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22/03/2023 | FRANCE | N°21/02186

France | France, Cour d'appel de Colmar, Chambre 1 a, 22 mars 2023, 21/02186


MINUTE N° 156/23





























Copie exécutoire à



- Me Joëlle LITOU-WOLFF



- Me Loïc RENAUD





Le 22.03.2023



Le Greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE COLMAR

PREMIERE CHAMBRE CIVILE - SECTION A



ARRET DU 22 Mars 2023



Numéro d'inscription au répertoire général : 1 A N° RG 21/02186 - N° Portalis DBVW-V-B7F-HSIU



Décision déférée à la Cour : 23 Mars 2021 par le Tribunal judiciaire de COLMAR Service civil



APPELANT - INTIME INCIDEMMENT :



Monsieur [Y] [Z]

exploitant un commerce de restauration sous l'enseigne 'LE CASSE DALE'

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Localité 3]


...

MINUTE N° 156/23

Copie exécutoire à

- Me Joëlle LITOU-WOLFF

- Me Loïc RENAUD

Le 22.03.2023

Le Greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE COLMAR

PREMIERE CHAMBRE CIVILE - SECTION A

ARRET DU 22 Mars 2023

Numéro d'inscription au répertoire général : 1 A N° RG 21/02186 - N° Portalis DBVW-V-B7F-HSIU

Décision déférée à la Cour : 23 Mars 2021 par le Tribunal judiciaire de COLMAR Service civil

APPELANT - INTIME INCIDEMMENT :

Monsieur [Y] [Z]

exploitant un commerce de restauration sous l'enseigne 'LE CASSE DALE'

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représenté par Me Joëlle LITOU-WOLFF, avocat à la Cour

Avocat plaidant : Me BADER, avocat au barreau de STRASBOURG

INTIMEE - APPELANTE INCIDEMMENT :

S.C.I. CONSTANT

prise en la personne de son représentant légal

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée par Me Loïc RENAUD, avocat à la Cour

Avocat plaidant : Me ENDERLE, avocat au barreau de STRASBOURG

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 07 Décembre 2022, en audience publique, un rapport ayant été présenté, devant la Cour composée de :

Mme PANETTA, Présidente de chambre

Mme ROBERT-NICOUD, Conseillère

M. LAETHIER, Vice-Président placé

qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Mme VELLAINE

ARRET :

- Contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.

- signé par Mme Corinne PANETTA, présidente et Mme Régine VELLAINE, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE :

Vu le jugement du tribunal judiciaire de Colmar du 23 mars 2021,

Vu la déclaration d'appel de M. [Z] effectuée le 22 avril 2021 par voie électronique,

Vu la constitution d'intimée de la SCI Constant effectuée le 3 juin 2021 par voie électronique,

Vu les ordonnances du conseiller de la mise en état du 28 février 2022 rejetant les demandes de retour à l'expert et en désignation d'un séquestre présentées par la SCI Constant et statuant sur les frais et dépens des incidents,

Vu les conclusions de M. [Z] du 2 novembre 2022, auxquelles était joint un bordereau de communication de pièces qui n'a fait l'objet d'aucune contestation, lesquels ont été transmis par voie électronique le même jour,

Vu les conclusions de la SCI Constant du 11 octobre 2022, auxquelles était joint un bordereau de communication de pièces qui n'a fait l'objet d'aucune contestation, lesquels ont été transmis par voie électronique le même jour,

Vu l'ordonnance de clôture prononcée le 9 novembre 2022,

Vu l'audience du 7 décembre 2022 à laquelle l'affaire a été appelée,

Vu le dossier de la procédure, les pièces versées aux débats et les conclusions des parties auxquelles il est référé, en application de l'article 455 du code de procédure civile, pour l'exposé de leurs moyens et prétentions.

MOTIFS DE LA DECISION :

Il résulte des pièces et des conclusions des parties que selon acte de vente reçu le 28 avril 1995 par un notaire, M. [Z] a acquis un fonds de commerce de restauration rapide et vente de boissons, avec le droit au bail portant sur les locaux, cette cession étant notifiée aux bailleurs.

