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18/01/2023 | FRANCE | N°21/00106

France | France, Cour d'appel de Colmar, Chambre 1 a, 18 janvier 2023, 21/00106


MINUTE N° 42/23

























Copie exécutoire à



- Me Céline RICHARD



- Me Laurence FRICK





Le 18.01.2023



Le Greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE COLMAR

PREMIERE CHAMBRE CIVILE - SECTION A



ARRET DU 18 Janvier 2023



Numéro d'inscription au répertoire général : 1 A N° RG 21/00106 - N° Portalis DBVW-V-B7F-HOXO



Décision d

éférée à la Cour : 15 Octobre 2020 par le Tribunal judiciaire de MULHOUSE - 1ère chambre civile



APPELANTS :



Monsieur [S] [U]

[Adresse 1]



Madame [P] [B] épouse [U]

[Adresse 1]



Représentée par Me Céline RICHARD, avocat à la Cour

Avocat plaida...

MINUTE N° 42/23

Copie exécutoire à

- Me Céline RICHARD

- Me Laurence FRICK

Le 18.01.2023

Le Greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE COLMAR

PREMIERE CHAMBRE CIVILE - SECTION A

ARRET DU 18 Janvier 2023

Numéro d'inscription au répertoire général : 1 A N° RG 21/00106 - N° Portalis DBVW-V-B7F-HOXO

Décision déférée à la Cour : 15 Octobre 2020 par le Tribunal judiciaire de MULHOUSE - 1ère chambre civile

APPELANTS :

Monsieur [S] [U]

[Adresse 1]

Madame [P] [B] épouse [U]

[Adresse 1]

Représentée par Me Céline RICHARD, avocat à la Cour

Avocat plaidant : Me JORIO, avocat au barreau de PARIS

INTIMEE :

CAISSE DE CREDIT MUTUEL [Localité 2] EUROPE

prise en la personne de son représentant légal

[Adresse 3]

[Adresse 3]

[Localité 2]

Représentée par Me Laurence FRICK, avocat à la Cour

Avocat plaidant : Me DE RAVEL, avocat au barreau de STRASBOURG

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 805 modifié du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 28 Mars 2022, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant M. ROUBLOT, Conseiller.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme PANETTA, Présidente de chambre

M. ROUBLOT, Conseiller

Mme ROBERT-NICOUD, Conseillère

qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Mme VELLAINE

ARRET :

- Contradictoire

- rendu par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.

- signé par Mme Corinne PANETTA, présidente et Mme Régine VELLAINE, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE :

Suivant offre de prêt émise le 28 octobre 1998, M. et Mme [U] ont souscrit auprès de la Caisse de Crédit Mutuel [Localité 2] Europe (la banque) un prêt de 250 000 CHF, destiné à financer l'achat de trois studios. Ce prêt était remboursable en une échéance unique en capital le 31 octobre 2018, les intérêts et cotisations d'assurance étant remboursables trimestriellement moyennant un taux d'intérêt de 4,2 % l'an variable en fonction de l'index Libor 3 mois.

Le prêt a été réitéré par acte notarié le 7 décembre 1998.

Il a été remboursé le 21 novembre 2018.

Par acte d'huissier de justice délivré le 24 mai 2019, M. et Mme [U] ont assigné la banque devant le tribunal de grande instance de Mulhouse.

Par jugement du 15 octobre 2020, le tribunal judiciaire de Mulhouse a :

- déclaré que les prétentions tirées de la prescription de l'action en nullité du contrat de prêt, de la prescription de l'action en inopposabilité de clauses abusives, de l'irrecevabilité de la demande en inopposabilité de clause abusive soulevées par la banque sont sans objet,

- rejeté la fin de non-recevoir soulevée par la banque de défaut d'intérêt à agir,

- déclaré irrecevable pour cause de prescription, l'action en responsabilité pour manquement de la banque à une obligation d'information et/ou de conseil,

- déclaré recevable l'action en responsabilité délictuelle de la banque pour tardiveté dans les démarches utiles à la main-levée du nantissement du contrat d'assurance,

- rejeté la demande d'indemnisation pour tardiveté dans les démarches utiles à la main-levée du nantissement du contrat d'assurance,

- condamné M. et Mme [U] à payer à la banque la somme de 1 200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et rejeté leur demande de ce chef,

- condamné M. et Mme [U] aux dépens,

- ordonné l'exécution provisoire de la décision.

Le 4 décembre 2020, M. et Mme [U] en ont interjeté appel.

