MINUTE N° 191/24
Copie exécutoire à
- Me Joëlle LITOU-WOLFF
- Me Loïc RENAUD
Le 10.04.2024
Le Greffier
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE COLMAR
PREMIERE CHAMBRE CIVILE - SECTION A
ARRET DU 10 Avril 2024
Numéro d'inscription au répertoire général : 1 A N° RG 22/02548 - N° Portalis DBVW-V-B7G-H33X
Décision déférée à la Cour : 17 Mai 2022 par le Tribunal judiciaire de STRASBOURG - 3ème chambre civile
APPELANTE :
S.A.R.L. FONCIERE HERRMANN
prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 1]
[Localité 5]
Représentée par Me Joëlle LITOU-WOLFF, avocat à la Cour
Avocat plaidant : Me BARDOL, avocat au barreau de STRASBOURG
INTIMEE :
S.A.S. MANBOW
prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 7]
[Localité 6]
Représentée par Me Loïc RENAUD, avocat à la Cour
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 805 modifié du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 12 Février 2024, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant M. WALGENWITZ, Président de chambre, et M. ROUBLOT, Conseiller, un rapport de l'affaire ayant été présenté à l'audience.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
M. WALGENWITZ, Président de chambre
M. ROUBLOT, Conseiller
Mme DAYRE, Conseillère
qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : Mme VELLAINE
ARRET :
- Contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.
- signé par M. Franck WALGENWITZ, président et Mme Régine VELLAINE, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES :
Selon contrat du 17 octobre 2006 conclu avec M. [K], renouvelé le 1er août 2018 avec la SCI LA RENOMMEE aux droits de laquelle vient la SARL FONCIERE HERRMANN, la SAS MANBOW a pris à bail des locaux commerciaux sis [Adresse 4] à [Localité 5].
Le 24 mars 2020, la SAS MANBOW a sollicité, auprès du bailleur, la suspension du paiement des loyers, en raison de l'impossibilité d'exercer dans les locaux loués son activité de vente de chaussures, au regard de la fermeture administrative de l'ensemble des magasins de détail à compter du 15 mars 2020.
Le 31 mars 2020, la SARL FONCIERE HERRMANN s'est opposée à la requête de son locataire, tout en lui indiquant qu'elle n'était pas hostile à étudier les conditions d'un règlement fractionné et lissé des loyers.
Le 12 août 2020, la SARL FONCIERE HERRMANN a fait délivrer à la SAS MANBOW un commandement de payer visant la clause résolutoire, correspondant aux loyers et charges des deuxième et troisième trimestres 2020, soit la somme de 26 124,54 euros.
Par acte d'huissier du 10 septembre 2020, la SAS MANBOW a fait attraire la SARL FONCIERE HERRMANN devant le tribunal judiciaire de Strasbourg, aux fins d'entendre juger que le commandement de payer visant la clause résolutoire délivré le 12 août 2020 est nul et de nul effet.
Le tribunal judiciaire de Strasbourg a, dans son jugement du 17 mai 2022 :
- CONSTATE que les conditions d'acquisition de la clause résolutoire figurant au bail conclu le 17 octobre 2006 et renouvelé le 1er août 2018 entre la SCI LA RENOMMEE aux droits de laquelle vient la SARL FONCIERE HERRMANN et la SAS MANBOW concernant le local à usage commercial situé [Adresse 4] (section 19 n°[Cadastre 2] et section 10 n°[Cadastre 3]) sont réunies à la date du 13 septembre 2020.
- CONDAMNE en quittance ou deniers la SAS MANBOW à verser à la SARL FONCIERE HERRMANN la somme de 23.198,30 euros avec intérêts au taux légal à compter du 12 août 2020 sur la somme de 10.449,81 euros et du 19 juin 2021 pour le surplus.
- AUTORISE la SAS MANBOW à s'acquitter de cette somme, outre le loyer et les charges courants, en 12 mensualités de 1 900 euros chacune et une 13ème mensualité qui soldera la dette en principal, frais et intérêts.
- PRECISE que chaque mensualité devra intervenir avant le 10 de chaque mois et pour la première fois le 10 du mois suivant la signification du présent jugement.
- SUSPEND l'effet de la clause résolutoire pendant l'exécution des délais accordés.
- DIT que si les délais accordés sont entièrement respectés, la clause résolutoire sera réputée n'avoir jamais été acquise.
- DIT qu'en revanche toute mensualité, qu'elle soit due au titre du loyer et des charges courants ou de l'arriéré, restée impayée sept jours après la réception d'une mise en demeure par lettre recommandée avec avis de réception justifiera :
*que la clause résolutoire retrouve son plein effet,
*que l'intégralité de la dette redevienne immédiatement exigible,
*qu'à défaut pour la SAS MANBOW d'avoir volontairement libéré les lieux dans les deux mois, la SARL FONCIERE HERRMANN puisse faire procéder à son expulsion ainsi qu'à celle de tous les occupants de son chef, avec le concours d'un serrurier et de la force publique si besoin est,
*que la SAS MANBOW soit condamnée à verser à la FONCIERE HERRMANN une indemnité mensuelle d'occupation égale au montant du loyer et des charges qui auraient été dus en l'absence de résiliation du bail, jusqu'à la date de libération effective et définitive des lieux.
