MINUTE N° 240/23
Copie exécutoire à
- Me Orlane AUER
Copie à M. le PG
Arrêt notifié aux parties
Le 24.05.2023
Le Greffier
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE COLMAR
PREMIERE CHAMBRE CIVILE - SECTION A
ARRET DU 24 Mai 2023
Numéro d'inscription au répertoire général : 1 A N° RG 21/05139 - N° Portalis DBVW-V-B7F-HXKR
Décision déférée à la Cour : 07 Décembre 2021 par le Tribunal judiciaire de STRASBOURG - Greffe des procédures collectives commerciales
APPELANTE :
Madame [K] [N] épouse [V]
[Adresse 5] [Localité 8]
Représentée par Me Orlane AUER, avocat à la Cour
Avocat plaidant : Me COMMISSIONE, avocat au barreau de STRASBOURG
INTIMEES :
Madame [X] [U] liquidateur de Madame [K] [V] née [N]
[Adresse 7] [Localité 2]
non représentée, assignée par voie d'huissier à domicile le 15.03.2022
S.A.S. WEIL-[R]-LUTZ, prise en la personne de Me [J] [R], Commissaire à l'exécution du plan [Adresse 1] [Localité 3]
non représentée, assignée par voie d'huissier à personne habilitée le 15.03.2022
Monsieur le Procureur Général près la Cour d'appel de COLMAR
[Adresse 6] [Localité 4]
assigné par voie d'huissier à personne habilitée le 17.03.2022
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 805 modifié du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 06 Février 2023, en chambre du conseil, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme ROBERT-NICOUD, Conseillère, un rapport de l'affaire ayant été présenté à l'audience.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme PANETTA, Présidente de chambre
M. ROUBLOT, Conseiller
Mme ROBERT-NICOUD, Conseillère, qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : Mme VELLAINE
Ministère Public :
représenté lors des débats par Mme VUILLET, substitut général, qui a fait connaître son avis et dont les réquisitions écrites ont été communiquées aux parties.
ARRET :
- rendu par défaut
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.
- signé par Mme Corinne PANETTA, présidente et Mme Régine VELLAINE, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE :
Vu le jugement du tribunal judiciaire de Strasbourg du 7 décembre 2021,
Vu la déclaration d'appel de Mme [N] épouse [V] effectuée le 20 décembre 2021 par voie électronique,
Vu l'ordonnance de fixation du 8 mars 2022 à l'audience du 20 juin 2022 et l'avis de fixation de l'affaire à bref délai envoyé par le greffier le 8 mars 2022,
Vu les actes d'huissier de justice délivrés le 15 mars 2022 à Me [U] et à la société Weil-[R]-Lutz, leur signifiant la copie de la déclaration d'appel, du récapitulatif de la déclaration d'appel, de l'avis de convocation aux avocats, de l'avis de fixation et de l'ordonnance fixant l'audience de plaidoirie au 20 juin 2022,
Vu l'acte d'huissier de justice délivré le 17 mars 2022 à M. le Procureur général près la cour d'appel de Colmar lui signifiant les mêmes pièces,
Vu les conclusions du ministère public transmises par voie électronique le 9 juin 2022 et les conclusions du 19 septembre 2022 transmises par voie électronique le 21 septembre 2022,
Vu les conclusions de Mme [N] épouse [V] du 12 septembre 2022, auxquelles était joint un bordereau de communication de pièces qui n'a fait l'objet d'aucune contestation, lesquels ont été transmis par voie électronique le même jour, ainsi que le bordereau de communication de pièces récapitulatif du 3 février 2023, qui n'a fait l'objet d'aucune contestation, transmis par voie électronique le même jour,
Vu l'audience du 6 février 2023 à laquelle l'affaire a été appelée,
Vu le dossier de la procédure, les pièces versées aux débats et les conclusions des parties auxquelles il est référé, en application de l'article 455 du code de procédure civile, pour l'exposé de leurs moyens et prétentions.
