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30/08/2022 | FRANCE | N°21/01429

France | France, Cour d'appel de Colmar, Chambre 5 b, 30 août 2022, 21/01429


Chambre 5 B



N° RG 21/01429



N° Portalis DBVW-V-B7F-HQ52









MINUTE N°





































































Copie exécutoire à



- Me Joseph WETZEL

- Me Patricia CHEVALLIER-GASCHY





Le



Le Greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE COLMAR

CINQUIEME CHAMBRE CIVILE



ARRET DU 30 Août 2022





Décision déférée à la Cour : 05 Février 2021 par le JUGE AUX AFFAIRES FAMILIALES DE [Localité 6]





APPELANTE :



Madame [A] [G] [V] divorcée [W]

née le 11 Juillet 1970 à [Localité 5] ([Localité 5])

de nationalité française

[Adresse 1]

[Localité 3]



Représent...

Chambre 5 B

N° RG 21/01429

N° Portalis DBVW-V-B7F-HQ52

MINUTE N°

Copie exécutoire à

- Me Joseph WETZEL

- Me Patricia CHEVALLIER-GASCHY

Le

Le Greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE COLMAR

CINQUIEME CHAMBRE CIVILE

ARRET DU 30 Août 2022

Décision déférée à la Cour : 05 Février 2021 par le JUGE AUX AFFAIRES FAMILIALES DE [Localité 6]

APPELANTE :

Madame [A] [G] [V] divorcée [W]

née le 11 Juillet 1970 à [Localité 5] ([Localité 5])

de nationalité française

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me LEPINAY remplaçant Me Joseph WETZEL, avocats à la cour,

INTIMÉ :

Monsieur [O] [W]

né le 13 Mars 1968 à [Localité 6] ([Localité 6])

de nationalité française

[Adresse 4]

[Localité 2]

Représenté par Me Patricia CHEVALLIER-GASCHY, avocat à la cour,

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 28 Juin 2022, en Chambre du Conseil, devant la Cour composée de :

Mme HERBO, Président de chambre,

Mme KERIHUEL, Conseiller,

M. BARRE, Vice Président placé, faisant fonction de Conseiller,

qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Mme Lorine FLEURET,

ARRET :

- Contradictoire

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.

- signé par Mme Karine HERBO, président et Mme Linda MASSON, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE :

Mme [A] [V] et M. [O] [W] se sont mariés le 2 juillet 1994 devant l'officier de l'état-civil de la commune de Soultz, en ayant au préalable conclu un contrat de mariage reçu le 20 juin 1994, par Me [L], notaire à [Localité 6], portant adoption du régime de la communauté de biens réduite aux acquêts.

De cette union, est issue [Z] [W], née le 1er août 2000 à Colmar.

A la suite de la requête en divorce déposée, le 25 novembre 2011, par Mme [A] [V], le juge aux affaires familiales, par ordonnance de non-conciliation contradictoire du 24 mai 2012, a, notamment, décidé au titre des mesures provisoires de :

- attribuer la jouissance du domicile conjugal à Mme [A] [V] ;

- fixer la pension alimentaire au titre du devoir de secours due par M. [O] [W] à son épouse à la somme de 800 euros par mois, avec indexation.

Par jugement du 21 juillet 2014, la juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Mulhouse a prononcé le divorce des époux et a :

- constaté que l'ordonnance de non-conciliation est en date du 24 mai 2012 ;

- constaté la révocation des donations et avantages matrimoniaux que M. [O] [W] et Mme [A] [V] ont pu, le cas échéant, se consentir ;

- ordonné la liquidation et le partage des intérêts patrimoniaux de M. [O] [W] et Mme [A] [V] ;

- condamné M. [O] [W] à verser à Mme [A] [V] la somme de 60000 euros à titre de prestation compensatoire ;

- condamné M. [O] [W] à verser à Mme [A] [V] la somme de 600 euros par mois à titre de contribution à l'entretien et l'éducation de l'enfant, avec indexation.

