MINUTE N° 247/23
Copie exécutoire à
- Me Valérie PRIEUR
- Me Thierry CAHN
Le 24.05.2023
Le Greffier
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE COLMAR
PREMIERE CHAMBRE CIVILE - SECTION A
ARRET DU 24 Mai 2023
Numéro d'inscription au répertoire général : 1 A N° RG 21/00780 - N° Portalis DBVW-V-B7F-HP46
Décision déférée à la Cour : 17 Décembre 2020 par le Tribunal judiciaire de COLMAR - Service civil
APPELANTS - INTIMES INCIDEMMENT :
Monsieur [R] [T]
[Adresse 1]
Représenté par Me Valérie PRIEUR, avocat à la Cour
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Partielle numéro 2021/000168 du 26/01/2021 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de COLMAR)
S.C.I. [R]
prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 1]
Représentée par Me Valérie PRIEUR, avocat à la Cour
INTIMEE - APPELANTE INCIDEMMENT :
S.A. BANQUE POPULAIRE ALSACE LORRAINE CHAMPAGNE
prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 2]
Représentée par Me Thierry CAHN, avocat à la Cour
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 805 modifié du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 23 Novembre 2022, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme PANETTA, Présidente de chambre, et M. LAETHIER, Vice-Président placé.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme PANETTA, Présidente de chambre
M. ROUBLOT, Conseiller
M. LAETHIER, Vice-Président placé
qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : Mme VELLAINE
ARRET :
- Contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.
- signé par Mme Corinne PANETTA, présidente et Mme Régine VELLAINE, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Vu l'acte introductif d'instance déposé le 17 janvier 2019 et signifié aux défendeurs le 29 janvier 2019, par lequel la SA Banque Populaire Alsace Lorraine Champagne, ci-après également dénommée 'la Banque Populaire' ou 'la banque', a fait citer M. [R] [T] et la SCI [R], ci-après également 'la SCI', devant le tribunal de grande instance, devenu le 1er janvier 2020 le tribunal judiciaire de Colmar,
Vu le jugement rendu le 17 décembre 2020, auquel il sera renvoyé pour le surplus de l'exposé des faits, ainsi que des prétentions et moyens des parties en première instance, et par lequel le tribunal judiciaire de Colmar a statué comme suit :
'DECLARE recevables l'ensemble des demandes formées par la BANQUE POPULAIRE ALSACE LORRAINE CHAMPAGNE dans le cadre de la présente instance ;
CONDAMNE la S.C.I [R] à payer à la BANQUE POPULAIRE ALSACE LORRAINE CHAMPAGNE la somme de 167.093,82 € augmentée des intérêts au taux conventionnel de l,922 % sur la somme de 162.185,10 € à compter du 13 juin 2018 et augmentée des intérêts au taux légal sur la somme de 4.908,72 € à compter du 17 janvier 2019 ;
DIT ET JUGE que l'engagement de caution solidaire souscrit le 27 octobre 2010 par M. [R] [T] n'est pas entaché de nullité ni atteint de disproportion manifeste ;
DIT ET JUGE que la BANQUE POPULAIRE ALSACE LORRAINE CHAMPAGNE peut se prévaloir de l'engagement de caution solidaire souscrit le 27 octobre 2010 par M. [R] [T] ;
DIT ET JUGE que la BANQUE POPULAIRE ALSACE LORRAINE CHAMPAGNE n'a pas satisfait à son obligation d'information annuelle à l'égard de M. [R] [T], ni à celle relative à l'information du premier incident de paiement ;
CONDAMNE en conséquence M. [R] [T], dans la limite du plafond de 259.200 € convenu lors de la souscription de son engagement de caution, à payer à la BANQUE POPULAIRE ALSACE LORRAINE CHAMPAGNE la somme de 161.343,58 € augmentée des intérêts au taux légal à compter du 17 janvier 2019 ;
DIT ET JUGE que les condamnations présentement prononcées à l'encontre de la S.C.I [R] et de M. [R] [T] seront dues solidairement dans la limite des condamnations qui ont été prononcées à l'encontre de M. [R] [T] ;