Le 18 avril 1995, un nouveau bail commercial, complété par avenant du 30 juillet 1996 précisant que le preneur à bail sera M. [Z], a été conclu.

Le 24 janvier 1998, le bailleur a autorisé M. [Z] à compléter les installations existantes, notamment en aménageant des sanitaires.

En 2011, le bailleur a cédé les biens loués à la SCI Constant, laquelle a, le 28 juin 2012 puis le 27 novembre 2012 délivré un congé, puis un congé annulant et remplaçant le premier, comportant refus de renouvellement pour reconstruire.

Par jugement du 25 juin 2015, le tribunal de grande instance de Colmar a constaté que les parties ont renoncé aux effets du congé du 28 juin 2012, prononcé la nullité du congé du 27 novembre 2012, jugé que M. [Z] est fondé à obtenir une indemnité d'éviction et ordonné une expertise.

Ce jugement a été confirmé par arrêt du 29 mars 2017 et le pourvoi en cassation a été rejeté par arrêt de la Cour de cassation du 28 juin 2018.

L'expert judiciaire a déposé son rapport le 28 mai 2018.

Par jugement du 23 mars 2021, le tribunal judiciaire de Colmar a :

- dit n'y avoir lieu d'ordonner un renseignement officiel auprès de la Commune de Châtenois concernant l'avancée des travaux du contournement de la Commune ni de nouvelle expertise,

- condamné la SCI Constant au paiement d'une indemnité d'éviction d'un montant total de 35 662,90 euros, avec intérêts au taux légal à compter du jugement, se décomposant ainsi :

- 31 739 euros au titre de l'indemnité principale,

- 3 173,90 euros au titre des frais de remploi,

- 250 euros au titre des frais administratifs,

- 500 euros au titre des frais de perte sur stock,

- condamné la SCI Constant à payer à M. [Z] la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté M. [Z] du surplus de ses demandes,

- débouté la SCI Constant de ses demandes, dont celle fondée sur l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la SCI Constant aux dépens, lesquels comprendront le coût de l'expertise,

- ordonné l'exécution provisoire de la décision.

M. [Z] demande à la cour d'infirmer le jugement en ce qu'il a condamné la SCI Constant à lui payer une indemnité d'éviction limitée aux montants précités et l'a débouté du surplus de ses demandes, et, statuant à nouveau, de fixer l'indemnité d'éviction devant lui revenir à :

- indemnité principale : 175 142,60 euros

- frais de remploi : 17 514,26 euros

- trouble commercial : 10 000 euros

- frais administratifs : 1 000 euros

- frais de licenciement : 17 365 euros

- perte sur stock : 1 000 euros

- dommages-intérêts : 10 000 euros,

soit un total de 232 021,86 euros, outre intérêts légaux sur la somme de 35 662,90 euros à compter du jugement, et à compter de l'arrêt pour le surplus, et ordonner la capitalisation des intérêts.

A titre infiniment subsidiaire, il demande qu'elle soit condamnée à lui payer la somme de 135 648 euros au titre de la seule valeur du droit au bail.

La SCI Constant forme un appel incident et demande à la cour d'infirmer le jugement en ce qu'il l'a condamnée au paiement de la somme de 35 662,90 euros outre intérêts, et, statuant à nouveau, de dire et juger que l'indemnité d'éviction est de 16 095,89 euros, que les frais de remploi s'élèvent à 0 €, de dire et juger les frais administratifs et de perte sur stock inexistants.

A titre subsidiaire, elle demande de réduire l'indemnité d'éviction à de plus justes proportions, et de dire et juger que les frais de remploi s'élèvent à 1 610 euros.

1. Sur l'indemnité principale :

Selon l'article L. 145-14 du code de commerce, le bailleur peut refuser le renouvellement du bail. Toutefois, le bailleur doit, sauf exceptions prévues aux articles L. 145-17 et suivants, payer au locataire évincé une indemnité dite d'éviction égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement.

