regardées comme abusives, si elles sont rédigées de façon claire et précise. Tel sera le cas si elles sont non seulement intelligibles pour le consommateur sur un plan grammatical, mais également si le contrat expose de manière transparente le fonctionnement concret du mécanisme, auquel se réfère la clause concernée.

A cet égard, la Cour de justice de l'Union européenne, dans son arrêt du 10 juin 2021 (C-776/19 à C782-19), a dit pour droit que l'article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que, dans le cadre d'un contrat de prêt libellé en devise étrangère, l'exigence de transparence des clauses qui prévoient que la devise étrangère est la monnaie de compte et que l'euro est la monnaie de paiement et qui ont pour effet de faire porter le risque de change sur l'emprunteur, est satisfaite lorsque le professionnel a fourni des informations suffisantes et exactes, permettant à un consommateur moyen de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause, et d'évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de telles clauses sur ses obligations financières pendant toute la durée de ce même contrat.

La CJUE a rappelé que le consommateur se trouvant dans une situation d'infériorité à l'égard du professionnel, en ce qui concerne son niveau d'information, cette exigence de transparence doit être entendue de manière extensive.

Ainsi, cette exigence de transparence nécessite une information concrète, suffisante et exacte qui met le consommateur en mesure de comprendre le risque encouru et ses conséquences potentielles en cas de réalisation de ce risque, exemples chiffrés et significatifs à l'appui (Cas. 1ère civ., 20 avril 2022, n°20-16.316).

Selon la Cour de Justice de l'Union Européenne, les clauses d'un contrat de prêt qui prévoient que la devise étrangère est la monnaie de compte et que l'euro est la monnaie de paiement et qui ont pour effet de faire porter le risque de change, sans qu'il soit plafonné, sur l'emprunteur, sont susceptibles de créer un déséquilibre significatif entre les droits et les

obligations des parties découlant dudit contrat, au détriment du consommateur, dès lors que le professionnel ne pouvait raisonnablement s'attendre, en respectant l'exigence de transparence à l'égard du consommateur, à ce que ce dernier accepte, à la suite d'une négociation individuelle, un risque disproportionné de change qui résulte de telles clauses.

Il ressort de ces développements, que les jurisprudences nationales de la CJUE sont claires quant à l'interprétation à donner, notamment de l'article 4.2 de la directive 93/13/CE, s'agissant des clauses faisant peser le risque de change sur l'emprunteur, qui définissent l'objet principal du contrat, en ce qu'elles sont abusives du seul fait qu'elles ne sont pas rédigées de façon claire et compréhensible, sans qu'il ne soit nécessaire de rechercher si elles créent au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties.

Sur la rédaction claire et compréhensible des clauses en litige :

Mme [O] [J] soutient l'inopposabilité, pour cause de caractère abusif, de la clause :

*5.3 qui stipule que 'Tous remboursements en capital, paiement des intérêts et des commissions et cotisations d'assurances auront lieu dans la devise empruntée',

*11.5 qui indiquent que 'Il est expressément convenu que l'emprunteur assume les conséquences du changement de parité entre la devise empruntée et l'euro, qui pourrait intervenir jusqu'au complet remboursement du prêt'.

S'agissant du paragraphe 5.3, la phrase est énoncée de manière convenable et permet de comprendre le mécanisme du prêt en devise, à savoir que la monnaie de compte est le franc suisse, que les échéances du prêt seront prélevées sur un compte en devises dédié, que la monnaie de paiement demeure l'euro.

Il n'en demeure cependant pas moins qu'au-delà de cette description, les effets de l'évolution de la parité entre l'euro d'une part et le franc suisse d'autre part, n'y sont pas mis en relief ni même expliqués, de telle manière que Mme [O] [J] ne pouvait envisager concrètement l'impact économique, potentiellement significatif, d'une évolution défavorable de la parité des monnaies sur ses obligations.

Le fait que Madame [J] ait été chef d'entreprise, dirigeant une entreprise de travail d'intérim, est sans emport, en ce sens que la banque est tenue d'une obligation générale d'information qui portait au cas d'espèce sur le sujet très technique de l'incidence du risque de change sur la situation de l'emprunteur auquel ce dernier n'était pas confronté dans le cadre de son activité professionnelle.

Ce paragraphe 5.3 n'apporte aucune indication à l'emprunteur quant à son exposition à un risque de change, en cas de dépréciation de la monnaie dans laquelle il perçoit ses revenus, par rapport à la devise étrangère dans laquelle le prêt est accordé et ne comporte aucun élément de compréhension lui permettant de prendre conscience des difficultés auxquelles il serait confronté, en cas de dévaluation de la monnaie dans laquelle il perçoit ses revenus. Ainsi, aucun exemple de calcul concret n'est mentionné dans le contrat ou ses annexes. Aucune notice d'information sur le cours de change ne lui a été remise, alors pourtant qu'une notice portant sur les conditions et modalités de variation du taux d'intérêt existait.