DECLARE irrecevable comme étant prescrite la demande reconventionnelle de la S.C.I [R] tendant à voir condamner la BANQUE POPULAIRE ALSACE LORRAINE CHAMPAGNE à lui verser la somme de 125.000 € en réparation du préjudice subi du fait de la violation de son devoir de mise en garde et dire et juger que le montant alloué au titre de ladite demande reconventionnelle se compensera le cas échéant à due concurrence avec les sommes allouées à l'organisme prêteur ;
DEBOUTE M. [R] [T] de sa demande reconventionnelle tendant à voir condamner la BANQUE POPULAIRE ALSACE LORRAINE CHAMPAGNE à lui verser la somme de 125.000 € en réparation du préjudice subi du fait de la violation de son devoir de mise en garde et dire et juger que le montant alloué au titre de ladite demande reconventionnelle se compensera le cas échéant à due concurrence avec les sommes allouées à l'organisme prêteur ;
DEBOUTE la S.C.I [T] de l'ensemble de ses demandes fondées sur les dispositions de l'article 1244-1 ancien du code civil (article 1343-5 nouveau) ;
CONDAMNE in solidum la S.C.I [R] et M. [R] [T] à prendre en charge les dépens de la présente instance, exception faite des sommes exposées par l'Etat pour M. [R] [T] (voir sur ce point l'article 42 de la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique) ;
DEBOUTE la BANQUE POPULAIRE ALSACE LORRAINE CHAMPAGNE d'une part et la S.C.I [R] ainsi que M. [R] [T] d'autre part de leurs prétentions indemnitaires fondées sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
REJETTE toutes autres prétentions ;
ORDONNE l'exécution provisoire de la présente décision.'
Vu la déclaration d'appel formée par M. [R] [T] et la SCI [R] contre ce jugement, et déposée le 3 février 2021,
Vu la constitution d'intimée de la SA Banque Populaire Alsace Lorraine Champagne en date du 4 mars 2021,
Vu les dernières conclusions en date du 25 mai 2022, auxquelles est joint un bordereau de pièces récapitulatif qui n'a fait l'objet d'aucune contestation des parties, et par lesquelles M. [R] [T] et la SCI [R] demandent à la cour de :
'DECLARER l'appel incident de la BANQUE POPULAIRE ALSACE LORRAINE CHAMPAGNE mal fondé,
En conséquence :
LE REJETER,
CONFIRMER le jugement entrepris en ce qu'il a dit et jugé que BANQUE POPULAIRE ALSACE LORRAINE CHAMPAGNE n'a pas satisfait à son obligation d'information annuelle à l'égard de M. [R] [T], ni à celle relative à l'information de premier incident de paiement, et qu'elle encourt en conséquence la déchéance des intérêts jusqu'à la date de dépôt de la demande introductive d'instance le 17 janvier 2019,
DEBOUTER la BANQUE POPULAIRE ALSACE LORRAINE CHAMPAGNE de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,
DECLARER l'appel principal recevable et bien fondé,
Y faisant droit :
INFIRMER le jugement entrepris en ce qu'il :
DECLARE recevables l'ensemble des demandes formées par la BANQUE POPULAIRE ALSACE LORRAINE CHAMPAGNE ;
CONDAMNE la S.C.I [R] à payer à la BANQUE POPULAIRE ALSACE LORRAINE CHAMPAGNE la somme de 167.093,82 € augmentée des intérêts au taux conventionnel de 1,922 % sur la somme de 162.185,10 € à compter du 13 juin 2018 et augmentée des intérêts au taux légal sur la somme de 4.908,72 € à compter du 17 janvier 2019 ;
DIT ET JUGE que l'engagement de caution solidaire souscrit le 27 octobre 2010 par M. [R] [T] n'est pas entaché de nullité ni atteint de disproportion manifeste ;
DIT ET JUGE que la BANQUE POPULAIRE ALSACE LORRAINE CHAMPAGNE peut se prévaloir de l'engagement de caution solidaire souscrit le 27 octobre 2010 par M. [R] [T] ;
CONDAMNE M. [R] [T], dans la limite du plafond de 259.200 € convenu lors de la souscription de son engagement de caution, à payer à la BANQUE POPULAIRE ALSACE LORRAINE CHAMPAGNE la somme de 161.343,58 € augmentée des intérêts au taux légal à compter du 17 janvier 2019 ;
DIT ET JUGE que les condamnations présentement prononcées à l'encontre de la S.C.I [R] et de M. [R] [T] seront dues solidairement dans la limite des condamnations qui ont été prononcées à l'encontre de M. [R] [T] ;
