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08/02/2023 | FRANCE | N°21/00342

France | France, Cour d'appel de Colmar, Chambre 1 a, 08 février 2023, 21/00342


MINUTE N° 77/23

























Copie exécutoire à



- Me Joëlle LITOU-WOLFF



- Me Loïc RENAUD





Le 08.02.2023



Le Greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE COLMAR

PREMIERE CHAMBRE CIVILE - SECTION A



ARRET DU 08 Février 2023



Numéro d'inscription au répertoire général : 1 A N° RG 21/00342 - N° Portalis DBVW-V-B7F-HPDX



Décisi

on déférée à la Cour : 19 Novembre 2020 par le Tribunal judiciaire de STRASBOURG - 3ème chambre civile



APPELANTE - INTIMEE INCIDEMMENT :



S.A.S. ARTDECO COSMETIC FRANCE

prise en la personne de son représentant légal

[Adresse 2]

[Localité 3]



Repré...

MINUTE N° 77/23

Copie exécutoire à

- Me Joëlle LITOU-WOLFF

- Me Loïc RENAUD

Le 08.02.2023

Le Greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE COLMAR

PREMIERE CHAMBRE CIVILE - SECTION A

ARRET DU 08 Février 2023

Numéro d'inscription au répertoire général : 1 A N° RG 21/00342 - N° Portalis DBVW-V-B7F-HPDX

Décision déférée à la Cour : 19 Novembre 2020 par le Tribunal judiciaire de STRASBOURG - 3ème chambre civile

APPELANTE - INTIMEE INCIDEMMENT :

S.A.S. ARTDECO COSMETIC FRANCE

prise en la personne de son représentant légal

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Joëlle LITOU-WOLFF, avocat à la Cour

Avocat plaidant : Me RAJERIARISON, avocat au barreau de STRASBOURG

INTIMEE - APPELANTE INCIDEMMENT :

S.C.I. DIAMOND

prise en la personne de son représentant légal

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Loïc RENAUD, avocat à la Cour

Avocat plaidant : Me HUSS-CLARAC, avocat au barreau de STRASBOURG

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 805 modifié du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 04 Mai 2022, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme PANETTA, Présidente de chambre, et M. ROUBLOT, Conseiller, un rapport de l'affaire ayant été présenté à l'audience.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme PANETTA, Présidente de chambre

M. ROUBLOT, Conseiller

Mme ROBERT-NICOUD, Conseillère

qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Mme VELLAINE

ARRET :

- Contradictoire

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.

- signé par Mme Corinne PANETTA, présidente et Mme Régine VELLAINE, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Vu l'assignation en date du 13 septembre 2013, par laquelle la SCI Diamond, ci-après également dénommée 'la SCI', a saisi le tribunal de grande instance, devenu le 1er janvier 2020 le tribunal judiciaire de Strasbourg, d'une demande dirigée contre la SARL Artdéco Cosmétic France, ci-après également dénommée 'la société Artdéco',

Vu le jugement rendu le 19 novembre 2020, auquel il sera renvoyé pour le surplus de l'exposé des faits, ainsi que des prétentions et moyens des parties en première instance, et par lequel le tribunal judiciaire de Strasbourg a :

- condamné la SAS Artdéco Cosmétic France à payer à la SCI Diamond la somme de 19 156,70 euros au titre des dégradations locatives, augmentée des intérêts légaux à compter du 7 mars 2013,

- condamné la SAS Artdéco Cosmétic France à payer à la SCI Diamond la somme de 47 025 euros à titre de dommages-intérêts augmentée des intérêts au taux légal à compter du jugement,

- ordonné la capitalisation des intérêts,

- condamné la SAS Artdéco Cosmétic France à payer à la SCI Diamond la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté la SAS Artdéco Cosmétic France de sa demande au titre de 1'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la SAS Artdéco Cosmétic France aux entiers frais et dépens,

- ordonné l'exécution provisoire du jugement,

aux motifs, notamment :

- qu'un manquement du preneur qui n'avait pas respecté son obligation d'occupation des lieux pendant toute la durée du bail, était établi,

- qu'au vu du procès-verbal de l'état des lieux de sortie contradictoire du 9 janvier 2013, la SCI était bien fondée à engager la responsabilité contractuelle du preneur qui, non seulement avait manqué à son obligation de restitution des lieux en bon état mais surtout avait procédé à des modifications essentielles du bâti,

