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09/02/2023 | FRANCE | N°19/00842

France | France, Cour d'appel de Colmar, Chambre 4 sb, 09 février 2023, 19/00842


MINUTE N° 23/150

















NOTIFICATION :







Copie aux parties



- DRASS







Clause exécutoire aux :



- avocats

- parties non représentées











Le





Le Greffier



REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE COLMAR

CHAMBRE SOCIALE - SECTION SB



ARRET DU 09 Février 2023



Numéro d'inscription

au répertoire général : 4 SB N° RG 19/00842 - N° Portalis DBVW-V-B7D-HAJV



Décision déférée à la Cour : 20 Décembre 2018 par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale du HAUT-RHIN, devenu le Tribunal Judiciaire de MULHOUSE



APPELANT :



Monsieur [I] [O]

[Adresse 2]

[Localité 5]



Représe...

MINUTE N° 23/150

NOTIFICATION :

Copie aux parties

- DRASS

Clause exécutoire aux :

- avocats

- parties non représentées

Le

Le Greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE COLMAR

CHAMBRE SOCIALE - SECTION SB

ARRET DU 09 Février 2023

Numéro d'inscription au répertoire général : 4 SB N° RG 19/00842 - N° Portalis DBVW-V-B7D-HAJV

Décision déférée à la Cour : 20 Décembre 2018 par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale du HAUT-RHIN, devenu le Tribunal Judiciaire de MULHOUSE

APPELANT :

Monsieur [I] [O]

[Adresse 2]

[Localité 5]

Représenté par Me Brice MICHEL, avocat au barreau de BELFORT

INTIMEES :

SA [8]

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Katja MAKOWSKI, avocat au barreau de COLMAR

CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE

DU TERRITOIRE DE BELFORT

[Adresse 3]

[Localité 5]

Dispensée de comparution

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 8 décembre 2022, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme FERMAUT, Magistrat honoraire, faisant fonction de président de chambre

Mme GREWEY, Conseiller

M. LAETHIER, Vice-Président placé

qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Mme KERLE, adjoint administratif faisant fonction de greffier, assistée de Mme JACQUAT, greffier stagiaire

ARRET :

- contradictoire

- prononcé par mise à disposition au greffe par Mme GREWEY, Conseiller, en remplacement du Président empêché,

- signé par Mme GREWEY, Conseiller, en remplacement du Président empêché, et Mme WALLAERT, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

* * * * *

FAITS ET PROCÉDURE

M. [I] [O] a été engagé le 20 octobre 2014 par la société [8] en qualité de chauffeur routier international au sein de l'agence de [Localité 6].

Le 10 mars 2016, l'employeur a déclaré pour son salarié un accident de travail survenu le même jour entre 8h30 et 12h00, dont il avait été avisé à 15h30. L'employeur y précise que l'accident a eu lieu dans les circonstances suivantes « lors de livraison de stores chez plusieurs clients en Suisse. [le salarié] a ressenti des douleurs lors de la manutention » et que les lésions consistent en des douleurs « cervicales et lombaires ».

Aucune mention de réserves ne figure dans cette déclaration d'accident de travail. Aucun témoin n'est mentionné. La caisse primaire d'assurance maladie a reconnu l'origine professionnelle de cet accident du travail.

Le certificat médical initial est daté du 12 mars 2013 (en réalité 2016). Les premières constatations médicales ont été effectuées le 12 mars 2016. Il s'agit de « cervicalgies et lombalgies avec irradiation gauche (sciatique) suite à port de charges ($gt; 50 kg) »

Aucun arrêt de travail n'a été prescrit le 12 mars 2016. Le premier arrêt l'a été le 8 avril 2016 et successivement prolongé jusqu'au 17 juillet 2016, les soins étant prolongés jusqu'au 1er décembre 2016.

La caisse primaire d'assurance maladie précise que l'état de santé de l'assuré a été consolidé à la date du 10 avril 2017, avec attribution d'un taux d'incapacité permanente partielle de 10%.