Le jugement est définitif selon certificat de non appel du 26 août 2014.

Par ordonnance du 26 septembre 2017, le tribunal d'instance de Mulhouse a ordonné l'ouverture de la procédure de partage judiciaire de la communauté de biens existant entre les époux divorcés M. [O] [W] et Mme [A] [V] et renvoyé les parties devant Me [I], notaire à Mulhouse désigné en qualité de notaire commis au partage.

Me [I] a dressé un procès-verbal de difficultés le 9 juillet 2018 et renvoyé les parties à se pourvoir.

Par assignation délivrée le 24 avril 2019, Mme [A] [V] a saisi le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Mulhouse aux fins de liquidation et partage des intérêts patrimoniaux des époux.

Dans ses dernières conclusions déposées le 4 novembre 2020, Mme [A] [V] a demandé de :

- dire que la somme de 70 000 euros ayant fait l'objet d'une déclaration de don manuel le 15 juillet 2009 est une donation de ses parents à elle-même ;

- constater que M. [O] [W] s'est approprié cette somme ;

- dire qu'elle dispose d'une créance de 70 000 euros à l'encontre de M. [O] [W] résultant de cette donation ;

- réserver ses droits concernant les comptes bancaires après obtention d'un renseignement of'ciel auprès de FICOBA ;

- ordonner le renvoi devant le notaire aux fins de convoquer les parties et rédiger l'acte de partage sur la base du jugement à intervenir ;

- condamner M. [O] [W] à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en sus des entiers frais et dépens ;

- ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir.

Dans ses dernières conclusions déposées le 9 novembre 2020, M. [O] [W] a demandé de :

- à titre principal, débouter Mme [A] [V] de l'intégralité de ses fins et conclusions ;

- à titre très subsidiaire, dire que le montant pouvant éventuellement être revendiqué est de 20 000 euros et débouter Mme [A] [V] du surplus de ses demandes ;

- en tout état de cause, condamner Mme [A] [V] aux entiers frais et dépens de la procédure ainsi qu'au paiement d'une somme de 3 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et rappeler que le jugement est exécutoire par provision.

Par jugement du 5 février 2021, la juge aux affaires familiales du tribunal judiciaire de Mulhouse a :

- dit que la somme de 70 000 euros a été versée à la communauté [W]-[V] ;

- débouté Mme [A] [V] de sa demande de renseignement officiel ;

- renvoyé les parties devant Me [I], notaire à [Localité 6], aux fins de rédaction de l'acte de partage définitif ;

- ordonné l'exécution provisoire ;

- condamné Mme [A] [V] à verser à M. [O] [W] la somme de 700 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné Mme [A] [V] aux entiers dépens de l'instance.

La juge aux affaires familiales, en application des dispositions des articles 1402 et 1405 du code civil, a rappelé qu'il résulte d'une jurisprudence constante que sous le régime de la communauté, sauf preuve contraire, les deniers déposés sur les comptes bancaires d'un époux sont présumés, dans les rapports entre conjoints, être des acquêts et que la nature de propre des fonds provenant du compte de l'épouse versée sur le compte de l'époux ne peut être déduite du seul fait qu'ils provenaient d'un compte personnel.

Elle a exposé que M. et Mme [Y] [V] ont remis le 8 novembre 2008 à leur fille Mme [A] [V] alors mariée à M. [O] [W] un chèque de 70 000 euros libellé à son seul nom, qu'ils ont déclaré ce don à l'administration fiscale, Mme [A] [V] étant mentionnée comme donataire et que celle-ci a encaissé cette somme sur son compte « propre » le 12 novembre 2008, considérant qu'elle ne rapportait pas la preuve d'un faux et usage de faux consistant pour M. [O] [W] d'imiter sa signature lors de l'encaissement du chèque. Elle a indiqué que le 18 novembre 2008, trois virements ont été opérés de ce compte vers deux comptes de M. [O] [W] pour des sommes de 2 997 euros, 15 300 euros et 36 400 euros et que le 19 novembre 2008, un virement de 15 300 euros a été effectué de ce compte vers un compte dont le titulaire n'est pas identifiable sur l'extrait bancaire produit. Elle a mentionné un courrier des parents de Mme [A] [V] adressé à M. [O] [W] évoquant l'aide de 70 000 euros apportée par eux. Elle a rappelé qu'il est constant que depuis 2006, les époux n'avaient plus de compte joint et que M. [O] [W] n'avait pas de procuration sur les comptes de son épouse.