- que l'intention volontairement discriminatoire prêtée à la SCI, qui restait libre de choisir un nouveau repreneur, dans son refus de relouer les locaux en l'état à la société Infra Cosmétic, gérée par M. [O] [L], fils de M. [B] [L], dont les relations s'étaient dégradées avec M. [J], autre associé, à 50 %, de la SCI, n'était pas démontrée, dans un contexte de perte de confiance envers la société Infra Cosmétic, qui avait profité des modifications opérées sans autorisation du bailleur,

- qu'il en résultait un préjudice devant prendre en compte des frais de remise en état du local selon chiffrage résultant de l'estimation budgétaire de la société Plébicit,

- que la bailleresse avait subi une perte de chance d'avoir pu procéder à une relocation, devant être évaluée à 33 % du montant réclamé arrêté au jour du jugement, soit la somme de 47 025 euros.

Vu la déclaration d'appel formée par la SAS Artdéco Cosmétic France contre ce jugement et déposée le 30 décembre 2020,

Vu la constitution d'intimée de la SCI Diamond en date du 11 février 2021,

Vu les dernières conclusions en date du 7 février 2022, auxquelles est joint un bordereau de pièces récapitulatif qui n'a fait l'objet d'aucune contestation des parties, et par lesquelles la SAS Artdéco Cosmétic France demande à la cour de :

'Sur l'appel principal :

DIRE l'appel bien fondé,

Y faisant droit,

INFIRMER le jugement entrepris en ce qu'il a :

- condamné la société ARTDECO COSMETIC FRANCE à payer à la SCI DIAMOND 19.156, 70 € au titre des dégradations locatives outre les intérêts au taux légal à compter du 7 mars 2013,

- condamné la société ARTDECO COSMETIC FRANCE à payer à la SCI DIAMOND 47.025 € à titre de dommages et intérêts,

- ordonné la capitalisation des intérêts,

- condamné la société ARTDECO COSMETIC FRANCE à payer 1.500 € au titre de l'article 700 du CPC outre les dépens,

- rejeté la demande de la société ARTDECO COSMETIC FRANCE au titre de l'article 700 du CPC et l'a déboutée implicitement du surplus de ses demandes,

et statuant à nouveau,

DEBOUTER la SCI DIAMOND de l'intégralité de ses fins, moyens et prétentions,

RAPPELER que l'arrêt vaut titre de restitution des sommes ayant fait l'objet d'une exécution forcée,

CONDAMNER la SCI DIAMOND à payer à la société ARTDECO COSMETIC FRANCE la somme de 3 415 € correspondant au dépôt de garantie et augmentée des intérêts légaux à compter du 13 septembre 2013.

Sur l'appel incident de la SCI DIAMOND :

Le DIRE mal fondé,

En conséquence,

Le REJETER,

DEBOUTER la SCI DIAMOND de l'intégralité de ses fins, moyens et prétentions,

La CONDAMNER aux frais de l'appel incident,

A titre infiniment subsidiaire si par extraordinaire la Cour venait à confirmer le jugement entrepris en ce qu'il est entré en voie de condamnation à l'encontre de la société ARTDECO COSMETIC France :

CONDAMNER la société ARTDECO COSMETIC FRANCE à verser à la SCI DIAMOND un euro symbolique en réparation de son préjudice.

En tout état de cause :

CONDAMNER la SCI DIAMOND à payer à la société ARTDECO COSMETIC FRANCE la somme de 8 000 € au titre de l'article 700 du CPC,

CONDAMNER la SCI DIAMOND aux entiers frais et dépens de première instance et d'appel,

DEBOUTER la SCI DIAMOND de toutes conclusions contraires'

et ce, en invoquant, notamment :

- le caractère, selon elle fantaisiste, de l'argumentation adverse à l'appui du rejet de son appel quant à l'absence de mention de la portée de l'appel dans les conclusions versées aux débats et l'erreur de plume contenue dans la déclaration d'appel,

- son absence de responsabilité au titre du contrat de bail, s'agissant d'une part d'un établissement resté actif jusqu'au terme du bail malgré une libération anticipée des locaux, d'autre part, d'un usage des locaux en bon père de famille, conformément à leur usage, et d'une restitution en bon état d'entretien, s'agissant de locaux mis à disposition à l'état brut et ayant subi l'usure du temps,

- l'absence de préjudice subi par la SCI et de lien de causalité entre les réparations sollicitées et les fautes qu'elle allègue,

- le caractère infondé de l'appel incident, faute de justification du quantum réclamé tant au titre de la remise en état des locaux que d'une la perte de loyers susceptible de trouver sa cause dans l'état du local.