DECLARE irrecevable comme étant prescrite la demande reconventionnelle de la S.C.I [R] tendant à voir condamner la BANQUE POPULAIRE ALSACE LORRAINE CHAMPAGNE à lui verser la somme de 125.000 € en réparation du préjudice subi du fait de la violation de son devoir de mise en garde et dire et juger que le montant alloué au titre de ladite demande reconventionnelle se compensera le cas échéant à due concurrence avec les sommes allouées à l'organisme prêteur ;
DEBOUTE M. [R] [T] de sa demande reconventionnelle tendant à voir condamner la BANQUE POPULAIRE ALSACE LORRAINE CHAMPAGNE à lui verser la somme de 125.000 € en réparation du préjudice subi du fait de la violation de son devoir de mise en garde et dire et juger que le montant alloué au titre de ladite demande reconventionnelle se compensera le cas échéant à due concurrence avec les sommes allouées à l'organisme prêteur ;
DEBOUTE la S.C.I [T] de l'ensemble de ses demandes fondées sur les dispositions de l'article 1244-1 ancien du code civil (article 1343-5 nouveau) ;
CONDAMNE in solidum la S.C.I [R] et M. [R] [T] à prendre en charge les dépens de la présente instance, exception faite des sommes exposées par l'État pour M. [R] [T] ;
DEBOUTE la S.C.I [R] ainsi que M. [R] [T] de leurs prétentions indemnitaires fondées sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
REJETTE toutes autres prétentions de M. [T] et de la SCI [R] ;
LE CONFIRMER pour le surplus,
Et, statuant à nouveau dans cette limite :
CONSTATER l'existence d'une disproportion manifeste entre les biens et revenus de M. [R] [T] et le montant de l'engagement souscrit par lui au titre de l'acte de caution le 27 octobre 2010,
CONSTATER l'absence de retour à meilleure fortune lors de la mise en 'uvre de l'engagement de caution,
En conséquence :
PRONONCER la déchéance de l'intimée du droit de se prévaloir de l'acte de caution souscrit par M. [T] le 27 octobre 2010,
DEBOUTER l'intimée de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions plus amples ou contraires à l'encontre de Monsieur [T] et de la SCI [R],
CONSTATER la violation de l'obligation d'information et de conseil, et du devoir de mise en garde de l'intimée à l'égard de M. [T] et de la SCI [R],
DECLARER recevable et bien fondée l'action en responsabilité du fait de la violation de l'obligation d'information et de conseil ainsi que du devoir de mise en garde de la banque formée par M. [T] et la SCI [R],
CONDAMNER l'intimée à verser la somme de 167.093,82 € (cent soixante-sept mille quatre-vingt-treize euros et quatre-vingt-deux centimes) à la SCI [R] et à Monsieur [T] en réparation du préjudice subi du fait de la violation de son obligation d'information et de conseil ainsi que de son devoir de mise en garde,
DIRE ET JUGER que le montant alloué à la SCI [R] et à Monsieur [T] à ce titre se compensera le cas échéant à due concurrence avec les sommes allouées à l'intimée,
En tout état de cause :
DIRE ET JUGER que les paiements effectués par la SCI [R] et Mr [T] s'imputent sur le principal de la dette cautionnée,
REDUIRE le montant sollicité au titre du remboursement du capital restant dû à hauteur de 124.568,25 € en quittances et deniers,
REPORTER ou ECHELONNER, durant deux années, le paiement des sommes dues par la SCI [R] et M. [T],
DIRE que les sommes correspondant aux échéances reportées porteront intérêt à un taux réduit, égal au taux légal, et que les paiements s'imputeront d'abord sur le capital,
CONDAMNER la BANQUE POPULAIRE ALSACE LORRAINE CHAMPAGNE à verser à Monsieur [T] la somme de 2.100,00 € (deux mille euros) au titre de l'article 700,1°, du Code de procédure civile,
CONDAMNER la BANQUE POPULAIRE ALSACE LORRAINE CHAMPAGNE à verser à la SCI [R] la somme de 2.100,00 € (deux mille euros) au titre de l'article 700,1°, du Code de procédure civile,
CONDAMNER la BANQUE POPULAIRE ALSACE LORRAINE CHAMPAGNE à payer directement à Maître Valérie PRIEUR la somme de 800 € en application de l 'article 700, 2°, du Code de procédure civile,
