MINUTE N° 187/24
Copie exécutoire à
- Me Laurence FRICK
Le 10.04.2024
Le Greffier
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE COLMAR
PREMIERE CHAMBRE CIVILE - SECTION A
ARRET DU 10 Avril 2024
Numéro d'inscription au répertoire général : 1 A N° RG 23/02429 - N° Portalis DBVW-V-B7H-IDGI
Décision déférée à la Cour : 11 Juin 2019 par le Tribunal de grande instance de BESANCON - 1ère chambre civile
APPELANTE :
CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE FRANCHE COMTE
prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Me Laurence FRICK, avocat à la Cour
INTIMES :
Monsieur [G] [M]
[Adresse 1]
[Localité 4]
non représenté, assigné par le commissaire de justice à domicile le 14.08.2023
Madame [D] [N] [B] épouse [M]
[Adresse 1]
[Localité 4]
non représentée, assignée par le commissaire de justice à personne le 14.08.2023
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 12 Février 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :
M. WALGENWITZ, Président de chambre
M. ROUBLOT, Conseiller
Mme RHODE, Conseillère
qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : Mme VELLAINE
ARRET :
- Rendu par défaut
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.
- signé par M. Franck WALGENWITZ, président et Mme Régine VELLAINE, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES :
Par acte sous seing privé en date du 3 janvier 2012, le Crédit Agricole Mutuel de Franche-Comté a consenti à M. [G] [M] et à Mme [D] [B], son épouse, deux prêts immobiliers d'une durée de 240 mois de montants correspondant à la contre-valeur en francs suisses des sommes de 292.830 euros et de 90.300 euros, moyennant un taux nominal fixe de 2,4 % pour les deux prêts, et des TEG respectivement de 3,1053 % pour le premier et de 3,1165 % pour le second.
Lors de la conclusion de ces contrats, M. [G] [M] exerçait une activité professionnelle en Suisse, dont il a été licencié en 2016.
Par exploit d'huissier délivré le 28 novembre 2017, les époux [M] ont fait assigner la banque devant le tribunal de grande instance de Besançon, aux fins de voir prononcer au principal la nullité de ces contrats, pour être contraires à l'ordre public économique.
Par jugement rendu le 11 juin 2019, ce tribunal a, sous le bénéfice de l'exécution provisoire :
DEBOUTE M. [G] [M] et Mme [D] [M] de leur demande de nullité du contrat
de prêt ;
CONSTATE que le CRÉDIT AGRICOLE MUTUEL DE FRANCHE-COMTE a recouru à l'année lombarde dans le cadre de la convention de prêt immobilier régularisée le 3 janvier 2013 par Monsieur et Madame [M],
PRONONCE en conséquence à l'encontre du CRÉDIT AGRICOLE MUTUEL DE FRANCHE-COMTE la déchéance de son droit de percevoir les intérêts contractuels des prêts souscrits ;
DIT que le CRÉDIT AGRICOLE MUTUEL DE FRANCHE-COMTE ne peut percevoir que
les intérêts légaux pendant toute la durée du prêt,
SUBSTITUE en conséquence en lieu et place des taux conventionnels de 2,40 % l'an, le taux légal, et ce à compter du 3 janvier 2013 jusqu'au terme des contrats,
CONDAMNE le CRÉDIT AGRICOLE MUTUEL DE FRANCHE-COMTE à payer à Monsieur et Madame [M] le trop perçu des intérêts conventionnels du 3 janvier 2013 jusqu'au prononcé du présent jugement,
CONDAMNE le CRÉDIT AGRICOLE MUTUEL DE FRANCHE-COMTE à délivrer aux
époux [M] un nouvel échéancier faisant application du taux d'intérêt légal ;
REJETE la demande de dommages et intérêts formée par M. [G] [M] et Mme [D] [M] ;
CONDAMNE le CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE FRANCHE-COMTE à verser à M. [G] [M] et Mme [D] [M] la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;
CONDAMNE le CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE FRANCHE-COMTE aux dépens ;
DEBOUTE les parties de toutes demandes plus amples ou contraires ;
ORDONNE l'exécution provisoire de la présente décision.
Suivant déclaration reçue au greffe le 29 novembre 2018, la banque a relevé appel de ce jugement.
