MINUTE N° 570/22
Copie exécutoire à
- Me Anne CROVISIER
- Me Laurence FRICK
Le 30.11.2022
Le Greffier
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE COLMAR
PREMIERE CHAMBRE CIVILE - SECTION A
ARRET DU 30 Novembre 2022
Numéro d'inscription au répertoire général : 1 A N° RG 21/01068 - N° Portalis DBVW-V-B7F-HQLR
Décision déférée à la Cour : 05 Janvier 2021 par la Chambre commerciale du Tribunal judiciaire de SAVERNE
APPELANTES - INTIMEES INCIDEMMENT :
S.A.R.L. MC INTERIM 3
prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 4]
S.A.R.L. MC INTERIM 2
prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 4]
Représentées par Me Anne CROVISIER, avocat à la Cour
Avocat plaidant : Me [V], avocat au barreau de METZ
INTIMEES - APPELANTES INCIDEMMENT :
S.A.S. TEMPOR
prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 1]
S.A.R.L. PROXILYA RECRUTEMENT
prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 2]
Représentées par Me Laurence FRICK, avocat à la Cour
Avocat plaidant : Me PLANÇON, avocat au barreau de STRASBOURG
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 08 Juin 2022, en audience publique, un rapport ayant été présenté, devant la Cour composée de :
Mme PANETTA, Présidente de chambre
M. ROUBLOT, Conseiller
Mme ROBERT-NICOUD, Conseillère
qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : Mme VELLAINE
ARRET :
- Contradictoire
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.
- signé par Mme Corinne PANETTA, présidente et Mme Régine VELLAINE, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS, PROCEDURE, PRETENTIONS DES PARTIES :
Les SARL MC Intérim 2 et MC Intérim 3 sont des sociétés exerçant une activité d'agence de travail temporaire dans la région Grand Est.
La société MC Intérim 3 dispose d'une agence à [Localité 5] dans laquelle travaillait Monsieur [H] [K] jusqu'à sa démission prenant effet le 28 février 2017.
Les sociétés Tempor et Proxilya sont également des sociétés exerçant une activité d'agence de travail temporaire, la société Tempor disposant notamment d'une agence à [Localité 6] et la société Proxilya d'une agence à [Localité 5].
A la suite de son départ de la société MC Intérim 3, Monsieur [H] [K] a été embauché par la société Proxilya à son agence de [Localité 5] le 1er mars 2017.
Sur requête des sociétés MC Intérim, le tribunal de Saverne a rendu une ordonnance le 20 juillet 2017, par laquelle il a commis tout huissier territorialement compétent avec pour mission de constater les actes de concurrence déloyale commis par la SAS Tempor et la SARL Proxilya Recrutement sur le fondement de l'article 145 du Code de procédure civile.
Par un arrêt en date du 2 mai 2019, la présente Cour a confirmé l'ordonnance rendue le 19 février 2018, par le juge des référés de ce tribunal déboutant les sociétés Proxilya Recrutement et Tempor de leur demande aux fins de rétractation de l'ordonnance sur requête du 20 juillet 2017.
Par actes des 15 et 17 mai 2018, les sociétés MC Intérim ont assigné au fond la SAS Tempor et la SARL Proxilya Recrutement devant le tribunal judiciaire de Saverne.
Par jugement en date du 5 janvier 2021, le tribunal judiciaire de Saverne a débouté les Sociétés MC Intérim 2 et MC Intérim 3 de leur demande en réparation dirigée contre la SAS Tempor et la SARL Proxilya, a débouté les sociétés Tempor et Proxilya de leur demande en dommages-intérêts pour procédure abusive, a condamné in solidum les Sociétés MC Intérim 2 et MC Intérim 3 au paiement d'une indemnité de 2 500 € (deux mille cinq cent euros) au titre de l'article 700 CPC, a condamné, in solidum les Sociétés MC Intérim 2 et MC Intérim 3 aux entiers dépens, a ordonné l'exécution provisoire du jugement.