Elle a estimé qu'il résultait de manière claire du courrier des époux [V] du 15 février 2016 que ces derniers ont entendu faire un don au couple donc à la communauté et non pas à leur seule fille en indiquant « vous aider en vous faisant don de 70 000 euros » alors qu'ils auraient pu mentionner « vous aider en faisant don de 70 000 euros à [A] [G] » et que le fait que le chèque ne soit libellé qu'à l'ordre de Mme [A] [V] résulte de l'absence de compte joint. Elle a considéré que la régularisation rétroactive auprès des services fiscaux du don manuel faisant apparaître Mme [A] [V] comme seule donataire peut résulter soit des difficultés apparues dans le couple à cette période soit des conséquences fiscales d'une donation à un tiers, en l'espèce M. [O] [W] qui ne pouvait bénéficier de l'abattement.

En application des dispositions de l'article 11 alinéa 2 du code de procédure civile, elle a rappelé que la production de tous documents détenus par un tiers ne peut être ordonnée que si elle est justifiée et nécessaire à la solution du litige et considéré que les parties avaient déjà sollicité que le notaire interroge la BNP PARIBAS relativement au compte litigieux qui aurait été ouvert par M. [O] [W].

Par déclaration déposée au greffe le 2 mars 2021, Mme [A] [V] a interjeté appel afin d'obtenir l'annulation du jugement, subsidiairement son infirmation ou sa réformation en ce qu'il a dit que la somme de 70 000 euros a été versée à la communauté [W]-[V], l'a déboutée de sa demande de renseignement officiel, a renvoyé les parties devant Me [I], notaire à [Localité 6], aux fins de rédaction de l'acte de partage définitif, a ordonné l'exécution provisoire de la décision et l'a condamnée à payer à M. [O] [W] la somme de 700 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'au paiement des dépens de l'instance.

Dans ses dernières conclusions déposées le 3 février 2022, Mme [A] [V] a demandé à la cour d'appel de :

- recevoir l'appel et le déclarer bien fondé ;

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit que la somme de 70 000 euros a été versée à la communauté [W]-[V] et en ce qu'il l'a condamnée à payer à M. [O] [W] la somme de 700 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'au paiement des dépens de l'instance ;

statuant à nouveau,

- déclarer recevable et bien fondée sa demande ;

- dire et juger que la somme de 70 000 euros ayant fait l'objet d'une déclaration de don manuel du 15 juillet 2009 constitue une donation manuelle à son profit de ses parents ;

- constater que M. [O] [W] s'est approprié cette somme ;

- dire et juger qu'elle dispose d'une créance de 70 000 euros à l'encontre de M. [O] [W] résultant de cette donation ;

- ordonner le renvoi du dossier à Mes [K] et [I] aux fins de convoquer les parties et rédiger l'acte de partage sur la base de l'arrêt à intervenir ;

- condamner M. [O] [W] à payer la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour les deux instances ;

- condamner M. [O] [W] aux dépens des deux instances.

Mme [A] [V] expose que l'actif de la communauté ne comportait pas d'immeuble et que les époux disposaient de comptes bancaires nominatifs à compter de 2006.

Elle relate que le 5 juillet 2006, M. [O] [W] avait déposé une requête en divorce après avoir quitté le domicile conjugal, la procédure faisant l'objet d'une radiation le 20 novembre 2006.