MOTIFS DE LA DECISION :
Par jugement du 15 octobre 2012, a été ouverte une procédure de redressement judiciaire à l'égard de Mme [N] épouse [V], qui est immatriculée au registre du commerce et des sociétés pour exploiter un salon de coiffure.
Par jugement du 14 avril 2014, un plan de redressement et d'apurement du passif a été arrêté, prévoyant la poursuite de l'activité de Mme [V], le paiement, à l'arrêté du plan, du superprivilège et des créances inférieures à 300 euros, le paiement du prêt CCM par mensualités constantes de 590,26 euros, le paiement du passif à 100 % sur 10 ans, et l'inscription de l'inaliénabilité du fonds de commerce et du bien immobilier sis [Adresse 5] à [Localité 8].
Par requête présentée le 31 mars 2017, le ministère public a saisi la chambre commerciale du tribunal judiciaire de Strasbourg d'une demande en résolution du plan et tendant à prononcer la liquidation judiciaire.
Par le jugement attaqué du 07 décembre 2021, le tribunal judiciaire de STRASBOURG a prononcé la résolution du plan de redressement et la liquidation judiciaire de Mme [V]. Après avoir relevé son impossibilité de régler concomitamment le prêt souscrit auprès de la CCM et des acomptes sur dividendes du plan, qu'elle a un retard de paiement de cinq échéances de plan pour un montant total de 36 979,44 euros et que la mise en location de l'appartement est insuffisante pour couvrir les échéances dues et est susceptible de générer un nouveau passif, il a retenu qu'il est justifié de prononcer la résolution du plan et, aucune perspective de redressement n'étant envisageable, que l'exigibilité de l'ensemble du passif commande d'ouvrir une procédure de liquidation judiciaire. Il a fixé provisoirement la date de cessation des paiements au 7 décembre 2021, soit au jour du jugement.
Il en résulte que c'est en application de l'article L.626-27 alinéa 2 du code de commerce auquel renvoie l'article L.631-19 de ce code pour le plan de redressement, que le tribunal a prononcé la résolution du plan en raison de l'inexécution du plan, qui constitue une cause facultative de résolution du plan. Il n'avait dès lors pas à constater l'existence de la cessation des paiements au cours de son exécution. Pour prononcer la liquidation judiciaire, il devait, en application de l'article L.640-1 du code de commerce, caractériser cet état de cessation des paiements au jour où il statuait, ainsi que l'impossibilité manifeste de redressement. S'il a caractérisé cette seconde condition et a retenu l'existence de la cessation des paiements au jour où il a statué, il n'a cependant pas caractérisé la situation de cessation des paiements de l'intéressée.
Devant la cour, le ministère public conclut à la confirmation du jugement, sauf à fixer provisoirement la date de cessation des paiements au 7 décembre 2020. Il soutient, en substance, que Mme [V] se trouve en état de cessation des paiements depuis le 7 décembre 2020 et que son redressement est manifestement impossible, de sorte qu'il y a lieu de prononcer la résolution du plan et l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire.
Ainsi, le ministère public fonde à présent sa demande sur l'état de cessation des paiements survenue pendant l'exécution du plan de redressement.
Avant l'entrée en vigueur de la loi du 22 mai 2019 qui n'est pas applicable aux procédures en cours, il résultait en effet de la combinaison des articles L. 626-27, I, alinéa 3 et L. 631-20-1 du code de commerce que lorsque la cessation des paiements du débiteur est constatée au cours de l'exécution d'un plan de redressement, le tribunal qui a arrêté celui-ci décide, après avis du ministère public, sa résolution et ouvre une procédure de liquidation judiciaire (cf. Com., 2 juin 2021, pourvoi n° 20-14.101). Il s'agit donc d'une cause obligatoire de résolution du plan et d'ouverture de la liquidation judiciaire.