Le tribunal judiciaire de Saverne a jugé, sur la demande principale, que le fait que des salariés intérimaires employés par MC Intérim témoignent avoir été directement contactés par M. [K] pour travailler chez Proxilya ou qu'à compter du 1er mars 2017, nombre de salariés intérimaires ignoraient le nom de l'agence qui les employait ne suffit pas à caractériser des actes positifs de démarchage. Le tribunal constate également qu'aucun document comptable probant n'a été produit aux débats pour caractériser une perte de chiffre d'affaire pouvant être exclusivement liée au détournement de clientèle dont MC Intérim a fait l'objet, et en déduit que les conditions de mise en 'uvre de la responsabilité délictuelle des sociétés Tempor et Proxilya ne sont pas réunies. Sur la demande reconventionnelle, le tribunal judiciaire de Saverne a jugé que les sociétés Tempor et Proxilya ne caractérisent aucun abus des demanderesses dans l'exercice légitime de faire valoir leurs droits en justice.
Par déclaration faite au greffe le 18 février 2021, les sociétés MC Intérim 3 et MC Intérim 2 ont interjeté appel du jugement.
Par déclaration faite au greffe le 17 mars 2021, les sociétés Proxilya Recrutement et Tempor se sont constituées intimées.
Par leurs dernières conclusions en date du 14 octobre 2021, auxquelles était joint le bordereau de communication des pièces récapitulatif qui n'a fait l'objet d'aucune contestation, les sociétés MC Intérim 3 et MC Intérim 2 demandent à la Cour, sur l'appel principal, de dire et juger la demande des sociétés MC Intérim 2 et MC Intérim 3 à l'encontre des sociétés Tempor SAS et Proxilya Recrutement recevable et bien fondée, en conséquence, infirmer, en ce sens, le jugement rendu par le Tribunal judiciaire de SAVERNE en date du 5 janvier 2021, et statuant à nouveau, dire et juger que les sociétés Tempor SAS et Proxilya Recrutement se sont rendues coupables d'actes de concurrence déloyale et parasitaire à l'encontre des sociétés appelantes, condamner in solidum les sociétés Tempor SAS et Proxilya Recrutement à payer à la société MC Intérim 3 la somme globale de 673 760 € en réparation du préjudice direct subi du fait du détournement de commande, de client et du débauchage massif de salariés concomitant, à parfaire, condamner la société Tempor SAS à payer à la société MC INTERIM 2 la somme globale de 12.000 € en réparation du préjudice direct subi du fait du détournement de commande, de client et du débauchage massif de salariés concomitant ; sur l'appel incident, dire et juger l'appel incident des sociétés Tempor SAS et Proxilya Recrutement mal fondé, en conséquence, confirmer, sur ce point, le jugement rendu par le Tribunal judiciaire de SAVERNE en date du 5 janvier 2021, débouter les sociétés Tempor SAS et Proxilya Recrutement de l'intégralité de leurs demandes, fins et prétentions, en tout état de cause, condamner in solidum la SAS Tempor et la SARL Proxilya Recrutement à payer à la société MC Intérim 3 la somme globale de 20 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, condamner in solidum les sociétés intimées en tous les frais et dépens de la procédure en ce y compris les frais et dépens de 1ère instance, de l'appel principal et de l'appel incident ainsi que les frais des constats d'huissier qui ont dû être engagés par la société MC Intérim 3.
Les appelantes soutiennent, sur l'existence de la concurrence déloyale, que les sociétés Tempor et Proxilya ont commis une faute en ce qu'elles ont contribué à la désorganisation des sociétés MC Intérim par le détournement de sa clientèle. Elles affirment que des détournements massifs et brutaux ont été constatés dans les deux procès-verbaux de constat d'huissier réalisés le 11 août 2017 et également dans les propres écritures des intimées qui dressent sur plusieurs pages le tableau des détournements reconnus. Elles font valoir que les procès-verbaux constatent que 52 salariés intérimaires, anciens salariés des sociétés MC Intérim, ont été employés par la société Proxilya Recrutement pour certains à compter de février 2017 et d'autres à compter de mars 2017. Les huissiers ont également constaté que 37 entreprises, anciennement clientes de la société MC Intérim 3, sont devenues clientes de la société Proxilya pour certaines à compter de février 2017 et d'autres à compter de mars 2017. Les sociétés MC Intérim soutiennent qu'outre la désorganisation totale de l'entreprise qu'ont provoqué les détournements massifs et brutaux de sa clientèle, les pratiques des intimées ont créé une confusion dans l'esprit des tiers et particulièrement des salariés intérimaires et des clients.
