COUR D'APPEL DE COLMAR
Chambre 6 (Etrangers)
N° RG 23/01316 - N° Portalis DBVW-V-B7H-IBLL
N° de minute : 107/2023
ORDONNANCE
Nous, Catherine DAYRE, Conseillère à la Cour d'Appel de Colmar, agissant par délégation de la première présidente, assisté de Laura BONEF, greffière ;
Dans l'affaire concernant :
X SE DISANT [K] [C]
né le 05/12/1995 à [Localité 2] (ALGERIE)
de nationalité algérienne
Actuellement retenu au centre de rétention de [Localité 3]
VU les articles L.141-2 et L.141-3, L.251-1 à L.261-1, L.611-1 à L.614-19, L.711-2, L.721-3 à L.722-8, L.732-8 à L.733-16, L.741-1 à L.744-17, L.751-9 à L.754-1, L761-8, R.741-1, R.744-16, R.761-5 du Code de l'Entrée et du Séjour des Etrangers et du Droit d'Asile (CESEDA) ;
VU l'arrêté pris le 01 avril 2023 par M. LE PREFET DE LA MOSELLE faisant obligation à X SE DISANT [C] [K] de quitter le territoire français ;
VU la décision de placement en rétention administrative prise le 01 avril 2023 par M. LE PREFET DE LA MOSELLE à l'encontre de X SE DISANT [C] [K], notifiée à l'intéressé le même jour à 11h10 ;
VU le recours de X SE DISANT [C] [K] daté du 03 avril 2023, reçu et enregistré le même jour à 11h06 au greffe du tribunal, par lequel il demande au tribunal d'annuler la décision de placement en rétention administrative pris à son encontre ;
VU la requête de M. LE PREFET DE LA MOSELLE datée du 02 avril 2023, reçue et enregistrée le même jour à 13h56 au greffe du tribunal, tendant à la prolongation de la rétention administrative pour une durée de 28 jours de X SE DISANT [C] [K] ;
VU l'ordonnance rendue le 04 Avril 2023 à 11h05 par le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Strasbourg, faisant droit au recours de X SE DISANT [C] [K], déclarant la requête de M. LE PREFET DE LA MOSELLE recevable et la procédure régulière, et ordonnant la mainlevée de la mesure ;
VU l'appel de cette ordonnance interjeté par M. LE PREFET DE LA MOSELLE par voie électronique reçue au greffe de la Cour le 04 Avril 2023 à 16h20 ;
VU les avis d'audience délivrés le 04 avril 2023 à l'intéressé, à Maitre Eulalie LEPINAY, avocat de permanence, à M. LE PREFET DE LA MOSELLE et à M. Le Procureur Général ;
Le représentant de M. LE PREFET DE LA MOSELLE, appelant, dûment informé de l'heure de l'audience par courrier électronique du 04 avril 2023, n'a pas comparu mais à faire parvenir des observations complémentaires en date du 05 avril 2023.
Après avoir entendu Maitre Eulalie LEPINAY, avocat au barreau de Colmar, commise d'office, en ses observations, puis Maître Jean-Alexandre CANO, avocat au barreau de Paris, en ses conclusions écrites pour la SELARL [Z] & associés, conseil de LA PREFECTURE DE LA MOSELLE.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Le 1er avril 2023, Monsieur [W] se disant [C] [D], ressortissant algérien, a fait l'objet d'un arrêté, du préfet du Bas Rhin, portant obligation de quitter le territoire français, à la suite d'une intervention à son domicile pour des violences commises à l'encontre de son épouse.
Le même jour, le préfet du Bas Rhin a placé Monsieur [C] [D] en rétention administrative.
Monsieur [C] [D] a exercé, le 3 avril 2023, un recours contre cette décision, alors que, le 2 avril 2023, le préfet a sollicité la prolongation de la rétention administrative.
Par ordonnance du 4 avril 2023, le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Strasbourg a fait droit au recours de Monsieur [W] se disant [C] [D], a déclaré sans objet la requête du préfet et a ordonné la remise en liberté de Monsieur [W] se disant [C] [D].