Vu les dernières conclusions en date du 13 décembre 2021, auxquelles est joint un bordereau de pièces récapitulatif qui n'a fait l'objet d'aucune contestation des parties, et par lesquelles la SCI Diamond demande à la cour de :

'REJETER l'appel de la SAS ARTDECO COSMETIC FRANCE comme non fondé.

JUGER recevable et bien-fondé l'appel incident de la SCI DIAMOND

CONFIRMER le jugement rendu par le Tribunal judiciaire de Strasbourg le 19 novembre 2020 en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a limité la condamnation de la SAS ARTDECO COSMETIC FRANCE à payer à la SCI DIAMOND les montants suivants :

- 19 156,70 € au titre des dégradations locatives augmentée des intérêts légaux à compter du 7 mars 2013

- 47 025 € à titre de dommages et intérêts augmentée des intérêts au taux légal à compter du jugement

Y faisant droit,

Et, statuant à nouveau sur ce point,

CONDAMNER la Société ARTDECO COSMETIC FRANCE à payer à la SCI DIAMOND, à titre de dommages et intérêts pour la remise en état des locaux, une somme de 24.607,70 €, outre intérêts au taux légal à compter du 7 mars 2013, date de la mise en demeure.

CONDAMNER la Société ARTDECO COSMETIC FRANCE à payer à la SCI DIAMOND une somme de 145.100,00 € à titre de dommages et intérêts pour le préjudice subi du fait de la perte de loyers sur la période du 1er janvier 2013 au 22 janvier 2021, avec intérêts au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir.

En tout état de cause :

DEBOUTER la Société ARTDECO COSMETIC FRANCE de l'ensemble de ses fins, moyens et conclusions à l'encontre de la SCI DIAMOND.

CONDAMNER la Société ARTDECO COSMETIC FRANCE à verser à la SCI DIAMOND la somme de 4.000,00 € au titre des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile pour la procédure d'appel.

CONDAMNER la Société ARTDECO COSMETIC FRANCE aux entiers frais et dépens de la procédure d'appel'

et ce, en invoquant, notamment :

- la responsabilité contractuelle de la société Artdéco, au titre de manquements à nombre de ses obligations essentielles issues du bail, indépendamment des éventuels conflits opposant les personnes physiques qui incarnent les sociétés en cause, s'agissant de dégradations locatives, qu'elle détaille, de l'abandon des locaux, peu important la poursuite du règlement des loyers, ainsi que de l'impossibilité de relouer les locaux après le départ du preneur, y compris à la société Infra Cosmétic, de surcroît complice des agissements qualifiés de fautifs, de l'appelante, ou encore de la réalisation d'ouvertures sans autorisation du bailleur, le fait que les locaux aient été remis au preneur lors de son entrée dans les lieux à l'état brut ne pouvant avoir pour effet d'annihiler les obligations contractuelles du bail,

- des préjudices subis, de ces chefs, par la concluante, à la fois au titre de la nécessité de remise en état des locaux et en termes financiers liés à la perte de loyers, préjudices directement liés au comportement de la locataire, comme retenu par le premier juge,

- sur appel incident, la mise en compte du coût total des réparations locatives à la charge de la société Artdéco, sans déduction de la vétusté, qui ne serait pas la seule cause des dégradations, et en l'absence de justification d'une compensation du dépôt de garantie, le montant du préjudice au titre de la perte de loyers devant également être majoré, faute de possibilité de relouer le bien du fait de son état imputable à l'appelante ;

Vu l'ordonnance de clôture en date du 6 avril 2022,

Vu les débats à l'audience du 4 mai 2022,

Vu le dossier de la procédure, les pièces versées aux débats et les conclusions des parties auxquelles il est référé, en application de l'article 455 du code de procédure civile, pour l'exposé de leurs moyens et prétentions.