Cette indemnité comprend notamment la valeur marchande du fonds de commerce, déterminée suivant les usages de la profession, augmentée éventuellement des frais normaux de déménagement et de réinstallation, ainsi que des frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur, sauf dans le cas où le propriétaire fait la preuve que le préjudice est moindre

En l'espèce, il résulte des conclusions des parties, que, devant la cour, elles conviennent qu'il s'agit d'indemniser la perte du fonds de commerce, le bailleur n'invoquant pas le possible transfert du fonds.

1.1. S'agissant de la date d'appréciation de l'évaluation de l'indemnité :

M. [Z] soutient qu'elle doit s'apprécier à la date la plus proche de l'éviction effective, que lorsque le locataire se maintient dans les lieux jusqu'au paiement, elle s'évalue au jour où le juge statue, mais que la date d'évaluation de l'indemnité ne doit pas être confondue avec la date d'appréciation de la consistance du fonds, qui s'apprécie à la date d'effet du congé. En outre, il soutient l'application d'un correctif en cas de conditions d'exploitation anormales ou de situation conjoncturelle particulière.

La SCI Constant réplique qu'elle s'apprécie à la date de l'éviction, ou si le locataire fait usage de son droit de maintien dans les lieux, au jour où le juge statue, de sorte que la cour d'appel ne peut se fonder sur le rapport de 2018, mais devra tenir compte des méthodes appliquées par l'expert, mais en les appliquant aux chiffres plus récents, pour fixer l'indemnité au jour où elle statue.

S'agissant des conditions anormales d'exploitation pendant le maintien dans les lieux, invoquées par M. [Z], celui-ci soutient que le congé devait prendre effet au 30 juin 2013, mais qu'il est toujours dans les lieux car il n'a pas perçu l'indemnité d'éviction. Il invoque la durée de la procédure du fait du comportement déloyal du bailleur et sa précarité aggravée par la crise Covid. Il considère qu'il faut appliquer un correctif aux chiffres d'exploitation de la période de maintien dans les lieux. Il demande à la cour de fixer la date d'effet de l'éviction à 2015, et d'écarter de son appréciation les chiffres d'affaires postérieurs, artificiellement diminués et qui ne reflètent pas la valeur réelle du fonds.

La SCI Constant soutient qu'il n'est pas établi qu'avant 2016, le preneur effectuait des investissements et qu'il n'existe pas de lien de causalité entre l'absence d'investissement récent et la SCI Constant. Elle ajoute que l'expert n'a pas pris en compte les chiffres les plus récents, ni l'impact de la crise Covid et que la valeur estimée par l'expert est plus élevée que la valeur du fonds. Elle fait valoir que la diminution de la valeur du fonds est liée à la décision de mettre en place la déviation, avec une diminution du trafic aux abords immédiats du snack

S'agissant de ce projet de déviation de la RN 59 à Châtenois, la SCI Constant évoque une date de mise en service mi 2022 - début 2023 et soutient que la diminution du trafic risque d'être amplifiée par le fait que les poids lourds utiliseront plus la nouvelle RN plus adaptée, et évoque une possible interdiction à terme pour les poids lourds ou certains d'entre eux de l'ancienne route de sorte que la clientèle va être réduite.

M. [Z] réplique qu'il convient de prendre en compte l'état existant et actuel à la date d'évaluation, que le fait qu'après le dépôt du rapport, les travaux ont été entrepris, ne peut influer, sauf à faire primer les manoeuvres dilatoires du bailleur. Il ajoute qu'il n'existe pas de preuve de la perte de la clientèle qui en résulterait, et qu'il bénéficie d'une clientèle ancienne et fidèle

Enfin, la SCI Constant invoque une perte de 50 % du chiffre d'affaires entre 2014 et 2019, alors même qu'il avait l'entier usage du parking.

Sur ce,

La cour rappelle que, pour la fixation de l'indemnité d'éviction, la valeur des éléments du fonds de commerce doit être appréciée à la date à laquelle les juges statuent lorsque l'éviction n'est pas encore réalisée.

Si la consistance du fonds s'apprécie en revanche à la date d'effet du congé, il n'est pas soutenu, ni démontré, que celle-ci aurait été, en l'espèce, modifiée depuis cette date.

