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05/04/2023 | FRANCE | N°21/02345

France | France, Cour d'appel de Colmar, Chambre 1 a, 05 avril 2023, 21/02345


MINUTE N° 183/23

























Copie exécutoire à



- Me Mathilde SEILLE



- Me Laurence FRICK





Le 05.04.2023



Le Greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE COLMAR

PREMIERE CHAMBRE CIVILE - SECTION A



ARRET DU 05 Avril 2023



Numéro d'inscription au répertoire général : 1 A N° RG 21/02345 - N° Portalis DBVW-V-B7F-HSRJ



Décision dÃ

©férée à la Cour : 19 Mars 2021 par le Tribunal judiciaire de SAVERNE - Chambre civile



APPELANTS :



Madame [O] [M] épouse [R]

[Adresse 4]

[Localité 3]



Monsieur [T] [R]

[Adresse 4]

[Localité 3]



Représentés par Me Mathilde SEILLE, avocat à la ...

MINUTE N° 183/23

Copie exécutoire à

- Me Mathilde SEILLE

- Me Laurence FRICK

Le 05.04.2023

Le Greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE COLMAR

PREMIERE CHAMBRE CIVILE - SECTION A

ARRET DU 05 Avril 2023

Numéro d'inscription au répertoire général : 1 A N° RG 21/02345 - N° Portalis DBVW-V-B7F-HSRJ

Décision déférée à la Cour : 19 Mars 2021 par le Tribunal judiciaire de SAVERNE - Chambre civile

APPELANTS :

Madame [O] [M] épouse [R]

[Adresse 4]

[Localité 3]

Monsieur [T] [R]

[Adresse 4]

[Localité 3]

Représentés par Me Mathilde SEILLE, avocat à la Cour

INTIMEE :

CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE ALSACE VOSGES

prise en la personne de son représentant légal

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentée par Me Laurence FRICK, avocat à la Cour

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 805 modifié du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 22 Juin 2022, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant M. ROUBLOT, Conseiller.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme PANETTA, Présidente de chambre

M. ROUBLOT, Conseiller

Mme ROBERT-NICOUD, Conseillère

qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Mme VELLAINE

ARRET :

- Contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.

- signé par Mme Corinne PANETTA, présidente et Mme Régine VELLAINE, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Vu l'acte introductif d'instance signifié le 6 mars 2017, par lequel la Caisse Régionale de Crédit Agricole Alsace Vosges, ci-après également dénommée 'le Crédit Agricole' ou 'la banque', a fait citer M. [T] [R] et Mme [O] [M], son épouse, ci-après également 'les époux [R]', devant le tribunal de grande instance, devenu le 1er janvier 2020, par application de l'article 95 de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 et de ses décrets d'application n° 2019-965 et 2019-966 du 18 septembre 2019, le tribunal judiciaire de Saverne,

Vu le jugement rendu le 19 mars 2021, auquel il sera renvoyé pour le surplus de l'exposé des faits, ainsi que des prétentions et moyens des parties en première instance, et par lequel le tribunal judiciaire de Saverne a :

- condamné solidairement les époux [R] à payer à la Caisse Régionale de Crédit Agricole Alsace Vosges :

' la somme de 5 610,56 euros au titre du contrat n° 63020038096 de 28 000 euros signé le 12 février 2008 avec les intérêts au taux conventionnel de 9,05 % l'an sur la somme de 5 610,56 euros à compter du 6 décembre 2016 et au taux légal pour le surplus,

' la somme de 3 771,87 euros au titre du contrat n° 63048524624 de 30.000 euros signé le 20 juillet 2011 avec les intérêts au taux conventionnel de 8,45 % sur 3 771,87 euros à compter du 6 décembre 2016 et au taux légal pour le surplus,

' la somme de 13 727,83 euros au titre du contrat n° 63052473032 de 18.000 euros signé le 2 avril 2012 avec les intérêts au taux conventionnel de 8,85 % l'an sur 13 727,83 euros à compter du 6 décembre 2016 et au taux légal pour le surplus,

' la somme de 4 729,87 euros au titre du contrat de compte courant n° 02357950010 ouvert le 30 avril 2014 avec les intérêts de 13,32 % à compter du 1er juillet 2016,

