MINUTE N° 22/719
NOTIFICATION :
Copie aux parties
Clause exécutoire aux :
- avocats
- parties non représentées
Le
Le Greffier
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE COLMAR
CHAMBRE SOCIALE - SECTION SB
ARRET DU 22 Septembre 2022
Numéro d'inscription au répertoire général : 4 SB N° RG 21/00407 - N° Portalis DBVW-V-B7F-HPHI
Décision déférée à la Cour : 23 Décembre 2020 par le Pôle social du Tribunal Judiciaire de STRASBOURG
APPELANTE :
URSSAF D'ALSACE
[Adresse 10]
[Localité 2]
Comparante en la personne de Mme [M] [E], munie d'un pouvoir
INTIMEE :
S.A.R.L. [4]
[Adresse 1]
[Localité 3]
ayant pour avocat plaidant la SELARL [6],
avocats au Barreau d'ANNECY et pour avocat postulant
Me Raphaël REINS, Avocat au Barreau de COLMAR
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 09 Juin 2022, en audience publique, devant la Cour composée de :
Mme FERMAUT, Magistrat honoraire, faisant fonction de Président de chambre,
Mme ARNOUX, Conseiller
Mme HERY, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : Mme WALLAERT, Greffier
ARRET :
- contradictoire
- prononcé par mise à disposition au greffe par Mme FERMAUT, Magistrat honoraire, faisant fonction de Président de chambre,
- signé par Mme FERMAUT, Magistrat honoraire, faisant fonction de Président de chambre et Mme WALLAERT, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
* * * * *
FAITS ET PROCÉDURE
Le 14 novembre 2014, la société de travail temporaire de droit bulgare « [8] » a fait l'objet d'un contrôle inopiné réalisé par l'URSSAF Rhône-Alpes sur le chantier « Les Jardins d'Héloïse » situé à [Localité 7] (74) au cours duquel il a été relevé que M. [K] [L] a été mis à disposition de la société [4], société utilisatrice domiciliée à [Localité 5] en France, au moins le 14 novembre 2014 sans avoir été déclaré à l'Urssaf et sans qu'il ne soit justifié de la production d'un certificat européen de détachement A1 pour ce salarié.
Par lettre d'observations du 17 juin 2016, l'URSSAF Rhône-Alpes a informé la société [4] de la mise en 'uvre de la solidarité financière prévue par les articles L8222-1 et suivants du code de la sécurité sociale et a notifié un redressement correspondant à la régularisation de cotisations et contributions sociales de 3.686 euros dues par la société [8] au titre du travail dissimulé, ainsi qu'une majoration de redressement complémentaire pour infraction de travail dissimulé de 922 euros, outre les pénalités et les majorations de retard.
L'ensemble des cotisations de sécurité sociale, augmenté de la majoration de redressement complémentaire pour infraction de travail dissimulé ainsi que des majorations et pénalités de retard, a été réclamé par une mise en demeure établie par le sous-directeur de l'URSSAF d'Alsace le 20 septembre 2017 et reçue le 22 septembre 2017 pour un montant total de 5.264 euros.
La société [4] a saisi la commission de recours amiable de l'URSSAF d'Alsace d'une requête en contestation de cette décision, puis a formé, par courrier du 15 juin 2018, un recours devant le tribunal des affaires de sécurité sociale (TASS) du Bas-Rhin en contestation de la décision de rejet de la commission du 12 mars 2018.