La Caisse primaire d'assurance maladie du Territoire-de-Belfort a fait remplir à l'assuré et à l'employeur un questionnaire pour obtenir des compléments d'information. L'un comme l'autre ont précisé le lieu exact de l'accident, à savoir dans un magasin de stores, situé en Suisse, à [Localité 7], et ce à 9h30. S'agissant des causes et circonstances de l'accident, le salarié précisait : « lors du déchargement de longueurs (6 m de long environ pour des poids compris entre 50 et 100 kg), j'ai ressenti une douleur dans les cervicales et le bas du dos. En effet, étant seul à décharger les longueurs, il faut les tirer du camion, après, les lever, et enfin les livrer parfois sur plusieurs mètres chez le client. Depuis j'ai un point dans les cervicales et le bas du dos ».

L'accident a été pris en charge le 25 avril 2016 par la Caisse primaire d'assurance maladie du Territoire-de-Belfort au titre de la législation professionnelle.

La société [8] n'a pas formé de recours contre cette décision.

Estimant que l'accident dont il a été victime est dû à la faute inexcusable de l'employeur, M. [I] [O] a saisi la caisse primaire d'une demande en reconnaissance de faute inexcusable. Un procès-verbal de non-conciliation a été établi le 6 octobre 2017.

Le 18 décembre 2017, M. [I] [O] a alors saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale du Haut-Rhin.

Par jugement du 20 décembre 2018, le tribunal des affaires de sécurité sociale du Haut-Rhin a statué comme suit :

- écarté l'attestation rédigée par M. [E] [S] le 18 septembre 2016 ;

- débouté M. [I] [O] de sa demande d'expertise et de provision ;

- dit que l'accident survenu le 10 mars 2016 à M. [I] [O] n'est pas un accident du travail ;

- débouté M. [I] [O] de sa demande de reconnaissance de faute inexcusable ;

- dit n'y avoir lieu à dépens ;

- débouté la SA [8] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- rappelé les voies de recours applicables à la décision.

Les premiers juges ont débouté M. [I] [O] de sa demande en estimant qu'il n'avait pas rapporté la preuve qui lui incombait de la matérialité des faits, à savoir l'existence même d'un accident ainsi que le lien de causalité entre la lésion invoquée et le travail. Les premiers juges ont également écarté l'attestation d'un salarié ayant succédé à l'assuré, comme ne respectant pas les conditions de forme de l'article 202 du code de procédure civile. Par ailleurs, le tribunal a relevé différents points dans la déclaration d'accident du travail et dans le certificat médical initial qui le conduisaient à déduire que M. [O] n'établissait pas la réalité des livraisons invoquées le 10 mars 2016, ni l'existence de manutentions ce jour-là qui auraient pu provoquer une lésion.

M. [I] [O] a interjeté appel de cette décision par acte du 11 février 2019.

Par arrêt du 8 avril 2021, la cour a pour l'essentiel :

- déclaré l'appel de M. [I] [O] recevable ;

- infirmé le jugement entrepris et statuant à nouveau :

* dit que M. [I] [O] a été victime d'un accident du travail le 10 mars 2016 ;

* dit que cet accident du travail est dû à la faute inexcusable de la société [8] ;

* fixé la majoration de la rente accident du travail servie à M. [I] [O] au maximum ;

- avant dire droit sur l'indemnisation des préjudices de M. [I] [O] :

* ordonné l'expertise médicale de M. [I] [O] et désigné à cet effet le Docteur [N] [F] avec mission habituelle d'expertise, étant précisé que ni la date de consolidation ni le taux de l'incapacité permanente qui ont été fixés ne peuvent plus être discutés ;

* fixé à 700 euros HT le montant des frais d'expertise et dit que l'avance de cette somme devra être faite par la caisse primaire d'assurance maladie du Territoire de Belfort qui pourra en récupérer le montant sur l'employeur la société [8] ;

- alloué à M. [I] [O] la somme de 3000 euros à titre de provision à valoir sur l'indemnisation de ses préjudices et dit que l'avance de cette somme devra être faite par la caisse primaire d'assurance maladie du Territoire de Belfort qui pourra en récupérer le montant sur l'employeur la société [8] ;

- condamné la société [8] à rembourser à la caisse primaire d'assurance maladie du Territoire de Belfort les sommes qu'elle sera amenée à avancer à M. [I] [O] en application de l'article L452-3 du code de la sécurité sociale ;

- déclaré l'arrêt commun et opposable à la caisse primaire d'assurance maladie du Territoire de Belfort ;

- réservé les droits de M. [I] [O], les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile.

Le rapport d'expertise du Docteur [N] [F] a été déposé le 3 juin 2021, notifié par les soins du greffe en date du 11 juin 2021 aux parties, qui ont pu en débattre contradictoirement.