- condamné M. [T] [R] à payer à la Caisse Régionale de Crédit Agricole Alsace Vosges la somme de 5 898,68 euros au titre du contrat de prêt n° 63050668701 de 11 000 euros signé le 22 septembre 2011 avec les intérêts au taux conventionnel de 6,01 % sur 5.898,68 euros à compter du 6 décembre 2016 et au taux légal pour le surplus,

- débouté M. [T] [R] et Mme [O] [R] de leur demande tendant à voir prononcer la nullité des engagements de cautions souscrits par eux,

- débouté M. [T] [R] et Mme [O] [R] de leur demande tendant à voir prononcer la déchéance des intérêts conventionnels,

- débouté M. [T] [R] et Mme [O] [R] de leur demande tendant à voir prononcer la nullité des engagements de caution souscrits par eux sur l'ouverture de crédit du contrat de compte courant n° 02357950010,

- débouté M. [T] [R] et Mme [O] [R] de leur demande d'annulation des actes de consentement souscrits par eux,

- condamné solidairement M. [T] [R] et Mme [O] [R] à payer à la Caisse Régionale de Crédit Agricole Alsace Vosges la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté M. [T] [R] et Mme [O] [R] de leur demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- rejeté toute demande plus ample ou contraire,

- condamné solidairement les époux [R] aux entiers dépens,

- ordonné l'exécution provisoire du jugement.

Vu la déclaration d'appel formée par Mme [O] [M], épouse [R] et M. [T] [R] contre ce jugement et déposée le 7 mai 2021,

Vu la constitution d'intimée de la Caisse Régionale de Crédit Agricole Alsace Vosges en date du 28 juin 2021,

Vu les dernières conclusions en date du 26 janvier 2022 par lesquelles Mme [O] [M], épouse [R] et M. [T] [R] demandent à la cour de :

'DECLARER l'appel recevable et bien fondé.

EN CONSEQUENCE

INFIRMER le jugement entrepris en toutes ses dispositions.

DEBOUTER l'intimée de l'intégralité de ses prétentions.

A TITRE SUBSIDIAIRE SUR LA DEMANDE RECONVENTIONNELLE

JUGER que les engagements de caution souscrits par Monsieur et Madame [R] à l'égard de la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE ALSACE VOSGES sont entachés du vice de consentement.

JUGER que la banque ne justifie pas de l'information annuelle des cautions.

LA DECHOIR des intérêts conventionnels ;

RAPPELER que les pai[e]ments de l'emprunteur principal s'imputent sur le capital,

JUGER qu'il sera fait masse des montants éventuellement dus et des versements, pour l'imputation des trop versés sur certains prêts sur le solde éventuellement dû,

A TITRE INFINIMENT SUBSIDIAIRE

JUGER que les engagements de caution souscrits par Monsieur et Madame [R] à l'égard de la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE ALSACE VOSGES portant sur l'ouverture de crédit du 30 avril 2014 accepté le 3 mai 2014 pour un montant de 10.000,-€ avec un taux d'intérêt annuel de 6 % variable, sont nuls pour vice de consentement.

ANNULER les actes de consentement souscrit par les appelants.

EN TOUT ETAT DE CAUSE

LES DECLARER disproportionnés.

DEBOUTER la banque intimée de toutes ses prétentions.

LA CONDAMNER à verser à Consorts [R] la somme de 2.500 € au titre de l'article 700 du CPC,

LA CONDAMNER aux entiers frais et dépens'

et ce, en invoquant, notamment :

- une décision de première instance qui aurait statué ultra petita, les montants octroyés ne correspondant ni aux demandes formulées le 20 septembre 2020, ni aux demandes formulées le 23 février 2020, la banque ayant sollicité au moment de la clôture que soient prises en compte les conclusions du 23 février 2020,

- un manquement de la banque à son obligation d'information des cautions, qu'ils contestent avoir reçue, en vertu des dispositions légales de l'article L. 313-22 du code monétaire et financier, imposant d'interpréter la clause de preuve comme ayant pour effet de renverser la charge de la preuve incombant à la banque dans la délivrance de l'information annuelle des cautions, et les éléments produits, à ce titre, par cette dernière, étant réfutés,

- à titre reconventionnel, la nullité de l'engagement de caution du fait d'un vice du consentement et d'un manque de loyauté, impliquant la nullité de l'engagement en l'absence de réelle information de la caution quant à l'étendue des risques encourus au regard de la situation réelle de la société cautionnée, peu important la qualité de gérant de celle-ci de M. [R], les propriétés dont disposent les concluants, au titre d'une exploitation agricole n'en faisant, en outre, ni des investisseurs immobiliers ni des gestionnaires de patrimoine,

- la disproportion de leurs engagements de caution.