CONDAMNER la BANQUE POPULAIRE ALSACE LORRAINE CHAMPAGNE aux entiers dépens de première instance et d'appel, y compris l'intégralité des frais, émoluments et honoraires liés à une éventuelle exécution de l'arrêt à intervenir par voie d'huissier, et en particulier tous les droits de recouvrement ou d'encaissement visés par le Décret n° 2016-230 du 26 février 2016 relatif aux tarifs de certains professionnels du droit et au fonds interprofessionnel de l'accès au droit et à la justice, sans exclusion des droits de recouvrement ou d'encaissement à la charge du créancier'
et ce, en invoquant, notamment :
- la disproportion manifeste de son engagement de caution,
- un manquement de la banque à tant à son obligation d'information et de conseil qu'à son devoir de mise en garde que ce soit envers M. [T], dont l'action serait recevable et bien fondée à ce titre, ainsi qu'envers la SCI [R], dont l'action ne serait pas prescrite, pour n'avoir eu connaissance du manquement qu'à partir du moment où le risque s'est réalisé,
c'est-à-dire lorsque M. [T] a été déclaré inapte, et que l'assurance n'a pas pris en charge le remboursement des mensualités du prêt, ce dont elle n'aurait pas connaissance lors de sa souscription,
- la diminution du montant de la créance principale au regard des règlements effectués par les concluants,
- la justification de l'octroi de délais de paiement à M. [T] au regard de sa situation actuelle,
- un manquement de la banque, sur qui pèserait la charge de la preuve à ce titre, à son obligation d'information de la caution,
- le rejet de l'appel incident adverse sur les frais.
Vu les dernières conclusions en date du 2 mai 2022, auxquelles est joint un bordereau de pièces récapitulatif qui n'a fait l'objet d'aucune contestation des parties, et par lesquelles la Banque Populaire demande à la cour de :
'REJETER l'appel et le dire mal fondé ;
REJETER l'intégralité des demandes, fins et conclusions de la SCI [R] et de Monsieur [T] ;
RECEVOIR l'appel incident et le dire bien fondé ;
CONFIRMER le jugement sauf en ce qu'il a dit et jugé que la BPALC avait manqué à son devoir d'information annuel de la caution ainsi que du premier incident de paiement et n'a pas droit à la demande de condamnation solidaire au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Y faisant droit :
DECLARER que la BPALC n'a pas manqué à son devoir d'information annuel de la caution ainsi que du premier incident de paiement, de telle sorte que la Banque n'encourt pas la déchéance du droit aux intérêts jusqu'au 17 janvier 2019 date de la demande introductive.
En tout état de cause :
CONDAMNER solidairement Monsieur [T] et la SCI [R], outre aux entiers dépens de l'instance, d'avoir à payer la somme globale de 4.200 € au titre de l'article 700 du Code de procédure, à savoir 2.000 € pour la première instance et 2.200 € pour la procédure d'appel'
et ce, en invoquant, notamment :
- la recevabilité de sa demande et l'absence de contestation adverse quant au principe et au montant de sa créance,
- l'opposabilité du cautionnement de M. [T] en l'absence de disproportion manifeste,
- l'absence, en conséquence, de devoir de mise en garde due par la concluante à ce dernier,
l'absence également d'obligation d'information ou de devoir de mise en garde envers la SCI, emprunteur dans le cadre professionnel,
- l'absence de manquement à son obligation d'information de la caution, lequel serait invoqué de mauvaise foi par la partie adverse, des frais ayant été mis en compte à ce titre,
- l'absence de justification des délais de paiement au regard de l'ancienneté de la dette et des risques quant à son recouvrement liés à l'accumulation d'intérêts supplémentaires,
- la défaillance adverse l'ayant contrainte à engager une procédure judiciaire aux fins de recouvrer sa créance, de telle sorte que ce serait à tort que le premier juge n'a pas fait droit à sa demande de condamnation au titre l'article 700 du Code de procédure civile.