Contrairement à ce que soutient M. [Z], l'évaluation de l'indemnité d'éviction sera effectuée en tenant compte de la valeur du fonds de commerce, évaluée, non pas en référence à l'année 2015, mais au jour où la cour statue, en fonction des éléments les plus récents produits aux débats, c'est-à-dire ceux des années 2019 à 2021.

S'agissant des conditions anormales d'exploitation pendant le maintien dans les lieux qui sont invoquées par M. [Z], il convient de relever, d'abord, que s'il soutient qu'il est admis d'écarter ou de pondérer les données chiffrées affectées par les restrictions administratives et que tel devrait être le cas pendant les restrictions de la Covid 19, il ne démontre pas que la valeur de son fonds de commerce a diminué en raison des restrictions ayant existé pendant la crise sanitaire, et qu'en outre, leur impact ne serait pas pris en compte dans les données comptables qui permettront d'évaluer la valeur de son fonds de commerce. D'ailleurs, au sujet des subventions perçues en 2020 et 2021, il les qualifie d'indemnités gouvernementales de soutien ayant pour objet de réparer, très partiellement, l'impossibilité d'exploiter liée aux contraintes et restrictions administratives. Cependant, il ne démontre pas que ces sommes n'ont pas suffi à pallier la diminution de chiffre d'affaires générée par lesdites restrictions. En revanche, contrairement à ce que soutient le bailleur, il n'y a pas lieu de 'retraiter' le chiffre d'affaires et de ne pas tenir compte desdites subventions.

Ensuite, aucune fraude ou déloyauté du bailleur n'est démontrée, pas plus qu'une attitude procédurale dilatoire. N'est d'ailleurs démontré aucun abus du bailleur qui est en droit, comme le preneur, qui est appelant dans la présente instance, d'effectuer des recours en justice.

En revanche, il sera tenu compte d'une certaine précarité affectant l'exploitation du fonds de commerce, et ce compte tenu de la durée écoulée depuis le congé à effet au 30 juin 2013.

S'agissant de la déviation, le bailleur ne peut pas invoquer ses conséquences futures. Si le preneur admet que ces travaux ont déjà commencé, il n'est pas établi qu'ils soient entièrement achevés. Il résulte d'ailleurs de la pièce 12-1 produit par le bailleur, datant de juin 2021, que la réalisation de la section courante de la déviation qui relie tous les ouvrages entre eux est prévue pour 2022 et l'installation des équipements pour 2023. En tout état de cause, l'éventuelle diminution de la clientèle, qui est invoquée par le bailleur et contestée par le preneur, qui aurait déjà été subie du fait de la déviation est prise en compte au travers du chiffre d'affaires réalisé.

1.2. Sur la méthode d'évaluation :

Aucun mode de calcul ne s'impose aux juges qui, pour fixer le montant d'une indemnité d'éviction, établissent la valeur marchande du fonds. Cette valeur est souverainement appréciée par eux. (3e Civ., 8 novembre 1968, pourvoi n°, N 452)

En l'espèce, le tribunal, comme l'expert, ont évalué le fonds de commerce en combinant la méthode d'appréciation en fonction du bénéfice ou de la rentabilité, et la méthode en fonction du chiffre d'affaires.

M. [Z] soutient, en substance, qu'en matière de fast food, l'usage est d'utiliser le chiffre d'affaires TTC, et non HT comme l'a retenu l'expert, et que la valeur marchande du fonds se situe entre 40 et 120 % du chiffre d'affaires TTC. Il considère que la méthode du bénéfice n'est pas adaptée compte tenu de la taille de l'exploitation, des revenus et de la faiblesse des marges appliquées, et que les résultats auxquels parvient l'expert par comparaison avec celui obtenu par la méthode du chiffre d'affaires, dont il conteste cependant le résultat, montre l'inadaptation de cette méthode. Il demande d'écarter ou de pondérer les chiffres des trois dernières années en raison de la crise Covid et de contraintes administratives empêchant toute exploitation normale. Il conclut à l'application d'un taux de 100 % du chiffre d'affaires par an, et évalue ainsi le fonds à 175 142,60 euros. A titre subsidiaire, il soutient que l'indemnité d'éviction doit être au minimum fixée à la valeur du droit au bail soit 315 648 euros TTC.