Pour statuer ainsi, le juge des libertés et de la détention a énoncé que la décision ordonnant le placement en rétention administrative de Monsieur [C] [D] était entachée d'une erreur de fait en ce que [C] [D] avait entamé des démarches pour régulariser sa situation et que, d'autre part il avait une résidence stable à [Localité 4].
Le préfet du Bas Rhin, représenté, a repris oralement les termes de sa déclaration d'appel et a sollicité l'infirmation de l'ordonnance, le constat de la régularité du placement et la prolongation de la rétention administrative.
Il a fait valoir que le juge des libertés et de la détention s'était en réalité prononcé sur le droit pour l'intéressé de séjourner en France et sur l'opportunité d lui accorder un délai de départ volontaire, sujets qui échappent à sa compétence.
Il a ajouté que l'intéressé avait bien déposé une demande de titre de séjour mais non complète et qu'il ne lui avait pas été délivré de récépissé; que la famille de l'intéressé était entièrement composée de ressortissants étrangers et qu'il ne justifiait d'aucune ressource légale.
Il a également observé que l'intéressé avait été interpellé pour des faits de violences volontaires aggravées sur son épouse et qu'il ne pouvait donc être assigné à résidence au domicile conjugal; qu'enfin il ne disposait d'aucun passeport ou titre démontrant son identité; qu'il avait exprimé sa volonté de rester en France.
Monsieur [C] [D] non comparant représenté par son conseil a sollicité la confirmation de l'ordonnance.
Il a fait valoir que le placement en rétention administrative était bien entaché d'une erreur de fait ; qu'en effet, il justifiait avoir envoyé de nombreux courriers à la préfecture pour régulariser sa situation ; qu'également, il justifiait d'une adresse stable, étant relevé que le sort réservé à la procédure pour violence n'était pas défini.
Sur ce
Sur la recevabilité de l'appel
L'appel de Madame la préfète du Bas Rhin à l'encontre de l'ordonnance, rendue le 4 avril 2023 à 11h05 par le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Strasbourg, interjeté le 4 avril 2023 à 16h20, est recevable pour avoir été formé dans le délai prévu a l'article R 743-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Sur la régularité du placement en rétention administrative
Aux termes de l'article L743-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en cas de violation des formes prescrites par la loi à peine de nullité ou d'inobservation des formalités substantielles, le juge des libertés et de la détention saisi d'une demande sur ce motif ou qui relève d'office une telle irrégularité ne peut prononcer la mainlevée du placement ou du maintien en rétention que lorsque celle-ci a eu pour effet de porter atteinte aux droits de l'étranger.
Aux termes de l' articles L741-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile , un étranger se trouvant dans l'un des cas prévus à l'article L731-1 peut être placé en rétention administrative pour une durée de 48 heures, lorsqu'il ne présente pas de garanties de représentation effectives propres à prévenir un risque de soustraction à l'exécution de la décision d'éloignement et qu'aucune autre mesure n'apparaît suffisante à garantir efficacement l'exécution effective de cette décision.
Le risque mentionné au premier alinéa est apprécié selon les mêmes critères que ceux prévus à l'article L612-3.
L'article L612-3, auquel il est renvoyé énonce que le risque mentionné au 3° de l'article L. 612-2 peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants :
1° L'étranger, qui ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français, n'a pas sollicité la délivrance d'un titre de séjour ;
(...)
8° L'étranger ne présente pas de garanties de représentation suffisantes, notamment parce qu'il ne peut présenter des documents d'identité ou de voyage en cours de validité, qu'il a refusé de communiquer les renseignements permettant d'établir son identité ou sa situation au regard du droit de circulation et de séjour ou a communiqué des renseignements inexacts, qu'il a refusé de se soumettre aux opérations de relevé d'empreintes digitales ou de prise de photographie prévues au 3° de l'article L. 142-1, qu'il ne justifie pas d'une résidence effective et permanente dans un local affecté à son habitation principale ou qu'il s'est précédemment soustrait aux obligations prévues aux articles L. 721-6 à L. 721-8, L. 731-1, L. 731-3, L. 733-1 à L. 733-4, L. 733-6, L. 743-13 à L. 743-15 et L. 751-5.