Après la réconciliation des parties, elle avance que M. [O] [W] lui a demandé de suggérer à ses parents de vendre le bien immobilier qui constituait le domicile conjugal du couple afin qu'ils lui fassent une donation, leur permettant d'acquérir une maison. Elle indique que la vente a été conclue le 6 août 2008.

Elle explique le 8 novembre 2008, ses parents lui ont fait don d'une somme de 70 000 euros par chèque du même jour, qu'elle a encaissé sur son compte propre le 12 novembre 2008, mais que M. [O] [W] a pris l'initiative de virer ce montant sur son compte selon quatre opérations du 18 novembre 2008. Elle précise que le don a fait l'objet d'une déclaration le 15 juillet 2009.

Elle ajoute que l'acquisition du bien immobilier ne s'est pas faite et que M. [O] [W] a de nouveau quitté le domicile conjugal.

Elle rappelle les dispositions de l'article 1405 alinéa 1 du code civil et les termes du contrat de mariage selon lesquelles « seront exclus de la communauté et appartiendront en propre à chaque époux les biens meubles et immeubles que chacun d'eux possédera au jour du mariage et ceux qui pourront lui advenir par la suite par succession, donation ou legs, et plus généralement les biens dont le caractère propre résulte d'une disposition de la loi ».

Evoquant l'écrit de ses parents du 15 février 2016, elle soutient que le fait que ce versement de 70 000 euros avait pour but d'aider la communauté pour l'acquisition d'un immeuble ne signifie pas pour autant que le don ne puisse être considéré comme fait à elle et qu'un tel don aurait exclu une déclaration de remploi.

Elle avance qu'il résulte du courrier du 15 février 2016 que le don devait permettre l'acquisition par la communauté d'un immeuble, achat qui n'a pas été réalisé par la seule volonté de M. [O] [W] et que la cause du don a disparu.

Elle ajoute que M. [O] [W] n'a jamais expliqué les raisons qui l'ont conduit à virer la somme de 70 000 euros sur son compte en quatre versements le même jour. Elle considère que la remise par ses parents d'un chèque d'un montant de 70 000 euros constitue bien un don fait à elle et que son montant constitue donc un propre.

Elle estime que pour comprendre le courrier du 15 février 2016 de ses parents, il est nécessaire de se placer dans le contexte d'alors et de prendre en compte l'ensemble de l'écrit. Elle réfute l'argumentation du premier juge quant à la réalisation de la déclaration aux services fiscaux, qui demeure hypothétique alors que le libellé du chèque et de ladite déclaration sont sans ambiguïté. Elle observe que la preuve que l'argent aurait servi à la communauté n'est pas rapportée.

Elle considère que le décompte manuscrit produit par M. [O] [W] relativement aux dépenses qu'il aurait prises en charge n'est pas l'objet du débat et démontre qu'il cherche à récupérer malhonnêtement ce qu'il pense lui revenir.

Dans ses dernières conclusions déposées le 24 février 2022, M. [O] [W] a demandé à la cour d'appel de :

- déclarer l'appel de Mme [A] [V] mal fondé ;

- le rejeter ;

- confirmer le jugement entrepris au besoin par substitution de motifs ;

- débouter Mme [A] [V] de l'ensemble de ses fins et conclusions ;

- la condamner aux entiers frais et dépens ainsi qu'à une indemnité de 2 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

M. [O] [W] explique que les parties avaient réalisé, dans l'appartement propriété des parents de Mme [A] [V] et occupé par elles, d'importants travaux d'installation de cuisine, de changement de la salle de bains, de peintures et qu'à la vente du bien en 2008, les parents de l'appelante ont entendu gratifier la communauté à hauteur de 70 000 euros, la valeur du bien ayant été augmentée en raison des aménagements. Il ajoute que les parties n'ayant pas de compte joint, le chèque a été établi au nom de Mme [A] [V].