Vu l'appel interjeté par l'URSSAF d'Alsace le 18 janvier 2021 à l'encontre du jugement du 23 décembre 2020 rendu par le pôle social du tribunal judiciaire de Strasbourg, remplaçant le TASS, qui, dans l'instance opposant l'URSSAF d'Alsace à la société [4], après avoir déclaré le recours recevable, a annulé la mise en demeure du 22 septembre 2017 et le redressement afférent, a annulé la décision de la commission de recours amiable du 12 mars 2018, a débouté l'URSSAF de toutes ses demandes et a condamné cette dernière aux dépens ;
Vu les conclusions visées le 30 décembre 2021, reprises oralement à l'audience, aux termes desquelles l'URSSAF d'Alsace demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris, de constater la régularité de la procédure, d'entériner la décision rendue par la commission de recours amiable lors de sa séance du 12 mars 2018, de valider la mise en demeure du 20 septembre 2017 pour un montant total de 5.264 euros, de condamner à titre reconventionnel la société [4] à lui régler cette somme, de rejeter la demande de la société intimée relative à sa demande de condamnation de la partie adverse au paiement d'une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile et de rejeter toute autre demande de la société [4] ;
Vu les conclusions visées le 25 mai 2022, reprises oralement à l'audience, aux termes desquelles la société [4] demande à la cour de confirmer le jugement déféré et de condamner l'URSSAF d'Alsace aux entiers dépens ainsi qu'à lui verser la somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Vu le dossier de la procédure, les pièces versées aux débats et les conclusions des parties auxquelles il est référé, en application de l'article 455 du code de procédure civile, pour l'exposé de leurs moyens et prétentions ;
MOTIFS
Interjeté dans les forme et délai légaux, l'appel est recevable.
Sur la régularité de la procédure de mise en 'uvre de la solidarité financière du donneur d'ordre
Sans qu'il soit utile de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, la cour constate que les demandes de l'URSSAF sont fondées sur les dispositions de l'article L8222-2 du code du travail et visent à la mise en 'uvre de la solidarité financière du donneur d'ordre avec la société [8] établie à l'étranger.
Il convient de rappeler que la mise en 'uvre de la solidarité financière du donneur d'ordre qui a méconnu son obligation de vigilance mise à sa charge en application des dispositions de l'article L8222-1 du même code est subordonnée à la réunion de trois conditions cumulatives : le constat par procès-verbal d'une infraction de travail dissimulé, l'existence de relations contractuelles entre le donneur d'ordre et son co-contractant auteur du travail dissimulé et un montant de la prestation égal ou supérieur au seuil prévu par le texte.
Il est jugé de manière constante que les agents de contrôle assermentés de l'organisme de recouvrement ont pour seule obligation, avant la décision de redressement, d'exécuter les formalités assurant le respect du principe de la contradiction par l'envoi de la lettre d'observations, sans être tenus de joindre à celle-ci le procès-verbal constatant le délit, cependant que le juge peut toujours ordonner la production pour lever le doute invoqué par le donneur d'ordre poursuivi.
Si aucun texte spécial n'oblige en la matière l'URSSAF à produire devant la juridiction sociale le procès-verbal de travail dissimulé, la Cour de cassation a néanmoins considéré, eu égard à la décision n°2015-479 QPC rendu par le Conseil constitutionnel le 31 juillet 2015, que l'organisme de recouvrement est tenu de produire ce procès-verbal devant la juridiction de sécurité sociale en cas de contestation par le donneur d'ordre de l'existence ou du contenu de ce document.
En l'espèce, ne sont pas discutées les deux conditions relatives, d'une part à l'existence de relations contractuelles entre le donneur d'ordre (la société intimée) et l'auteur du travail dissimulé (la société [8]) et, d'autre part, au montant de la prestation égal ou supérieur au seuil prévu par le texte (3.000 euros en 2014 ; article R8222-1 du code du travail).
Concernant l'exigence de la constatation du délit de travail dissimulé par procès-verbal, les premiers juges ont procédé à l'annulation du redressement litigieux au motif que l'URSSAF a refusé de verser aux débats, malgré la demande de la société [4], le procès-verbal constatant l'infraction de travail dissimulé, préalable à la mise en 'uvre de la solidarité financière du donneur d'ordre, en violation du principe du contradictoire.
L'URSSAF d'Alsace est cependant fondée à solliciter la réformation du jugement entrepris.
En effet, elle produit à hauteur d'appel et en annexe n°5 le procès-verbal de travail dissimulé n°201500372 dressé le 14 novembre 2014 par les inspecteurs du recouvrement de l'URSSAF Rhône-Alpes à l'encontre du sous-traitant de la société [4], la société [8], et met ainsi en mesure la partie adverse de discuter de son existence et de sa portée dans la mise en 'uvre de la solidarité financière du donneur d'ordre.
