MINUTE N° 480/22
Copie exécutoire à
- Me Valérie SPIESER
- Me Laurence FRICK
Le 12.10.2022
Le Greffier
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE COLMAR
PREMIERE CHAMBRE CIVILE - SECTION A
ARRET DU 12 Octobre 2022
Numéro d'inscription au répertoire général : 1 A N° RG 18/02143 - N° Portalis DBVW-V-B7C-GYI3
Décision déférée à la Cour : 26 Mars 2018 par le Tribunal de Grande Instance de STRASBOURG - 1ère chambre civile
APPELANTS :
Monsieur [D] [T]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Madame [I] [K] épouse [T]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentés par Me Valérie SPIESER, avocat à la Cour
INTIMEE :
SA BANQUE CIC EST
prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par Me Laurence FRICK, avocat à la Cour
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 805 modifié du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 09 Mars 2022, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme PANETTA, Présidente de chambre.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme PANETTA, Présidente de chambre
M. ROUBLOT, Conseiller
M. FREY, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : Mme VELLAINE
ARRET :
- Contradictoire
- rendu par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.
- signé par Mme Corinne PANETTA, présidente et Mme Régine VELLAINE, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS PROCEDURE PRETENTIONS DES PARTIES :
Par un arrêt du 13 Octobre 2021, auquel il convient de se référer pour plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la Cour d'Appel a ordonné la réouverture des débats, et le rabat de l'ordonnance de clôture, a renvoyé l'affaire à l'audience de mise en état du 10 Décembre 2021, à 09 heures, afin que la partie appelante dépose de nouvelles écritures présentant un dispositif structuré et formulant les demandes juridictionnelles qu'elle souhaite voir soumettre à l'appréciation de la Cour et a réservé les demandes et les dépens.
Les époux [T] ont, le 07 Février 2022, déposé leurs dernières conclusions, auxquelles était joint un bordereau de communication de pièces qui n'a fait l'objet d'aucune contestation.
La Banque CIC EST a, le 15 Février 2022, déposé ses dernières conclusions, auxquelles était joint un bordereau de communication de pièces qui n'a fait l'objet d'aucune contestation.
La Cour se référera aux dernières conclusions des parties pour plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 25 Février 2022.
L'affaire a été appelée et renvoyée retenue à l'audience du 09 Mars 2022.
MOTIFS DE LA DECISION :
La cour entend, au préalable, rappeler que :
- aux termes de l'article 954, alinéa 3, du code de procédure civile elle ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion,
- ne constituent pas des prétentions, au sens de l'article 4 du code de procédure civile, les demandes des parties tendant à 'dire et juger' ou 'constater', en ce que, hors les cas prévus par la loi, elles ne sont pas susceptibles d'emporter de conséquences juridiques, mais constituent en réalité des moyens ou arguments, de sorte que la cour n'y répondra qu'à la condition qu'ils viennent au soutien de la prétention formulée dans le dispositif des conclusions et, en tout état de cause, pas dans son dispositif mais dans ses motifs.
Il convient par ailleurs de relever que Monsieur et Madame [T] ne soutiennent plus, à hauteur de Cour leur demande de dommages et intérêts pour défaut de mise en garde ou perte de chance de s'endetter à moindre coût, qui avait été rejetée par le Tribunal.
Suivant une offre de prêt immobilier acceptée le 08 juillet 2010, les consorts [T] ont contracté auprès de la SA CIC EST deux crédits destinés à financier l'acquisition d'une maison, l'un d'un montant de 200 000 euros remboursable sur 12 ans, l'autre, d'un montant de 283 940 euros remboursable sur 20 ans en deux paliers, respectivement de 12 et 8 ans.
Ce dernier crédit a été intégralement remboursé en avril 2011.
Soutenant avoir pris connaissance d'informations diffusées par l'UFC QUE CHOISIR, concernant les erreurs rencontrées dans le calcul du TEG des crédits immobiliers, les consorts [T] ont sollicité un avis.
Ils exposent avoir ainsi découvert la méconnaissance, par l'offre de crédit, de l'article L.312-8 du Code de la consommation, l'absence de recours à la méthode d'actualisation des flux et le caractère erroné du TEG contenu dans l'offre de crédit, de sorte qu'ils ont fait assigner la SA CIC EST.