Le même raisonnement doit être appliqué en ce qui concerne les stipulations de la clause 11.5 qui étaient censées attirer l'attention de l'emprunteur sur le risque de change.

La formulation adoptée est bien trop laconique et sommaire pour pouvoir apporter une information suffisante et éclairante au consommateur, en ce qu'elle n'est pas à même de permettre à un emprunteur 'moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé', de prendre conscience des effets d'une variation du taux de change euro/franc suisse favorable à la valeur helvétique, et ce que ce soit pour le paiement des intérêts ou du capital.

Dès lors, à défaut pour le Crédit Mutuel d'avoir justifié de la communication d'informations complémentaires, de nature à éclairer le consommateur et portant sur les éléments fondamentaux du contrat tenant au risque de change susceptible d'avoir une incidence particulièrement importante sur la portée de l'engagement, lui permettant d'évaluer notamment le coût total potentiel de l'emprunt et de prendre conscience des difficultés auxquelles il peut être confronté, en cas de dévaluation de la monnaie dans laquelle il perçoit ses revenus, il y a lieu de considérer que la clause stipulant les modalités de remboursement du crédit et celle portant sur le risque de change, prévues par l'article 5.3 et 11.5, même éclairées par les autres stipulations du contrat de prêt, n'ont pas été rédigées de manière claire et de nature à permettre à Mme [O] [J] de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d'évaluer le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives de ces clauses sur ses obligations financières pendant toute la durée du contrat, dans l'hypothèse d'une dépréciation importante de l'euro dans laquelle elle percevait ses revenus, par rapport à la monnaie de compte, à savoir le franc suisse, au sens notamment de la jurisprudence posée par la cour de cassation dans ce domaine.

Aussi, la Cour déclare les clauses litigieuses 5.3 et 11.5, consacrées au remboursement des crédits, abusives, donc non écrites, et infirmera le jugement de première instance en ce qu'il avait écarté le caractère abusif desdites clauses.

2-3) Sur les effets du caractère abusif des clauses 5.3 et 11.5. :

Les alinéas 6 et 8 de l'article L 132-1 ancien du code de la consommation disposent que les clauses abusives sont réputées non écrites et que le contrat restera applicable dans toutes ses dispositions autres que celles jugées abusives, s'il peut subsister sans lesdites clauses.

Suite à la reconnaissance du caractère abusif et non écrit des clauses 5.3 et 11.5, ni le remboursement en devises, ni l'intérêt stipulé, ne peuvent subsister, en ce que ces clauses sont consubstantielles au contrat de prêt qui ne saurait survivre sans elles.

La cour de cassation a retenu dans son arrêt du 12 juillet 2023 (Cass. 1ère civ., 12 juill. 2023, n° 22-17.030) qu'il convenait dans ce type de cas, de condamner le consommateur à restituer la contre-valeur en euros de la somme prêtée selon le taux de change applicable à la date de la mise à disposition des fonds et de condamner la banque à restituer la contre-valeur en euros de chacune des sommes perçues, en exécution du prêt selon le taux de change applicable au moment de chacun des paiements, le différentiel dû après compensation portant ensuite intérêt au taux légal à compter de la signification de l'arrêt avec capitalisation.

Ainsi, conformément au sens de la décision de la cour de cassation, il y aura lieu de condamner Mme [O] [J] à restituer au Crédit Mutuel la contre-valeur en euros, selon le taux de change à la date de mise à disposition des fonds en 2004, de la somme qui lui a été prêtée de 213 000 francs suisses.

La CAISSE DE CREDIT MUTUEL [Localité 3] SAINT PAUL sera, quant à elle, condamnée à restituer à Mme [O] [J] toutes les sommes perçues en exécution du prêt, soit la contre-valeur en euros de chacune des sommes perçues selon le taux de change applicable au moment de chacun des paiements.

Il est cohérent de surcroît, d'ordonner la compensation des sommes dues réciproquement et d'assortir la somme résiduelle de l'intérêt légal, à compter de la signification du présent arrêt.

Compte tenu du fait que la demande principale de Mme [O] [J] a été accueillie, ses demandes formulées à 'titre subsidiaire' (annulation de la stipulation des intérêts conventionnels) et 'plus subsidiaire' (recherche de la responsabilité de la banque pour défaut à ses obligations d'information de conseil et de mise en garde, avec demande de dommages-intérêts), deviennent sans objet.