MOTIFS :

Sur la portée de l'appel interjeté par la société Artdéco :

La cour observe, sur ce point, que dans ses dernières écritures, la SCI ne formule aucune prétention ni n'articule aucun moyen à cet égard, notamment quant à une absence de mention de la portée de l'appel dans les conclusions adverses, se limitant à mentionner une erreur de plume affectant la déclaration d'appel de la partie adverse, dans le rappel du dispositif du jugement entrepris, tout en prenant acte que dans ses dernières conclusions, l'appelante a modifié le dispositif de ses conclusions sur ce point.

Dans ces conditions, la cour considère n'être saisie d'aucune demande, exception ou contestation à ce titre.

Sur les manquements reprochés par la SCI à la société Artdéco :

Il convient de rappeler que la SCI Diamond a pour objet social, aux termes de ses statuts, 'l'acquisition d'un ensemble immobilier et généralement toutes opérations mobilières et immobilières [s'y] rattachant directement ou indirectement', et est détenue à 50 % par M. [V] [J], par ailleurs gérant de la société, à 40 % par M. [P] [L] et à 10 % par M. [O] [L], tandis que la SARL Artdéco Cosmétic France est une société commerciale dont M. [P] [L] était le gérant.

Les parties au litige étaient liées par un contrat de bail commercial consenti en date du 31 octobre 1997 par la SCI Diamond au profit de la SARL Artdéco Cosmétic France, et portant sur des locaux d'activités incluant des bureaux, un hall et des parkings, sis [Adresse 5], les parties s'accordant sur le fait que les locaux ont été remis au preneur à l'état brut, avant d'être aménagés aux frais de ce dernier et sans compensation de la part du bailleur.

En application des stipulations du bail, et plus particulièrement de son article V, tous les aménagements, installations, améliorations devaient être effectuées par le preneur sous sa seule responsabilité et devenir, par accession et sans indemnité, la propriété du bailleur à l'expiration du bail ou de tout renouvellement ultérieur (§ 5), tandis que le preneur était tenu d'user des locaux en bon père de famille, les entretenir et les rendre en fin de bail en bon état de réparations locatives et d'entretien de toute nature, le bailleur n'étant tenu que des grosses réparations définies par l'article 606 du code civil, le preneur devant entretenir et remplacer au besoin, sous son entière responsabilité, toutes les installations ou équipements à son usage personnel, quelle que soit leur nature, et supportant seul les frais relatifs à tous travaux d'aménagement, d'installation de cloisonnement et d'entretien qu'il estimerait utile à l'exercice de son activité ainsi que toutes réparations et tous travaux de quelque nature que ce soit, exigés par la réglementation en vigueur ou à venir notamment concernant l'hygiène et la sécurité, les conditions de travail (§ 4).

En vertu du même article du contrat de bail, le preneur était tenu d'une occupation personnelle des lieux, sans pouvoir en concéder la jouissance, sauf stipulation sous-location, (§1 a), et maintenir les lieux constamment utilisés et garnis en tout temps de matériaux, marchandises, matériel, outils et mobilier en qualité et valeur suffisante pour répondre du paiement du loyer et de l'exécution de toutes les conditions du bail (§ 2).

Par acte d'huissier délivré le 18 avril 2012, le preneur a donné congé à la bailleresse avec effet à la date du 31 décembre 2012, tandis qu'une société Infra Cosmétic, dirigée par M. [O] [L], formulait, en date du 14 décembre 2012, auprès de l'agence immobilière mandatée par le bailleur, une offre pour la reprise du local en location, proposition réitérée le 7 janvier 2013, sans suite favorable de la part de la SCI.

La SCI Diamond, demanderesse à la première instance et dorénavant intimée, entend faire grief à la SAS Artdéco Cosmétic France d'avoir manqué à ses obligations contractuelles, générant des réparations locatives et une impossibilité de relouer les locaux elle-même génératrice, selon l'intimée, de perte de loyers. Ainsi la SCI reproche-t-elle à la société Artdéco :

- des dégradations locatives importantes, qu'elle détaille, établies par un constat contradictoire et, selon elle, non contesté lors de son établissement, mettant en cause la conformité du bâtiment aux normes de sécurité, et évaluées en adéquation avec ce constat par un devis transmis à la partie adverse, et à l'origine d'une décote lors de la vente du bien, le comportement de la société Artdéco, qui se serait délibérément opposée à ce que le bailleur puisse organiser et réaliser les visites des candidats intéressés à une prise en location des lieux, et sa résistance à assumer le coût des travaux nécessaires à la remise en état, rendant, en outre, impossible la relocation des locaux, la bailleresse réfutant toute responsabilité liée à un défaut de diligence à ce titre,