En tout état de cause, même s'il devait être considéré que s'appliquait l'article L.630-20-1 dans sa version issue de la loi du 22 mai 2019, devenu l'article L.630-20 dudit code, l'état de cessation des paiements de Mme [V] conduirait à la même solution dès lors que sa situation ne répond pas aux conditions posées aux articles L. 645-1 et L. 645-2 dudit code. En effet, comme il sera vu, outre un terrain agricole, elle est propriétaire d'un appartement qu'elle envisage de donner en location qui a une valeur supérieure à 15 000 euros prévue par l'article R.645-1 dudit code. En tous les cas, elle n'a pas donné son accord à l'ouverture d'une procédure de rétablissement professionnel.
Au soutien de son appel, Mme [V] soutient, en substance, que le tribunal n'a pas caractérisé l'état de cessation des paiements, et qu'au contraire, en prononçant la résolution du plan et en fixant la date de cessation des paiements au jour du jugement, la décision n'a pas caractérisé un état de cessation des paiements au cours de l'exécution du plan, mais celui-ci l'a été au-delà de la période d'exécution du plan. Elle en déduit que le tribunal ne pouvait pas prononcer sa liquidation judiciaire.
En outre, elle soutient qu'il existe de réelles perspectives permettant d'envisager un redressement.
S'agissant de la situation de Mme [V], la cour observe qu'elle ne critique pas l'exposé de la procédure contenue dans le jugement, selon lequel le commissaire à l'exécution du plan a indiqué, lors des audiences devant le tribunal, que l'échéance du plan de 2016 a été payée, bien qu'avec retard, mais que les échéances du plan de 2017 à 2021 n'ont pas été réglées.
S'agissant de la créance du CCM, il résulte du jugement du 1er septembre 2020, produit par Mme [V], que le plan de redressement a été modifié concernant les modalités de remboursement de la créance de prêt de la CCM, en ce sens que celle-ci est limitée à 90 000 euros payables sans intérêts par mensualités de 650 euros à compter de septembre 2019 jusqu'à remboursement total de ce montant de 90 000 euros, étant précisé qu'en cas de réalisation amiable ou forcée du bien donné en garantie, la CCM pourra exiger le règlement de la totalité de sa créance à concurrence du prix de vente.
Il peut être relevé que l'exposé de la procédure contenue dans le jugement précise que lors de l'audience du 6 décembre 2021, le commissaire à l'exécution du plan a indiqué que Mme [V] tenait le plan de remboursement arrêté avec le CCM. D'ailleurs, devant la cour, Mme [V] produit, en pièce 11, une liste de virements de 650 euros à l'ordre de la CCM, mais sans que toutefois n'en apparaisse leur date.
Elle produit la liste des créances mentionnant la date de la liquidation judiciaire du 7 décembre 2021 et le passif résiduel d'un montant de 150 160,41 euros incluant les créances du CCM. Sans tenir compte des deux créances de prêts notariés portant la même référence (782,21 et 86 849,29 euros), le passif résiduel s'élève ainsi à 62 528,91 euros.
S'agissant de son actif, Mme [V] produit un extrait du Livre Foncier mentionnant qu'elle est propriétaire à [Localité 8] de deux parcelles de 3 ares 65 ca et 1 are 55 ca au [Adresse 5] et d'une parcelle de terres de 11 ares 8 ca.
Selon les mentions de l'exposé de la procédure du jugement attaqué, lors de l'audience du 3 février 2020 le commissaire à l'exécution du plan a notamment indiqué qu'elle est pleine propriétaire d'un terrain agricole de 11,08 ares à [Localité 8], et lors de l'audience du 7 décembre 2020, qu'elle est propriétaire de la maison d'habitation et de l'appartenant attenant sis à [Localité 8], qu'elle devrait pouvoir louer après réalisation de quelques travaux, qui pourraient être financés par la vente du terrain agricole, ce qui augmenterait son revenu salarié, qui est de 1 919,40 euros par mois, de 300 euros par mois.