Sur la responsabilité de la concurrence déloyale, les appelantes affirment que la perte massive de clients et de salariés intérimaires est due aux man'uvres fautives des sociétés Tempor et Proxilya Recrutement, réalisées avec l'aide et l'assistance de son nouveau salarié, Monsieur [H] [K]. Elles soutiennent que ces man'uvres sont confirmées par des intérimaires et des sociétés clientes, mais également par le procès-verbal de constat en date du 2 juin 2017 et par Monsieur [O], le président informaticien de la société BeSTT, qui atteste avoir dû faire supprimer le compte utilisateur de Monsieur [H] [K] après avoir constaté qu'une session bureau avait été ouverte avec son identifiant et son mot de passe quelques semaines après son départ définitif de la société MC Intérim. Les appelantes font valoir que les différents actes constitutifs de concurrence déloyale ont été mis en 'uvre bien avant que Monsieur [K] ne quitte la société MC Intérim 3 et que ces man'uvres sont confirmées par les attestations de Monsieur [E] et de Monsieur [Z] [X] produites par les sociétés Tempor et Proxilya Recrutement qui indiquent que ces dernières étaient en contact permanent avec le salarié pendant plusieurs mois et qu'ils l'ont recruté alors qu'il était encore salarié au sein de la société MC Intérim 3. Enfin, les appelantes se prévalent d'une attestation de témoin d'une salariée des sociétés intimées, Madame [A] [S], qui ferait état d'un détournement des salariés intérimaires commis par M. [K] au profit des intimées. Enfin, elles soutiennent qu'elles n'ont commis aucune faute dans la gestion de leurs agences et que les attestations produites par les intimées au sujet du maintien de l'agence de [Localité 5] ne contiennent aucune date ni aucune précision et qu'elles ne peuvent convaincre.
Sur le rejet de l'appel incident, les appelantes soutiennent que l'abus ne peut pas être retenu au seul motif qu'un tiers à la présente procédure ait, antérieurement à celle-ci, exercé contre elles une action injustifiée et jugée mal fondée, sur le même fondement, et qu'en tout état de cause, les conditions à une condamnation des sociétés MC INTERIM ne sont pas réunies, ne saurait-ce qu'au regard de l'absence manifeste de préjudice.
Sur l'article 700 du code de procédure civile, les appelantes soutiennent qu'une indemnité de 20 000 € devra leur être allouée à ce titre.
Par leurs dernières conclusions en date du 8 décembre 2021, auxquelles était joint le bordereau de communication des pièces récapitulatif qui n'a fait l'objet d'aucune contestation, les sociétés Tempor et Proxilya demandent à la Cour, sur l'appel principal, de dire et juger l'appel des sociétés MC Intérim 2 et MC Intérim 3 irrecevable en tout cas mal fondé, de débouter les sociétés MC Intérim 2 et MC Intérim 3 de l'intégralité de leurs fins et conclusions, de confirmer le jugement rendu le 5 janvier 2021 en ce qu'il a débouté les sociétés MC Intérim 2 et MC Intérim 3 de leur demande de réparation dirigée contre la SAS Tempor et la SARL Proxilya ; sur l'appel incident, de dire et juger l'appel incident des sociétés Tempor et Proxilya recevable et bien fondé, d'infirmer le jugement rendu le 5 janvier 2021 en ce qu'il a débouté les sociétés Tempor et Proxilya de leur demande de dommages et intérêts pour procédure abusive ; et statuant à nouveau dans cette limite, de condamner les sociétés MC Intérim 2 et MC Intérim 3 à payer aux sociétés Tempor et Proxilya la somme de 30 000 € à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive, de condamner les sociétés MC Intérim 2 et MC Intérim 3 à payer aux sociétés Tempor et Proxilya une somme de 20 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, de condamner les sociétés MC Intérim 2 et MC Intérim 3 aux entiers frais et dépens d'appel.