- un abandon des locaux par la société Artdéco, constaté à deux reprises en février et août 2012,

- la réalisation d'ouvertures sans autorisation du bailleur, qui aurait été reconnue par M. [P] [L], ainsi qu'une dérivation d'eau vers le local contigu, occupé par la société Infra Cosmétic, avec arrachage du compteur, rendant le local impropre à la location, le tout générant une confusion de locataire au profit de la société Infra Cosmétic, qui, en raison de l'état des locaux, de son occupation sans droit ni titre et de sa complicité des agissements reprochés à la société Artdéco, n'aurait pas été, ensuite, en droit de bénéficier du bail qu'elle sollicitait, sans qu'aucune discrimination ne puisse, à son sens, être invoquée,

- l'absence d'usage des lieux en bon père de famille, sans incidence de la remise des locaux à l'état brut à l'entrée dans les lieux.

La SAS Artdéco Cosmétic France, défenderesse et appelante, objecte que :

- le litige s'inscrirait dans un contexte exécrable entre les associés de la SCI, soit M. [J] et MM. [L], ces derniers ayant intenté une procédure en dissolution - liquidation judiciaire de la SCI, tandis que M. [J] serait à l'origine de multiples litiges envers la société Artdéco concernant les locaux loués,

- l'établissement serait resté actif, même en l'absence d'activité commerciale, jusqu'au 31 décembre 2012, les loyers étant payés et le bailleur n'ayant pas choisi de mettre lui-même fin au bail avant terme, acceptant cet état de fait,

- les locaux auraient été utilisés en bon père de famille et restitués en bon état d'entretien, s'agissant de locaux loués en état brut de béton, et nécessitant des aménagements à sa charge, l'usure normale des locaux, telle que relevée par l'état des lieux de sortie, devant, en outre, être prise en compte, contrairement aux constatations citées par la partie adverse, faute de preuve qu'il s'agirait d'un usage des locaux qui n'ait pas été fait en bon père de famille ou que leur restitution montrerait un mauvais état d'entretien, certains désordres allégués, comme l'accès à l'eau, ne nécessitant pas de travaux, et d'autres relevant de l'embellissement, outre l'application de la clause d'accession et la conformité des locaux aux normes d'hygiène et de sécurité.

Sur ce, la cour rappelle qu'elle est saisie d'un litige entre sociétés, portant, dans le cadre de l'exécution d'un contrat de bail commercial, sur le respect des obligations incombant à la partie preneuse, qu'il lui appartient donc d'examiner, au vu des éléments dont elle dispose, sans qu'il lui appartienne de trancher les différends existant entre associés, dans le contexte qui a été rappelé ci-dessus. De même, il appartient à la partie qui invoque une attitude discriminatoire d'établir à suffisance à l'encontre de la partie adverse, seule appelée en la cause, l'intention de nuire dont elle se prévaut.

Par ailleurs, il convient de relever que la SCI ne reproche pas à la société Artdéco, comme cette dernière le soutient, la réalisation de travaux, sous réserve du percement d'ouvertures auquel il sera revenu, mais un manquement à son obligation d'entretien et de réparation locative. Si, comme il a été rappelé, les locaux ont été loués en état brut de béton, la preneuse n'en était pas moins tenue à leur restitution en bon état, et ce y compris s'agissant des installations qu'elle avait réalisées, ce qui ressort clairement des stipulations du bail telles que précitées, sachant, du reste, que ces aménagements avaient vocation à revenir à la bailleresse à l'issue du bail et qu'une restitution en mauvais état aurait pour effet de vider de sa substance ou à tout le moins de son effectivité la clause d'accession.

Il y a lieu cependant, comme l'a justement rappelé le premier juge, de prendre en compte l'incidence de la vétusté, quand bien même elle ne serait pas la seule cause des dégradations, dès lors que le preneur ne saurait être tenu de dégâts provenant d'un usage normal et légitime de la chose louée, mais uniquement de dommages résultant de manquements à son obligation d'entretien et de réparation.