Après plusieurs renvois et par ordonnance du 3 février 2022, l'affaire a été renvoyée à l'audience de plaidoirie collégiale du 8 décembre 2022.

L'affaire a été mise en délibéré au 9 février 2023.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

M. [I] [O], représenté par son conseil, se rapporte à ses conclusions après expertise n°2 visées le 2 février 2022 et demande à la cour d'appel de :

- dire que la rente invalidité ne peut jamais réparer l'intégralité du préjudice de la victime ;

- fixer son préjudice ainsi :

* dépenses de santé actuelles : mémoire

* 700 euros pour le poste frais divers

* 14992 euros au titre des pertes de gains actuels

* dépenses de santé futures : mémoire

* 403 380,54 euros pour les pertes de gains futurs ;

* 60 000 euros au titre de l'incidence professionnelle 

* 1748,32 euros en réparation du déficit fonctionnel temporaire 

* 2000 euros en réparation des souffrances endurées 

* 1000 euros pour l'indemnisation du préjudice esthétique temporaire

* 13200 euros pour le poste déficit fonctionnel permanent 

* 10 000 euros en réparation du préjudice d'agrément

- dire que la réparation du préjudice lui sera versée directement par la caisse primaire d'assurance maladie du Territoire de Belfort qui en récupérera le montant auprès des parties défenderesses ;

- débouter les intimées de toutes leurs demandes reconventionnelles, fins et conclusions ;

- les condamner solidairement à lui verser la somme de 5000 euros au titre des frais irrépétibles en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- les condamner solidairement aux entiers dépens et frais d'expertise.

Aux termes de ses conclusions après expertise du 1er février 2022, la caisse primaire d'assurance maladie du Territoire de Belfort, dispensée de comparaître, demande à la cour de :

- prendre acte de ce qu'elle s'en remet à la sagesse de la cour quant à la fixation des préjudices subis par M. [I] [O] ;

- fixer le montant des réparations complémentaires conformément aux dispositions des articles L452-2 et L452-3 du code de la sécurité sociale ;

- dire que le montant de ces réparations (préjudices à déterminer et majoration de rente : 47.797,55 euros) sera versé à M. [I] [O] par ses soins ;

- dire qu'en application des articles L452-2 al 6 et L452-3 dernier alinéa du code de la sécurité sociale, elle récupérera le montant de ces réparations (préjudices à déterminer et majoration de rente : 47.797,55 euros) auprès de l'employeur la société [8].

Elle demande essentiellement à ce que le montant des réparations complémentaires soient fixées et laisse à la cour le soin de déterminer l'indemnisation due au titre des autres préjudices.

Aux termes de ses conclusions après expertise du 8 février 2022 visées par le greffe le 5 décembre 2022, la SA [8], représentée par son conseil lors des débats, demande à la cour de :

- dire et juger irrecevables les demandes liées à l'indemnisation des postes de préjudice suivants : dépenses de santé actuelles, frais divers, pertes de gains actuels, dépenses de santé futures, incidence professionnelle, déficit fonctionnel ;

- fixer l'indemnisation du préjudice de M. [I] [O] lié au déficit fonctionnel temporaire partiel à la somme maximum de 1.446,93 euros ;

- fixer l'indemnisation du préjudice de M. [I] [O] liés aux souffrances endurées (1,5/7) à la somme maximum de 2000 euros ;

- débouter M. [I] [O] de l'intégralité de ses autres demandes fins et prétentions notamment de ses demandes au titre des préjudices suivants : dépenses de santé actuelles, frais divers, pertes de gains actuels, dépenses de santé futures, incidence professionnelle, préjudice esthétique temporaire, déficit fonctionnel permanent, préjudice d'agrément ;

- rappeler qu'il appartiendra à la caisse primaire d'assurance maladie en application des dispositions de l'article L452-3 alinéa 3 du code de la sécurité sociale de faire l'avance de la majoration de la rente ainsi que des sommes éventuellement allouées au titre des préjudices personnels de la préposée.