Sur le débauchage invoqué, les intimées soutiennent qu'en vertu de la liberté d'embauche un salarié non lié par une obligation de non-concurrence est libre de quitter un employeur pour se mettre au service d'un concurrent ou pour se mettre à son compte, qu'en vertu de la liberté de prospection, aucune entreprise ou aucun commerçant ne détient un droit privatif sur la clientèle et qu'ainsi des ex-salariés sont en droit de prospecter la clientèle de leur ancien employeur à condition que le démarchage soit fait de manière loyale. Elles font valoir que la jurisprudence est particulièrement stricte sur la preuve du caractère déloyal du débauchage et que la preuve de la faute incombe à celui qui invoque la déloyauté qui doit prouver notamment la volonté de désorganiser l'entreprise. Elles affirment également qu'en vertu d'une jurisprudence abondante à ce sujet, il est nécessaire d'établir en quoi les recrutements litigieux ont eu pour effet de désorganiser la société et non pas de simplement constater l'existence d'un déplacement de clientèle, que le personnel intérimaire n'est lié à l'entreprise de travail temporaire que pendant l'exécution du contrat de mission, que le principe de la libre concurrence autorise le démarchage de clients d'une société concurrente, que seuls constituent des actes de concurrence déloyale des actes de dénigrement et que la faute n'est pas caractérisée par la seule circonstance que certains clients ont suivi dans la nouvelle société l'associé au contact duquel ils avaient été antérieurement dans la société concurrencée.
Sur la faute invoquée, elles soutiennent que le débauchage est une pratique légale et justifiée par le principe de la liberté du commerce et de l'industrie tant qu'il ne s'accompagne pas d'actes de concurrence déloyale, que concernant l'embauche de Monsieur [K], celui-ci n'était pas lié par une clause de non-concurrence, qu'il a quitté la société MC Intérim 3 en raison du non-respect des engagements de son employeur, qu'elles étaient en droit d'entreprendre des pourparlers avec Monsieur [K] en vue d'une future embauche. Au sujet du débauchage de client, les intimées font valoir que la société MC Intérim 3 n'avait aucune entreprise cliente, qu'elle ne détenait aucun fichier de salariés intérimaires et que la clientèle ne fait l'objet d'aucun droit privatif, que le démarchage de la clientèle d'autrui est libre dès lors qu'il ne s'accompagne pas d'acte déloyal, que les sms relevés sur le téléphone professionnel de Monsieur [K] et consignés dans le procès-verbal de constat sont tous postérieurs au 28 février 2017, que les sociétés appelantes ne rapportent la preuve d'aucun dénigrement, que les attestations de témoin communiquées par les sociétés appelantes n'ont aucune valeur probante. Enfin, les intimées soutiennent que les sociétés MC Intérim 2 et MC Intérim 3 sont exclusivement responsables du fait qu'elles aient perdu leur clientèle.
Sur le prétendu préjudice, les intimées soutiennent que les sociétés appelantes ne démontrent aucun préjudice lié à un prétendu comportement fautif qui leur est imputable, que la société MC Intérim 3 ne peut justifier d'aucun préjudice direct qui serait lié au départ de Monsieur [K] et à son embauche par la société Proxilya Recrutement le 1er mars 2017 en ce qu'elle n'a plus eu d'activité à compter du 1er mars 2017 à [Localité 5], que l'huissier a relevé qu'aucune facture n'a été adressée par la société Proxilya Recrutement aux entreprises avant le 1er mars 2017, que le chiffre d'affaires total réalisé avec les 27 entreprises dont le nom figurait sur la liste des 56 noms figurant dans la requête et dans l'ordonnance, entre le 1er mars 2017 et le 11 août 2017, soit en 5 mois et 11 jours, s'est élevé à 915 634,31 € HT et que sur les 57 clients mentionnés dans la requête et dans l'ordonnance par les sociétés MC Intérim 2 et MC Intérim 3, 27 n'ont été repris ni chez Tempor, ni chez Proxilya Recrutement durant la période concernée.