Les emprunteurs ont par voie de conclusions d'intimés, formé appel incident du jugement, en ce qu'il les avait déboutés de certaines de leurs demandes.
Par un arrêt en date du 7 septembre 2021, la Cour d'Appel de Besançon a :
- Confirmé le jugement rendu le 11 juin 2019 par le tribunal de grande instance de Besançon en toutes ses dispositions.
- Condamné le Crédit Agricole Mutuel de Franche-Comté à payer à M. [G] [M] et Mme [D] [B], son épouse, la somme de 2.000 euros au titre des frais irrépétibles exposés devant la Cour.
- condamné le Crédit Agricole Mutuel de Franche-Comté aux dépens d'appel.
Le Crédit Agricole Mutuel de Franche-Comté a formé un pourvoi en cassation à l'encontre de l'arrêt rendu par la Cour d'appel de Besançon.
Par arrêt rendu en date du 17 mai 2023, la Première Chambre civile de la Cour de cassation a fait droit aux demandes de la banque en statuant comme suit :
'CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il prononce la déchéance du droit de la société Crédit agricole mutuel de Franche-Comté à percevoir les intérêts au taux contractuel des prêts souscrits pour recours à l'année lombarde et y substitue le taux d'intérêt légal à compter du 3 janvier 2013, et condamne la banque à payer à M. et Mme [M] le trop perçu d'intérêts conventionnels à compter de cette date et à leur communiquer un nouvel échéancier faisant application du taux d'intérêts légal, l'arrêt rendu le 7 septembre 2021, entre les parties, par la Cour d'appel de BESANÇON.
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la Cour d'appel de Colmar.
Condamne les époux [M] aux dépens.
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes'.
Le Crédit Agricole Mutuel de Franche Comté a, selon déclaration en date du 22 juin 2023, saisi la cour d'appel de Colmar, indiquant reprendre l'instance après cassation en suite à l'arrêt du 17 mai 2023 sus évoqué.
Par ses dernières conclusions en date du 7 août 2023, auxquelles a été joint le bordereau de communication de pièces récapitulatif qui n'a fait l'objet d'aucune contestation, le Crédit Agricole Mutuel de Franche Comté demande à la Cour de :
- INFIRMER le jugement du Tribunal de Grande Instance de Besançon rendu le 11 juin 2019 uniquement en ce qu'il a :
*Constaté que le Crédit Agricole Mutuel de Franche-Comté a recouru à l'année lombarde dans le cadre de la convention de prêt immobilier régularisée le 3 janvier 2013 par M. et Mme [M].
*Prononcé en conséquence à l'encontre du Crédit Agricole Mutuel de Franche-Comté la déchéance de son droit de percevoir les intérêts contractuels des prêts souscrits.
*Dit que le Crédit Agricole Mutuel de Franche-Comté ne peut percevoir que les intérêts légaux pendant toute la durée du prêt.
*Substitué en conséquence en lieu et place des taux conventionnels de 2,40 % l'an, le taux légal, et ce à compter du 3 janvier 2013 jusqu'au terme des contrats.
*Condamné le Crédit Agricole Mutuel de Franche-Comté à payer à M. et Mme [M] le trop-perçu des intérêts conventionnels du 3 janvier 2013 jusqu'au prononcé dudit jugement.
*Condamné le Crédit Agricole Mutuel de Franche-Comté à délivrer à M. et Mme [M] un nouvel échéancier faisant application du taux d'intérêt légal.
Statuant à nouveau,
- DEBOUTER M. [G] [M] et Mme [D] [M] de l'ensemble de leurs demandes.
En tout état de cause :
- CONDAMNER M. [G] [M] et Mme [D] [M] à verser au Crédit Agricole Mutuel de Franche-Comté la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
- CONDAMNER M. [G] [M] et Mme [D] [M] aux entiers dépens.
Le 14 août 2023, Me [V], commissaire de justice, a signifié aux consorts [M] la déclaration de saisine de la cour d'appel de Colmar après cassation, faite au greffe le 22 juin 2023 et enregistrée le 27 juin 2023, contre le jugement au fond du tribunal de Grande instance de Besançon du 11 juin 2019, le récapitulatif de la déclaration de saisine du 27 juin 2023, ainsi que les conclusions de la banque datées du 7 août 2023.