Vu le dossier de la procédure, les pièces versées aux débats et les conclusions des parties auxquelles il est référé, en application de l'article 455 du code de procédure civile, pour l'exposé de leurs moyens et prétentions ;

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur les préjudices indemnisables :

Aux termes des dispositions de l'article L.452-3 du code de la sécurité sociale, indépendamment de la majoration de la rente qu'elle reçoit en vertu de l'article L.452-2 du même code, la victime d'un accident du travail a le droit de demander à l'employeur, dont la faute inexcusable a été reconnue, la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales endurées par elle, de ses préjudices esthétiques temporaire et/ou définitif et d'agrément ainsi que celle du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle.

En application de ces dispositions, telles qu'interprétées par le Conseil constitutionnel (décision n°2010-8 du 18 juin 2010 sur QPC) et la Cour de cassation, peuvent également être indemnisés le Déficit Fonctionnel Temporaire (DFT), l'assistance par tierce personne avant consolidation, les frais d'aménagement du véhicule et du logement, le préjudice sexuel, le préjudice permanent exceptionnel, le préjudice d'établissement, le préjudice scolaire, les dépenses de santé non prises en charge et les frais divers, postes de préjudice non couverts par le livre IV du Code de la sécurité sociale.

Les autres chefs de préjudices couverts par les dispositions du code de la sécurité sociale, même partiellement, ne peuvent faire l'objet d'une indemnisation complémentaire.

Sur la liquidation des préjudices :

Il y a lieu d'examiner successivement les différents chefs de préjudice subis par M. [I] [O], né le 15 octobre 1976, déclaré consolidé le 10 avril 2017 des suites de son accident du travail avec une incapacité permanente partielle de 10 %.

Préalablement, la cour tient à rappeler les principales conclusions de l'expert, le Docteur [N] [F], déposées le 1er juin 2021 :

« L' accident du travail est consolidé avec une IPP de 10 % pour cervicalgies et lombalgies qui persistent encore à ce jour.

Le premier arrêt de travail est prescrit à partir du 8 avril 2016 puis régulièrement prolongé jusqu'au 17 juillet 2016. Il est licencié en novembre 2016 pour inaptitude.

Après une période de chômage, il reprend divers « petits boulots ».

Les souffrances morales et physiques = 1,5 sur 7

Le préjudice esthétique est sans objet

Le préjudice d'agrément n'a pas lieu d'être pris en compte

Quelques soins de confort sont poursuivis (kinésithérapie 2x/mois) »

Sur la demande au titre des dépenses de santé actuelles et de santé futures

M. [I] [O] sollicite « pour mémoire » une indemnisation à ces titres, la SA [8] conclut au débouté des demandes comme étant irrecevables.

Les préjudices qui sont réparés, même forfaitairement ou avec limitation, par le livre IV du Code de la sécurité sociale, ne peuvent ouvrir droit à une action de la victime d'un accident du travail causé par une faute inexcusable commise par l'employeur. Il faut qu'il soit établi qu'il s'agit de dommages non couverts par ces dispositions. Ces postes concernent notamment les dépenses de santé actuelles et futures, ainsi que les dépenses de déplacement, couvertes par les articles L431-1, L432-1 à L432-4 et L442-8 du Code de la sécurité sociale.

En l'espèce, M. [I] [O] ne démontre pas et ne chiffre pas d'éventuels frais de ce type qui seraient restés à sa charge.

Il sera en conséquence débouté de cette demande.

Sur la demande au titre des frais divers

La victime sollicite la somme de 700 euros au titre des frais divers, s'agissant de la facturation du Dr [F] pour procéder à l'expertise. La SA [8] indique que cette demande est étonnante dans la mesure où l'intéressé n'a pas déboursé cette somme.

La lecture du dispositif de l'arrêt du 8 avril 2021 montre que le coût de l'expertise soit 700 euros , devait être avancé par la caisse qui pourra en récupérer le montant auprès de l'employeur, la SA [8].

Dans ces conditions, M. [I] [O] n'ayant déboursé aucune somme, il ne peut prétendre à une indemnisation de ce chef et sera débouté de sa demande.

Sur les pertes de gains actuels, de gains futurs et l'incidence professionnelle

Pour les pertes de gains actuels, M. [I] [O] expose qu'il a perdu la somme de 14.992 euros, ses revenus annuels de 24691 euros pour 2014 et 24.469 euros pour l'année 2015 ayant été réduit en raison de l'accident du travail de 2016 à 19.902 euros pour cette même année et 14266 euros pour l'année 2017. Il estime donc qu'il a souffert d'une perte de revenus professionnels avant consolidation. De son côté, la SA [8] fait valoir que cette demande est irrecevable dans la mesure où les pertes de salaires sont d'ores et déjà indemnisées par la rente et qu'il convient de débouter M. [I] [O] de cette demande.