Sur le lien de causalité entre la prétendue faute et le prétendu préjudice, les intimées soutiennent que les sociétés appelantes ne justifient d'aucun lien de causalité entre la faute et le préjudice qu'elles invoquent.
Les sociétés Tempor et Proxilya Recrutement ont formé un appel incident au titre duquel elles soutiennent que la procédure diligentée par les sociétés appelantes constitue un abus de droit. Elles font valoir qu'une affaire identique opposait les sociétés appelantes à une société tierce qui les accusait de concurrence déloyale, que la Cour d'appel de Nancy a fait droit à l'argumentation développée par les sociétés appelantes dans un arrêt du 14 février 2018, et qu'en définitif les sociétés appelantes reprochent aux intimées un comportement qu'elles avaient jugé parfaitement normal et naturel lorsqu'elles avaient été assignées dans l'affaire précitée, qu'ainsi la procédure des appelantes est abusive.
Sur l'article 700 du code de procédure civile, les intimées soutiennent qu'une indemnité de 20 000 € devra leur être allouée à ce titre.
La Cour e référera aux dernières écritures des parties pour plus ample exposé des faits, de la procédure et de leurs prétentions.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 04 Mai 2022. L'affaire a été appelée et retenue à l'audience du 08 Juin 2022.
MOTIFS DE LA DECISION :
Sur la responsabilité des sociétés Tempor et Proxilya Recrutement au titre d'actes de concurrence déloyale :
Aux termes des articles 1240 et 1241 du Code civil, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ; et chacun est responsable du dommage qu'il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence.
Constitue une faute, la commission d'actes de concurrence déloyale qui peuvent se matérialiser par le dénigrement, la confusion, la désorganisation ou le parasitisme économique.
Il est rappelé que l'embauche d'anciens salariés d'une entreprise concurrente n'est, par principe, pas fautive et ne devient déloyale que lorsque sont caractérisées des circonstances particulières caractérisant la faute du nouvel employeur et causant un préjudice à l'employeur précédent. A ce titre, le départ massif de salariés d'une entreprise pour une entreprise concurrente n'est pas, en soi, constitutif de faits de concurrence déloyale et ne peut l'être qu'en présence de man'uvres déloyales.
Le débauchage du personnel est susceptible de constituer un acte de concurrence déloyale, indépendamment de toute man'uvre déloyale, seulement lorsqu'il est démontré que les embauches dans l'entreprise concurrente ont eu pour objet ou effet de désorganiser l'entreprise dont le personnel est issu.
Le démarchage de la clientèle d'une société concurrente n'est pas, en soi, fautif, même lorsqu'il est le fait d'un ancien salarié de celle-ci, à moins que ce dernier ne soit tenu envers elle par une clause de non-concurrence. Sous réserve de cette hypothèse, le démarchage n'est fautif que s'il s'accompagne de man'uvres déloyales.
La Cour relève qu'il ressort du procès-verbal de constat d'huissier en date du 2 juin 2017, produit en pièce annexe n°26 par les appelantes, qu'un téléphone portable professionnel confié par Monsieur [W] comporte plusieurs messages adressés à une personne appelée '[H]' en date du mois de mars et avril 2017. L'un des messages contient des félicitations signées '[V] [Y] [L]' d'un contact nommé Proxilya Recrutement et des messages concernant des recrutements, des inscriptions et la réception d'une fiche de paie. Le procès-verbal dresse également des constations concernant la page Facebook de l'agence Proxilya Recrutement. L'huissier relève notamment le message suivant : 'Nous avons le plaisir de vous annoncer l'ouverture de notre agence de placement Proxilya Recrutement le 1er mars 2017. [C] et [H] vous accueillent tous les jours du lundi au vendredi [Adresse 2]'.