Au regard de ce qui précède, et sous réserve de prendre en considération, dans l'évaluation du préjudice de la SCI, de l'incidence de la vétusté dans les conditions qui viennent d'être rappelées, la cour considère que le premier juge a, par des motifs pertinents qu'il y a lieu d'adopter, fait une exacte appréciation des faits de la cause et du droit des parties, en retenant, au vu des conclusions détaillées du constat d'huissier de justice en date du 9 janvier 2013, dont le caractère contradictoire est suffisamment établi au regard de la présence de représentants des deux parties, que la société Artdéco avait manqué à son obligation de restitution des lieux en bon état, la nature des dégradations mentionnées de manière circonstanciée dans le constat excédant manifestement ce qui résulterait d'un usage normal et légitime des locaux, 'en bon père de famille' pour reprendre les termes du bail.

La cour n'aperçoit pas davantage, au regard des éléments soumis à son appréciation, de motif de s'écarter de l'appréciation du premier juge en ce qu'il a retenu, à la charge du preneur, la commission de modifications essentielles du bâti et ce en pratiquant, sans l'assentiment du bailleur, des travaux d'ouverture sur le local attenant loué par la société Infra Cosmétic, ce qui compromettait la destination du local en contraignant la partie bailleresse à une remise en état pour poursuivre la location des locaux indépendamment du local attenant, ces travaux ayant également impliqué, à tout le moins, une suppression de l'installation individuelle de plomberie, laquelle supposait une remise en état dont la société Artdéco n'est pas fondée à soutenir qu'elle serait sans incidence pour la SCI, qui a d'ailleurs mis en compte à ce titre une somme de 558 euros selon facture.

À cet égard, la seule circonstance que la société Infra Cosmétic ait proposé à la SCI une reprise des locaux en prenant à sa charge une éventuelle remise en état apparaît sans incidence sur les obligations de la société Artdéco, le premier juge ayant, à cet égard, justement rappelé que le bailleur n'était pas tenu d'accepter la proposition de la société Infra Cosmétic, et ce alors même que le comportement de la société Artdéco, au bénéfice de cette dernière, apparaît révélatrice d'un manque de loyauté envers la bailleresse. D'ailleurs, ainsi que cela ressort de deux constats d'huissier successifs établis en février et août 2012, et comme cela a été reconnu par le preneur, ce dernier n'exerçait plus aucune activité dans les locaux, ayant transféré son siège social sans que rien ne permette d'établir qu'il poursuivait lui-même, comme la société Artdéco le soutient dans ses conclusions, une activité dans l'établissement, de sorte qu'il s'agit d'un manquement à son obligation d'occupation des lieux. En revanche, le réaménagement des locaux à l'insu du bailleur impliquant à la fois la condamnation de l'ouverture extérieure et la réalisation d'ouvertures communiquant avec les locaux occupés par la société Infra Cosmétic apparaît de nature à justifier ce que le premier juge a pu, à juste titre, qualifier de perte de confiance, et ce alors que la société Artdéco ne démontre, pour sa part, aucun comportement discriminatoire de la SCI envers la société Infra Cosmétic, laquelle n'est, du reste, pas partie au litige.

Sur le préjudice de la SCI :

Sur les réparations locatives :

La SCI réclame réparation des dégradations locatives sur la base des constatations faites contradictoirement par l'huissier, corroborées par le devis réalisé en adéquation avec celles-ci, et ayant occasionné une décote importante des locaux lors de leur vente. Elle entend rappeler, à l'instar du premier juge, l'importance des travaux conséquents à réaliser, dus aux multiples désordres, intégralement causés par la société Artdéco. Sur appel incident, elle entend contester l'application de la décote pour vétusté ainsi que la déduction, par le premier juge, du coût de la réalisation du devis, et du dépôt de garantie dont d'une part, il n'aurait pas été justifié du versement, et d'autre part, la conservation serait justifiée à titre de dommages-intérêts en raison de la multiplicité des manquements commis par le preneur.

De son côté, la société Artdéco, qui conteste, outre l'absence de prise en compte du dépôt de garantie, la mise en compte de certains postes, relevant selon elle de l'amélioration et non de la réparation, et entend reprocher à l'intimée de ne pas avoir recherché si les travaux de rénovation ne pouvaient être effectués à moindre coût comme l'aurait notamment démontré l'expertise judiciaire précédemment ordonnée, et en tout cas à un coût raisonnable, fait valoir que la partie adverse n'aurait, en tout état de cause, jamais réalisé les travaux, sous réserve du remplacement du compteur, et aurait vendu le bien à sa valeur et sans décote pour l'exécution de travaux, en date du 22 janvier 2021.