Vu l'ordonnance de clôture en date du 26 octobre 2022,
Vu les débats à l'audience du 23 novembre 2022,
Vu le dossier de la procédure, les pièces versées aux débats et les conclusions des parties auxquelles il est référé, en application de l'article 455 du code de procédure civile, pour l'exposé de leurs moyens et prétentions.
MOTIFS :
Au préalable, la cour rappelle, en tant que de besoin, que :
- aux termes de l'article 954, alinéa 3, du code de procédure civile, elle ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion,
- ne constituent pas des prétentions au sens de l'article 4 du code de procédure civile les demandes des parties tendant à 'dire et juger' ou 'constater', en ce que, hors les cas prévus par la loi, elles ne sont pas susceptibles d'emporter de conséquences juridiques, mais constituent en réalité des moyens ou arguments, de sorte que la cour n'y répondra qu'à la condition qu'ils viennent au soutien de la prétention formulée dans le dispositif des conclusions et, en tout état de cause, pas dans son dispositif mais dans ses motifs.
Sur la demande en paiement dirigée contre M. [T] en sa qualité de caution :
Aux termes de l'article L. 341-4, devenu L. 332-1 et L. 343-4, du code de la consommation, en leur version applicable à la cause, un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation.
À ce titre, il convient, tout d'abord, de préciser que le caractère manifestement disproportionné de l'engagement souscrit par la caution, au sens de ces dispositions, s'apprécie au regard du montant de cet engagement et non de celui du prêt garanti ou de ses échéances.
Par ailleurs, en application des dispositions précitées, c'est à la caution de justifier qu'au jour de sa conclusion, son engagement était manifestement disproportionné à ses biens et revenus.
Lorsqu'à l'occasion de la souscription de son engagement, la caution a déclaré au créancier des éléments sur sa situation personnelle, le créancier peut, en l'absence d'anomalie apparente, s'y fier et n'a pas à vérifier l'exactitude de ces déclarations.
Dans ce cas, la caution ne sera alors pas admise à établir, devant le juge, que sa situation financière était en réalité moins favorable que celle qu'elle avait déclarée à la banque.
En revanche, en présence d'anomalie apparente, ou lorsque la caution n'a déclaré aucun élément sur sa situation patrimoniale à la banque lors de son engagement, notamment parce que cette dernière ne lui a rien demandé, la caution est libre de démontrer, devant le juge, quelle était sa situation financière réelle lors de son engagement. Elle peut aussi opposer à la banque les éléments non déclarés dont celle-ci avait connaissance.
De son côté, la banque peut invoquer des éléments de la situation de la caution qu'elle n'aurait pas déclarés.
Au cas où la disproportion manifeste de l'engagement au jour de sa conclusion serait retenue, c'est à la banque qu'il appartient d'établir qu'au jour où elle a appelé la caution, son patrimoine lui permettait de faire face à son obligation.
En l'espèce, il convient de rappeler que M. [T], tout comme, par ailleurs, M. [F] [O], s'est porté, le 27 octobre 2010, caution personnelle et solidaire, à hauteur de 259 200 euros en principal, outre intérêts et accessoires, de l'engagement souscrit le même jour par la SCI [R], dont il était l'associé à 50 %, s'agissant d'un contrat de prêt immobilier d'un montant en capital de 216 000 euros.
Or, en l'absence de fiche de renseignements versés aux débats, mais au regard des éléments qui ont été pris en compte par le premier juge, et sur la matérialité desquels les parties s'accordent, il apparaît que M. [T], qui était alors célibataire et sans charge de famille percevait un salaire net mensuel de l'ordre de 1 800 euros net, ce qui est corroboré par les avis d'imposition qu'il produit, tout en étant effectivement associé de la SCI débitrice principale, dont le patrimoine était constitué du bien financé, mais grevé de l'emprunt cautionné, étant en tout état de cause relevé que la valeur même brute de ce bien n'aurait pas permis, au prorata des parts détenues par M. [T], de couvrir son engagement, dont le caractère manifestement disproportionné est ainsi suffisamment établi, sans que la capacité d'emprunt, au demeurant réduite au regard des engagements de la SCI, de l'intéressé, qui était engagé en tant que caution et non débiteur principal, ne soit en cause.