Il ressort du procès-verbal en date du 11 août 2017 dressé par Maître [M], les constations suivantes :
- Une responsable administrative de la société Tempor lui a indiqué que M. [K] n'est pas embauché ni mandaté par la société Tempor mais par la société Proxilya ;
- Les noms de 10 salariés intérimaires figurant sur la requête aux fins de constats d'huissier ont été retrouvés dans les fichiers informatiques de la société TEMPOR et apparaissent avoir été salariés de la société TEMPOR à partir de février 2017 en missions intérim ;
- Les noms de 10 sociétés clientes des sociétés MC Intérim apparaissent dans les fichiers informatiques de la société Tempor.
Le deuxième procès-verbal en date du 11 août 2017 dressé par Maître [U], établit les constations suivantes :
- L'agence de Proxilya Recrutement à [Localité 5] est ouverte depuis le 01/03/2017 ;
- Le contrat de travail de Monsieur [H] [K] a été établi à compter du 1er mars 2017 ;
- Le registre de déclaration préalable à l'embauche comprend 24 noms de la liste nominative de l'ordonnance ;
- Les fiches de déclaration préalable à l'embauche comportent 14 autres noms de la liste nominative de l'ordonnance ;
- La liste des intérimaires comprend 39 noms sur les 60 noms désignés dans l'ordonnance ;
- La liste des facturations établies par la société Proxilya Recrutement fait apparaître le nom de 27 entreprises sur les 56 noms que comprend la liste de l'ordonnance ;
- Le chiffre d'affaire réalisé avec ces 27 entreprises entre le 01/03/2017 et le 11/08/2017 est de 915 634,31 €.
Il résulte de ces procès-verbaux, ainsi que des écritures des sociétés intimées, que des sociétés clientes et des salariés intérimaires qui avaient préalablement travaillé avec les sociétés MC Intérim, ont travaillé avec les sociétés Tempor et Proxilya Recrutement à compter de février et de mars 2017. Cependant, en dehors de ces constations, il n'est rapporté la preuve d'aucun procédé déloyal ayant conduit à ce déplacement de clientèle et de salariés intérimaires.
S'agissant de l'attestation de témoin du salarié intérimaire, Monsieur [I], versée aux débats par les appelantes en pièce annexe n°18, elle permet simplement d'établir que M. [I] a été contacté par '[H] et [C] de l'agence Tempor' le 14 mars 2017, soit après le départ de Monsieur [K] de la société MC Intérim.
L'attestation de témoin de Monsieur [P] en date du 16 mars 2017, versée par les appelantes en pièce annexe n°19, énonce : 'Je soussigné, [P] [D], atteste que [H] [K] (07 83 19 19 94) de l'Agence Intérim Proxilya Recrutement, [Adresse 2], m'a contacté pour un travail chez Altem. J'ai effectué plusieurs missions chez Altem pour l'Agence M.C. Intérim de [Localité 5]. [H] et [C] travaille chez Proxilya Recrutement à [Localité 5], mais je suis dans l'Agence Tempor pour déposer mon CV et document d'identité à [C] pour [H] [K]'.
Il ressort de cette attestation, que ce salarié intérimaire a travaillé pour la même société utilisatrice, une première fois par l'intermédiaire de la société MC Intérim et une seconde fois par l'intermédiaire de la société Proxilya Recrutement et que ce changement aurait eu lieu à l'initiative de M. [K].