Vu les dernières conclusions en date du 15 mars 2022, auxquelles est joint un bordereau de pièces récapitulatif qui n'a fait l'objet d'aucune contestation des parties, et par lesquelles la Caisse Régionale de Crédit Agricole Alsace Vosges demande à la cour de :

'REJETER l'appel,

DEBOUTER Monsieur et Madame [R] de l'intégralité de leurs fins et conclusions,

CONFIRMER le jugement du 19 mars 2021,

A TITRE SUBSIDIAIRE, SUR EVOCATION,

- condamné solidairement Monsieur [T] [R] et Madame [O] [R] à payer à la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE ALSACE VOSGES :

' la somme de 5.610,56 euros au titre du contrat n° 63020038096 de 28.000 euros signé le 12 février 2008 avec les intérêts au taux conventionnel de 9,05 % l'an sur la somme de 5.610,56 euros à compter du 6 décembre 2016 et au taux légal pour le surplus,

' la somme de 3.771,87 euros au titre du contrat n° 63048524624 de 30.000 euros signé le 20 juillet 2011 avec les intérêts au taux conventionnel de 8,45 % sur 3.771,87 euros à compter du 6 décembre 2016 et au taux légal pour le surplus,

' la somme de 13.727,83 euros au titre du contrat n° 63052473032 de 18.000 euros signé le 2 avril 2012 avec les intérêts au taux conventionnel de 8,85 % l'an sur 13.727,83 euros à compter du 6 décembre 2016 et au taux légal pour le surplus,

' la somme de 4.729,87 euros au titre du contrat de compte courant n° 02357959919 ouvert le 30 avril 2014 avec les intérêts de 13,32 % à compter du 1er juillet 2016,

- condamné Monsieur [T] [R] à payer à la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE ALSACE VOSGES la somme de 5.898,68 euros au titre du contrat de prêt n° 63050668701 de 11.000 euros signé le 22 septembre 2011 avec les intérêts au taux conventionnel de 6,01 % sur 5.898,68 euros à compter du 6 décembre 2016 et au taux légal pour le surplus,

- condamné solidairement Monsieur [T] [R] et Madame [O] [R] à payer à la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE ALSACE VOSGES la somme de 1.500 euros en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile pour la procédure de première instance

- condamné solidairement Monsieur [T] [R] et Madame [O] [R] aux entiers dépens de la procédure de première instance

EN TOUT ETAT DE CAUSE,

CONDAMNER solidairement Monsieur [T] [R] et Madame [O] [R] née [M] aux entiers frais et dépens de la procédure d'appel,

CONDAMNER solidairement Monsieur [T] [R] et Madame [O] [R] née [M] à payer à la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE ALSACE VOSGES une somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile'

et ce, en invoquant, notamment :

- l'absence de violation des articles 4 et 5 du code de procédure civile, le tribunal n'ayant pas statué ultra petita, la différence entre les montants sollicités par la concluante et les montants des condamnations provenant du fait que la banque aurait intégré dans sa demande de paiement les intérêts courus postérieurement au 6 décembre 2016 alors que le tribunal a fait courir des intérêts à compter du 6 décembre 2016 et n'aurait donc pas intégré, dans la condamnation prononcée, les intérêts postérieurs au 6 décembre 2016,

- l'absence de manquement de la concluante à son devoir d'information annuelle des cautions, au regard des stipulations contractuelles, qui imposent aux cautions de signaler tout défaut d'information, et alors que tout justificatif d'édition des lettres d'information serait de nature à établir suffisamment la preuve de l'envoi du courrier,

- la validité de l'engagement des cautions, les explications adverses étant qualifiées de confuses, notamment quant à l'existence d'un vice du consentement non précisé, et en l'absence d'obligation d'information, et au regard du principe de non-immixtion, la banque n'étant tenue d'aucune mise en garde envers une caution avertie, et alors que leurs engagements auraient été adaptés à leurs capacités financières et que les cautions ne démontreraient pas l'existence d'un risque d'endettement excessif à raison des crédits souscrits,

- la proportionnalité de l'engagement des cautions, au regard, notamment, de leur important patrimoine immobilier.