Il réfute être entré en possession de cette somme de 70 000 euros, exposant que Mme [A] [V] a placé la somme de 15 300 euros et qu'une somme de 20 000 euros a servi à rembourser l'acquisition d'un véhicule à 19 000 euros, un ancien véhicule ayant été donné pour reprise pour la somme de 4 000 euros et le solde payé par lui à titre d'avance.

Il dément avoir procédé lui-même aux quatre virements depuis le compte de Mme [A] [V], avançant qu'il ne possédait pas de procuration sur ce compte.

Il soutient que Mme [A] [V] ne rapporte pas la preuve que la somme de 70 000 euros devait être consacrée à l'acquisition d'un bien immobilier.

Il expose que le chèque ne pouvait être établi au nom des deux époux à défaut de détention d'un compte joint et que les donataires ont ainsi naturellement établi le chèque au nom de leur fille, elle seule pouvant dès lors l'encaisser.

Il avance que les opérations subséquentes à ce dépôt établissent que la somme était destinée aux deux époux, Mme [A] [V] a ainsi investi la somme de 15 300 euros sur le marché financier, il a payé le véhicule Renault Mégane conduit par Mme [A] [V] pour la somme de 19 000 euros. Il reconnaît qu'un virement de 36 400 euros a été émis et explique que cette somme a servi au règlement des vacances de la famille à Saint-Domingue en août 2008 pour 5 000 euros, à Limone en mai 2009 pour 1 200 euros, en Turquie en août 2009 pour 4 000 euros et aux séjours de Mme [A] [V] et leur fille en Espagne à l'été 2010 pour 3 700 euros et aux Baléares en 2011 pour 3 800 euros. Il ajoute qu'après la séparation du couple en 2009, il a continué de régler les loyers de Mme [A] [V] jusqu'en 2012 ce qui représente une somme de 34 000 euros outre les taxes d'habitation et les factures énergétiques.

Il soutient qu'il résulte incontestablement du courrier des parents de Mme [A] [V] que la somme de 70 000 euros a été donnée au couple, relevant qu'il a été établi plusieurs années après la séparation des époux et un an et demi après le prononcé du divorce ce qui permet de retenir la qualification adoptée spontanément par les donataires. Il ajoute que la déclaration de don manuel a été établie 8 mois après le don, pour des motivations fiscales et alors que les relations au sein du couple formé par les parties étaient tendues.

En application des dispositions de l'article 1402 du code civil, il souligne que Mme [A] [V] est défaillante dans la charge de la preuve du caractère propre de la somme.

A titre subsidiaire, si la somme de 70 000 euros est considérée comme ayant été donnée à Mme [A] [V] seule, il avance que celle-ci est redevable d'une récompense à la communauté sur le fondement des dispositions des articles 1468 et 1469 du code civil.

Il expose ainsi que Mme [A] [V] a affecté un montant de 15 300 euros à un investissement financier dont elle bénéficie seule. Il rappelle que 15 000 euros ont servi à l'acquisition du véhicule conservé par Mme [A] [V], par remboursement de la somme qu'il avait avancée et le reste aux besoins de la communauté. Il estime ainsi qu'aucune somme ne peut être réclamée, le profit subsistant étant inexistant.

La clôture de la procédure a été prononcée le 10 mars 2022 et l'affaire a été fixée à l'audience de plaidoirie du 28 juin 2022.

L'affaire a été mise en délibéré au 30 août 2022.

MOTIFS DE LA DECISION :

La nature propre, indivise ou commune d'un bien se détermine au moment de son acquisition, les événements postérieurs, n'ayant aucune influence sur cette qualification.

L'article 1402 du code civil dispose que tout bien, meuble ou immeuble, est réputé acquêt de communauté si l'on ne prouve qu'il est propre à l'un des époux par application d'une disposition de la loi.