Les appelantes se prévalent d'une dernière attestation de témoin d'une salariée intérimaire, Madame [F]. Cette dernière témoigne une première fois en faveur des appelantes en indiquant : 'C'est [H] [K] qui m'a ordonné de passer de MC Intérim à Tempor pour Centre Alsace Nettoyage'. Elle témoigne une seconde fois en faveur des intimées en affirmant : 'L'agence MC Intérim m'a contacter pour que je passe à l'agence chercher le salaire car il ne voulais pas faire de virement. En arrivant, un jeune homme ma demandé de recopier un texte, il ma expliqué que la société allait changer de nom et qu'il avait besoin de cet écrit. Je n'est pas compris la phrase que j'ai du recopié mais je l'es écrit parce que le jeune homme ma dit qu'il avait besoin de cet écrit de tous les intérimaires sinon il allait se faire taper sur les doigts par son grand patron'. Au vue de la contradiction flagrante entre ces deux attestations, de l'aveu du caractère complaisant de la première attestation et des difficultés de compréhension dont se prévaut le témoin dans la seconde, celles-ci doivent être écartées de l'examen fait par la Cour.
Les sociétés MC Intérim se prévalent de l'attestation d'une assistante d'agence travaillant pour le compte de la société MC Intérim, Madame [N], qui indique : 'Madame [C] [T] s'est présentée à l'agence munie de la copie de la carte d'identité de Monsieur [G] [B], se faisant passer pour sa cousine
afin de récupérer la fiche de salaire de ce dernier. Ce même jour, certains intérimaires nous ont confié toujours travailler au sein des sociétés utilisatrices pour le compte d'une autre agence de travail temporaire, et d'autres ne savaient même pas le nom de l'agence qui les employaient depuis le 1er mars 2017'.
Toutefois, cette attestation n'indique pas la date des faits et aucun élément ne permet de savoir si Madame [T] est passé avant ou après sa prise de poste au sein de la société Proxilya Recrutement et, par conséquent, si elle a effectué cet acte pour le compte des sociétés intimées. En l'absence de précision complémentaire, ce fait ne peut pas être imputé à la société Proxilya Recrutement. De surcroît, le fait que des salariés intérimaires ne connaissent pas le nom de l'agence de travail temporaire pour laquelle ils travaillent depuis le 1er mars 2017 non seulement ne suffit pas à caractériser des actes positifs de démarchage, tel que l'a retenu le tribunal judiciaire de Saverne, mais en plus ne permet pas de les imputer aux sociétés Tempor et Proxilya Recrutement. Effectivement, il est admis par les parties que certains salariés intérimaires ont quitté la société MC Intérim mais n'ont pas pour autant été repris par les sociétés Tempor ou Proxilya Recrutement. Ainsi, l'attestation de Madame [N] n'est pas suffisamment circonstanciée et ne permet pas de caractériser l'existence de man'uvres déloyales imputables aux sociétés Tempor ou Proxilya Recrutement.
Enfin, l'attestation de [J] [O], président de la société BeSTT, produit en pièce annexe n°28 par les appelantes, indique : 'Je soussigné, [J] [O], atteste par la présente qu'un compte utilisateur Bestt a été supprimé à la demande de Monsieur [W], dirigeant de la société MC Intérim 3 car il s'est avéré qu'une session bureau a été ouverte avec l'identifiant et le mot de passe de Monsieur [H] [K] quelques semaines après son départ définitif de la société MC Intérim 3'. Or, encore une fois, ce seul fait ne permet pas d'établir clairement la commission de man'uvres déloyales par Monsieur [H] [K] pour le compte des sociétés intimées.
L'attestation de témoin de Madame [S], produite en pièce annexe n°76 par les appelantes, indique : 'Ancienne responsable d'agence de Tempor, nous avons été informés par M. [R] de l'ouverture de l'agence Proxilya. Monsieur [H] [K] s'est souvent rendu chez nous pour donner les informations à notre assistante sur les intérimaires qui allaient être sous contrat et allaient faire partie de l'agence Tempor avant l'ouverture de Proxilya. Ces intérimaires se rendaient chez nous sur ordre de [H] [K] et ne comprenait souvent pas qu'ils étaient en train de changer d'agences. Les clients aussi recevaient des factures Tempor et nous appelaient en demandant des explications car ils n'avaient pas été informés du changement, pour certains ne l'avaient pas souhaité. Nous avions bien compris que [H] [K] était en train de récupérer les intérimaires à qu'il n'avait pas demandé leur avis. Lorsque Proxilya a ouvert les contrats ont été arrêté chez Tempor et ont été refait sous Proxilya'.