Le 19 janvier 2021, la Caisse de Crédit Mutuel [Localité 2] Europe s'est constituée intimée.

Par leurs dernières conclusions du 2 mars 2021 et un bordereau de communication de pièces du 7 septembre 2021 qui n'a fait l'objet d'aucune contestation, lesquels ont été transmis les mêmes jours par voie électronique, M. et Mme [U] demandent à la cour de :

- infirmer le jugement rendu par le Tribunal judiciaire de Mulhouse ;

Et statuant à nouveau :

- les recevoir en leurs demandes et les dire bien fondées ;

- débouter la banque de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- dire et juger que leur action n'est pas prescrite,

Sur le fond :

Vu l'article 1382 du Code civil (nouveau 1240),

- dire et juger que la banque a manqué à son obligation d'information et de conseil à leur égard,

- condamner la banque à leur payer la somme de 61.068,82 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi ;

En tout état de cause :

- condamner la banque à leur payer la somme de 6.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du CPC et aux entiers dépens.

en invoquant, en substance, que :

- pour financer l'acquisition de trois studios, la banque leur a conseillé d'opter pour un emprunt en francs suisses, remboursable in fine, alors qu'ils n'ont aucun lien avec la Suisse, que le financement a été octroyé pour l'achat de plusieurs immeubles en France dont le prix est fixé en euros (en francs à l'époque), que tous leurs revenus et patrimoine s'évaluent en euros, de sorte que les remboursements des prêts s'évaluent nécessairement en euros, que le prêt dépend du taux de change franc/franc suisse qui a évolué de manière importante,

- leur action en responsabilité n'est pas prescrite, s'agissant d'un prêt in fine garanti par une assurance-vie, le point de départ se situant le 31 octobre 2018 à la date de la dernière échéance ou, à défaut, à la date à laquelle ils ont remboursé le prêt et ont pu réellement se rendre compte de l'augmentation du capital restant dû, soit le 21 novembre 2018,

- la banque a manqué à son devoir d'information, ne les ayant pas correctement informés sur les caractéristiques de l'emprunt en francs suisses et notamment le risque lié au taux de change et d'augmentation considérable du capital à rembourser, aucune information claire ne leur ayant été donnée à cet égard et le prêt opérant une confusion entre les francs suisses et les euros, et ce alors qu'ils sont profanes en la matière,

- la banque a manqué à son devoir de conseil en ne leur proposant pas le crédit le plus adapté à leur situation et en les incitant à contracter une opération financière périlleuse sans attirer leur attention sur ses conséquences, outre que la banque a effectué trop tard les démarches pour faire savoir à la société Axa que le contrat était arrivé à terme de son nantissement, et que la banque leur a fait supporter le coût de ce retard, le montant à rembourser ayant augmenté,

- l'augmentation considérable du capital restant dû, le préjudice constitué par la différence entre l'équivalent en franc ou en euro du capital libellé en franc suisses à rembourser lors de l'emprunt et celui à rembourser lors de l'échéance et le fait qu'il est certain que s'ils avaient été correctement informés, ils auraient été en mesure de mieux investir, de ne pas contracter un tel prêt et de ne pas subir un tel préjudice.

Par ses dernières conclusions du 31 mai 2021, auxquelles a été joint un bordereau de communication de pièces qui n'a fait l'objet d'aucune contestation, lesquels ont été transmis par voie électronique le même jour, la banque demande à la cour de :

- rejeter l'appel,

- débouter les époux [U] de l'intégralité de leurs fins et conclusions,

- confirmer le jugement déféré rendu le 15 octobre 2020 par le Tribunal judiciaire de Mulhouse,

A titre subsidiaire, si la cour devait par impossible juger la demande recevable :

- déclarer les époux [U] mal fondés en leurs demandes et les débouter de l'intégralité de leurs fins et conclusions,

En tout état de cause :

- condamner solidairement M. et Mme [U] à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner solidairement M. et Mme [U] aux entiers frais et dépens de la procédure d'appel.

en soutenant, en substance :

- la prescription de leur action en responsabilité, celle-ci se prescrivant par un délai de cinq ans à compter de la date du prêt, et ce, même en présence d'un prêt in fine, le point de départ ne pouvant être reporté que si l'appelant démontre que le dommage s'est révélé postérieurement à la conclusion de l'acte ou qu'il pouvait, lors de la date de l'octroi du crédit, légitimement ignorer ce dommage, le fait que l'aléa du risque de change est inhérent au contrat de prêt en devises, que celui-ci est à la portée de tout emprunteur et qu'il résultait des mentions de l'offre de prêt, l'acte ayant en outre été réitéré par acte authentique reçu par un notaire, de sorte que les emprunteurs avaient conscience dès la conclusion du prêt en 1998 de l'existence d'un risque de change, et en tous les cas, lors du prélèvement des échéances en 2009 et au plus tard en 2011, lorsque les conséquences défavorables de l'augmentation du franc suisse sur les prêts en devises se sont manifestées, ce qui a nécessairement impacté les échéances du prêt souscrit,