Vu l'ordonnance de clôture en date du 25 mai 2022,

Vu les débats à l'audience du 22 juin 2022,

Vu le dossier de la procédure, les pièces versées aux débats et les conclusions des parties auxquelles il est référé, en application de l'article 455 du code de procédure civile, pour l'exposé de leurs moyens et prétentions.

MOTIFS :

Sur la violation alléguée des articles 4 et 5 du code de procédure civile :

Aux termes de l'article 4 du code de procédure civile, l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties. Ces prétentions sont fixées par l'acte introductif d'instance et par les conclusions en défense.

Toutefois l'objet du litige peut être modifié par des demandes incidentes lorsque celles-ci se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant.

L'article 5 du même code dispose que le juge peut se prononcer sur tout ce qui est demandé et seulement sur ce qui est demandé.

En l'espèce, il est fait grief au jugement dont appel d'avoir :

- concernant le contrat de prêt n°  63020038096, accordé les intérêts au taux conventionnel de 9,5 % sur 5 610,56 euros à compter du 6 décembre 2016 aux lieu et place des 5 238,65 euros, à compter du 16 janvier 2017, sollicités par la demanderesse dans ses dernières écritures,

- concernant le contrat de prêt n° 63048524624, accordé les intérêts au taux conventionnel de 8,45 % sur 3 771,87 euros à compter du 6 décembre 2016 aux lieu et place des 5 238,65 euros, à compter du 16 janvier 2017, sollicités par la demanderesse dans ses dernières écritures,

- concernant le contrat de prêt n° 63052473032, accordé les intérêts au taux conventionnel de 8,85 % sur 13 727,83 euros à compter du 6 décembre 2016 aux lieu et place des 12 818,13 euros, à compter du 16 janvier 2017, sollicités par la demanderesse dans ses dernières écritures,

- concernant le contrat de prêt n° 63050668701, accordé les intérêts au taux conventionnel de 6,01 % sur 5 898,68 euros à compter du 6 décembre 2016 aux lieu et place des 5 894,80 euros, à compter du 16 janvier 2017, sollicités par la demanderesse dans ses dernières écritures.

La banque conteste, pour sa part, que le tribunal ait pu statuer ultra petita, évoquant une différence liée à l'intégration, dans sa demande de paiement des intérêts courus postérieurement au 6 décembre 2016 là où le juge de première instance aurait fait courir des intérêts à compter du 6 décembre 2016 sans intégrer, dans la condamnation prononcée, les intérêts postérieurs au 6 décembre 2016.

Les montants alloués seraient ainsi, en définitive, selon elle, légèrement inférieurs à ceux qu'elle avait sollicités, outre que, quand bien même tel serait le cas, la cour pourrait, sur évocation, examiner l'ensemble de la procédure et condamner les appelants à hauteur de montants qui étaient sollicités dans le cadre de la procédure de première instance.

Sur ce, la cour observe que les époux [R] sollicitent l'infirmation du jugement entrepris, demandant ainsi à la cour de statuer à nouveau sur le bien-fondé des demandes de la banque, et dans les limites du litige qui lui est soumis, le moyen tiré de ce que le premier juge aurait statué ultra petita ne venant appuyer aucune prétention distincte des appelants à cet égard.

Sur le manquement allégué de la banque à son obligation annuelle d'information de la caution :

Vu l'article L. 313-22 du code monétaire et financier, dans sa version applicable au litige,

Les époux [R] font grief à la banque d'avoir manqué à son obligation annuelle d'information des cautions, réfutant l'applicabilité des conditions générales mettant à la charge du prêteur un signalement en cas de non-réception de la lettre d'information, sauf à renverser la charge de la preuve, et mettant en cause le caractère probant des éléments adverses, qu'il s'agisse de la 'synthèse des envois', dont les dates ne seraient pas cohérentes avec celles des lettres, ou des constats d'huissier, qui se borneraient à constater l'envoi de lettres sans information sur leur contenu ni concordance avec le listing bancaire, tout en utilisant une méthode par sondage qui ne serait pas probante, outre que ces constats n'auraient été réalisés qu'à compter de l'année 2014. Ils en concluent que les paiements effectués doivent être affectés au principal de la dette.

