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04/01/2023 | FRANCE | N°21/00309

France | France, Cour d'appel de Colmar, Chambre 1 a, 04 janvier 2023, 21/00309


MINUTE N° 13/23

























Copie exécutoire à



- Me Noémie BRUNNER



- Me Laurence FRICK





Le 04.01.2023



Le Greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE COLMAR

PREMIERE CHAMBRE CIVILE - SECTION A



ARRET DU 04 Janvier 2023



Numéro d'inscription au répertoire général : 1 A N° RG 21/00309 - N° Portalis DBVW-V-B7F-HPB4



Décision dÃ

©férée à la Cour : 27 Novembre 2020 par le Tribunal judiciaire de STRASBOURG - Greffe du contentieux commercial



APPELANTE :



S.A.S. ACTA MOBILIER

prise en la personne de son représentant légal

[Adresse 3]

[Localité 4]



Représentée par Me Noémie B...

MINUTE N° 13/23

Copie exécutoire à

- Me Noémie BRUNNER

- Me Laurence FRICK

Le 04.01.2023

Le Greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE COLMAR

PREMIERE CHAMBRE CIVILE - SECTION A

ARRET DU 04 Janvier 2023

Numéro d'inscription au répertoire général : 1 A N° RG 21/00309 - N° Portalis DBVW-V-B7F-HPB4

Décision déférée à la Cour : 27 Novembre 2020 par le Tribunal judiciaire de STRASBOURG - Greffe du contentieux commercial

APPELANTE :

S.A.S. ACTA MOBILIER

prise en la personne de son représentant légal

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représentée par Me Noémie BRUNNER, avocat à la Cour

INTIMEE :

S.A. BANQUE CIC EST

prise en la personne de son représentant légal

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentée par Me Laurence FRICK, avocat à la Cour

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 805 modifié du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 23 Novembre 2022, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme PANETTA, Présidente de chambre, et M. LAETHIER, Vice-Président placé.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme PANETTA, Présidente de chambre

M. ROUBLOT, Conseiller

M. LAETHIER, Vice-Président placé

qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Mme VELLAINE

ARRET :

- Contradictoire

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.

- signé par Mme Corinne PANETTA, présidente et Mme Régine VELLAINE, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :

Le 28 octobre 2010, la Sas Acta Mobilier a conclu avec la Sa Banque CIC Est (ci-après 'la banque') un 'contrat CIC' portant sur des services de banque en ligne dénommés 'Filbanque Entreprise', lui permettant de traiter à distance l'essentiel de ses opérations bancaires et notamment d'initier des virements.

Le 20 février 2017, la société Acta Mobilier a souscrit un contrat 'Safetrans', aux termes duquel la banque a mis à sa disposition un processus d'authentification et de sécurisation des opérations bancaires à distance reposant sur l'utilisation d'une carte dédiée avec un code confidentiel et un boîtier lecteur associé.

Le 13 février 2017, M. [Z] [P], représentant légal de la société Acta Mobilier, a accusé réception de la carte établie à son nom, déclaré être en possession du code confidentiel et reconnu avoir reçu les conditions générales en vigueur de la carte délivrée.

Entre le 19 juin 2017 et le 10 juillet 2017, six virements frauduleux ont été effectués depuis le dispositif Safetrans pour un montant total de 1 141 150 euros. Seul le 6ème virement d'un montant de 184 500 euros a été restitué par la banque.

Par courrier recommandé du 24 juillet 2017, la société Acta Mobilier a mis en demeure la banque de lui restituer la somme de 956 650 euros, correspondant aux cinq premiers virements.

Par acte du 7 février 2018, la société Acta Mobilier a fait assigner la banque devant le tribunal de grande instance de Strasbourg, aux fins de la voir condamner au paiement de la somme de 956 650 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 24 juillet 2017, outre une somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par jugement contradictoire du 27 novembre 2020, le tribunal judiciaire de Strasbourg a dit et jugé que les virements litigieux constituent des opérations de paiement autorisées, dit et jugé que la banque CIC EST n'a commis aucune faute en les exécutant et n'a pas manqué à son obligation de vigilance, constaté la violation par négligence grave de ses obligations de sécurité et de confidentialité du bénéficiaire du système SAFETRANS, débouté la société Acta Mobilier de sa demande de restitution des sommes et l'a condamnée au paiement d'une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens et ordonné l'exécution provisoire.