- DIT n'y avoir lieu à faire application de l'article 700 du Code de procédure civile.
- CONDAMNE la SAS MANBOW aux entiers dépens de la présente procédure.
- DIT n'y avoir lieu à écarter l'exécution provisoire de la présente décision.
- DEBOUTE les parties de leurs demandes pour le surplus.
Par une déclaration faite au greffe en date du 30 juin 2022 la SARL FONCIERE HERRMANN a interjeté appel de ce jugement.
Par une déclaration faite au greffe en date du 1er décembre 2022 la SAS MANBOW s'est constituée intimée.
PRETENTIONS DES PARTIES :
Par ses dernières conclusions en date du 23 janvier 2024, transmises par voie électronique le même jour, auxquelles a été joint le bordereau de communication de pièces récapitulatif qui n'a fait l'objet d'aucune contestation, la SARL FONCIERE HERRMANN demande à la Cour de :
'- DIRE l'appel bien fondé,
Y faisant droit,
- INFIRMER le jugement entrepris en ce qu'il a déduit des montants dus à la société FONCIERE HERRMANN :
*50 % du montant du loyer (hors charges) pour la première période Covid du 16 mars 2020 au 10 mai 2020.
*30 % du montant du loyer (hors charges) pour la deuxième période Covid du 3 octobre 2020 au 27 novembre 2020.
*30 % du montant du loyer (hors charges) pour la troisième période Covid du 3 avril au 18 mai 2021,
soit la somme de 9.663,74 euros
Et statuant à nouveau,
- DIRE la société FONCIERE HERRMANN bien fondée en ses prétentions.
- CONDAMNER la société MANBOW à payer à la société FONCIERE HERRMANN la somme de 9.663,74 euros outre intérêts à légaux sur la somme de 4.631,27 euros à compter du 12 août 2020, date de la signification du commandement de payer, et sur les sommes de 2.757,76 euros et 2.274,71 euros à compter du 19 juin 2021.
- DEBOUTER la société MANBOW de toutes conclusions contraires ainsi que de l'ensemble de ses fins, moyens, demandes et conclusions.
- CONFIRMER la décision entreprise pour le surplus,
Y ajoutant :
- CONDAMNER la société MANBOW en tous les frais et dépens de la procédure d'appel, ainsi qu'au paiement d'une indemnité de 2.000 euros par application de l'article 700 du CPC au titre de la procédure d'appel.'
Par ses dernières conclusions en date du 22 janvier 2024, transmises par voie électronique le même jour, auxquelles a été joint le bordereau de communication de pièces récapitulatif qui n'a fait l'objet d'aucune contestation, la SAS MANBOW demande à la Cour de :
'- REJETER l'appel de la SARL FONCIERE HERRMANN comme non fondé.
- CONFIRMER le jugement déféré en toutes ses dispositions.
Y ajoutant,
- CONDAMNER la SARL FONCIERE HERRMANN à payer à la société MANBOW la somme de 10.000 euros pour procédure abusive.
- CONDAMNER la société SARL FONCIERE HERRMANN à payer à la SAS MANBOW la somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile au titre des frais irrépétibles de l'appel.
- CONDAMNER la société SARL FONCIERE HERRMANN aux dépens d'appel.'
Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens de chacune des parties, il conviendra de se référer à leurs dernières conclusions respectives.
La procédure a été clôturée par une ordonnance en date du 24 janvier 2024.
L'affaire a été retenue à l'audience du 12 février 2024.
MOTIFS :
1) Sur les montants dus par la SAS MANBOW au titre de son arriéré locatif :
Aux termes de l'article 1722 du Code civil, 'si, pendant la durée du bail, la chose louée est détruite en totalité par cas fortuit, le bail est résilié de plein droit ; si elle n'est détruite qu'en partie, le preneur peut, suivant les circonstances, demander ou une diminution du prix, ou la résiliation même du bail.'
Les premiers juges avaient admis l'argument soutenu par le preneur, selon lequel il avait subi une perte partielle de la chose louée (en application de l'article 1722 du Code civil) et réduit d'une part de 50 % le montant du loyer (hors charges) dû pour la première période Covid du 16 mars au 10 mai 2020 et d'autre part de 30 % les montants du loyer (hors charges) portant sur les deuxième et troisième périodes Covid, respectivement du 3 octobre au 27 novembre 2020 et du 3 avril au 18 mai 2021.
Il n'est pas contesté que le montant du loyer 'perdu' par le bailleur, du fait de ces réductions, était de l'ordre de 9 663,74 euros.