La banque objecte que les appelants n'auraient jamais contesté avoir reçu l'information annuelle, et que chacun des contrats de prêt engageait à signaler tout défaut de réception de l'information au 31 mars, outre qu'il ne lui appartiendrait pas de prouver la réception des courriers en cause. Elle indique encore produire tous les courriers d'information des deux cautions, ainsi que les listings informatiques justifiant de l'édition des courriers annuels, et à compter de 2014, le constat des opérations par huissier, les différences de date entre celles figurant sur les listings et celles des courriers s'expliquant, selon elle, par le temps de préparation des envois.

Sur ce, la cour observe, tout d'abord, que les stipulations contractuelles relatives imposant à la caution de signaler qu'elle n'aurait pas reçu les courriers d'information annuelle n'ont pas pour effet de dispenser la banque d'établir qu'elle a bien procédé à une telle information en vertu des dispositions d'ordre public susvisé, l'établissement soutenant, certes, à bon droit qu'il n'a pas à établir la réception des lettres d'information, ce qui ne l'exonère toutefois pas d'établir qu'il a bien satisfait à l'obligation qui lui incombe par l'envoi de ces courriers.

À ce titre, la banque verse aux débats des courriers destinés à chacun des appelants, et portant des dates antérieures au 31 mars de chaque année, soit les 9 mars 2009, 24 février 2010, 11 février 2011, 12 mars 2012, 31 janvier 2013, 24 janvier 2014, 14 janvier 2015, 11 mars 2016, 23 janvier 2017, 8 février 2018 et 1er février 2019, ainsi qu'un listing informatique intitulé 'synthèse des envois des lettres annuelles des cautions' faisant mention des deux cautions en date des 27 février 2009, 12 février 2010, 2 février 2011 et 7 février 2012. Or, ce listing n'est accompagné d'aucune preuve d'envoi, et n'apparaît, en tout état de cause, pas de nature à démontrer que chacune des cautions se serait vue adresser un document contenant bien les informations requises au titre des dispositions susvisées.

Sont également produits des constats établis par huissier de justice en dates des 7 février 2014, 28 janvier 2015, 23 mars 2016, 14 février 2017 et 28 février 2018, lesquels constatent les opérations de mise sous enveloppe, d'affranchissement et d'enlèvement par la Poste, mais sans que, parmi les clients mentionnés dans ces procès-verbaux, ne figurent à aucun moment les époux [R].

Par ailleurs, aucun élément, hormis le courrier lui-même, n'est produit concernant l'année 2013.

Il découle de ce qui précède que la preuve de l'exécution, par la banque, de son obligation annuelle d'information des cautions n'est pas suffisamment rapportée, de sorte que la déchéance du droit aux intérêts du prêteur est encourue.

Il en résulte que les paiements effectués par l'emprunteur doivent s'imputer sur le capital.

À cet égard, s'agissant du contrat de prêt n° 63020038096 du 12 février 2008, le montant en capital était de 28 000 euros, la première échéance impayée se situant au 15 novembre 2015, il a donc été payé par l'emprunteur principal, au vu du tableau d'amortissement, la somme de 30 178,21 euros.

Concernant le contrat de prêt n° 63048524624 du 20 juillet 2011, le montant initial en capital était de 30 000 euros et les versements effectués par l'emprunteur principal s'élevaient, compte tenu de la date de la première échéance impayée, au 29 février 2016, et au vu du tableau d'amortissement du prêt, à 30 283,61 euros.

Quant au contrat de prêt n° 63052473032 du 2 avril 2012, le montant initial en capital était de 18 000 euros, et la date de la première échéance impayée étant le 31 mars 2016, il a été réglé par l'EARL Beaulieu la somme de 8 346,12 euros, devant venir en déduction de ce montant initial, d'où un solde de 9 653,88 euros.