De même, les demandes faites par Mme [O] [J] sous le titre 'en tout état de cause', en vue d'obtenir une déchéance du droit aux intérêts contractuels, au motif que l'offre de crédit immobilier aurait méconnu un certain nombre d'exigences posées par le code de la consommation (absence de document prévoyant des exemples chiffrés de la variation du taux effectif global ; non prise en compte de l'évaluation du coût des assurances et de certains frais dans le calcul du TEG ; non délivrance d'une offre conforme ; remise en cause de la clause d'indexation LIBOR trois mois ; erreur de calcul du TEG), deviennent elles aussi sans objet, puisque la banque est condamnée à restituer les sommes perçues, notamment au titre des intérêts conventionnels.

3) Sur l'action en responsabilité menée par Mme [O] [J] à l'encontre de la CAISSE DE CREDIT MUTUEL [Localité 3] SAINT PAUL :

Mme [O] [J] estime que la banque, en l'exposant à des risques de marché de change, tout en s'abstenant de mettre en place des instruments de couverture adéquate permettant de limiter raisonnablement les risques, a engagé sa responsabilité contractuelle et devrait réparer ses préjudices, d'une part 'de souffrance causée à l'emprunteur' à hauteur de 30 000 euros et d'autre part financier évalué à 50 000 euros. Elle précise avoir été entraînée dans une 'spirale du risque', ce qui avait généré 'des souffrances personnelles, du stress' ainsi que, 'de l'insécurité pour l'avenir'.

Elle conteste la décision de première instance, qui a déclaré son action irrecevable pour cause de prescription.

L'article 1147 du code civil, applicable au moment des faits, prévoyait que le débiteur d'une obligation contractuelle (ici la banque) peut être condamné au paiement de dommages et intérêts en raison de l'inexécution de l'obligation ou du retard pris dans cette exécution. Il est nécessaire de démontrer une faute à la charge du banquier et un préjudice.

Selon l'article 2224 du code civil, une action en responsabilité doit être engagée dans un délai de cinq ans à compter du jour où la personne à l'origine de l'action a eu, ou aurait dû, avoir connaissance des faits lui permettant de l'exercer.

En l'espèce, ce n'est qu'au moment du règlement de la dernière échéance du prêt 'in fine', soit à la date du 31 octobre 2019, que l'emprunteur était en capacité de prendre connaissance de l'existence de son préjudice, qui ne pouvait se révéler précédemment. Le délai de prescription de son action en responsabilité contre la banque ne pouvait dès lors pas commencer à courir avant cette date.

L'action en responsabilité de l'emprunteur n'étant pas couverte par la prescription, la décision de première instance, qui a statué différemment, devra être infirmée.

En ayant fait souscrire un prêt en devise étrangère, faisant courir un risque important à l'emprunteur du fait du risque de change (risque qui s'est réalisé), sans avoir attiré son attention sur ce point, constitue un manquement fautif imputable à la banque qui a généré un préjudice pour l'emprunteuse, qui s'est retrouvée dans une situation angoissante, avec un emprunt devenu trop couteux. La cour note que la banque ne conteste pas le fait que l'opération de financement réalisée par Mme [O] [J] a généré un surcoût particulièrement important du fait de la concrétisation du risque de change.

Il y a lieu par conséquent d'indemniser Mme [O] [J] de son préjudice moral, découlant du stress induit par l'augmentation du coût du prêt, et de lui accorder une somme de 5 000 euros.

L'appelante réclame aussi une indemnisation forfaitaire de 50 000 euros, au titre de son préjudice financier.

Elle démontre que son investissement s'est révélé désastreux du fait du surenchérissement de la devise suisse, puisque à la date de remboursement du capital au terme du prêt 'in fine', celui-ci était de 193 000 euros, alors qu'au départ le capital emprunté était de 133 000 euros.

La typologie du prêt en devise, la réalisation du risque de change, a généré un accroissement de la charge de la dette - due au titre du capital, hors intérêts - de l'ordre de 60 000 euros hors, ce qui constitue un préjudice en lien direct avec la faute.

Comme le fait à juste titre remarquer la banque, le préjudice subi doit être analysé comme une perte de chance pour l'emprunteur de ne pas contracter le prêt aux modalités d'exécution très défavorable. L'assiette de la perte de chance sera fixée à 60 000 €.

A l'aune des éléments présents au dossier, la cour limitera la perte de chance à 20 %, au motif que l'emprunteur souhaitait mettre en place un investissement immobilier, en vue de préparer sa retraite, et surtout a cherché à bénéficier d'un taux d'intérêt bien plus attractif que ceux proposés par des prêts classiques. Son préjudice financier sera dès lors évalué à 12 000 euros.