Les 13 attestations de témoins versées aux débats par les sociétés intimées, en pièce annexe n°34 à 44 et n°46, font toutes état soit de problèmes rencontrés par des salariés intérimaires soit par des sociétés clientes avec la société MC Intérim. Certains constatent ne plus avoir trouvé de sonnette au nom de l'agence MC Intérim au [Adresse 3], d'autres se plaignent d'une absence de prise de contact après le départ de M. [H] [K] ou de problème pour joindre l'agence par téléphone, d'autres encore se plaignent de n'avoir pas reçu ni les acomptes, ni les paies à temps, et enfin d'autres indiquent avoir rejoint MC Intérim afin de suivre M. [H] [K] avec qui ils avaient préalablement travaillé. Les témoins s'appuient sur ces circonstances pour justifier leur départ de l'agence de MC Intérim de [Localité 5]. Or, ces attestations viennent nuancer la thèse défendue par les appelantes qui consiste à dire que la perte massive de ses clients et de ses salariés intérimaires est due aux man'uvres fautives des sociétés intimées.
Ainsi, et en l'absence d'autres éléments probants versés aux débats par les sociétés appelantes, la seule attestation de Madame [S], qui n'indique d'ailleurs pas le nombre de salariés intérimaires et de clients concernés par ses affirmations, ne permet pas de caractériser un débauchage massif du personnel ni un démarchage de la clientèle par l'intermédiaire de man'uvres déloyales ou ayant eu pour objet ou pour effet de désorganiser la société MC Intérim 3.
Ainsi, c'est en faisant une juste appréciation des faits de la cause que le tribunal judiciaire de Saverne a considéré que les conditions de mise en 'uvre de la responsabilité délictuelle des sociétés Tempor et Proxilya auxquelles aucune faute caractérisée ne peut être imputée, ne sont dès lors pas réunies.
Il convient alors de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté les sociétés MC Intérim 2 et 3 de leur demande de réparation.
Sur l'appel à titre incident :
La Cour relève que les intimées ne caractérisent pas les circonstances de nature à faire dégénérer en faute l'exercice par les sociétés MC Intérim de leur droit d'ester en justice, qu'il ne suffit pas de relever que les sociétés MC Intérim étaient parties défenderesses dans une affaire similaire pour établir qu'elles ont commis une faute, qu'ainsi c'est à bon droit que le tribunal judiciaire de Saverne a retenu que les sociétés Tempor et Proxilya Recrutement ne caractérisent aucun abus des demanderesses dans l'exercice légitime de faire valoir leurs droits en justice.
Il convient de confirmer le jugement du tribunal judiciaire de Saverne en ce qu'il déboute les sociétés Tempor et Proxilya de leur demande de dommages-intérêts pour procédure abusive.
Sur les frais et dépens :
Il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a statué sur les frais et dépens et sur la somme octroyée au titre de l'article 700 du code de procédure civile en première instance.
Les sociétés MC Intérim 2 et 3 succombant en appel, il convient de les condamner aux frais et dépens d'appel et leur demande fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile sera rejetée.
L'équité commande l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit des sociétés Tempor et Proxilya Recrutement au titre de la procédure d'appel.
P A R C E S M O T I F S
LA COUR,
CONFIRME le jugement du tribunal judiciaire de Saverne en date du 5 janvier 2021,
Et y ajoutant,
CONDAMNE les sociétés MC Intérim 2 et MC Intérim 3 aux entiers dépens d'appel,
CONDAMNE les sociétés MC Intérim 2 et MC Intérim 3 à payer aux sociétés Tempor et Proxilya Recrutement, une somme de 2 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure d'appel,
REJETTE la demande présentée par les sociétés MC Intérim 2 et MC Intérim 3 sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
La Greffière : la Présidente :