Concernant l'ouverture de crédit en compte courant suivant contrat en date du 3 mai 2014 dénommée 'crédit de campagne', enregistrée sous le n° 02357950010, et consentie à hauteur de 10 000 euros, s'il est fait état d'un débit de 4 729,87 euros, aucun élément, notamment aucun historique du compte, ne permet d'isoler les créances d'intérêts, de sorte qu'aucune somme ne sera mise en compte à ce titre, le sort de l'engagement souscrit en 2014 étant, en toute hypothèse, sans emport sur la situation des cautions compte tenu des conclusions auxquelles est parvenue la cour concernant l'ouverture de crédit en compte courant.

Par ailleurs, M. [R] s'étant porté caution, seul, du prêt de 11 000 euros en capital, souscrit suivant contrat en date du 22 septembre 2011, enregistré sous le n° 63050668701, et l'EARL Beaulieu ayant réglé, au titre de ce prêt, la somme de 5 418,24 euros au 31 octobre 2014, outre la somme de 1 205,90 euros au titre des deux échéances non honorées, le montant des impayés à ce titre étant, au vu du décompte de la banque, de 2 445,98 euros pour un montant d'échéances de 3 651,88 euros selon le tableau d'amortissement, il en résulte un solde en capital de 4 375,86 euros.

Sur la nullité de l'engagement de caution au titre de l'ouverture de crédit :

Compte tenu des conclusions auxquelles est parvenue la cour sous l'angle de l'examen de la déchéance du droit aux intérêts, dont il résulte que les cautions ne se trouvent plus engagées au titre de l'ouverture de crédit litigieuse, cette demande, formée à titre reconventionnel et subsidiaire, apparaît donc sans objet.

Pour le surplus, les appelants entendent voir 'juger que les engagements de caution souscrits par Monsieur et Madame [R] à l'égard de la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE ALSACE VOSGES sont entachés du vice de consentement'. Outre qu'il ne s'agit pas d'une prétention au sens de l'article 4 du code de procédure civile, la cour observe que ce moyen, qui vise indistinctement les engagements de caution souscrits par les appelants n'est pas étayé, seule étant évoqué la souscription du découvert en compte pour solder un prêt non cautionné, ainsi que l'application de l'article 1134 (ancien) du code civil, qui n'est pas sanctionnée au titre du vice du consentement, aucune demande en dommages-intérêts n'étant, par ailleurs, présentée au titre d'un manquement de la banque à ses obligations de conseil, d'information ou de mise en garde.

Sur la disproportion manifeste de l'engagement de caution :

Aux termes de l'article L. 341-4, devenu L. 332-1 et L. 343-4, du code de la consommation, en leur version applicable à la cause, un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation.

À ce titre, il convient, tout d'abord, de préciser que le caractère manifestement disproportionné de l'engagement souscrit par la caution, au sens de ces dispositions, s'apprécie au regard du montant de cet engagement et non de celui du prêt garanti ou de ses échéances.

Par ailleurs, en application des dispositions précitées, c'est à la caution de justifier qu'au jour de sa conclusion, son engagement était manifestement disproportionné à ses biens et revenus.

Lorsqu'à l'occasion de la souscription de son engagement, la caution a déclaré au créancier des éléments sur sa situation personnelle, le créancier peut, en l'absence d'anomalie apparente, s'y fier et n'a pas à vérifier l'exactitude de ces déclarations.

Dans ce cas, la caution ne sera alors pas admise à établir, devant le juge, que sa situation financière était en réalité moins favorable que celle qu'elle avait déclarée à la banque.

En revanche, en présence d'anomalie apparente, ou lorsque la caution n'a déclaré aucun élément sur sa situation patrimoniale à la banque lors de son engagement, notamment parce que cette dernière ne lui a rien demandé, la caution est libre de démontrer, devant le juge, quelle était sa situation financière réelle lors de son engagement. Elle peut aussi opposer à la banque les éléments non déclarés dont celle-ci avait connaissance.

De son côté, la banque peut invoquer des éléments de la situation de la caution qu'elle n'aurait pas déclarés.

Au cas où la disproportion manifeste de l'engagement au jour de sa conclusion serait retenue, c'est à la banque qu'il appartient d'établir qu'au jour où elle a appelé la caution, son patrimoine lui permettait de faire face à son obligation.

