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06/07/2022 | FRANCE | N°18/00769

France | France, Cour d'appel de Colmar, Chambre 1 a, 06 juillet 2022, 18/00769


MINUTE N° 372/22

























Copie exécutoire à



- Me Loïc RENAUD



- Me WELSCHINGER



Le 06.07.2022



Le Greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE COLMAR

PREMIERE CHAMBRE CIVILE - SECTION A



ARRET DU 06 Juillet 2022



Numéro d'inscription au répertoire général : 1 A N° RG 18/00769 - N° Portalis DBVW-V-B7C-GV5V



Décision déférée à

la Cour : 25 Janvier 2018 par le TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE COLMAR



APPELANTE - INTIMEE INCIDEMMENT :



SCI VAUBAN prise en la personne de son représentant légal

[Adresse 1]



Représentée par Me Loïc RENAUD, avocat à la Cour



INTIMES - APPELA...

MINUTE N° 372/22

Copie exécutoire à

- Me Loïc RENAUD

- Me WELSCHINGER

Le 06.07.2022

Le Greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE COLMAR

PREMIERE CHAMBRE CIVILE - SECTION A

ARRET DU 06 Juillet 2022

Numéro d'inscription au répertoire général : 1 A N° RG 18/00769 - N° Portalis DBVW-V-B7C-GV5V

Décision déférée à la Cour : 25 Janvier 2018 par le TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE COLMAR

APPELANTE - INTIMEE INCIDEMMENT :

SCI VAUBAN prise en la personne de son représentant légal

[Adresse 1]

Représentée par Me Loïc RENAUD, avocat à la Cour

INTIMES - APPELANTS INCIDEMMENT :

Monsieur [X] [E]

[Adresse 2]

Madame [N] [S] épouse [E]

[Adresse 2]

Représentés par Me Michel WELSCHINGER de l'ASSOCIATION WELSCHINGER, WIESEL ET ROTH, avocat à la Cour

PARTIE INTERVENANTE VOLONTAIRE :

S.A.R.L. [...] prise en la personne de son représentant légal

[Adresse 2]

Représentée par Me Michel WELSCHINGER de l'ASSOCIATION WELSCHINGER, WIESEL ET ROTH, avocat à la Cour

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 805 modifié du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 22 Novembre 2021, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme PANETTA, Présidente de chambre, et M. ROUBLOT, Conseiller.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme PANETTA, Présidente de chambre

M. ROUBLOT, Conseiller

Mme ROBERT-NICOUD, Conseillère

qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Mme VELLAINE

ARRET :

- Contradictoire

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.

- signé par Mme Corinne PANETTA, présidente et Mme Régine VELLAINE, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE :

Par acte du 18 juillet 2001, M. et Mme [E] ont, afin d'y exercer une activité de photographe, pris à bail pour une durée de neuf ans, un local commercial sis [Adresse 3], moyennant un loyer mensuel initial de 381,12 euros. Ce contrat a fait l'objet d'un renouvellement en juillet 2010, la SCI Vauban étant le nouveau propriétaire de l'immeuble.

Le 27 août 2014, un dégât des eaux est survenu dans l'appartement situé au-dessus du local commercial, les eaux ayant transpercé le plancher séparant les deux lots privatifs ainsi que le faux plafond d'une pièce du local loué.

L'expert mandaté par la compagnie d'assurance AREAS a dans son rapport du 3 mars 2015, indiqué que le sinistre avait pour origine une fuite sur la conduite souple d'alimentation de la machine à laver le linge se trouvant dans l'appartement occupé par Mme [M]. Il proposait une évaluation du préjudice subi.

Courant janvier 2016, l'entreprise de maçonnerie Bier et la société Bader Décors sont intervenues pour effectuer des travaux de réparation.