- ne pas être tenue à une obligation de mise en garde à leur égard en l'absence, d'une part, d'un risque d'endettement et, d'autre part, d'un caractère d'emprunteur non averti,

- ne pas avoir à se prononcer sur l'opportunité, la qualité ou l'utilité de l'opération à financer, et ce en application de l'obligation de non-immixtion et de non-ingérence dans les affaires de son client, et ne pas être tenue à une obligation de conseil dans le cas d'espèce,

- que le banquier dispensateur de crédit est uniquement tenu à une obligation d'information sur l'opération envisagée par son client, qui porte sur la compréhension que doit avoir le client sur les principales caractéristiques de la convention ; qu'eu égard à la mention du taux effectif global dans l'offre de prêt et à la fourniture d'un tableau d'amortissement en francs suisses des échéances du prêt, les emprunteurs étaient informés du coût du crédit ; qu'elle a rempli les seules obligations qui étaient les siennes par la simple remise des conditions du contrat, outre qu'aucune disposition ou jurisprudence ne lui imposait, lors de la souscription du prêt, une obligation spécifique d'information en cas de souscription d'un prêt en monnaie étrangère ; que les contrats de prêts mentionnent clairement qu'il s'agit d'un prêt en devises, qu'il ne s'agit pas d'une opération spéculative, que tout emprunteur qui contracte un prêt en devise n'est pas sans savoir qu'il existe nécessairement un risque lié au taux de change, contestant en outre leur avoir imposé de souscrire un emprunt en franc suisse et de leur avoir fait miroiter une stabilité permanente du taux de change ; qu'ils n'ont pas utilisé la possibilité de demander la modulation des conditions de remboursement de prêt ou une modification de la durée du prêt, qu'elle ne disposait d'aucune information privilégiée qu'elle a dissimulée à l'emprunteur ; qu'au demeurant, ils ont fait l'objet d'une information précise, complète et adaptée à leur situation, qu'il résulte des clauses de la demande de crédit, de l'acte de prêt et de l'acte notarié de prêt qu'elle les a suffisamment informés des risques inhérents à la souscription d'un prêt en francs suisses et de la spécificité liée aux prêts en devises, invoquant à cet égard l'article 10 de l'acte de prêt du 7 décembre 1998, dispositions reprises dans l'acte notarié, ajoutant que le notaire est tenu d'une obligation de conseil et qu'il les a sans aucun doute alertés sur les particularités de ce type de prêt ; que les emprunteurs étaient par conséquent pleinement informés et conscients de l'existence d'un risque lié au taux de change et qu'ils ne pouvaient dès lors ignorer que le taux de change varie à la hausse ou à la baisse et qu'il a nécessairement une incidence sur le montant remboursé, ajoutant que sa responsabilité pour manquement au devoir d'information ne peut pas être retenue lorsque l'emprunteur a été conseillé par une société de gestion en patrimoine, ce qui a été le cas en l'espèce,

- que sans en tirer les conséquences, il lui est reproché d'avoir tardé à effectuer des démarches auprès de la société d'assurance, alors que, pour les motifs retenus par le tribunal, l'action n'est pas fondée, et qu'en tout état de cause, elle n'est pas fautive,

- l'absence de preuve d'un préjudice et d'un lien de causalité, dès lors que seule une perte de chance de ne pas contracter peut être réparée, que le calcul des emprunteurs est contestable, ceux-ci ne précisant ni la date à laquelle ils se sont placés, ni le cours du change appliqué, alors qu'il y a lieu de se placer au jour où l'échéance en capital devait intervenir soit le 31 octobre 2018, qu'ils ont confirmé leur accord avec les montants dus au titre du prêt en réglant le prêt le 21 novembre 2018, que le risque de variation du taux de change étant aléatoire, il n'est pas certain qu'à supposer qu'ils n'aient pas été complètement informés, ils auraient, s'ils l'avaient été, refusé la conclusion du prêt, souscrit à un taux d'intérêt plus faible que pour un prêt libellé en euro, que la variation à la hausse ou à la baisse est l'essence du prêt en devise et que les emprunteurs n'ont jamais rencontré de difficultés de paiement des échéances.