La société Acta Mobilier a interjeté appel à l'encontre de ce jugement par déclaration adressée au greffe par voie électronique le 22 décembre 2020.

Dans ses dernières conclusions du 11 mars 2022, transmises au greffe par voie électronique le 14 avril 2022 auxquelles était joint un bordereau de communication de pièces qui n'a fait l'objet d'aucune contestation, la société Acta Mobilier demande à la cour de :

- DECLARER l'appel recevable,

- DECLARER l'appel bien fondé,

- INFIRMER le jugement prononcé le 27 novembre 2020 par le Tribunal Judiciaire de Strasbourg,

Et Statuant à nouveau,

- DIRE ET JUGER que la banque CIC EST a commis une faute en permettant dès l'installation du système SAFETRANS l'exécution de demandes de virement émanant d'une personne qui n'était pas habilitée à effectuer des virements depuis le compte bancaire de la société Acta Mobilier, et en les exécutant,

- DIRE ET JUGER que la banque CIC EST a de surcroît manqué à son obligation de vigilance,

En conséquence,

- CONDAMNER la banque CIC EST à payer à la société Acta Mobilier la somme de 956.650 €, assortie des intérêts au taux légal à compter du 24 juillet 2017,

- DEBOUTER la banque CIC EST de sa demande formée sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

- CONDAMNER la banque CIC EST à payer à la société Acta Mobilier une somme de 10.000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile au titre des procédures de 1ère instance et d'appel,

- CONDAMNER la banque CIC EST aux dépens des procédures de 1ère instance et d'appel.

La société Acta Mobilier explique qu'elle a été victime d'une escroquerie dite 'fraude au président', une personne se faisant passer pour un avocat d'affaires du cabinet Mazars a abusé une assistante comptable pour la convaincre de réaliser les virements frauduleux depuis le dispositif Safetrans pour un montant total de 1 141 150 euros en lui faisant croire, en falsifiant l'adresse mail du président de la société avec la technique du 'spoofing', que ce dernier était au courant.

L'appelante fait valoir que la banque était informée dès le premier jour du fait que le dispositif Safetrans n'était pas utilisé par son titulaire contractuel, M. [Z] [P], alors que l'article L 133-15 du code monétaire et financier lui impose de s'assurer que le dispositif n'est pas accessible à d'autres personnes que l'utilisateur autorisé à utiliser cet instrument.

La société Acta Mobilier soutient que la banque a manqué à son obligation de vigilance au regard des circonstances suivantes :

- Mme [Y], l'assistante comptable qui a confirmé les virements litigieux était totalement inconnue du conseiller CIC.

- Le conseiller CIC n'a pas détecté la construction frauduleuse de l'adresse mail du prétendu avocat du cabinet Mazars.

- Les virements réalisés étaient très différents des virements habituellement effectués par la société Acta Mobilier, tant au regard de leur destination (la Roumanie), de leur montant élevé que de leur structuration.

L'appelante affirme également que la banque ne peut être dispensée de son obligation de restitution en l'absence de négligence grave imputable au titulaire du compte ou son préposé dans l'utilisation du matériel de sécurité. Elle indique que les ordres de paiement n'étaient pas autorisés par la société Acta Mobilier et que rien n'a été dissimulé à la banque dans le déroulement de la fraude.

Enfin, la société Acta Mobilier soutient qu'elle est fondée à invoquer, sur le fondement des articles 1915 et 1937 du code civil, la faute de la banque en sa qualité de dépositaire au motif qu'elle ne s'est pas assurée de l'accord du déposant, M. [P], avant de restituer la chose déposée à un tiers.