Cela étant, la cour rappelle que la société Artdéco est présumée, en l'absence d'état des lieux d'entrée, avoir reçu les locaux en bon état, fût-ce à l'état brut, outre que, si elle invoque le bénéfice d'un rapport d'expertise, ce dernier a été réalisé en 2009, soit antérieurement aux constatations réalisées après la dénonciation du bail, étant observé qu'il est notamment mis en compte par l'expert une somme de 500 euros HT pour le remplacement du compteur d'eau, à mettre en rapport avec les 558 euros facturés à la SCI.

Par ailleurs, il est vrai que l'immeuble a été finalement vendu le 22 janvier 2021, soit tout de même plus de huit ans après l'expiration du bail consenti à la société Artdéco, et, au demeurant, postérieurement au jugement dont appel, et sans qu'il ne soit établi que les locaux aient été reloués entre temps, les échanges entre la SCI et l'agent immobilier mandaté à cette fin justifiant au contraire de l'insuccès des offres de location faite par la propriétaire. En outre, la SCI ne conteste pas la non-réalisation des travaux, tout en justifiant d'une décote de l'ordre de 30 000 euros par rapport à l'estimation faite par expert en 2017 de la valeur des locaux, étant tout de même relevé que l'état dégradé des locaux est antérieur à cette expertise qui ne pouvait donc en faire abstraction.

Il n'en demeure pas moins que la SCI, qui était en droit, à l'issue du bail, de récupérer des locaux en bon état, exempts de dégradations liées aux manquements de la société Artdéco à ses obligations d'entretien et de réparation, a bien subi un préjudice de ce chef, qui doit être évalué au montant rendu nécessaire pour sa remise en état, quand bien même il n'y a pas été effectivement procédé par la suite, en l'absence, cependant, de remise en état préalable des locaux par la société Artdéco.

Quant au quantum de cette indemnisation, la cour rappelle qu'il a été procédé contradictoirement à un état des lieux de sortie en date du 9 janvier 2013, à l'occasion duquel les postes de dégradations ont pu être identifiés contradictoirement dans leur réalité et dans leur ampleur, de sorte que le devis réalisé par la suite par un économiste de la construction à la demande de la SCI n'apparaît pas critiquable à ce titre, en l'absence d'élément de nature à en remettre en cause les évaluations chiffrées et dans la mesure où il apparaît en adéquation avec les constatations effectuées, y compris s'agissant des réserves faites, en l'absence d'un technicien, par la SCI au moment du constat, en particulier sur la conformité de certaines installations et qui ont pu être confortées par la suite par le diagnostic effectué par l'auteur du devis.

Concernant les postes contestés par la société Artdéco, il sera relevé, concernant le plafond extérieur, que son remplacement était justifié au regard de l'état du plafond déposé constaté par l'huissier, de même qu'il était justifié qu'il se fasse dans les conditions d'origine, de même que le remplacement des cylindres sur les portes d'entrée apparaît en adéquation avec les constatations relevées quant à l'impossibilité d'accès par la façade, justifiant nécessairement une remise en état complète. S'agissant des remplacements de luminaires dans l'entrée principale et dans la zone de stockage, aucune mention n'est faite, à ce titre, dans le devis, étant observé que les remplacements de luminaires préconisés le sont au regard des changements de support avec la dépose d'un faux plafond ou la création d'un plancher.

Concernant la réalisation de l'installation sanitaire, les préconisations du devis apparaissent en rapport avec les constats effectués, sans qu'il ne puisse être tenu compte, comme indiqué précédemment, des préconisations d'une expertise réalisée plus de trois ans auparavant. Néanmoins, le remplacement d'un évier supposé manquant, pour 800 euros, n'a pas lieu d'être pris en compte en l'absence de mention à ce titre dans le constat, qui indique un lavabo en l'état.