Au vu de ces éléments, et la banque n'établissant pas le retour à meilleure fortune de la caution au moment où celle-ci a été appelée, lequel ne ressort, au demeurant, pas des multiples éléments versés aux débats par les appelants, il convient de dire que l'engagement de caution litigieux n'est pas opposable à M. [T], et en conséquence, de débouter la Banque Populaire de sa demande en paiement envers la caution, le jugement entrepris devant ainsi être infirmé en ce qu'il a fait droit à cette demande dans les termes rappelés ci-avant.
Sur la demande reconventionnelle de dommages-intérêts de M. [T] pour manquement de la banque à ses obligations 'd'information et de conseil' et à son devoir de mise en garde :
M. [T] se trouvant, par l'effet de la disproportion manifeste de son engagement de caution, déchargé des obligations découlant de cet engagement, il ne justifie, en conséquence, et en tout état de cause pas d'un préjudice résultant d'un manquement aux obligations qu'il invoque, de sorte que le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il l'a débouté à ce titre, ce qui prive d'objet la demande formée en conséquence en compensation des créances.
Sur la demande de déchéance du droit aux intérêts du prêteur envers la caution et les délais de paiement sollicités par cette dernière :
S'il a été fait droit à la demande de M. [T] sur ce point par le premier juge, celle-ci se trouve désormais privée d'objet dès lors que M. [T] a été intégralement déchargé de ses obligations au titre de son engagement de caution, de sorte qu'il y a lieu d'infirmer le jugement entrepris sur ce point, sans qu'il n'y ait lieu à trancher à nouveau cette demande, nécessairement subsidiaire, à hauteur de cour. Il en est de même de la demande en délais de paiement formée par M. [T].
Sur la demande reconventionnelle de la SCI [R] en dommages-intérêts pour violation par la banque de ses obligations d'information et de conseil et de son devoir de mise en garde :
Si le jugement entrepris doit être infirmé en ce qu'il a déclaré prescrite cette demande, dans la mesure où il convient de rappeler que le dommage résultant d'un manquement du banquier à son obligation d'information, de mise en garde ou de conseil, qui consiste en une perte de chance de ne pas contracter ou d'éviter le risque qui s'est réalisé, se manifeste à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime, si celle-ci établit qu'elle n'en avait pas eu précédemment connaissance, le dommage s'étant, en l'espèce, réalisé par le défaut de paiement du prêt à compter du 6 janvier 2018, la SCI ne démontre, cependant, pas, sur le fond, que la banque aurait manqué à son obligation de conseil alors qu'il n'est pas établi qu'un conseil aurait été sollicité par la société auprès de l'établissement, ni que l'emprunteur n'aurait pas reçu d'information suffisante sur les caractéristiques du prêt.
Et s'agissant de l'obligation de mise en garde, il convient de relever que la SCI n'invoque, à l'appui de son argumentation, que la disproportion de la garantie prise à l'égard de M. [T] et l'inadaptation du contrat d'assurance groupe souscrit par ce dernier auprès de la banque, et ce alors que, pour sa part, la SCI s'est acquittée durant huit ans sans incident des échéances du prêt, qui ne pouvait, dès lors, être considéré, lors de sa conclusion, comme inadapté aux capacités financières de la société.
En conséquence, la SCI [R] sera déboutée de sa demande indemnitaire et de sa demande en compensation en découlant.
Sur le montant de la condamnation en principal de la SCI [R] :
S'il apparaît que des versements partiels ont été effectués entre les mains de l'huissier au titre de la créance détenue par la banque, il doit, cependant, être rappelé que les parties désormais appelantes étaient, en tout état de cause, tenues de l'exécution provisoire du jugement qui était entré en voie de condamnation à leur encontre, outre que, parallèlement aux versements effectués, il doit être également tenu compte de l'évolution des intérêts et des frais, de sorte qu'au regard des éléments dont la cour dispose, elle confirmera la décision entreprise sur ce point, tout en prononçant la condamnation mise à la charge de la SCI [R] en deniers ou quittances.