La société banque CIC Est s'est constituée intimée devant la cour le 2 février 2021 et dans ses dernières conclusions transmises au greffe par voie électronique le 9 février 2022 auxquelles était joint un bordereau de communication de pièces qui n'a fait l'objet d'aucune contestation, demande à la cour de :

- DECLARER l'appel de la société Acta Mobilier irrecevable, subsidiairement mal fondé ;

- REJETER l'appel ;

- CONFIRMER le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

- DEBOUTER la société Acta Mobilier de l'intégralité de ses fins et conclusions ;

- CONDAMNER la société Acta Mobilier à payer à la BANQUE CIC EST une somme de 5.000,00 € par application de l'article 700 du CPC au titre des frais irrépétibles d'appel ;

- CONDAMNER la société Acta Mobilier aux entiers frais et dépens d'appel.

Sur l'obligation de restitution, l'appelante indique que les ordres de virement émanent de la société Acta Mobilier et qu'ils ont été donnés par le biais de la solution Safetrans, avec utilisation du boîtier lecteur, de la carte bancaire de paiement dédiée à l'usage du processus et indication du code confidentiel associé.

La banque explique que les ordres de virement ont été donnés par une salariée de l'entreprise, Mme [Y], qui a utilisé la solution de paiement avec l'accord de M. [P] qui ne fait état dans son dépôt de plainte d'aucun dépassement ni détournement de fonctions de sa salariée, alors que les conditions générales du contrat prévoient que la carte est rigoureusement personnelle, que le souscripteur doit tenir secret le code confidentiel et que les opérations effectuées sont réputées émaner du souscripteur, ou du mandataire le cas échéant, et qu'ils en sont seuls responsables.

L'intimée expose qu'elle devait exécuter les ordres de virement après avoir constaté qu'ils émanaient bien du souscripteur et que la société Acta Mobilier tente de faire supporter à la banque les conséquences de sa propre faute, consistant en une négligence grave.

Elle précise que Mme [Y] a confirmé à plusieurs reprises au chargé de compte CIC, en mettant M. [P] comme destinataire en copie de ses mails au CIC, que les virements étaient bien demandés par M. [P] personnellement et a menti à la banque sur les raisons de l'opération.

La banque indique que les emails de confirmation envoyés par Mme [Y] ne comportaient aucune anomalie manifeste, qu'elle a pris l'initiative de se faire confirmer par téléphone chacun des virements même si elle n'y était pas tenue et que l'appelante doit assumer la faute de sa préposée et son manque d'organisation interne qui a permis à une salariée subalterne d'entrer en possession d'une carte de paiement et d'un code confidentiel normalement réservés au chef d'entreprise et d'initier seule et sans aucun contrôle des paiements pour des montants importants.

Subsidiairement, la banque fait valoir que les dispositions de l'article 1937 du code civil ont été respectées, la banque dépositaire ayant 'restitué' les fonds à la personne qui a été indiquée par le déposant, la société Acta Mobilier.

Sur l'obligation de vigilance, l'appelante soutient que les comptes de la société, qui a réalisé un chiffre d'affaires de 19 496 100 euros en 2016, ne sont pas passés en position débitrice du fait des virements et qu'à l'occasion des trois contrôles TRACFIN, la société Acta Mobilier lui a confirmé que les virements correspondaient à des opérations commerciales autorisées.

Pour l'exposé complet des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux dernières conclusions précédemment visées en application de l'article 455 du code de procédure civile.

La clôture de la procédure a été prononcée le 26 octobre 2022.

L'affaire a été appelée et retenue à l'audience du 23 novembre 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Au préalable, la cour rappelle que :

- aux termes de l'article 954 du code de procédure civile alinéa 3, elle ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion,

- ne constituent pas des prétentions au sens de l'article 4 du code de procédure civile les demandes des parties tendant à 'dire et juger' ou 'constater', en ce que, hors les cas prévus par la loi, elles ne sont pas susceptibles d'emporter de conséquences juridiques, mais constituent en réalité des moyens ou arguments, de sorte que la cour n'y répondra qu'à la condition qu'ils viennent au soutien de la prétention formulée dans le dispositif des conclusions et, en tout état de cause, pas dans son dispositif mais dans ses motifs.