La fourniture et la mise en place de garde-corps sur la première volée de marches de l'escalier d'accès à l'étage de la zone de stockage n'apparaît, par ailleurs, pas justifiée en l'absence de constatations en ce sens dans le procès-verbal, ce qui justifie une déduction d'un montant de 275 euros. Il en est de même de la suspension des boîtiers de dérivation et de l'amélioration de la suspension du climatiseur, d'où déduction de 150 euros, et enfin de la mise aux normes de l'alimentation électrique de la chaudière, justifiant une déduction de 180 euros, en l'absence de réserve faite sur ce point, soit au total une somme de 1 405 euros HT, soit 1 680,38 euros TTC à déduire.

À cela s'ajoute que c'est à bon droit que le premier juge a opéré la déduction de la somme de 3 415 euros correspondant au dépôt de garantie, dès lors qu'il n'est pas justifié de l'application de l'article IX du contrat de bail, qui suppose, pour que ce dépôt reste acquis au bailleur, une résiliation du bail pour une cause imputable au preneur.

Enfin, au vu des éléments dont la cour dispose, elle considère qu'il y a lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a fait application d'un montant de 2 000 euros correspondant à la vétusté des revêtements des murs et des sols usés et non dégradés liée à l'occupation des locaux pendant 15 années.

Au total, et en infirmation du jugement entrepris, la société Artdéco sera condamnée à ce titre au paiement de la somme de 17 476,32 euros, qui sera majorée des intérêts au taux légal à compter du jour de l'arrêt.

Sur la perte de loyers liée à l'impossibilité de relouer immédiatement les locaux :

La SCI soutient également que les manquements de la société Artdéco auraient rendu le local impropre à la relocation depuis la 'n du bail litigieux et jusqu'à sa revente, la privant d'un loyer annuel de 18 000 euros HT par an, tel qu'évalué par l'agence immobilière en charge de la location, tandis que la société Artdéco conteste toute impossibilité, réfutant, notamment les non-conformités invoquées par la partie adverse et établies après l'état des lieux, et mettant en cause les diligences accomplies par la SCI pour la relocation de son bien.

Cela étant, la cour considère que, sur ce point, le premier juge a retenu à bon droit, par des motifs pertinents qui seront approuvés, qu'était caractérisée une perte de chance de relouer les locaux qu'il a justement évaluée à 33 %, ce taux devant être appliqué, en l'état de l'évolution du litige, à hauteur d'appel sur la somme de 145 100 euros, soit sur les loyers qui auraient été payés entre la fin du bail et la vente du bien. Le montant de la condamnation de la société Artdéco à ce titre sera donc de 47 883 euros, en infirmation du jugement entrepris.

Sur les dépens et les frais irrépétibles :

La société Artdéco succombant pour l'essentiel sera tenue des dépens de l'appel, par application de l'article 696 du code de procédure civile, outre confirmation du jugement déféré sur cette question.

L'équité ne commande pas de faire application de l'article 700 du code de procédure civile à l'encontre de l'une ou l'autre des parties à l'instance d'appel, tout en confirmant les dispositions du jugement déféré de ce chef.

P A R C E S M O T I F S

La Cour,

Infirme le jugement rendu le 19 novembre 2020 par le tribunal judiciaire de Strasbourg en ce qu'il a :

- condamné la SAS Artdéco Cosmétic France à payer à la SCI Diamond la somme de 19 156,70 euros au titre des dégradations locatives, augmentée des intérêts légaux à compter du 7 mars 2013,

- condamné la SAS Artdéco Cosmétic France à payer à la SCI Diamond la somme de 47 025 euros à titre de dommages-intérêts augmentée des intérêts au taux légal à compter du jugement,

Et statuant à nouveau des chefs de demande infirmés,

Condamne la SAS Artdéco Cosmétic France à payer à la SCI Diamond la somme de 17 476,32 euros au titre des dégradations locatives, augmentée des intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,

Condamne la SAS Artdéco Cosmétic France à payer à la SCI Diamond la somme de 47 883 euros à titre de dommages-intérêts, augmentée des intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,

Confirme le jugement entrepris pour le surplus,

Y ajoutant,

Condamne la SAS Artdéco Cosmétic France aux dépens de l'appel,

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile au bénéfice tant de la SAS Artdéco Cosmétic France que de la SCI Diamond.

La Greffière : la Présidente :


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Colmar
Formation : Chambre 1 a
Numéro d'arrêt : 21/00342
Date de la décision : 08/02/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-02-08;21.00342 ?
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