En l'espèce, il convient de rappeler que M. et Mme [R] se sont portés caution solidaire :

- en date du 14 février 2008, au titre du contrat de prêt n° 63020038096, pour un montant de 36 400 euros,

- en date du 27 juillet 2011, au titre du contrat de prêt n° 63048524624, pour un montant de 39 000 euros,

- en date du 4 avril 2012, au titre du contrat de prêt n° 63052473032, dans la limite de 23 400 euros,

- en date du 3 mai 2014, au titre de l'ouverture de crédit en compte n° 02357950010, à hauteur de 13 000 euros.

En outre, M. [R] seul s'est engagé comme caution solidaire à hauteur de 14 300 euros au titre du prêt n° 63050668701 en date du 22 septembre 2011.

La banque produit les trois fiches de renseignements établies par les cautions en date des 2 février 2008, 27 juillet 2011 et 3 mai 2014. Les époux [R] ne versent, pour leur part, aucun élément aux débats, et font valoir que 'dans le cas d'espèce, et de plus fort au moment des engagements de caution postérieurs au premier, entraînant cumul des engagements, les revenus et biens des défendeurs apparaissaient à l'évidence disproportionnés au regard de l'engagement', ajoutant que si 'les premiers Juges ont considéré que le patrimoine des consorts [R] constitué d'un immeuble d'habitation et de 59 parcelles rendait leur engagement de caution non disproportionné', 'le Crédit Agricole connaissait cependant parfaitement la valeur du patrimoine agricole et les engagements financiers.'

Sur ce, il ressort des fiches de renseignements complétées par les cautions que, mariés sous le régime de la communauté de biens réduite aux acquêts, ils disposaient en 2008 de revenus d'un montant annuel de 24 000 euros pour M. [R] et 19 400 euros pour Mme [R], ces montants étant de 1 200 et 1 500 euros en 2011, sans précision de la périodicité annuelle ou mensuelle, tandis qu'en 2014, ils étaient de 2 800 et 1 500, toujours sans précision de la périodicité.

Ils mettent en compte un patrimoine immobilier composé de terrains agricoles, d'une surface de 25 ha selon la première fiche, et 20 ha selon la troisième, la valeur de la maison étant évaluée en 2008 à 160 000 euros, grevé d'un prêt immobilier d'un montant résiduel en capital de 13 000 euros, remboursable par mensualités de 300 euros, dont il n'est plus fait mention dans la deuxième fiche, qui mentionne également une valeur de 160 000 euros, portée à 300 000 euros dans la fiche la plus récente. Quant au terrain agricole, sa valeur, pour lisible que soit la mention faite à ce titre, est de 10 000 euros dans les deux premières fiches, grevés, en 2008 uniquement, d'un prêt au titre duquel restait dû un capital de 9 772 euros, et remboursable par mensualités de 200 euros, et que la valeur mentionnée du terrain est de 6 000 euros en 2014.

Aucune épargne n'apparaît dans la première fiche, tandis qu'il est mentionné un montant de 4 000 euros en 2011 et 1 500 euros en 2014.

Il convient également de prendre en compte, pour chaque engagement, le montant du total des autres engagements souscrits successivement par les époux [R], et qu'ils chiffrent d'ailleurs à 60 000 euros en 2014, mais qui, à cette date, est, en réalité, supérieur, ainsi qu'il a été rappelé ci-dessus.

Dans ces conditions, et sans même qu'il n'y ait lieu de prendre en compte le surplus des éléments produits par la banque, qui n'a pas la charge de la preuve, et les cautions ne justifiant pas, qu'au jour de leur conclusion, leurs engagements, respectifs et successifs, étaient manifestement disproportionnés à leurs biens et revenus, ils ne pourront pas être déchargés de ces engagements en application du texte précité, ce qui est, concernant le dernier engagement de caution en date du 3 mai 2014, sans emport sur les droits des parties compte tenu des conclusions auxquelles est parvenue la cour en conséquence de la déchéance des droits aux intérêts du prêteur, concernant l'ouverture de crédit en compte courant.