Il convient d'observer, préliminairement, que, contrairement à ce qu'affirme le préfet, le juge des libertés et de la détention ne s'est pas prononcé sur le droit au séjour de l'intimé, mais bien sur la régularité de l'arrêté de placement en rétention administrative.
Il est exact que l'administration ne peut, sans commettre une erreur de fait, pouvant entraîner l'annulation de celle-là, appuyer sa décision sur des faits inexacts.
En l'espèce , aux termes de son arrêté de placement en rétention administrative en date du 1er avril 2023, le préfet expose que Monsieur [W] se disant [C] [D] ne dispose pas de garanties de représentation effectives propres à prévenir un risque de soustraction à l'exécution de la décision d'éloignement et qu'aucune autre mesure n'apparaît suffisante à garantir efficacement l'exécution effective de cette décision.
Il fonde cette conclusion sur le fait que:
- Monsieur X se disant [C] [D] n'a effectué aucune démarche afin de régulariser sa situation administrative et se maintient en situation irrégulière,
-Monsieur X se disant [C] [D] déclare être hébergé au [Adresse 1], mais n'en justifie pas.
Le premier juge a considéré que ces motifs étaient inexacts, que la décision du préfet était dès lors entachée d'une erreur de fait.
S'agissant des démarches introduites par l'intéressé pour régulariser sa situation, il ressort du courrier adressé le 4 janvier 2022 par la préfecture de la Moselle à Monsieur [W] se disant [C] [D], que sa demande de délivrance d'un titre de séjour en date du 3 septembre 2021, était incomplète et n'a donc pu être enregistrée ; que la demande a d'ailleurs été retournée à l'intéressé.
En aucun cas, une demande de titre de séjour, non enregistrée et retournée au demandeur , ne saurait être considérée comme l'accomplissement d'une démarche pour régulariser sa situation, puisque, de fait, le préfet n'est pas saisi de la demande.
Par ailleurs, on ne saurait déduire, de la production de simples photocopies d'avis de réception de courriers, adressés par Monsieur [W] se disant [C] [D] à la préfecture, que celui-ci aurait engagé de nombreuses démarches, alors même que le contenu de ces courriers n'est pas produit, qu'il peut concerner n'importe quel sujet et que Monsieur [W] se disant [C] [D] ne justifie pas d'une demande de titre de séjour régulièrement enregistrée.
L'affirmation du préfet selon laquelle Monsieur [W] se disant [C] [D] n'a effectué aucune démarche afin de régulariser sa situation administrative et se maintient en situation irrégulière repose donc sur des éléments factuellement vrais.
S'agissant, par ailleurs, de l'existence d'une adresse certaine et stable, si Monsieur [W] se disant [C] [D] justifie bien, par la production de son bail ainsi que de factures, qu'il demeure au [Adresse 1], il s'agit du domicile conjugal.
Or il ressort de l'enquête de police , diligentée à la suite de l'intervention à ce domicile, ainsi que de la grille d'évaluation du danger que, non seulement Madame [E] [F] a subi des violences de la part de son époux le 31 mars 2023, mais encore qu'elle subit régulièrement de telles violences, outre diverses autres maltraitances telles que des menaces de mort ou une surveillance constante de ses faits et gestes, la fréquence des agressions ayant récemment augmenté.
Malgré les dénégations du mis en cause, il est apparu que la plaignante portait les traces physiques d'une agression.
Monsieur [W] se disant [C] [D] ne peut donc se prévaloir de ce domicile auquel, il ne peut, de toute évidence, être assigné à résidence.
En effet, la préfecture rappelle utilement que par arrêt du 7 octobre 2022, la Cour européenne des droits de l'homme a condamné l'Italie pour sa passivité à mener des poursuites pénales contre un auteur de violences domestiques et pour n'avoir pas pris les mesures préventives appropriées, afin de protéger sa conjointe, en violation de l'article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
La préfecture ne saurait donc, en application de cette jurisprudence, assigner Monsieur [W] se disant [C] [D] à résidence en un lieu où il commet des violences domestiques.