La SCI Constant réplique que le calcul de l'indemnité sur une assiette HT correspond aux usages, que le taux de 50 % du chiffre d'affaires retenu par l'expert est également conforme aux usages retenant une fourchette entre 30 et 80 % du chiffre d'affaires HT, lequel est, en outre, justifié par la situation du fonds de commerce en l'espèce. En effectuant la moyenne entre les méthodes, elle estime que la valeur du fonds suite à l'éviction est d'environ 16 095,89 euros. Enfin, elle soutient que la valeur du droit au bail est nulle.

- Sur l'évaluation de la valeur du fonds de commerce par la méthode du chiffre d'affaires :

S'agissant du chiffre d'affaires, hors taxe (HT) ou toutes taxes comprises (TTC) à prendre en compte : En l'espèce, l'expert énonce un principe selon lequel l'évaluation s'effectue en tenant compte du chiffre d'affaires TTC, puis ajoute que le commerçant n'est que le collecteur pour le compte d'autrui, l'Etat, et que cela ne lui rapporte rien, mais engendre des frais, et qu'il estime qu'introduire la TVA collectée dans le chiffre d'affaires n'a pas de sens, ajoutant ne pas avoir d'élément dans la documentation comptable indiquant à combien s'élève la TVA sur le chiffre d'affaires, de sorte qu'il retiendra un chiffre d'affaires HT.

Selon la pièce 44 produite par le preneur, consistant en un extrait du Mémento Transmission d'entreprise 2018-2019, l'évaluation du fonds de commerce par le chiffre d'affaires s'effectue sur la base du chiffre d'affaires TTC. Cette précision résulte aussi de l'extrait, produit en pièce 45, d'un extrait de Lexis 360 actualisé le 1er janvier 2015.

Selon la pièce 16 produite par la SCI Constant, consistant en le Mémento Transmission d'entreprise 2020-2021, le chiffre d'affaires est pris en compte HT ou TTC. Il précise, 'on observe par ailleurs une tendance des experts de l'évaluation à se référer de plus en plus fréquemment au chiffre d'affaires 'hors taxe' et non plus TTC. Nous avons retenu cette option générale dans le barème proposé ci-après, afin de tenir compte de la pratique actuelle et de (...)' (la suite de la page n'étant pas produite).

En outre, selon sa pièce 38, qu'elle indique être le Mémento Transmission d'entreprise 2022-2023, l'évaluation s'effectue sur la base du chiffre d'affaires HT, sauf exception. Il est précisé que 'cette option, conforme à la pratique majoritaire, permet de supprimer l'incidence de la TVA sur l'évaluation du fonds : une majoration du (ou des) taux appliqué(s) par l'entreprise ne doit pas se traduire par une majoration de l'évaluation et inversement'.

Cependant, de tels documents sont insuffisants à établir un changement d'usage. Il en est, d'ailleurs, de même de l'appréciation et des motifs énoncés par l'expert, dès lors qu'il ressort de son rapport qu'en principe s'applique un taux TTC.

Dès lors, il convient de retenir un chiffre d'affaires TTC.

S'agissant du taux du chiffre d'affaires TTC à prendre en compte : L'expert indique que la fourchette pour ce type d'activité, rattachée à une activité de fast-food, est de 40 à 120 % du chiffre d'affaires TTC/ an. Il propose cependant de retenir un coefficient moyen de 50 % compte tenu de la baisse de l'activité depuis 2016 et de l'importance de la concurrence, des faibles ou de l'absence de résultats que dégage l'affaire, de l'aspect très moyen du commerce quant aux aménagements qu'il offre à la clientèle et de l'absence de sanitaire ou de licence IV par exemple.

En pièce 25, le preneur produit un extrait de Lexis 360 indiquant, pour un fast-food, un barème de 50 % à 100 % du chiffre d'affaires annuel TTC. Le bailleur produit en pièce 38 un extrait du Mémento Transmission d'entreprise 2022-2023 mentionnant un taux de 30 à 80 %, avec une moyenne à 60 % du chiffre d'affaire pour ce type de commerce.