Sur la recevabilité de l'appel principal :

La banque demande à la cour de déclarer l'appel de la société Acta Mobilier irrecevable mais ne développe, dans le corps de ses écritures, aucun moyen au soutien de cette prétention.

Par conséquent, l'appel sera déclaré recevable.

Sur le fond :

- Sur la violation alléguée de l'article L 133-15 du code monétaire et financier :

Selon l'article L 133-15 I, dans sa version applicable au présent litige, 'le prestataire de services de paiement qui délivre un instrument de paiement doit s'assurer que les dispositifs de sécurité personnalisés de cet instrument tels que définis à l'article L. 133-4 ne sont pas accessibles à d'autres personnes que l'utilisateur autorisé à utiliser cet instrument'.

Aux termes de l'article L 133-16 du même code : 'Dès qu'il reçoit un instrument de paiement, l'utilisateur de services de paiement prend toute mesure raisonnable pour préserver la sécurité de ses dispositifs de sécurité personnalisés. Il utilise l'instrument de paiement conformément aux conditions régissant sa délivrance et son utilisation'.

En l'espèce, il est constant que le 13 février 2017, M. [Z] [P] a accusé réception de la carte Safetrans établie à son nom, déclaré être en possession du code confidentiel et reconnu avoir reçu les conditions générales en vigueur de la carte délivrée.

Les conditions générales du contrat prévoient que la carte Safetrans est strictement et rigoureusement personnelle et que le souscripteur est entièrement responsable de l'utilisation de son lecteur et/ou de sa carte Safetrans jusqu'à leur restitution à la banque. Elles stipulent par ailleurs que le souscripteur peut désigner un ou plusieurs mandataires habilités à utiliser le processus et que la désignation de chaque mandataire relève de la responsabilité du souscripteur qui assume seul à l'égard de la banque toutes les conséquences d'utilisation de la carte.

Mme [C] [Y], assistante comptable ayant réalisé les virements litigieux, était manifestement habilitée à utiliser le processus Safetrans puisqu'elle disposait du lecteur, de la carte et du code confidentiel et que M. [P], dans son dépôt de plainte du 11 juillet 2017, ne fait état d'aucune perte, vol, ni d'un détournement du dispositif imputable au service comptable de la société.

Le représentant légal de la société a décidé, sous sa seule responsabilité, de confier l'utilisation du dispositif à Mme [Y], comme lui en donnaient la possibilité les conditions générales du contrat.

Le fait que le dispositif n'ait pas été installé sur le poste personnel de M. [P] n'a aucune incidence et ne caractérise nullement une violation de l'article L 133-15 I du code monétaire et financier, dès lors qu'aucun élément du dossier ne permet d'établir que le dispositif était accessible à d'autres personnes que le souscripteur ou les personnes habilitées par lui.

Par conséquent, le moyen tiré de la violation de l'article L 133-15 du code monétaire et financier est inopérant et sera écarté.

- Sur la carence reprochée à la banque dans l'exécution de son devoir de vigilance :

La société Acta Mobilier soutient que la banque a manqué à son obligation de vigilance sans préciser de fondement textuel.

Les obligations de vigilance et de déclaration imposées aux organismes financiers en application des articles L. 561-5 à L. 561-22 du code monétaire et financier ont pour seule finalité la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, et les victimes d'agissements frauduleux ne peuvent s'en prévaloir pour réclamer des dommages-intérêts à l'organisme financier.

Sauf disposition légale contraire, la banque est tenue à une obligation de non-ingérence dans les affaires de son client, quelle que soit la qualité de celui-ci, et n'a pas à procéder à de quelconques investigations sur l'origine et l'importance des fonds versés sur ses comptes ni même à l'interroger sur l'existence de mouvements de grande ampleur, dès lors que ces opérations ont une apparence de régularité et qu'aucun indice de falsification ne peut être décelé. Ainsi, le prestataire de services de paiement, tenu d'un devoir de non-immixtion dans les affaires de son client, n'a pas, en principe, à s'ingérer, à effectuer des recherches ou à réclamer des justifications des demandes de paiement régulièrement faites aux fins de s'assurer que les opérations sollicitées ne sont pas périlleuses pour le client ou des tiers.