Ce procès-verbal a été dressé à l'encontre de la société [8] au titre de l'infraction de travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié relevée par défaut de DPAE (déclaration préalable à l'embauche) au moins le 14 novembre 2014 concernant un salarié mis à disposition de la société intimée et pour défaut de souscription auprès des organismes de recouvrement des cotisations et contributions sociales des déclarations relatives aux salaires au moins pour le troisième trimestre 2014.
Ni les dispositions de l'article L8222-1 du code du travail précité, ni les dispositions de l'article R243-59 du code de la sécurité sociale, n'exigent que la lettre d'observations adressée au donneur d'ordre dans la mise en 'uvre de sa solidarité financière mentionne expressément la référence du procès-verbal de travail dissimulé dressé à l'encontre du sous-traitant. Ce dernier doit néanmoins être produit par l'Urssaf en cas de contestation et les mentions doivent être en concordance avec la lettre d'observations envoyée au donneur d'ordre dans le cadre de la mise en 'uvre de la solidarité financière.
Au cas d'espèce, la condition relative à l'établissement préalable d'un procès-verbal de travail dissimulé à l'encontre de la société [8], lequel est concordant avec la lettre d'observations adressée à la société [4], est rapportée par l'URSSAF.
Si les annexes au procès-verbal n'ont pas été versées aux débats dans le cadre de la présente instance, les éléments renseignés par les inspecteurs du recouvrement dans le procès-verbal de travail dissimulé permettent à la société [4] de connaître la nature de l'infraction relevée, la période concernée par l'infraction, le chiffrage du redressement retenu à l'encontre de la société [8], et l'assiette des cotisations en ce qu'il est expressément mentionné l'application du redressement forfaitaire prévu à l'article L242-1-2 du code de la sécurité sociale ainsi qu'à la majoration de redressement conformément à l'article L243-7-7 du même code.
Contrairement aux allégations de la société intimée, la lettre d'observations du 17 juin 2016 ne fait pas seulement état, comme base du redressement, de la procédure contre la société [8].
Ce document indique, avec suffisamment de précision, non seulement le fondement de l'infraction de travail dissimulé qui résulte du défaut de production du certificat A1 d'un salarié embauché par la société [8] est, dont l'activité a été effectuée au profit de la société [4] en novembre 2014, mais encore l'absence de justification de la remise d'un tel certificat à cette dernière par la société établie à l'étranger, en méconnaissance des dispositions de l'article D8222-7, 1°, b, du code du travail.
De plus, cette lettre d'observations mentionne les fondements juridiques relatifs à la mise en 'uvre de la solidarité financière du donneur d'ordre, le montant des cotisations appelées par l'URSSAF à l'égard de la société [8], l'année 2014 concernée par le redressement, les modalités de calcul appliquées ainsi que le délai de trente jours ouvert à la société [4] pour faire connaître ses éventuelles observations.
Dans ces conditions, la société [4] a été en mesure de connaître la nature, la cause et l'étendue de son obligation.
Il résulte de l'ensemble de ces éléments que la lettre d'observations de l'URSSAF, adressée à la société [4] en qualité de donneur d'ordre ayant eu recours aux services de la société [8] sans s'être fait remettre un document attestant de la régularité de la situation sociale du cocontractant établi à l'étranger, a permis d'assurer le caractère contradictoire du contrôle et la garantie des droits de la défense à l'égard du donneur d'ordre dont la solidarité financière est recherchée.
Encore convient-il de rappeler que, conformément aux dispositions de l'article L8222-2 du code du travail, l'existence de sanctions pénales à l'égard du sous-traitant en situation de travail dissimulé n'est pas nécessaire pour engager la solidarité financière du donneur d'ordre qui n'a pas respecté son obligation de vigilance.
Enfin, s'agissant d'une lettre d'observations qui concerne uniquement la mise en 'uvre de la solidarité financière prévue aux articles L8222-1 et suivants du code du travail, il convient de rappeler que le redressement a pour objet exclusif le recouvrement des cotisations afférentes à l'emploi salarié dissimulé, sans qu'il soit nécessaire d'établir l'intention frauduleuse de l'employeur ou du donneur d'ordre et que les dispositions précitées ont pour objet de sanctionner le donneur d'ordre défaillant.