L'aspect du fonds de commerce, qui résulte des photographies jointes au rapport, et dont il n'est pas soutenu qu'il se soit dégradé depuis, ne relève pas de difficulté particulière pour un commerce de restauration rapide en bord de route et n'est, en tous les cas, pas tel qu'il justifierait de retenir un tel taux de 50 %.

En outre, de 2019 à 2021, l'activité dégageait un résultat positif et en augmentation, contrairement à celui des années passées prises en compte par l'expert.

Eu égard à la nature de l'activité exercée dans ce fonds de commerce et à la précarité résultant du congé à effet au 30 juin 2013, il convient d'évaluer la valeur de ce fonds de commerce à 75 % du chiffre d'affaires TTC.

Dès lors, compte tenu du chiffre d'affaires réalisé de 2019 à 2021, sans qu'il y ait lieu d'en soustraire les subventions reçues comme il a été dit, soit une moyenne de 80 4543 euros ((88 842 + 73 181 + 79 336) /3) cette valeur s'évalue à 60 339,75 euros.

Il sera relevé que les parties, et notamment le preneur, n'intègre pas dans sa demande d'indemnité principale, les éléments corporels évoqués par l'expert.

- Sur l'évaluation de la valeur du fonds de commerce par la méthode du bénéfice ou de la rentabilité :

Le rapport d'expertise a retenu, par l'application de cette méthode, selon des modalités contestées par le preneur, une somme, qui s'avère très nettement différente de celle retenue par la méthode précédente.

En tenant compte des coefficients appliqués par l'expert à chacun des résultats des trois années qu'il a pris en compte, lesquels ne sont pas critiqués de manière pertinente par le preneur, et en les appliquant au résultat des années 2019 à 2021, sans qu'il y ait lieu de 'retraiter' ce résultat en lui soustrayant les subventions perçues, l'évaluation, par la méthode du bénéfice, de la valeur du fonds de commerce s'effectue comme suit :

(4 546 x 1 + (5292 x 2) + (21 244 x 3 ) ) / 6 = 13 143,66 euros. La valeur du fonds de commerce est alors fixée entre deux et trois fois cette somme, soit à une somme située entre 26 287,33 euros et 39 430,98 euros, soit à une somme moyenne de l'ordre de 32 860 euros.

Une telle analyse confirme que l'estimation de la valeur du fonds de commerce est très différente selon la méthode employée.

Il est constant qu'en cas de différence importante entre les deux méthodes, il n'y a pas lieu de les combiner mais de retenir celle qui est la plus adéquate.

- Sur la méthode retenue :

Eu égard à la nature de l'activité de restauration rapide exercée dans le fonds de commerce de M. [Z], dont la petite taille et la faible marge ne sont pas contestées, il n'y a pas lieu de retenir la méthode par le bénéfice, ni à elle seule, ni pour effectuer une moyenne, mais de retenir la méthode d'évaluation par le chiffre d'affaires qui est la plus adéquate.

2.3. S'agissant de la valeur du droit au bail :

L'indemnité d'éviction doit correspondre au minimum à la valeur du droit au bail, laquelle consiste en la différence entre le montant de la valeur locative de marché des locaux ou pour des locaux similaires, et le loyer qui aurait été versé si le bail avait été renouvelé, avec application d'un coefficient.

M. [Z] considère que le loyer calculé par le bailleur pour des locaux équivalents selon les prix de marché est de 20 euros/m2, que le montant du nouveau loyer qui lui a été proposé étant de 20 euros /m2, soit pour 850 m2, 17 000 euros par an, alors qu'il payait un loyer annuel de 4 440 euros, il en déduit que, sur 9 ans, le différentiel s'élève à 135 648 euros, et en déduit une valeur du droit au bail de 315 648 euros.