S'il est exact que ce devoir de non-ingérence trouve une limite dans l'obligation de vigilance de l'établissement de crédit prestataire de services de paiement, c'est à la condition que l'opération recèle une anomalie apparente, matérielle ou intellectuelle, soit des documents qui lui sont fournis, soit de la nature elle-même de l'opération ou encore du fonctionnement du compte.

En l'espèce, il est constant que les ordres de virement ont été donnés par Mme [Y] par le biais du dispositif Safetrans et qu'ils émanaient de la société Acta Mobilier, souscripteur du contrat.

En vertu des dispositions contractuelles liant les parties, ces opérations étaient réputées émaner du souscripteur et être autorisées par lui.

Par ailleurs, il résulte des pièces produites par l'appelante que Mme [Y] a confirmé à M. [H] [K], conseiller CIC, que les virements étaient destinés à réaliser des achats de matériaux chez un nouveau fournisseur en Roumanie.

La banque pouvait donc légitimement considérer que les ordres de virement étaient parfaitement réguliers.

L'appelante n'est pas fondée à soutenir que la banque aurait manqué à son obligation de vigilance au motif que Mme [Y] était inconnue du conseiller de l'agence dès lors qu'il s'agissait d'une assistante comptable de la société Acta Mobilier, manifestement habilitée à utiliser le dispositif Safetrans, et que l'adresse mail de M. [Z] [P] figurait en copie de la confirmation du virement de 226 900 euros adressé au conseiller CIC par mail du 23 juin 2017.

S'il s'est avéré par la suite que l'adresse mail de M. [P] avait été falsifiée, cette falsification n'était pas détectable par le conseiller CIC, ni même par M. [P] qui a déclaré dans sa plainte que son adresse mail avait été utilisée pour tromper l'assistante comptable.

S'agissant de l'adresse mail ([Courriel 5]) utilisée par les fraudeurs pour faire croire à l'intervention d'un avocat d'affaires, elle ne présente aucune anomalie manifeste et n'était pas de nature à attirer l'attention du conseiller CIC sur l'existence d'une fraude.

En ce qui concerne le montant des virements effectués (1 141 150 euros entre le 19 juin et le 10 juillet 2017), leur nombre (6) et leur destination (Roumanie), aucune anomalie n'est démontrée par la société Acta Mobilier.

La banque a obtenu confirmation de ce que les virements étaient destinés à réaliser des achats de matériaux chez un nouveau fournisseur en Roumanie. Il n'est pas démontré que ces virements étaient inhabituels et ils n'ont pas mis à découvert le compte de la société.

Il n'appartenait pas à la banque de s'immiscer dans la gestion du compte ou dans les affaires de sa cliente, qui est rompue au monde des affaires et dont le chiffre d'affaires s'élevait à 19 496 100 euros en 2016.

Il résulte de ces éléments, qu'aucun défaut de vigilance ou de surveillance ne peut être retenu à l'encontre de la banque.

- Sur l'obligation de restitution fondée sur le code monétaire et financier :

Selon l'article L 133-19 IV du code monétaire et financier, 'le payeur supporte toutes les pertes occasionnées par des opérations de paiement non autorisées si ces pertes résultent d'un agissement frauduleux de sa part ou s'il n'a pas satisfait intentionnellement ou par négligence grave aux obligations mentionnées aux articles L. 133-16 et L. 133-17'.

L'article L 133-16 du même code dispose : 'Dès qu'il reçoit un instrument de paiement, l'utilisateur de services de paiement prend toute mesure raisonnable pour préserver la sécurité de ses dispositifs de sécurité personnalisés. Il utilise l'instrument de paiement conformément aux conditions régissant sa délivrance et son utilisation.'

L'article 5.3 des conditions générales Filbanque entreprise prévoit que le souscripteur est responsable vis à vis de la banque du contrôle de l'utilisation du service par ses mandataires ou collaborateurs et s'interdit en conséquence de contester les opérations effectuées par l'intermédiaire du service.