Du tout, la cour regrettant la tardiveté de la communication du procès-verbal d'infraction de travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié par l'URSSAF d'Alsace à la société [4] considère que la procédure de mise en 'uvre de la solidarité financière du donneur d'ordre est régulière.
Sur le bien-fondé du redressement et le montant du redressement
Aux termes de l'article D8222-7, 1°, b), du code du travail, la personne qui contracte, lorsqu'elle n'est pas un particulier répondant aux conditions fixées par l'article D8222-6, est considérée comme ayant procédé aux vérifications imposées par l'article L8222-4 si elle se fait remettre par son cocontractant établi ou domicilié à l'étranger, lors de la conclusion du contrat et tous les six mois jusqu'à la fin de son exécution, dans tous les cas, un document attestant de la régularité de la situation sociale du cocontractant au regard du règlement (CE) n°883/2004 du 29 avril 2004 ou d'une convention internationale de sécurité sociale et, lorsque la législation du pays de domiciliation le prévoit, un document émanant de l'organisme gérant le régime social obligatoire et mentionnant que le cocontractant est à jour de ses déclarations sociales et du paiement des cotisations afférentes, ou un document équivalent ou, à défaut, une attestation de fourniture des déclarations sociales et de paiement des cotisations et contributions de sécurité sociale prévue à l'article L243-15 du code de la sécurité sociale. Dans ce dernier cas, elle doit s'assurer de l'authenticité de cette attestation auprès de l'organisme chargé du recouvrement des cotisations et contributions sociales.
La société intimée verse aux débats (pièce n°3 de l'intimée) un certificat établi par la direction territoriale de [Localité 9], en Bulgarie, mentionnant l'absence d'obligations de la société [8] conformément aux dispositions du code de procédure fiscale et de sécurité sociale bulgare.
Elle n'a cependant produit à l'URSSAF aucun document attestant de la régularité de la situation sociale du cocontractant au regard du règlement (CE) n°883/2004 du 29 avril 2004, précisément de certificat A1, alors qu'il résulte de ses propres conclusions que M. [L] demeurait soumis à la législation de sécurité sociale bulgare.
Enfin, s'agissant du montant de 3.686 euros redressé au principal, la cour a déjà eu l'occasion de constater qu'il a été calculé les cotisations et contributions sociales sur une assiette constituée par l'évaluation forfaitaire de l'article L242-1-2 du code de la sécurité sociale dans sa rédaction applicable au litige. Aucune preuve contraire des rémunérations versées à M. [L] n'est rapportée par la société intimée.
La société [4] ne faisant valoir aucun élément de nature à remettre en cause le calcul et le bien fondé du redressement litigieux, celui-ci ainsi que la mise en demeure du 20 septembre 2017 sont validés pour un montant total de 5.264 euros par voie d'infirmation du jugement entrepris et la cour condamne reconventionnellement la société [4], en l'absence de tout paiement intervenu, à régler à l'URSSAF la somme de 5.264 euros.
La décision rendue par la commission de recours amiable lors de sa séance du 12 mars 2018 est confirmée.
La société [4] est déboutée de toutes ses demandes, dont celle en cause d'appel fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.
Partie qui succombe, elle est condamnée aux entiers dépens de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS
LA COUR, statuant par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire, en dernier ressort, après en avoir délibéré conformément à la Loi,
DECLARE l'appel recevable ;
INFIRME le jugement du pôle social du tribunal judiciaire de Strasbourg du 23 décembre 2020 en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
VALIDE le redressement opéré par l'URSSAF d'Alsace au titre de la mise en 'uvre de la solidarité financière de la société [4] par la lettre d'observations du 17 juin 2016 ;
VALIDE la mise en demeure du 20 septembre 2017 pour un montant total de 5.264 euros (cinq mille deux cent soixante-quatre) euros ;
CONFIRME décision rendue par la commission de recours amiable lors de sa séance du 12 mars 2018 ;
CONDAMNE la société [4] à payer à l'URSSAF d'Alsace la somme de 5.264 (cinq mille deux cent soixante-quatre) euros ;
DEBOUTE la société [4] de l'intégralité de ses demandes ;
CONDAMNE la société [4] aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Le Greffier,Le Président,