Par jugement du 26 mars 2018, le Tribunal de grande instance de STRASBOURG a déclaré irrecevable l'action en nullité des stipulations ayant mis à la charge de l'emprunteur un intérêt contractuel, a débouté les consorts [T] de leur action en déchéance, a débouté les consorts [T] de leur demande de dommages et intérêts, a condamné in solidum les consorts [T] aux entiers frais et dépens, a condamné in solidum les consorts [T] à payer à la SA CIC EST une indemnité de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du CPC, a rejeté toutes demandes plus amples ou contraires.
Par déclaration faite au greffe le 16 mai 2018, les consorts [T] ont interjeté appel de cette décision.
Par déclaration faite au greffe le 23 mai 2018, la Banque CIC EST s'est constituée intimée.
A hauteur de Cour, et après le prononcé de l'arrêt rendu le 13 Octobre 2021, par leurs dernières conclusions du 07 Février 2022, les époux [T] demandent à la Cour de :
INFIRMER en toutes ses dispositions le jugement entrepris en ce qu'il a :
·DECLARÉ IRRECEVABLE l'action en nullité des stipulations ayant mis la charge de l'emprunteur un intérêt contractuel ;
·DEBOUTÉ Monsieur et Madame [T] de leur action en déchéance ;
·DEBOUTÉ Monsieur et Madame [T] de leur demande de dommages et intérêts ;
·CONDAMNÉ in solidum Monsieur et Madame [T] aux entiers frais et dépens ;
·CONDAMNÉ in solidum Monsieur et Madame [T] payer la SA CIC EST une indemnité de 3.000 € (trois mille euros) sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;
·REJETÉ toutes demandes plus amples ou contraires ;
STATUER à nouveau, et :
1. Les demandes en déclaration de clause non écrites
Juger que la stipulation 4.2.3 'le prêt est à paliers' n'est pas rédigée de manière claire et compréhensible.
La Juger abusive et la déclarer non écrite.
2. Les demandes en déclaration d'admission des prétentions
Déclarer recevable les prétentions des appelants tendant cumulativement à la nullité de la stipulation d'intérêts, ainsi qu'à la déchéance de ceux-ci ;
3. Les demandes en nullité tirées du vice du consentement de l'emprunteur, et en restitution
Juger subsidiairement que la stipulation d'intérêts conventionnelle est nulle ;
Ordonner le retour à l'intérêt légal, et condamner le prêteur à restituer les sommes qu'il aurait reçues en sus de l'application de l'intérêt légal ;
4. Les demandes en déchéance dans la proportion fixée par le Juge
Juger enfin que faute d'avoir intégré au calcul du taux effectif global les coûts exacts de la dette, charges auxquelles le prêteur a subordonné l'octroi du crédit, la déchéance des intérêts sera également prononcée dans la proportion fixée par le Juge, et condamner le prêteur à restituer les sommes qu'il aurait reçues en sus cette proportion ;
En conséquence,
CONDAMNER LA SA BANQUE CIC EST à restituer les sommes qu'il aurait reçues en sus cette proportion ;
5. Les autres demandes
Condamner en tout état de cause la SA CIC EST à payer à l'emprunteur une somme de 3.000 € au titre des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;
Laisser à sa charge les dépens de l'instance.
Dans ses dernières conclusions du 15 Février 2022, la BANQUE CIC EST sollicite de la Cour qu'elle :
DECLARE irrecevables les demandes de Monsieur et Madame [T] relatives au caractère abusif des clauses contractuelles relatives aux paliers d'amortissement et à la responsabilité de la banque en raison du défaut d'intégration au TEG des coûts de la dette,
ECARTE des débats les pièces non communiquées selon bordereau,
CONFIRME le jugement du Tribunal de Grande Instance de Strasbourg du 26 mars 2018,
DECLARE l'action en nullité irrecevable, en tous cas mal fondée,
DEBOUTE Monsieur et Madame [T] de l'ensemble de leurs fins et conclusions,
Subsidiairement, LIMITE la déchéance du droit aux intérêts,
CONDAMNE in solidum Monsieur et Madame [T] aux entiers frais et dépens
d'appel
CONDAMNE in solidum Monsieur et Madame [T] à payer à la BANQUE CIC EST
une indemnité de 7.500 EUR pour la procédure d'appel en application de l'article 700 du CPC.