S'agissant de Madame [M], la signification a été faite à sa personne. La signification a été faite 'à domicile' pour Monsieur [M], absent au moment des opérations de signification.
Les époux [M] ne se sont pas constitués intimés, de sorte que la décision sera rendue par défaut.
Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens de chacune des parties, il conviendra de se référer aux dernières conclusions.
L'affaire a été appelée et retenue à l'audience de plaidoirie du 12 février 2024.
MOTIFS :
A titre liminaire, les intimés ne comparaissant pas, il convient de rappeler qu'aux termes de l'article 472 du Code de Procédure Civile, il est statué sur le fond et le juge ne fait droit aux prétentions et moyens de l'appelante, que dans la mesure où il les estime réguliers, recevables et bien fondés et qu'aux termes du dernier alinéa de l'article 954 du même code, la partie qui ne conclut pas est réputée s'approprier les motifs du jugement.
La Cour d'appel de Colmar, cour de renvoi, est exclusivement saisie du seul point relatif à la déchéance du droit aux intérêts prononcée par le tribunal de grande instance de Besançon, au motif retenu dans le jugement déféré, que les intérêts contractuels ont été calculés sur la base de 360 jours et non sur celle de l'année civile, et des effets de ladite déchéance.
En application des dispositions des articles L 312-8 et L 312-33 du Code de la consommation, dans leur version antérieure à celle issue de l'ordonnance 2016-301 du 14 mars 2016, et de la jurisprudence constante de la Cour de cassation (voir notamment Cass. du 4 juillet 2019 17-27 621), la mention dans une offre de prêt d'un taux conventionnel calculé sur la base d'une année autre que l'année civile, est sanctionnée par la déchéance du droit aux intérêts dans les termes de l'article L 312-33 susvisé, lorsque l'inexactitude du taux entraîne un préjudice pour l'emprunteur, matérialisé par l'existence au niveau du taux d'intérêt, d'un écart supérieur à une décimale.
C'est à ceux qui s'estiment lésés - en l'occurrence les consorts [M] - de démontrer que l'inexactitude du taux entraîne un tel écart supérieur à une décimale.
En l'espèce, les époux [M], qui n'ont pas constitué avocat, ne rapportent pas la preuve de l'existence d'un tel préjudice.
Par conséquent, la décision rendue par le premier juge doit être infirmée, en ce qu'elle condamnait le Crédit Agricole Mutuel de Franche Comté à la déchéance de son droit aux intérêts conventionnels et au remboursement du trop-perçu.
Les consorts [M], parties succombantes, assumeront les dépens d'appel.
Enfin, l'équité commande de les condamner à verser une somme de 2 000 euros au profit de la banque, en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure.
P A R C E S M O T I F S
LA COUR,
Statuant sur renvoi de la Cour de cassation,
INFIRME les dispositions de fond déférées du jugement du Tribunal de Grande Instance de Besançon, rendu le 11 juin 2019 en ce qu'il a :
- prononcé à l'encontre du Crédit Agricole Mutuel de Franche Comté la déchéance de son droit de percevoir les intérêts contractuels des prêts souscrits ;
- dit que le Crédit Agricole Mutuel de Franche Comté ne peut percevoir que les intérêts légaux pendant toute la durée du prêt,
- substitué en conséquence en lieu et place des taux conventionnels de 2,40 % l'an, le taux légal, et ce à compter du 3 janvier 2013 jusqu'au terme des contrats,
- condamné le Crédit Agricole Mutuel de Franche Comté à payer à M. et Mme [M] le trop-perçu des intérêts conventionnels du 3 janvier 2013 jusqu'au prononcé dudit jugement,
- condamné le Crédit Agricole Mutuel de Franche Comté à délivrer à M. et Mme [M] un nouvel échéancier faisant application du taux d'intérêt légal,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
DEBOUTE M. [G] [M] et Mme [D] [M] de l'ensemble de leurs demandes,
CONDAMNE M. [G] [M] et Mme [D] [M] aux dépens d'appel,
CONDAMNE M. [G] [M] et Mme [D] [M] à payer une somme de 2 000 euros (deux mille euros) au profit du Crédit Agricole Mutuel de Franche Comté au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
LA GREFFIÈRE : LE PRÉSIDENT :