La SCI Constant réplique que la valeur locative du lot de remplacement qui lui avait été proposée ne peut être utilisée, cette valeur locative datant de 2012 et ne portant pas sur des locaux similaires, que M. [Z] applique un coefficient de 9 alors qu'il doit se situer entre 0 et 3, et enfin qu'en cas de déplafonnement du loyer, le montant du loyer renouvelé a vocation à être fixé à la valeur locative, qu'en application de l'article L.145-34 alinéa 3 du code de commerce, lorsque la durée du bail dépasse 12 ans, il y a tacite reconduction, ce qui s'est produit en l'espèce à compter du 1er mai 2004, de sorte qu'il y a déplafonnement.

En l'espèce, le contrat de bail ayant pris effet au 1er mai 1995 avait une durée de 9 ans. A compter du 1er mai 2004, il s'est donc tacitement prolongé. Ainsi, le bail a duré plus de douze ans.

Dans le cas où aucun congé n'avait été donné au preneur, le bailleur pouvait renouveler le bail. Dans un tel cas, le montant du loyer renouvelé correspond, en application de l'article L.143-33 du code de commerce, à la valeur locative, et, le bail ayant duré plus de douze ans par l'effet d'une tacite prolongation, les règles de plafonnement prévues par l'article L.145-34 du code de commerce ne s'appliquent pas. Ainsi, dans un tel cas, le loyer du bail renouvelé correspond à la valeur locative, de sorte que le droit au bail a une valeur nulle.

- Sur le montant de l'indemnité principale : il en résulte que la valeur de l'indemnité principale d'éviction sera fixée à la somme de 60 339,75 euros. Le jugement sera infirmé sur le quantum de la somme retenue.

2. Sur les indemnités accessoires :

2.1. Sur les frais de remploi :

Le bailleur est tenu d'indemniser le preneur évincé d'un fonds non transférable des frais de réinstallation et des droits de mutation à exposer pour l'acquisition d'un fonds de même valeur, sauf s'il est établi que le preneur ne se réinstallera pas dans un autre fonds (3e Civ., 18 décembre 2012, pourvoi n° 11-23.273).

Alors que M. [Z] les évalue à la somme de 1 000 euros, la SCI Constant soutient qu'en raison de l'âge du preneur, il est peu probable qu'il se réinstalle en créant un nouveau fonds, ce d'autant plus qu'il a refusé des propositions de relocalisation laissant planer un doute sur ses futurs projets.

La SCI Constant ne démontre pas que M. [Z] ne se réinstallera pas dans un autre fonds. Il convient dès lors d'évaluer le montant des frais de remploi à 10 % de l'indemnité principale, soit à la somme de 6 033,97 euros. Le jugement sera infirmé sur le quantum de la somme retenue.

2.2. Sur le trouble commercial :

Alors que la SCI Constant conclut à l'absence de preuve de préjudice, M. [Z] demande paiement d'une somme de 10 000 euros à titre forfaitaire, précisant que le congé a nécessairement impacté le fonds, car il a dû renoncer à des investissements et des aménagements et soutenant que la période d'attente a été anormalement prolongée, impactant les conditions normales d'une exploitation commerciale.

La situation de précarité et l'absence d'investissement liée à cette situation de précarité ont été prises en compte pour évaluer le montant de l'indemnité principale. M. [Z] ne démontre pas avoir subi un préjudice qui n'a pas déjà été indemnisé. La demande sera rejetée de ce chef, le jugement étant confirmé en ce qu'il a rejeté cette demande.

2.3. Sur les frais administratifs :

M. [Z] caractérise son préjudice par les frais engendrés par le déménagement ou la fermeture du fonds, tels que les frais de modification et de radiation au registre du commerce et des sociétés, et l'évalue à la somme de 1 000 euros.

La SCI Constant conclut à l'absence de preuve de préjudice et, à titre subsidiaire, à la confirmation du jugement l'ayant évalué à la somme de 250 euros.

Compte tenu des démarches administratives devant être réalisées suite à la fermeture du fonds de commerce suite à l'éviction, il convient d'évaluer ce préjudice à la somme de 1 000 euros. Le jugement sera infirmé sur le quantum de cette évaluation.

2.4. Sur les frais de licenciement de personnel :

M. [Z] demande paiement des indemnités de licenciement pour ses trois salariés, à hauteur de la somme de 17 365 euros, ou de réserver ce poste et de condamner sur présentation des pièces justificatives de règlement.