Par acte d'huissier du 11 avril 2016, M. et Mme [E] ont assigné la SCI Vauban devant le tribunal de grande instance de Colmar afin que, sous le bénéfice de l'exécution provisoire et sur le fondement des articles 1147 ancien et 1719 du code civil, il juge qu'elle a manqué à son obligation de délivrance d'un bien conforme à la destination contractuelle et la condamne à leur verser les sommes de :

- 5 240 euros au titre du préjudice matériel,

- 15 855 euros au titre du préjudice commercial,

- 20 000 euros au titre du préjudice moral,

et ce outre intérêts au taux légal à compter du jugement,

- 3 000 euros au titre de l'article 700 code de procédure civile, et aux dépens.

Par jugement du 25 janvier 2018, le tribunal de grande instance de Colmar a condamné la SCI Vauban, outre aux entiers frais et dépens, à indemniser les époux [E] à hauteur de :

- 2 500 euros au titre du préjudice matériel,

- 2 000 euros au titre de leur préjudice commercial,

- 2 500 euros au titre de leur préjudice moral,

- 1 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

Le 16 février 2018, la SCI Vauban a, par voie électronique, interjeté appel de cette décision.

Dans ses dernières conclusions du 30 octobre 2018, transmises par voie électronique le même jour, auxquelles était joint un bordereau de communication de pièces qui n'a fait l'objet d'aucune contestation, la SCI Vauban demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris et statuant à nouveau, débouter les époux [E] de leurs demandes, y compris celles objets de leur appel incident et les voir condamner outre aux entiers frais et dépens de première instance et d'appel, à lui verser une somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et sur l'appel incident, de le déclarer mal fondé et le rejeter.

En substance, elle soutient que les époux [E] ne démontrent pas que les réparations qui lui auraient incombées constituent des grosses réparations, visées par l'article 606 du code civil, intéressant l'immeuble dans sa structure et sa solidité générale.

En tout état de cause et au visa de l'article 1725 du même code, elle soutient qu'elle ne peut être tenue en tant que bailleresse, de garantir ses locataires du trouble que des tiers apportent par voie de fait sauf aux preneurs à les poursuivre en leur nom personnel sur le fondement de l'article 1240 actuel du code civil, de sorte qu'elle ne peut être tenue pour responsable des dégâts trouvant leur origine dans les parties privatives d'un autre copropriétaire. Elle soutient que le plancher entre les deux étages est une partie commune de la copropriété.

Elle ajoute que le bailleur ne peut être tenu, au titre de son obligation d'entretien et de réparation en cours de bail, d'effectuer des travaux sur des biens dont elle n'est pas propriétaire, et ainsi sur les parties communes ou les parties privatives d'un autre copropriétaire. Elle souligne que les travaux que les époux [E] lui reprochent de ne pas avoir effectué consistent à réparer un plancher commun séparant deux étages, travaux qui ne lui incombent pas.

Elle souligne avoir accompli toutes les diligences nécessaires envers le syndic, représentant la copropriété et mis en demeure d'effectuer les travaux par courriers des 23 mars et 19 mai 2015 puis devant la défaillance de ce dernier, avoir pris l'initiative de se substituer à la copropriété et de mandater des entreprises pour qu'il soit procédé à la réalisation des travaux. Elle en déduit avoir accompli toutes diligences pour pallier le trouble de jouissance des locataires et ne pouvoir être tenue pour responsable des défaillances de la copropriété.

S'agissant de l'appel incident, elle soutient que les préjudices invoqués ne sont pas justifiés et que quand bien même ses locataires auraient vu leur activité diminuer, il n'est pas établi que cette diminution serait due au désordre survenu dans une partie très réduite du local loué et, au surplus, non visible de la clientèle, puisqu'il s'agissait d'un laboratoire de développement des photographies.

M. et Mme [E] se sont constitués intimés le 28 mai 2018.

Ils ont conclu le 18 avril 2019.

Par ordonnance du 28 juin 2019, rectifiée le 4 février 2020, la clôture de la procédure a été prononcée et l'affaire renvoyée à l'audience de plaidoirie du 19 février 2020, date à laquelle l'affaire a été renvoyée, en raison de la grève des avocats, au 20 janvier 2021.