Sur les pièces dont il est demandé par la BANQUE CIC EST qu'elles soient écartées des débats :
Monsieur et Madame [T] ont versé aux débats les trois pièces mentionnées sur leur bordereau de communication de pièces.
Il n'y a pas lieu à écarter ces pièces des débats.
Sur l'existence de clauses abusives :
Cette prétention des époux [T] est présentée aux mêmes fins que les demandes précédemment formulées, c'est à dire celles tendant à obtenir le remboursement des intérêts générés par le prêt de 283 940 € remboursé par anticipation et ne sera pas considérée comme une demande nouvelle.
Le caractère imprescriptible d'une action tendant à voir déclarer abusives des clauses contractuelles est acquis et une telle demande peut être présentée en tout état de cause, même pour la première fois devant la Cour de Cassation.
Les consorts [T] soutiennent que selon le droit de l'Union, sont susceptibles d'être considérées comme abusives, les clauses qui portent sur l'objet principal du contrat, qui ne seraient pas rédigées de façon claire et compréhensible et seraient susceptibles ou auraient pour objet de créer un déséquilibre significatif au détriment du consommateur, que les dispositions de l'offre de crédit d'espèce présentent une ou plusieurs clauses abusives, qu'aucune des incidences financières qu'implique ce mode de calcul n'est notifiée à l'emprunteur par l'offre, que le taux obtenu à partir d'un tableau d'amortissement comportant une ou plusieurs phases de progressivité n'est pas calculé selon la méthode des intérêts composés, que l'impact financier a été dissimulé.
Il convient de relever que la mise en place d'un palier ne constitue pas une stipulation au sens de l'article L.312-8 4°, qu'il s'agit d'une simple modalité d'amortissement de la créance, le palier ne constituant jamais qu'un différé partiel d'amortissement du capital emprunté, que la mise en place d'un palier est prise en compte dans le coût du crédit et dans le TEG, que cela est conforme à l'article L.313-1 alinéa 4 ancien du Code de la consommation, que la BANQUE CIC EST démontre qu'il a été tenu compte dans le calcul du TEG de tous les intérêts, en prenant en considération le palier d'amortissement, comme le démontre la lecture de son annexe 3, que le taux de période du prêt ressort à 0,341890895 %, de sorte que le TEG s'élève à 0,3418 x 12 = 4,1016 %, mentionné dans l'offre avec 3 décimales, soit 4,101 %, qu'il n'y a pas lieu de tenir compte en sus d'un surcoût inexistant, qu'il n'y a aucune raison juridique ni mathématique de prendre en compte les intérêts à un double titre au niveau de la détermination du montant des intérêts générés par l'amortissement du prêt et en tant que coût supplémentaire, et que la mise en place d'un palier n'entraîne aucune marge supplémentaire pour la banque.
À cela s'ajoute, en tout état de cause, que les parties appelantes, qui se limitent à remettre en cause l'existence de cette clause en tant que telle, ne rapportent la preuve d'aucun préjudice subi de ce fait, ni même ne font état d'une incidence financière réelle et de l'étendue du préjudice en résultant.
En effet, les époux [T] ne démontrent pas que l'amortissement du second prêt, seul concerné par l'existence de deux paliers, aurait généré plus de 155 106,10 €, soit un coût global dont le flux est égalisé avec les sommes prêtées moyennant un TEG de 4,10 %.
En conséquence, les époux [T] seront déboutés de leur demande de ce chef.
Sur la demande tendant à voir déclarer recevables les prétentions tendant cumulativement à la nullité de la stipulation d'intérêts ainsi qu'à la déchéance de ceux-ci :
Si, pour les contrats souscrits postérieurement à l'entrée en vigueur de l'ordonnance n° 2019-740 du 17 juillet 2019, en cas de défaut de mention ou de mention erronée du taux effectif global dans un écrit constatant un acte de prêt, le prêteur n'encourt pas l'annulation de la stipulation de l'intérêt conventionnel, mais peut être déchu de son droit aux intérêts dans la proportion fixée par le juge, au regard notamment du préjudice subi par l'emprunteur, pour les contrats souscrits antérieurement à l'entrée en vigueur de l'ordonnance précitée, la loi ne prévoit pas de sanction expresse, exception faite de l'offre de prêt immobilier et du crédit à la consommation.