Si le bien est de ceux qui ne portent pas en eux-mêmes preuve ou marque de leur origine, la propriété personnelle de l'époux, si elle est contestée, devra être établie par écrit. A défaut d'inventaire ou autre preuve préconstituée, le juge pourra prendre en considération tous écrits, notamment titres de famille, registres et papiers domestiques, ainsi que documents de banque et factures. Il pourra même admettre la preuve par témoignage ou présomption, s'il constate qu'un époux a été dans l'impossibilité matérielle ou morale de se procurer un écrit.

L'article 1405 du même code énonce que restent propres les biens dont les époux avaient la propriété ou la possession au jour de la célébration du mariage, ou qu'ils acquièrent, pendant le mariage, par succession, donation ou legs.

La libéralité peut stipuler que les biens qui en font l'objet appartiendront à la communauté. Les biens tombent en communauté, sauf stipulation contraire, quand la libéralité est faite aux deux époux conjointement.

Les règles de l'article 1405 du code civil constituent des dispositions de la loi au sens de l'article 1402 du même code permettant de combattre la présomption de communauté.

Les dispositions de l'article 1405 alinéa 2 posent une présomption de communauté lorsque la libéralité est faite aux deux époux conjointement et a contrario une présomption de caractère propre lorsque la donation est faite à l'un des époux.

En l'espèce, M. ou Mme [V] [Y] ont établi un chèque de 70 000 euros, le 8 novembre 2008, libellé au seul nom de Mme [M] [W].

Aucune stipulation du chèque ne permet de considérer que le don a été fait aux deux conjoints, la circonstance de l'absence de compte joint au nom des époux [W] n'étant pas de nature à interpréter différemment le libellé du chèque. Il appartient donc à M. [O] [W] de rapporter la preuve que le don a été fait aux deux époux conjointement.

Le 15 juillet 2009, Mme [A] [V] a déclaré le bénéfice de ce don auprès des services fiscaux, qui l'ont enregistré le 24 juillet 2009. Cette déclaration ayant été établie par Mme [A] [V], elle-même, elle n'apporte aucun élément de preuve quant à l'intention des donateurs.

Par courrier adressé à M. [O] [W], intitulé «relance de prêt impayé 70 000 euros», daté du 15 février 2016, M. et Mme [V] écrivent « à ce jour, malgré nos précédentes réclamations, vous restez redevable de la somme de 70 000 euros » ainsi que « Après plusieurs discutions (sic) avec madame [M] [W], encore votre épouse à l'époque, ses parents ont cédé et ont pris la décision de vous aider en vous faisant don de 70 000 euros.

Le 8 novembre 2008, monsieur et madame [V] ont fait un chèque de 70 000 euros au nom de leur fille avec une déclaration de don manuel le 15 juillet 2009, aux services des impôts de [Localité 5].

Le 12 novembre, vous êtes allé vous-mêmes (sic) déposer ce chèque sur le compte de madame [W], votre épouse. Mais, à son grand étonnement, ce chèque n'est pas resté longtemps sur son compte car vous avez dispatché le montant sur cinq autres comptes différents et annulé votre compte personnel qui contenait 6 400 euros.

Cette man'uvre n'a pas échappé à la vigilance de M. et Mme [V] qui vous ont téléphoné pour vous réclamer leur dû mais vous avez esquivé leur réclamation très adroitement, cherchant a (sic) les duper en répondant que le divorce est terminé et que tout est réglé.

Vous avez ajouté par ailleurs que [M] vous a donné la moitié et que vous êtes partis en vacances avec 6 000 euros et que vous lui avez laissé la voiture, qu'il n'y a plus de partage, que vous ne voulez plus rien savoir des avocats et qu'il n'y a plus d'argent. »

Il résulte de cet écrit que M. et Mme [Y] [V] évoquent tant un prêt qu'un don de la somme de 70 000 euros et qu'ils réclament à M. [O] [W] le remboursement des fonds tout en mentionnant un don de Mme [A] [V] à M. [O] [W], de la moitié de la somme.