En revanche, l'appelante ne saurait tirer argument du fait de la survenue d'une moins-value subie, suite à la vente de l'immeuble fin 2018, pour une somme de 99 900 euros - somme en effet très inférieure au prix d'achat du bien (111 664 euros) et au coût des travaux (133 000 euros) - car le dispensateur de crédit ne peut se voir reprocher une quelconque responsabilité concernant le montage, le rendement ou la rentabilité attendu d'un investissement immobilier.

4) Sur les demandes accessoires :

La Caisse de Crédit Mutuel [Localité 3] Saint-Paul, succombant, sera condamnée aux dépens des procédures de première instance et d'appel et à payer à Mme [O] [J] la somme de 7 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Ainsi, le jugement sera infirmé quant à la condamnation prononcée au titre des dépens et sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

La Caisse de Crédit Mutuel [Localité 3] Saint-Paul sera déboutée de ses demandes présentées au titre des dépens et frais irrépétibles.

P A R C E S M O T I F S

La Cour,

Déclare irrecevables toutes les demandes de Mme [O] [J], portant sur le prêt concédé par la Caisse de Crédit Mutuel [Localité 3] Saint Paul pour un montant de 175 000 francs suisses,

Confirme le jugement rendu le 14 mai 2019 par le tribunal de grande instance de Mulhouse, en ce qu'il a dit que les règles relatives à la prescription n'ont pas vocation à s'appliquer à une demande tendant à voir des stipulations d'offres de prêt, réputées non écrites, au sens de l'article L132-1 du code de la consommation.

L'infirme pour le surplus,

Et statuant à nouveau et y ajoutant,

Déclare abusives et non écrites les clauses 5.3 et 11.5 de l'offre et contrat de prêt immobilier émise le 4 novembre 2004 par la Caisse de Crédit Mutuel [Localité 3] Saint-Paul, en direction de Mme [O] [J],

Déclare Mme [O] [J] recevable en son action restitutoire dirigée à l'encontre de la Caisse de Crédit Mutuel [Localité 3] Saint-Paul,

Condamne Mme [O] [J] à restituer à la Caisse de Crédit Mutuel [Localité 3] Saint Paul la contre-valeur en euros, selon le taux de change à la date de mise à disposition des fonds en 2004, de la somme qui lui a été prêtée de 213 000 francs suisses (deux cent treize mille francs suisses),

Condamne la Caisse de Crédit Mutuel [Localité 3] Saint Paul à restituer à Mme [O] [J] toutes les sommes perçues en exécution du prêt, soit la contre-valeur en euros de chacune des sommes perçues, selon le taux de change applicable au moment de chacun des paiements,

Ordonne la compensation des sommes dues réciproquement, et Assortit la somme résiduelle de l'intérêt légal, à compter de la signification du présent arrêt,

Constate que sont devenues sans objet les demandes formulées par Mme [O] [J] dans ses conclusions à 'titre subsidiaire', 'plus subsidiaire' et dans le titre 'en tout état de cause', en vue d'obtenir une déchéance du droit aux intérêts contractuels, au motif que l'offre de crédit immobilier aurait méconnu un certain nombre d'exigences posées par le code de la consommation (absence de document prévoyant des exemples chiffrés de la variation du taux effectif global ; non prise en compte de l'évaluation des assurances et de certains frais dans le calcul du TEG ; non délivrance d'une offre conforme ; remise en cause de la clause d'indexation LIBOR trois mois ; erreur de calcul du TEG),

Déclare recevable la demande de Mme [O] [J] en dommages et intérêts,

Condamne la Caisse de Crédit Mutuel [Localité 3] Saint Paul à payer à Mme [O] [J] une somme de 5 000 euros (cinq mille euros), à titre de dommages-intérêts pour le préjudice moral,

Condamne la Caisse de Crédit Mutuel [Localité 3] Saint Paul à payer à Mme [O] [J] une somme de 12 000 euros (douze mille euros), à titre de dommages-intérêts pour le préjudice financier,

Condamne la Caisse de Crédit Mutuel [Localité 3] Saint-Paul aux dépens des procédures de première instance et d'appel,

Condamne la Caisse de Crédit Mutuel [Localité 3] Saint-Paul à payer à Mme [O] [J] la somme de 7 500 euros (sept mille cinq cents euros) en application de l'article 700 du code de procédure civile,

Déboute la Caisse de Crédit Mutuel [Localité 3] Saint-Paul de ses demandes au titre des dépens et frais irrépétibles.

La Greffière : le Président :


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Colmar
Formation : Chambre 1 a
Numéro d'arrêt : 19/02866
Date de la décision : 03/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 15/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-07-03;19.02866 ?
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