Concernant la perte de gains futurs et l'incidence professionnelle, M. [I] [O] sollicite la réparation de ce premier préjudice à hauteur de 40.3380,54 euros et de 60.000 euros pour le second préjudice, rappelant qu'il a été licencié pour inaptitude le 4 novembre 2016 et qu'il n'est plus en mesure de travailler en tant que chauffeur livreur. A l'appui de ses calculs, il se base sur la nomenclature Dintilhac et sur le coefficient de l'euro de rente à l'âge de 41 ans proposé par la Gazette du Palais-2020. L'employeur fait valoir que dans le cadre de la présente procédure seuls les préjudices pouvant être indemnisés au titre de la faute inexcusable peuvent être réparés et que là encore, le préjudice lié à une perte de gain, actuelle ou future est d'ores et déjà indemnisé par le versement de la rente. Enfin, elle rappelle que les séquelles de l'accident n'interdisent en rien à M. [I] [O] de reprendre une activité. Elle fait également valoir que le préjudice invoqué par M. [I] [O] au titre de l'incidence professionnelle ne constitue nullement une perte ou une diminution de ses possibilités de promotion professionnelle.

Il ressort d'abord des dispositions de l'article L. 433-1 du code de la sécurité sociale que la perte de gains professionnels actuels est compensée par le versement d'indemnités journalières de sorte qu'elle est au nombre des dommages couverts par le livre IV qui ne peuvent donc fonder une demande distincte.

Il ressort ensuite des articles L.452-2 et L.452-3 du code la sécurité sociale que la rente majorée allouée, par application de l'article L. 452-2 du code de la sécurité sociale, au salarié victime d'un accident du travail dû à la faute inexcusable de l'employeur indemnise notamment les pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité à l'exception, prévue par l'article L. 452-3 du même code, de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle qui fait l'objet d'une réparation spécifique.

En l'espèce, en demandant à être indemnisé de la perte de revenus qu'il a subie et qu'il va subir en reprenant de simples « petits boulots » faute d'être en mesure de reprendre un emploi de chauffeur livreur selon ses dires, du fait de son accident, M. [I] [O] demande l'indemnisation de pertes de gains professionnels actuels et futurs et de l'incidence professionnelle de son incapacité, c'est-à-dire de préjudices qui ont déjà été réparés, fût-ce de façon incomplète, par les indemnités journalières pour la perte des gains actuels et par la rente majorée qui lui a été accordée pour la perte des gains futurs et l'incidence professionnelle de l'incapacité.

Seul peut être indemnisé le préjudice lié à la perte de chance de promotion professionnelle à condition que la victime justifie qu'elle avait, avant l'accident du travail, une chance réelle et sérieuse de promotion et que cette chance ait été anéantie ou diminuée par l'accident.

En l'espèce, M. [I] [O] était chauffeur livreur au sein de la SA [8] lorsqu'il a été victime de l'accident du travail et il ne produit aucun document permettant d'établir qu'il était en voie d'obtenir une promotion professionnelle. Par ailleurs, si le salarié se prévaut également de son licenciement pour inaptitude, il sera rappelé que c'est bien la rente qui lui est versée qui indemnise, les pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité.

En conséquence de ce qui précède, M. [I] [O] doit être débouté des demandes de ces chefs.

Sur la réparation du déficit fonctionnel temporaire

Ce poste de préjudice a pour objet d'indemniser l'invalidité subie par la victime dans sa sphère personnelle pendant la maladie traumatique, c'est-à-dire jusqu'à sa consolidation. Cette invalidité par nature temporaire est dégagée de toute incidence sur la rémunération professionnelle de la victime. Elle correspond aux périodes d'hospitalisation de la victime mais aussi à la perte de qualité de vie et à celle des joies usuelles de la vie courante que rencontre la victime durant la maladie traumatique (séparation de la victime de son environnement familial et amical durant les hospitalisations, privation temporaire des activités privées ou des agréments auxquels se livre habituellement ou spécifiquement la victime, préjudice sexuel pendant la maladie traumatique).