Dans un second écrit daté du 31 mars 2016, M. et Mme [Y] [V] sollicitent de nouveau auprès de M. [O] [W] le remboursement du prêt de la somme de 70 000 euros.

Les écrits des époux [V] sont équivoques et ne permettent pas de caractériser une volonté claire de faire don de la somme de 70 000 euros à Mme [A] [V] et M. [O] [W] conjointement, de nature à contrer la présomption de donation à Mme [A] [V], elle seule, établie par le libellé du chèque.

En conséquence, il sera considéré que la somme de 70 000 euros versée par Mme [A] [V] sur son compte personnel, le 12 novembre 2008, provient d'une donation de ses parents et constitue donc un propre.

Le jugement de la juge aux affaires familiales du tribunal judiciaire de Colmar du 5 février 2021 sera donc infirmé en ce qu'il a dit que la somme de 70 000 euros a été versée à la communauté [W]-[V].

L'article 1467 alinéa 1 du code civil énonce que la communauté dissoute, chacun des époux reprend ceux des biens qui n'étaient point entrés en communauté, s'ils existent en nature, ou les biens qui y ont été subrogés.

Le procès-verbal de difficulté de Me [I] ne mentionne pas le solde des comptes ouverts au nom des époux au jour de la dissolution de la communauté.

Le chèque de 70 000 euros a été déposé sur le compte ouvert au nom de Mme [A] [V] le 12 novembre 2008. Alors que le compte était créditeur de la somme de 309,66 euros avant cette opération, le 18 novembre 2008 ont été émis quatre virements bancaires au profit de M. [O] [W], pour un total de 54 700 euros soit 3 euros, 2 997 euros, 15 300 euros et 36 400 euros et le 19 novembre 2008, a été passée une opération sur « potentiels marchés » pour un montant de 15 300 euros.

Mme [A] [V] se contente d'affirmer que M. [O] [W] a procédé à ces virements bancaires, sans toutefois produire une attestation de sa banque certifiant qu'il disposait d'une procuration sur son compte alors que l'intimé conteste l'existence même de cette procuration.

Il résulte de ces opérations que la somme de 70 000 euros n'est pas restée sur un compte dédié au nom de Mme [A] [V]. Il n'est pas produit le relevé du compte de M. [O] [W] sur lequel les fonds ont été versés.

Or, en application des dispositions de l'article 1402 du code civil, les sommes détenues sur un compte joint ou personnel d'un des époux sont toutes présumées communes.

Le fait même que les fonds perçus au titre de la donation ont été virés sur le compte de M. [O] [W], leur a fait perdre leur caractère propre en raison du caractère fongible des deniers sans pour autant qu'il soit soutenu et démontré qu'ils ont acquis un caractère de fonds propres de l'époux.

En conséquence, il convient de considérer que la somme de 70 000 euros ayant perdu son caractère propre, Mme [A] [V] ne peut la recouvrer que par le mécanisme du droit à récompense à la charge de la communauté et non de M. [O] [W] comme elle le réclame.

L'article 1433 du code civil énonce que la communauté doit récompense à l'époux propriétaire toutes les fois qu'elle a tiré profit de biens propres.

Il en est ainsi, notamment, quand elle a encaissé des deniers propres ou provenant de la vente d'un propre, sans qu'il en ait été fait emploi ou remploi.

Si une contestation est élevée, la preuve que la communauté a tiré profit de biens propres peut être administrée par tous les moyens, même par témoignages et présomptions.

A défaut de reconnaissance du droit à récompense par les époux, la preuve doit en être rapportée par celui qui en réclame le bénéfice. Il doit ainsi établir d'une part, l'existence des biens ou des fonds propres et d'autre part, que des biens ou fonds propres ont profité à la communauté. La preuve du profit tiré par la communauté ne résulte pas du seul fait que les fonds ont été versés sur un compte ouvert au seul nom de l'époux titulaire des fonds propres.