Sur la demande de délais de paiement sollicitée par la SCI [R] :
En application de l'article 1343-5 du code civil, le juge peut, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, reporter ou échelonner, dans la limite de deux années, le paiement des sommes dues.
En l'espèce, il n'est pas davantage justifié qu'en première instance, que la situation actuelle de la SCI [R], qui n'est, d'ailleurs, pas évoquée par les appelants, lesquels ne font référence qu'à la situation de M. [T], serait de nature à permettre l'octroi et le respect du délai de grâce sollicité, la demande devant, en conséquence, être écartée.
Sur les dépens et les frais irrépétibles :
La banque succombant au moins partiellement dans ses prétentions, sera tenue des dépens de l'appel, par application de l'article 696 du code de procédure civile, le jugement déféré devant, pour sa part, recevoir confirmation sur cette question.
L'équité commande de ne pas faire application de l'article 700 1° et 2° du code de procédure civile au bénéfice tant des parties appelantes que de la partie intimée.
P A R C E S M O T I F S
La Cour,
Infirme le jugement rendu le 17 décembre 2020 par le tribunal judiciaire de Colmar en ce qu'il a :
- dit et jugé que l'engagement de caution solidaire souscrit le 27 octobre 2010 par M. [R] [T] n'est pas atteint de disproportion manifeste,
- dit et jugé que la SA Banque Populaire Alsace Lorraine Champagne peut se prévaloir de l'engagement de caution solidaire souscrit le 27 octobre 2010 par M. [R] [T],
- dit et jugé que la SA Banque Populaire Alsace Lorraine Champagne n'a pas satisfait à son obligation d'information annuelle à l'égard de M. [R] [T], ni à celle relative à l'information du premier incident de paiement,
- condamné en conséquence M. [R] [T], dans la limite du plafond de 259.200 € convenu lors de la souscription de son engagement de caution, à payer à la Banque Populaire Alsace Lorraine Champagne la somme de 161 343,58 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter du 17 janvier 2019,
- dit et jugé que les condamnations présentement prononcées à l'encontre de la S.C.I [R] et de M. [R] [T] seraient dues solidairement dans la limite des condamnations qui ont été prononcées à l'encontre de M. [R] [T],
- déclaré irrecevable comme étant prescrite la demande reconventionnelle de la S.C.I [R] tendant à voir condamner la SA Banque Populaire Alsace Lorraine Champagne à lui verser la somme de 125 000 euros en réparation du préjudice subi du fait de la violation de son devoir de mise en garde et dire et juger que le montant alloué au titre de ladite demande reconventionnelle se compensera le cas échéant à due concurrence avec les sommes allouées à l'organisme prêteur,
Confirme le jugement entrepris pour le surplus,
Statuant à nouveau des chefs de la décision infirmés et y ajoutant,
Déclare l'engagement de caution souscrit par M. [R] [T] manifestement disproportionné à ses revenus et patrimoine, et inopposable à ce dernier,
Déboute la SA Banque Populaire Alsace Lorraine Champagne de sa demande en paiement dirigée contre M. [R] [T],
Déclare la SCI [R] recevable en sa demande de dommages-intérêts pour violation des obligations d'information et de conseil et du devoir de mise en garde,
Déboute la SCI [R] de sa demande de dommages-intérêts pour violation des obligations d'information et de conseil et du devoir de mise en garde et de sa demande de compensation de créances en découlant,
Dit que la condamnation prononcée en principal à hauteur de la somme de 167 093,82 euros prononcée à l'encontre de la SCI [R] l'est en deniers ou quittances valables,
Déboute la SCI [R] de sa demande de délais de paiement,
Condamne la SA Banque Populaire Alsace Lorraine Champagne aux dépens de l'appel, qui seront recouvrés conformément aux dispositions régissant l'aide juridictionnelle,
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile au bénéfice tant de la SA Banque Populaire Alsace Lorraine Champagne que de M. [R] [T] et de la SCI [R].
La Greffière : la Présidente :