Dans son rapport, l'expert retient :

- du 10 mars 2016 au 16 juillet 2016 : déficit fonctionnel temporaire total de 20%

- du 17 juillet 2016 au 1er décembre 2016 : déficit fonctionnel temporaire de 15%

- du 2 janvier 2017 au 10 avril 2017 : déficit fonctionnel temporaire de 12 %

En l'espèce M. [I] [O] sollicite à ce titre une réparation à hauteur de 17.48,32 euros soit une indemnisation de 28 euros par jour. La SA [8] propose de réparer ce poste à hauteur de 23 euros par jour soit 1.446,93 euros au total.

M. [I] [O] a subi une gêne dans l'accomplissement des actes de la vie courante et une perte temporaire de qualité de vie qui seront indemnisés à hauteur de 23 € par jour d'incapacité temporaire totale.

Soit une somme totale de 1.446,93 euros qui sera allouée à M. [I] [O] au titre du déficit fonctionnel temporaire.

Sur le déficit fonctionnel permanent 

En l'espèce, M. [I] [O] sollicite une somme de 13200 euros au titre du déficit fonctionnel permanent, rappelant que le taux d'IPP retenu par l'expert est de 10 %. Il estime qu'un taux de 11 % pourrait être retenu compte tenu de son âge au moment de la date de consolidation soit 41 ans. Il estime que l'indemnisation à ce titre est de 1200 euros le point.

La SA [8] rappelle que cette demande est irrecevable car l'indemnisation du préjudice de M. [I] [O] n'intervient pas en droit commun de la réparation du préjudice corporel mais dans le cadre de la faute inexcusable de l'employeur et qu'il méconnaît en conséquence les règles propres applicables en matière de sécurité sociale.

La cour rappelle que compte tenu des dispositions du livre IV du code de la sécurité sociale qui prévoient déjà la réparation de certains chefs de préjudice pour la victime d'une faute inexcusable de son employeur, celle-ci ne peut solliciter une nouvelle indemnisation au titre du déficit fonctionnel permanent indemnisé par l'allocation d'un capital ou d'une rente d'accident du travail en cas de consolidation avec séquelles (L.431-1 et L.434-1), et par sa majoration (L.452-2).

En conséquence, M. [I] [O] ne peut prétendre au versement d'une somme de 13.200 euros au titre du déficit fonctionnel permanent et sera débouté de cette demande.

Sur la réparation des souffrances endurées

Sur ce point, M. [I] [O] sollicite un montant de 2.000 euros, ce à quoi acquiesce la SA [8].

Aux termes de l'article L.452-3 du code de la sécurité sociale, la victime d'un accident du travail du à la faute inexcusable de l'employeur a le droit de demander à celui-ci la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurées.

Ce poste de préjudice indemnise les souffrances tant physiques que morales endurées par la victime et des traitements, interventions, hospitalisations dont elle a fait l'objet jusqu'à la consolidation.

En l'espèce, l'expert évalue les souffrances morales et physiques de M. [I] [O] à 1,5 sur une échelle de 7.

Les souffrances physiques et morales subies par M. [I] [O] justifient que lui soit attribuée la somme de 2.000 euros.

Sur le préjudice esthétique :

M. [I] [O] demande à la cour une somme de 1.000 euros au titre du préjudice esthétique temporaire et la SA [8] conclut au débouté de cette demande.

Ce poste de préjudice a pour objet de réparer l'altération de l'apparence physique de la victime avant et après la consolidation.

En l'espèce l'expert a mentionné « sans objet » concernant ce poste de préjudice.

Dès lors qu'il n'apporte aucun élément qui contredisent les conclusions de l'expertise, il s'impose de rejeter la demande de ce chef.

Sur le préjudice d'agrément :

M. [I] [O] indique que le préjudice d'agrément a été reconnu par l'expert sans pour autant expliquer à la cour la nature exacte de son préjudice mais en sollicitant une indemnisation à hauteur de 10.000 euros. La société réplique que l'expert a apposé la mention « sans objet » concernant ce poste de préjudice et que M. [I] [O] n'a pas fait état d'un préjudice d'agrément précis.

La réparation du préjudice d'agrément, aux termes des dispositions de l'article L.452-3 du code de la sécurité sociale, vise à l'indemnisation du préjudice lié à l'impossibilité pour la victime de pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive ou de loisirs à laquelle elle se livrait antérieurement à l'accident du travail.