M. [O] [W] reconnaît dans ses conclusions que la somme totale de 54 700 euros a profité à la communauté, les fonds ayant, selon lui, servi à l'acquisition d'un véhicule et au financement de vacances et avance que le solde de 15 300 euros a été investi sur les marchés financiers par Mme [A] [V].

Le libellé du relevé de compte de Mme [A] [V] ne permet pas de déterminer dans quelles conditions a été effectué le placement sur les marchés financiers et notamment le nom des titulaires des actions acquises. Ainsi, l'appelante ne rapporte pas la preuve que la somme de 15 300 euros investie sur les marchés financiers a profité à la communauté. A défaut de rapporter, cette preuve, elle ne dispose pas de droit à récompense pour ce montant.

L'article 1469 du code civil dispose que la récompense est, en général, égale à la plus faible des deux sommes que représentent la dépense faite et le profit subsistant.

Elle ne peut, toutefois, être moindre que la dépense faite quand celle-ci était nécessaire.

Elle ne peut être moindre que le profit subsistant, quand la valeur empruntée a servi à acquérir, à conserver ou à améliorer un bien qui se retrouve, au jour de la liquidation de la communauté, dans le patrimoine emprunteur. Si le bien acquis, conservé ou amélioré a été aliéné avant la liquidation, le profit est évalué au jour de l'aliénation ; si un nouveau bien a été subrogé au bien aliéné, le profit est évalué sur ce nouveau bien.

En l'espèce, aucune des parties ne justifie de l'utilisation faite de la somme de 54 700 euros qui a été versée sur le compte de M. [O] [W], celui-ci se contentant de produire un écrit établi par lui-même et la facture d'achat du véhicule est datée du 1er juillet 2008 soit antérieurement aux mouvements de fonds litigieux.

A défaut de preuve rapportée par Mme [A] [V] que les fonds ont été utilisés par la communauté pour régler une dépense nécessaire ou pour acquérir, conserver ou améliorer une bien qui se retrouve au jour de la liquidation dans le patrimoine de la communauté, il convient de retenir la plus faible des deux sommes entre la dépense faite et le profit subsistant. Or, elle n'évoque aucun profit subsistant. Celui-ci doit donc être considéré comme nul.

En conséquence, le droit à récompense de Mme [A] [V] sur la communauté est égal à 0 euro.

Chaque partie conservera la charge de ses dépens.

L'équité, l'issue du litige et la nature familiale de celui-ci commandent de ne pas faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour d'appel,

Dans les limites de l'appel principal de Mme [A] [V],

Infirme le jugement de la juge aux affaires familiales du tribunal judiciaire de Mulhouse du 5 février 2021 en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau,

Dit que la somme de 70 000 euros (soixante-dix mille euros) versée par chèque du 12 novembre 2008 par M. ou Mme [Y] [V] constitue une donation faite au profit de Mme [A] [V] et que les fonds sont donc des propres de celle-ci ;

Déboute Mme [A] [V] de sa demande de créance de 70 000 euros (soixante-dix mille euros) à l'encontre de M. [O] [W] ;

Dit que Mme [A] [V] ne dispose pas de créance sur la communauté au titre de la somme de 15 300 euros (quinze mille trois cents euros) investie sur les marchés financiers ;

Dit que Mme [A] [V] dispose d'une créance sur la communauté pour le solde de la somme de 70 000 euros (soixante-dix mille euros) ;

Evalue la créance de Mme [A] [V] sur la communauté au titre de l'utilisation de la somme de 54 600 euros (cinquante-quatre mille six cents euros) à la somme de 0 euro (zéro euro) ;

Condamne chaque partie au paiement des dépens qu'elle a engagés en appel ;

Déboute Mme [A] [V] et M. [O] [W] de leur demande respective au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Le Greffier,Le Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Colmar
Formation : Chambre 5 b
Numéro d'arrêt : 21/01429
Date de la décision : 30/08/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-08-30;21.01429 ?
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