Par ordonnance du 2 mars 2022, a été ordonnée la clôture de la procédure.

L'affaire a été appelée à l'audience du 28 mars 2022.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se référer aux dernières conclusions des parties pour l'exposé de leurs moyens et prétentions.

MOTIFS DE LA DECISION :

Les emprunteurs agissent en responsabilité contre la banque pour manquement à son obligation d'information et son devoir de conseil à l'occasion de l'octroi du prêt litigieux.

Sur la prescription opposée par la banque :

Selon l'article 2224 du code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

En l'espèce, les emprunteurs ont souscrit, en 1998, un prêt libellé en franc suisse dont le capital était remboursable en une échéance, in fine, en 2018.

Ils reprochent à la banque un manquement à son devoir d'information sur le risque de change et sur le risque de voir augmenter de manière considérable la valeur en euro du capital à rembourser, et à son devoir de conseil, lui reprochant de ne pas leur avoir conseillé un prêt plus adapté à leur situation, et demandent en conséquence, la réparation du préjudice qu'ils estiment en être résulté fondé sur la différence entre le montant du capital à rembourser en euros en 2018 et celui qui était évalué en euro à la date de l'emprunt.

Ainsi, ils reprochent à la banque de ne pas les avoir informés sur le risque que, du fait de l'évolution du cours du change, le montant du capital à rembourser in fine soit nettement plus élevé que celui évalué au jour de l'octroi du prêt, et de ne pas leur avoir conseillé un prêt plus adapté, leur causant ainsi un préjudice compte tenu de l'évolution du cours du change existant alors.

Ils n'ont ainsi été en mesure d'avoir une connaissance effective des manquements qu'ils imputent à la banque et dont ils demandent réparation dans le cadre de la présente instance qu'à l'occasion du remboursement de l'échéance en capital de ce prêt, au titre duquel, seul, ils sollicitent une indemnisation en raison de l'évolution du cours du change, et le dommage qu'ils invoquent à ce titre n'a pu survenir qu'à la date de remboursement, laquelle constitue en conséquence le point de départ de l'action en responsabilité exercée contre la banque.

L'action, introduite en 2019, n'est donc pas prescrite. Le jugement sera dès lors infirmé de ce chef.

Sur l'action en responsabilité pour manquement au devoir d'information et de conseil :

Il convient d'abord de constater que l'action en responsabilité n'est pas, en l'espèce, fondée sur un manquement de la banque à son devoir de mise en garde. De surcroît, les emprunteurs n'invoquent aucun risque d'endettement et le prêt a été remboursé sans qu'ils invoquent, ni ne démontrent l'existence de difficultés financières à cet égard.

En outre, les emprunteurs ne démontrent pas que, comme ils le soutiennent, le prêt leur a été imposé par la banque, ni que la banque leur a donné un conseil ou qu'ils ont demandé à la banque de leur fournir un conseil. Ils ne sont ainsi pas fondés à rechercher la responsabilité de la banque pour manquement à un devoir de conseil. En outre, et alors qu'ils reprochent, au titre d'un manquement de la banque à son devoir de conseil, son retard à effectuer des démarches à l'égard de la société d'assurance au titre de la levée du nantissement du compte d'assurance-vie, la banque n'a pas d'obligation de conseil au titre des démarches à effectuer à l'égard d'une telle société d'assurance.

S'agissant, en revanche, du manquement invoqué à l'obligation d'information de la banque, il sera rappelé qu'il lui appartenait, à ce titre, de démontrer avoir informé l'emprunteur, indépendamment de sa qualité d'emprunteur averti ou non, sur les caractéristiques du prêt qu'elle lui proposait de souscrire afin de lui permettre de s'engager en toute connaissance de cause, c'est-à-dire, dans les circonstances de l'espèce, s'agissant d'un prêt libellé en devises étrangères, de fournir à celui-ci des informations suffisantes et exactes lui permettant de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d'évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, d'une telle clause sur ses obligations financières pendant toute la durée de ce même contrat, notamment en cas de dépréciation importante de la monnaie ayant cours légal dans l'État où celui-ci est domicilié et, le cas échéant, d'une hausse du taux d'intérêt étranger.