C'est donc, en s'appuyant sur des faits réels que le préfet a pu écrire que Monsieur [W] se disant [C] [D] ne justifiait pas d'un domicile stable et certain.
Il s'ensuit que la décision du préfet de placer Monsieur [C] [D] en rétention administrative n'est entachée d'aucune erreur de fait.
La cour n'étant saisie d'aucun autre motif de contestation de l'arrêté de placement en rétention administrative, il apparaît qu'en l'espèce les conditions des articles L741-1 et L612-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile sont remplies et que dès lors le recours de Monsieur [C] [D] n'est pas fondé.
La décision déférée sera donc infirmée.
Sur la prolongation de la rétention administrative
Aux termes des articles L742-1 et L742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile le maintien en rétention au-delà de quarante-huit heures à compter de la notification de la décision déplacement initiale peut être autorisé, par le juge des libertés et de la détention saisi à cette fin par l'autorité administrative.
Le texte n'impose aucune condition à cette prolongation, si ce n'est que, conformément à l'article L. 741-3 du code susvisé, l'administration effectue toutes les diligences nécessaires à l'éloignement de l'intéressé, en temps utile.
Pour le surplus, la cour constate qu' il n'est émis aucune critique à l'encontre des diligences effectuées par l'administration, étant relevé que la demande de reconnaissance consulaire a été adressée le 1er avril 2023.
Il est constant que la mesure d'éloignement n'a pu être mise à exécution dans le délai de quarante huit heures qui s'est écoulé depuis la décision de placement en rétention administrative.
La personne retenue ne remplit pas les conditions d'une assignation à résidence, telles que fixées par l'article L. 743-13 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en ce sens qu'elle n'a pas préalablement remis à un service de police ou à une unité de gendarmerie un passeport en cours de validité et qu'elle ne dispose pas d'adresse fixe en France quels que soient les mérites de ses garanties de représentation.
Par conséquent il convient d'infirmer l'ordonnance déférée sur ce point et d'ordonner la prolongation de la rétention administrative de Monsieur [W] se disant [C] [D].
PAR CES MOTIFS
DÉCLARONS l'appel recevable en la forme,
INFIRMONS l'ordonnance du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Strasbourg en date du 4 avril 2023,
Statuant à nouveau,
REJETONS le recours de Monsieur X se disant [C] [D] contre l'arrêté préfectoral le plaçant en rétention administrative,
ORDONNONS la prolongation de la rétention administrative pour une durée de vingt-huit jours à compter du 3 avril 2023 à 11h10.
Prononcé à Colmar, en audience publique, le 05 Avril 2023 à 14h55, en présence de :
- Maître Maitre Eulalie LEPINAY, conseil de M. X SE DISANT [C] [K].
La greffière, La présidente,
reçu notification et copie de la présente,
le 05 Avril 2023 à 14h55
l'avocat de l'intéressé
Me E. LEPINAY
Comparante
l'intéressé
X SE DISANT [C] [K]
Non comparant
l'interprète
-/-
l'avocat de la préfecture
SELARL [Z]
Non comparant
EXERCICE DES VOIES DE RECOURS :
- pour information : l'ordonnance n'est pas susceptible d'opposition,
- le pourvoi en cassation est ouvert à l'étranger, à l'autorité administrative qui a prononcé le maintien en zone d'attente ou en rétention et au ministère public,
- le délai du pourvoi en cassation est de deux mois à compter du jour de la notification de la décision, ce délai étant augmenté de deux mois lorsque l'auteur du pourvoi demeure à l'étranger,
- le pourvoi en cassation doit être formé par déclaration au Greffe de la Cour de cassation qui doit être obligatoirement faite par un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation,
- l'auteur d'un pourvoi abusif ou dilatoire peut être condamné à une amende civile,
- ledit pourvoi n'est pas suspensif.
La présente ordonnance a été, ce jour, communiquée :
- à Me LEPINAY
- à M. [C] [M]
- à la SELARL [Z]
- à M. Le Procureur Général près la Cour de ce siège.
La Greffière