En vertu de l'article 4 des conditions générales Safetrans, le souscripteur est entièrement responsable de l'utilisation de son lecteur et/ou de sa carte Safetrans jusqu'à leur restitution à la banque.

En l'espèce, les virements litigieux ont été effectués par une préposée de la société Acta Mobilier qui disposait de la carte et du code confidentiel de M. [P], représentant légal de la société.

M. [P], qui n'a jamais fait état d'un détournement du dispositif Safetrans, a confié, sous sa seule responsabilité, l'utilisation du dispositif à une salariée du service comptable de la société.

Il a indiqué dans son dépôt de plainte du 11 juillet 2017 : 'L'assistante comptable, madame [Y], m'a expliqué que courant juin, elle avait reçu un mail de ma part lui disant que je voulais racheter une société et que les opérations étant visées par la COB (commission des opérations de bourse), il fallait rester discret pour ne pas être accusée de délit d'initié. Elle ne devait en parler à personne et on ne devait discuter que par mail.'

Il résulte de ces déclarations que l'assistante comptable a été abusée par des man'uvres frauduleuses qui l'ont amenée, en croyant agir sur instruction du chef d'entreprise, à dissimuler à la banque la cause alléguée des virements bancaires.

La réussite de ce mode opératoire a été rendue possible par une négligence grave de la société dans l'utilisation de l'instrument de paiement, en permettant à une assistante comptable de disposer librement d'une carte de paiement et d'un code confidentiel attribués au chef d'entreprise et de réaliser seule, sans le moindre contrôle hiérarchique, six virements d'un montant de 1 141 150 euros entre le 19 juin 2017 et le 10 juillet 2017.

Par conséquent, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a débouté la société Acta Mobilier de sa demande de restitution fondée sur le code monétaire et financier.

- Sur la responsabilité de la banque prise en sa qualité de dépositaire :

Aux termes de l'article 1915 du code civil, le dépôt, en général, est un acte par lequel on reçoit la chose d'autrui, à la charge de la garder et de la restituer en nature.

Selon l'article 1927 du même code, le dépositaire doit apporter, dans la garde de la chose déposée, les mêmes soins qu'il apporte dans la garde des choses qui lui appartiennent.

En vertu de l'article 1937 du même code, le dépositaire ne doit restituer la chose déposée qu'à celui qui la lui a confiée, ou à celui au nom duquel le dépôt a été fait, ou à celui qui a été indiqué pour le recevoir.

La banque, dépositaire, est libérée de son obligation de restitution en présence d'une faute du déposant ou de son préposé.

En l'espèce, les ordres de virement ont été effectués par une préposée du service comptable de la société Acta Mobilier qui disposait de la carte et du code confidentiel du représentant légal.

S'il s'est avéré que les virements ont été effectués sur la base 'd'une fraude au président', il a été précédemment démontré qu'il s'agit d'une faute du déposant et qu'aucune des fautes reprochées par la société cliente à la banque n'est établie.

Par conséquent, le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté la société Acta Mobilier de sa demande indemnitaire sur le fondement des articles 1915 et 1937 du code civil.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile :

Les dispositions du jugement déféré quant aux frais et dépens seront confirmées.

Succombant, la société Acta Mobilier sera condamnée aux dépens de l'instance d'appel et sera déboutée de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.

L'équité commande de faire droit à la demande formée par la banque sur le même fondement à hauteur de la somme de 2 000 euros.

P A R C E S M O T I F S

LA COUR,

DECLARE recevable l'appel interjeté par la Sas Acta Mobilier,

CONFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

y ajoutant,

CONDAMNE la Sas Acta Mobilier aux dépens de l'instance d'appel,

DEBOUTE la Sas Acta Mobilier de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la Sas Acta Mobilier à payer à la Sa Banque CIC Est la somme de 2 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile.

LA GREFFIÈRE : LA PRÉSIDENTE :


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Colmar
Formation : Chambre 1 a
Numéro d'arrêt : 21/00309
Date de la décision : 04/01/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-01-04;21.00309 ?
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