Sur le montant des condamnations :

Compte tenu des conséquences de la déchéance du droit aux intérêts du prêteur, telles qu'elles ont été détaillées ci-avant, et dès lors que, conformément aux demandes des appelants, il y a lieu d'imputer les montants trop versés par l'emprunteur sur les sommes restant dues par les cautions au titre de leur engagement, les époux [R] seront solidairement condamnés au paiement à la banque de la somme de 7 192,06 euros, laquelle portera intérêts au taux légal à compter du présent arrêt, le jugement entrepris devant être infirmé sur ce point.

M. [R] sera, pour sa part, condamné seul au paiement de la somme de 4 375,86 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter de ce jour, le jugement entrepris devant donc également être infirmé en ce qu'il l'a condamné à hauteur de 5 898,68 euros, avec les intérêts au taux conventionnel de 6,01 % sur 5 898,68 euros à compter du 6 décembre 2016 et au taux légal pour le surplus.

Sur les dépens et les frais irrépétibles :

La banque succombant pour partie à hauteur de cour sera tenue des dépens de l'appel, par application de l'article 696 du code de procédure civile, le jugement déféré devant, cependant, recevoir confirmation s'agissant des dépens de première instance.

L'équité commande en outre de dire n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile à l'encontre de l'une ou l'autre des parties à l'appel, comme à la première instance, en infirmation du jugement entrepris sur ce point.

P A R C E S M O T I F S

La Cour,

Infirme le jugement rendu le 19 mars 2021 par le tribunal judiciaire de Saverne, en ce qu'il a :

- condamné solidairement les époux [R] à payer à la Caisse Régionale de Crédit Agricole Alsace Vosges :

' la somme de 5 610,56 euros au titre du contrat n° 63020038096 de 28 000 euros signé le 12 février 2008 avec les intérêts au taux conventionnel de 9,05 % l'an sur la somme de 5 610,56 euros à compter du 6 décembre 2016 et au taux légal pour le surplus,

' la somme de 3 771,87 euros au titre du contrat n° 63048524624 de 30 000 euros signé le 20 juillet 2011 avec les intérêts au taux conventionnel de 8,45 % sur 3 771,87 euros à compter du 6 décembre 2016 et au taux légal pour le surplus,

' la somme de 13 727,83 euros au titre du contrat n° 63052473032 de 18 000 euros signé le 2 avril 2012 avec les intérêts au taux conventionnel de 8,85 % l'an sur 13 727,83 euros à compter du 6 décembre 2016 et au taux légal pour le surplus,

' la somme de 4 729,87 euros au titre du contrat de compte courant n° 02357950019 ouvert le 30 avril 2014 avec les intérêts de 13,32 % à compter du 1er juillet 2016,

- condamné M. [T] [R] à payer à la Caisse Régionale de Crédit Agricole Alsace Vosges la somme de 5 898,68 euros au titre du contrat de prêt n° 63050668701 de 11 000 euros signé le 22 septembre 2011 avec les intérêts au taux conventionnel de 6,01 % sur 5.898,68 euros à compter du 6 décembre 2016 et au taux légal pour le surplus,

- débouté M. [T] [R] et Mme [O] [R] de leur demande tendant à voir prononcer la déchéance des intérêts conventionnels,

- condamné solidairement M. [T] [R] et Mme [O] [R] à payer à la Caisse Régionale de Crédit Agricole Alsace Vosges la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

Confirme le jugement entrepris pour le surplus,

Statuant à nouveau des chefs de demande infirmés et y ajoutant,

Condamne solidairement M. [T] [R] et Mme [O] [M], épouse [R] à payer à la Caisse Régionale de Crédit Agricole Alsace Vosges la somme de 7 192,06 euros, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,

Condamne M. [T] [R] à payer à la Caisse Régionale de Crédit Agricole Alsace Vosges la somme de 4 375,86 euros, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,

Condamne la Caisse Régionale de Crédit Agricole Alsace Vosges aux dépens de l'appel,

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile au bénéfice tant de M. [T] [R] et de Mme [O] [M], épouse [R], que de la Caisse Régionale de Crédit Agricole Alsace Vosges.

La Greffière : la Présidente :


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Colmar
Formation : Chambre 1 a
Numéro d'arrêt : 21/02345
Date de la décision : 05/04/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-04-05;21.02345 ?
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