La SCI Constant conclut à l'absence de preuve de ce préjudice et qu'il ne justifie pas être toujours employeur.

En l'espèce, M. [Z] justifie, par la production de bulletins de salaires de mai à juillet 2018, qu'il employait Mme [A] [H], M. [Z] [E] et Mme [J] [X].

Il produit les reçus pour solde de tout compte du 31 octobre 2018 signés, l'un par Mme [J] [X], et l'autre par M. [Z] [E], comprenant une indemnité de licenciement, ainsi qu'un bulletin de paie au nom de M. [Z] [E] d'octobre 2018 mentionnant une indemnité kilométrique, ce dernier mot étant barré et remplacé de manière manuscrite par le mot 'licenciement'.

D'autre part, il produit une attestation de M. [Z] certifiant que Mme [A] [H] a travaillé dans son établissement du 7 mai 2001 au 22 novembre 2019 et aurait droit à une indemnité de licenciement de 8 724,32 euros sous réserve du jugement du conseil de prud'hommes de Colmar.

Ces éléments sont cependant insuffisants à démontrer que ces licenciements ont un lien de causalité avec le congé délivré par la SCI Constant, et dès lors le fait que M. [Z] devra quitter les lieux en perdant son fonds de commerce. La demande sera dès lors rejetée et il n'y a pas lieu de réserver ce poste. Le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté cette demande.

2.5. Sur les frais de perte sur stock :

M. [Z] demande paiement de la somme de 1 000 euros en raison de la perte de denrées périssables.

Cependant, comme le soutient la SCI Constant, en l'absence de preuve de l'existence d'une telle perte, il ne démontre pas l'existence de ce préjudice. Le jugement sera infirmé de ce chef, et la demande rejetée.

2.6. Sur les dommages-intérêts :

M. [Z] demande des dommages-intérêts d'un montant de 10 000 euros, en invoquant le comportement infamant et déloyal du bailleur pour les motifs qu'il détaille dans ses conclusions.

Cependant, comme le soutient la SCI Constant, M. [Z] ne justifie pas avoir subi un préjudice distinct de la perte du fonds de commerce, qui a été indemnisé par les sommes précitées. Cette demande sera dès lors rejetée, le jugement étant confirmé de ce chef.

3. Sur les frais et dépens :

La SCI Constant succombant, il convient de confirmer le jugement ayant statué sur les dépens et les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

A hauteur d'appel, elle sera condamnée à supporter les dépens d'appel et à payer à M. [Z] la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, sa demande étant rejetée de ce chef.

P A R C E S M O T I F S

La Cour,

Infirme le jugement du tribunal judiciaire de Colmar du 23 mars 2021, mais seulement en ce qu'il a condamné la SCI Constant à payer à M. [Z] une indemnité d'éviction d'un montant total de 35 662,90 euros, avec intérêts au taux légal à compter du jugement, se décomposant ainsi :

- 31 739 euros au titre de l'indemnité principale,

- 3 173,90 euros au titre des frais de remploi,

- 250 euros au titre des frais administratifs,

- 500 euros au titre des frais de perte sur stock,

Le confirme pour le surplus,

Statuant à nouveau des chefs infirmés :

Condamne la SCI Constant à payer à M. [Z] une indemnité d'éviction d'un montant de 67 373,72 euros, avec intérêts au taux légal à compter du jugement du 23 mars 2021 sur la somme de 35 662,90 euros et à compter du prononcé de l'arrêt pour le surplus, se décomposant comme suit :

- 60 339,75 euros à titre d'indemnité principale,

- 6 033,97 euros à titre de frais de remploi,

- 1 000 euros à titre de frais administratifs,

Rejette les demandes de M. [Z] au titre des frais de perte de stock,

Condamne la SCI Constant à supporter les dépens d'appel,

Condamne la SCI Constant à payer à M. [Z] la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Rejette la demande de la SCI Constant au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La Greffière : la Présidente :


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Colmar
Formation : Chambre 1 a
Numéro d'arrêt : 21/02186
Date de la décision : 22/03/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-03-22;21.02186 ?
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