Afin de permettre au juge de prendre en considération la gravité du manquement commis par le prêteur et le préjudice subi par l'emprunteur, il apparaît justifié d'uniformiser le régime des sanctions et de juger qu'en cas d'omission du taux effectif global dans l'écrit constatant un contrat de prêt, comme en cas d'erreur affectant la mention de ce taux dans un tel écrit, le prêteur peut être déchu de son droit aux intérêts dans la proportion fixée par le juge (Cour de cassation, 1ère Civ., 10 juin 2020, Bull. 2020, I, pourvoi n° 18-24.287).
La nullité de la stipulation d'intérêts sollicitée, au motif que les TEG retenus dans ces contrats de prêt seraient erronés outre qu'elle concerne une offre de prêt immobilier qui était, en tout état de cause, déjà régie par les dispositions précitées de l'article L. 312-8 du code de la consommation, n'est, au regard de la seule sanction applicable en la cause, pas encourue, de sorte que Monsieur et Madame [T] seront déboutés de leur demande en nullité de la stipulation d'intérêts.
S'agissant de la demande de déchéance formulée par les époux [T], il convient de rappeler que selon l'article 9 du Code de procédure civile et 1353 du Code civil, la charge de la preuve de l'irrégularité du TEG incombe à l'emprunteur qui s'en prévaut, que le juge ne peut se fonder exclusivement sur une expertise non judiciaire réalisée à la demande de l'une des parties, qu'en l'espèce les consorts [T] n'ont pas établi que le TEG serait irrégulier, que c'est à tort que les appelants prétendent qu'aucune disposition ne comporte d'explication sur les paramètres retenus pour l'obtention des données.
En l'espèce, aucun élément du dossier ne permet de vérifier la pertinence des conclusions de l'analyse financière ainsi réalisée par Madame [R] et notamment son affirmation selon laquelle pour les emprunteurs, pour une valeur actuelle du capital identique, ils règlent un montant d'intérêts supérieurs à celui qu'ils auraient payés au prêteur, à échéances constantes.
Le grief relatif à l'intégration des assurances dans le calcul du TEG n'est plus soutenu dans les conclusions des parties appelantes.
Par ailleurs, les consorts [T] soutiennent ne pas avoir reçu une information complète, que leur consentement a été vicié, qu'un déséquilibre est établi, et que le montage mis en place leur était défavorable.
Or, la rubrique 4.2.2 de l'offre de prêt intitulée 'Coût du crédit' indique de manière très précise les conditions dans lesquelles le prêt a été consenti et les emprunteurs ne démontrent pas en quoi l'application des conditions de l'offre aboutirait à une augmentation déguisée du coût du crédit.
Il est ainsi démontré que les emprunteurs ont bien été informés du coût du crédit qui a été calculé conformément aux dispositions légales et contractuelles, et leur consentement ne peut être remis en cause.
Les époux [T] seront déboutés de leurs prétentions de ces chefs.
En conséquence, la décision entreprise sera confirmée et Monsieur et Madame [T] succombant, seront condamnés aux entiers dépens et leur demande fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile sera rejetée.
L'équité commande l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profite de la BANQUE CIC EST.
P A R C E S M O T I F S
La Cour,
Dit n'y avoir pas lieu à écarter des débats les pièces communiquées selon bordereau, par les parties appelantes,
Confirme le jugement rendu par le Tribunal de Grande Instance de Strasbourg, le 26 mars 2018,
Y Ajoutant,
Déboute les époux [T] de leur demande relative au caractère abusif des clauses contractuelles concernant les paliers d'amortissement,
Condamne in solidum Monsieur et Madame [T] aux entiers frais et dépens d'appel,
Condamner in solidum Monsieur et Madame [T] à payer à la BANQUE CIC EST une indemnité de 2 500 € pour la procédure d'appel en application de l'article 700 du code de procédure civile,
Rejette la demande présentée par les époux [T] en application de l'article 700 du code de procédure civile.
La Greffière :la Présidente :