Notamment par sa décision du 23 novembre 2022 ( 22-12.753), la Cour de cassation a dit pour droit que l'interdiction de recevoir du public en période de crise sanitaire, ne peut être assimilée à une perte de la chose louée au sens de l'article 1722 du code civil, dans la mesure où cette interdiction est générale et temporaire, qu'elle est sans lien avec la destination du local et qu'elle n'est pas imputable aux bailleurs.
La Cour de cassation est venue par la suite compléter cette jurisprudence en rejetant d'une part, l'argument des locataires fondé sur l'obligation de délivrance - relevant l'absence de lien entre les fermetures administratives et la destination contractuelle - et d'autre part leurs moyens fondés sur la force majeure et l'exécution de bonne foi.
Dès lors, aucune réduction ou diminution des loyers ne pouvait être accordée aux preneurs.
Par conséquent, la Cour infirmera la décision entreprise, ayant concédé à la SAS MANBOW une réduction partielle de ses loyers pour perte partielle de la chose louée, en raison des fermetures administratives décidées dans le cadre des mesures de lutte contre la propagation de la COVID-19.
D'où il suit que la SAS MANBOW sera condamnée à payer à son bailleur une somme supplémentaire de 9.663,74 euros, outre intérêts légaux sur la somme de 4.631,27 euros à compter du 12 août 2020, date de la signification du commandement de payer, et sur les sommes de 2.757,76 euros et 2.274,71 euros à compter du 19 juin 2021.
2) Sur la demande fondée sur l'appel abusif :
La SAS MANBOW estime que le maintien de l'appel formé par la SARL FONCIERE HERRMANN est abusif, car elle aurait accepté spontanément de payer l'entièreté de son arriéré locatif, abandonnant non seulement la réduction de loyer qui lui avait été concédée par le jugement, mais également le bénéfice des délais de paiement, puisqu'elle a remboursé d'une seule traite.
La SAS MANBOW justifie par ses pièces avoir réglé partiellement sa dette locative - telle que fixée - par le jugement, en versant le 20 juin 2022 au bailleur la somme de 11 599,15 euros.
Aussi, à la date du 30 juin 2022 à laquelle la SARL FONCIERE HERRMANN a interjeté appel, cette dernière avait bel et bien un intérêt légitime pour faire appel, en vue de réclamer le complément de loyer qui avait été écarté par les premiers juges.
Dès lors l'appel de la SARL FONCIERE HERRMANN ne peut être considéré comme abusif.
La demande de dommages-intérêts formulée par l'intimée ne pourra prospérer.
3) Sur les demandes accessoires :
L'intimée, partie succombante en appel, assumera la totalité des dépens de l'appel.
Suite à l'appel formulé par la SARL FONCIERE HERRMANN le 30 juin 2022, la SAS MANBOW a écrit à plusieurs reprises (courriers des 8, 19 et 23 septembre 2022) au conseil de la SARL FONCIERE HERRMANN, pour l'informer de sa volonté de renoncer au bénéfice de la réduction de loyer octroyée par le tribunal et de régler par conséquent le solde total de sa dette, soit 13 688,10 euros, ce qu'elle a fait le 14 septembre 2022 (cf. annexes n°1 à 4).
En dépit du règlement de la totalité de sa créance, telle que réclamée à hauteur de cour par elle, la SARL FONCIERE HERRMANN a souhaité maintenir son appel et a déposé 4 jeux de conclusions (en date des 27 septembre 2022, le 7 septembre 2023, 18 décembre 2023, 23 janvier 2024). Ce choix procédural qui lui est propre, n'est pas de nature à déclencher l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile à son profit.
À l'égard de la nature de l'affaire, il est équitable de ne pas faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, tant au profit de l'appelante que de l'intimée.
P A R C E S M O T I F S
La Cour,
Statuant dans les limites de sa saisine,
Infirme les dispositions déférées du jugement du 17 mai 2022 rendu entre les parties par le tribunal judiciaire de Strasbourg, qui ont déduit des montants des loyers dus à la société FONCIERE HERRMANN, soit :
*50 % du montant du loyer (hors charges) pour la première période Covid du 16 mars 2020 au 10 mai 2020
*30 % du montant du loyer (hors charges) pour la deuxième période Covid du 3 octobre 2020 au 27 novembre 2020
*30 % du montant du loyer (hors charges) pour la troisième période Covid du 3 avril au 18 mai 2021, soit la somme de 9.663,74 euros
Statuant à nouveau des chefs de demande infirmés,
Condamne la société MANBOW à payer à la société FONCIERE HERRMANN la somme de 9.663,74 euros, outre intérêts légaux :
*sur la somme de 4.631,27 euros à compter du 12 août 2020
*sur les sommes de 2.757,76 euros et 2.274,71 euros à compter du 19 juin 2021
Et y ajoutant,
Rejette la demande de la SAS MANBOW en vue d'obtenir des dommages-intérêts pour procédure abusive,
Condamne la SAS MANBOW aux dépens de la procédure d'appel,
Rejette la demande de la SARL FONCIERE HERRMANN et de la SAS MANBOW sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
La Greffière : le Président :