Au soutien de son appel, Mme [V] convient de ces éléments de fait, puisqu'elle soutient, dans ses dernières conclusions écrites, qu'elle est en mesure de donner un appartement à bail d'habitation, ce qui constitue une nouvelle source de revenus, que les difficultés l'ayant conduite à ne pouvoir honorer certaines mensualités étaient dues à des difficultés exceptionnelles, ayant été malade puis en deuil, ce qui l'a plongée dans une situation difficile, qu'elle a maintenant surmontée, qu'elle est en capacité de travailler et d'honorer les échéances du plan, outre qu'elle héritera d'un terrain qui pourra être vendu et financer des travaux au sein de l'appartement pour le louer au moins 300 euros par mois.
Elle produit, en pièce 6, un extrait d'un site internet indiquant que le prix moyen du terrain constructible à 20 km de [Localité 8] est de 150 euros/m2.
En pièce 8, elle produit un extrait d'un site internet indiquant une estimation réalisée le 17 juin 2022 à 234 600 euros, prix net vendeur, pour le bien de 150 m2 sis [Adresse 5] à [Localité 8] et un loyer hors charge de 990 euros par mois.
En pièce 10, elle produit une annonce de vente d'une petite maison d'environ 51 m2 à rénover à [Localité 8], pour un prix de 115 000 euros.
En outre, elle produit des bulletins de salaire d'une entreprise sise en Allemagne mentionnant un salaire mensuel de l'ordre de 2 000 euros depuis décembre 2021, passé à un salaire de l'ordre de 2 247 euros en janvier et février 2023 (pièce 5 et 9).
Ainsi, il résulte de tout ce qui précède que, si Mme [V] a payé les échéances du plan de 2014 à 2016, soit 7 % du passif hors créance CCM, si elle rembourse régulièrement les échéances de 650 euros au CCM, et s'il n'est pas contesté qu'elle a réglé les créances inférieures à 300 euros, elle n'a pour autant pas intégralement honoré les échéances suivantes du plan, qui devaient être payées annuellement à compter de 2017.
Les immeubles dont elle est propriétaire ne constituent pas un actif disponible. Au demeurant, elle ne produit aucun élément établissant que la vente, ou la location, de l'un ou l'autre bien s'effectuera à court terme.
Elle ne soutient pas disposer d'autres actifs et, en tout état de cause, l'absence de règlement des échéances du plan depuis 2017 corrobore le fait qu'elle ne dispose pas d'actif disponible suffisant pour honorer les échéances annuelles.
Son seul revenu, même majoré de 300 euros par mois qui serait issu d'une location, est insuffisant pour lui permettre d'honorer les échéances du plan en retard.
Il en résulte qu'au cours de l'exécution du plan, l'actif disponible de Mme [V] ne lui permettait plus de faire face à son passif exigible. Il en est de même au jour où le tribunal a statué et au jour où la cour statue.
Dès lors, se trouvant en état de cessation des paiements au cours de l'exécution du plan et toujours au jour où le tribunal a statué, la juridiction de première instance était tenue, en application des dispositions légales précitées, de prononcer la résolution du plan et d'ouvrir une procédure de liquidation judiciaire.
Au jour où la cour statue, elle se trouve toujours en état de cessation des paiements, de sorte que le jugement sera confirmé, à l'exception toutefois de la date de la cessation des paiements.
Celle-ci sera provisoirement fixée au 7 décembre 2020.
Les dépens seront employés en frais privilégiés de la procédure collective.
P A R C E S M O T I F S
La Cour,
Confirme le jugement du tribunal judiciaire de Strasbourg du 7 décembre 2021, sauf en ce qu'il fixe provisoirement la date de cessation des paiements au 7 décembre 2021,
L'infirme de ce seul chef,
Statuant à nouveau du chef infirmé :
Fixe provisoirement la date de cessation des paiements au 7 décembre 2020,
Y ajoutant :
Dit que les dépens d'appel seront employés en frais privilégiés de la procédure collective.
La Greffière : la Présidente :