En l'espèce, au vu des éléments soumis à l'appréciation de la cour, il apparaît que les emprunteurs n'ont reçu, au-delà de la teneur de la demande de crédit et celle de l'offre de prêt et notamment de son article 10, et quand bien même celle-ci a été réitérée par acte notarié, aucun élément d'information leur permettant d'appréhender de manière suffisante le risque de change subi, non pas seulement dans son existence, mais aussi dans sa teneur et dans ses implications, de sorte que, même en l'état du droit applicable au moment de la souscription du prêt, il y a lieu de retenir que la banque a manqué à son devoir d'information à leur égard.

Au surplus, elle ne démontre pas qu'ils ont été suffisamment informés, voire même qu'elle puisse s'exonérer de sa responsabilité, par l'intervention d'un notaire ou par celle de M. [N], le document produit par la banque en annexe 1 à son entête ne comportant d'ailleurs que des sommes en franc français, à l'exception d'une croix cochée au titre de franc suisse en face du montant à financer de 995 000 francs français sans indication ou simulation relative à une évolution du montant du capital à rembourser en fonction de la variation du cours du change.

En outre, le fait que les emprunteurs aient remboursé le prêt ne permet pas en soi de caractériser une confirmation du montant dû, ni une renonciation à agir en responsabilité.

La banque ayant manqué à son obligation d'information, elle sera tenue de réparer le préjudice ainsi causé, lequel ne peut s'analyser qu'en une perte de chance d'éviter la réalisation du risque de change qu'il convient d'évaluer, en tenant compte, notamment, du contexte de stabilité dans lequel les emprunteurs ont contracté, et de l'avantage qu'ils espéraient pouvoir tirer d'un prêt en devises en termes de niveau du taux d'intérêt, à un taux de 70 %, taux à appliquer à la somme résultant de la différence entre la contre-valeur en euros du capital, correspondant à 250 000 CHF, au moment de la souscription du prêt et au moment l'échéance du 31 octobre 2018, étant précisé que la banque indique également qu'il convient de se placer à cette date et que le taux de change appliqué ressort implicitement des conclusions des appelants sans être efficacement critiqué par la banque, de sorte que la cour dispose d'éléments suffisants pour déterminer le préjudice sur cette base.

Dès lors, il convient d'évaluer à la somme de 42 748,17 euros le préjudice de perte de chance subi par les époux [U], résultant du manquement de la banque à son obligation d'information et de la condamner à leur payer cette somme à titre de dommages et intérêts.

Sur les dépens et les frais irrépétibles :

La banque succombant pour l'essentiel sera tenue des dépens de l'appel, par application de l'article 696 du code de procédure civile, ainsi que de ceux de la première instance, en infirmation de la décision entreprise.

L'équité commande en outre de mettre à la charge de la banque une indemnité de procédure pour frais irrépétibles de 2 000 euros au profit des emprunteurs, tout en disant n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile à l'encontre de ces derniers, les dispositions du jugement déféré devant être infirmés de ce chef.

P A R C E S M O T I F S

La Cour,

Infirme le jugement rendu le 15 octobre 2020 par le tribunal judiciaire de Mulhouse en ce qu'il a :

- déclaré irrecevable pour cause de prescription, l'action en responsabilité pour manquement de la Caisse de Crédit Mutuel [Localité 2] Europe à une obligation d'information et/ou de conseil,

- condamné M. et Mme [U] à verser à la Caisse de Crédit Mutuel [Localité 2] Europe la somme de 1 200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- rejeté la demande formée par M. et Mme [U] au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné M. et Mme [U] aux dépens,

Confirme le jugement entrepris pour le surplus,

Statuant à nouveau des chefs de demande infirmés et y ajoutant,

Déclare recevable l'action en responsabilité de M. [S] [U] et Mme [P] [B], épouse [U] à l'encontre de la Caisse de Crédit Mutuel [Localité 2] Europe pour manquement de la banque à une obligation d'information et/ou de conseil,

Condamne la Caisse de Crédit Mutuel [Localité 2] Europe à payer à M. [S] [U] et Mme [P] [B], épouse [U] la somme de 42 748,17 euros à titre de dommages et intérêts,

Condamne la Caisse de Crédit Mutuel [Localité 2] Europe aux dépens de la première instance et de l'appel,

Condamne la Caisse de Crédit Mutuel [Localité 2] Europe à payer à M. [S] [U] et Mme [P] [B], épouse [U] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile au bénéfice de la Caisse de Crédit Mutuel [Localité 2] Europe.

La Greffière : la Présidente :


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Colmar
Formation : Chambre 1 a
Numéro d'arrêt : 21/00106
Date de la décision : 18/01/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-01-18;21.00106 ?
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