L'expert a noté dans son rapport que « faute d'activités régulière et organisées auparavant, ce préjudice n'a pas à être réglementairement pris en compte ».

Force est de constater que M. [I] [O] n'a versé aux débats aucune pièce qui permettrait à la cour de constater qu'il s'adonnait à une activité sportive ou de loisirs antérieurement à son accident du travail et dont il serait aujourd'hui privé.

En l'absence de plus amples précisions de sa part, la demande de réparation formulée à ce titre par M. [I] [O] ne saurait être accueillie favorablement. Il sera donc débouté de sa demande à hauteur de 10.000 euros.

Au vu de ce qui précède, l'indemnisation des préjudices de M. [I] [O] s'établit comme suit :

- 1.446,93 euros en réparation du déficit fonctionnel temporaire ;

- 2.000 euros en réparation des souffrances endurées ;

soit une somme totale de 3.446,93 euros.

Sur l'avance par la Caisse primaire d'assurance maladie des indemnités allouées et son action récursoire :

La caisse devra assurer l'avance des indemnisations ci-dessus allouées à M. [I] [O], déduction faite de la provision de 3.000 euros déjà versée.

La cour rappelle que par arrêt définitif du 8 avril 2021, la SA [8] a été condamnée à rembourser à la caisse primaire d'assurance maladie du Territoire de Belfort les sommes qu'elle sera amenée à avancer à M. [I] [O] en application de l'article L 452-3 du code de la sécurité sociale.

L'arrêt du 8 avril 2021 a fixé la majoration de la rente accident de travail servie à M. [I] [O] au maximum sans préciser que la caisse primaire d'assurance maladie du Haut-Rhin pourra recouvrer la majoration de la rente accident de travail à l'encontre de la SA [8]. La caisse est bien fondée à solliciter le remboursement des sommes avancées au titre de la majoration de la rente, en application de l'article L.452-2 alinéa 6 du Code de la sécurité sociale.

Sur le surplus :

La SA [8] qui a l'issue du litige pris en sa globalité succombe, sera condamnée aux dépens, y compris les frais d'expertise judiciaire qu'elle devra rembourser à la caisse et sera condamnée à verser à M. [I] [O] une indemnité de 4000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire, en dernier ressort, après en avoir délibéré conformément à la Loi,

Vu l'arrêt de la cour du 8 avril 2021 ;

FIXE comme suit les sommes dues à M. [I] [O] au titre de la réparation de ses préjudices :

- 1.446,93 euros en réparation du déficit fonctionnel temporaire ;

- 2.000 euros en réparation des souffrances endurées ;

soit une somme totale de 3.446,93 (trois mille quatre cent quarante six) euros ;

DÉBOUTE M. [I] [O] de sa demande au titre des frais de santé actuels et futurs ;

DÉBOUTE M. [I] [O] de sa demande au titre des frais divers ;

DÉBOUTE M. [I] [O] de ses prétentions relatives à la réparation du préjudice d'agrément et du préjudice esthétique temporaire ;

DÉBOUTE M. [I] [O] de ses prétentions au titre de la perte de gains actuels, futurs et de l'incidence professionnelle ;

DÉBOUTE M. [I] [O] de sa demande d'indemnisation au titre du déficit fonctionnel permanent ;

CONDAMNE la Caisse primaire d'assurance maladie du Territoire de Belfort à verser directement à M. [I] [O] les sommes dues au titre de l'indemnisation complémentaire déduction faite de la provision déjà versée d'un montant de 3.000 euros ;

RAPPELLE que par arrêt définitif du 8 avril 2021 la SA [8] a été condamnée à rembourser à la Caisse primaire d'assurance maladie du Territoire de Belfort les sommes qu'elle sera amenée à avancer à M. [I] [O] en application de l'article L542-3 du code de la sécurité sociale ;

CONDAMNE la SA [8] aux dépens de la procédure d'appel, y compris les frais d'expertise judiciaire ;

CONDAMNE la SA [8] à rembourser à la Caisse primaire d'assurance maladie du Territoire de Belfort les frais d'expertise judiciaire d'un montant de 700 euros TTC ;

CONDAMNE la SA [8] à payer à M. [I] [O] la somme de 4.000 (quatre mille) euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Le Greffier Le Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Colmar
Formation : Chambre 4 sb
Numéro d'arrêt : 19/00842
Date de la décision : 09/02/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-02-09;19.00842 ?
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