Par arrêt avant-dire-droit du 22 mars 2021, la cour d'appel a :

- ordonné la révocation de l'ordonnance de clôture du 28 juin 2019 rectifiée le 4 février 2020 ;

- ordonné la réouverture des débats ;

- invité les parties à présenter leurs observations sur la qualité de preneur de M. et Mme [E], sur leur qualité à agir et le cas échéant sur la fin de non-recevoir tirée de leur absence de qualité à agir.

- réservé les droits des parties ;

- renvoyé l'affaire à l'audience de mise en état du 28 mai 2021.

Dans leurs dernières conclusions du 27 mai 2021, transmises par voie électronique le même jour, auxquelles était joint un bordereau de communication de pièces qui n'a fait l'objet d'aucune contestation, M. et Mme [E], ainsi que la SARL [...] intervenante volontaire, demandent à la cour de :

- déclarer la SCI Vauban mal fondée en son appel principal,

- l'en débouter,

- et recevant la société [...] en son intervention volontaire, et M. et Mme [E] en leur appel incident,

y faisant droit,

- réformer le jugement entrepris dans la limite ci-après,

statuant à nouveau,

- condamné la SCI Vauban à payer à M. et Mme [E], ou le cas échéant, à la société [...], les indemnités suivantes :

- 5 240 € au titre du préjudice matériel,

- 15'855 € au titre du préjudice commercial,

- 20'000 € au titre du préjudice moral,

- dire que ces montants seront assortis des intérêts au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir,

- condamner la SCI Vauban en tous les frais et dépens, ainsi qu'au paiement de la somme de 3000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

En réponse à l'arrêt avant dire droit, ils exposent que le bail commercial du 18 juillet 2001 a été signé entre M. et Mme [Y] d'une part et M. et Mme [E] d'autre part, sans qu'il soit précisé que M. [E] intervienne à l'acte en qualité de gérant de la société [...] ; et que ce bail a fait l'objet d'un renouvellement le 16 juillet 2010 avec la SCI Vauban venant aux droits des époux [Y], M. [E] n'étant pas davantage intervenu à cet acte en qualité de gérant de la société [...]. Ils en déduisent que la présente procédure qui trouve son origine dans le bail commercial renouvelé ne pouvait être introduite que par les signataires du bail à savoir M. et Mme [E], de sorte qu'ils avaient qualité agir. Il précise que la société Vauban a acquiescé à leurs demandes en première instance sans soulever l'irrecevabilité de celle-ci, ne contestant que le fond.

Ils soulignent que l'activité de la société [...], dont M. [E] est le gérant, se confond avec celle de M. [E] en sa qualité de photographe. Pour le cas où, nonobstant la rédaction du bail initial, la cour devait considérer que seule la société [...] avait qualité pour agir, cette dernière intervient volontairement à l'instance en application des articles 126, 329 et 330 du code de procédure civile, et est fondée à revendiquer les montants mis en compte par M. et Mme [E].

Sur le fond, en substance, ils soutiennent que le bailleur a manqué à son obligation de délivrance prévue par l'article 1719 du code civil, ne leur ayant pas assuré une jouissance paisible des lieux loués, se désintéressant du sinistre dont ils ont été victime et qui a duré 16 mois.

Ils soutiennent que le procès-verbal de constat du 22 décembre 2015 de Me [T] montre que la SCI Vauban a doublement manqué à cette obligation, en empêchant le locataire d'accéder matériellement à la chose louée, mais aussi en entravant son activité de photographe et que le rapport d'expertise du 3 mars 2015 montre qu'elle s'est désintéressée du sinistre et a fait preuve de négligence.

Précisant avoir été indemnisés en ce qui concerne le matériel endommagé et les travaux de peinture leur incombant, ils soutiennent que les grosses réparations, à savoir combler le trou béant et solidifier le gros oeuvre entre les deux niveaux, incombent au bailleur en application de l'article 606 du code civil. Ils invoquent les constats des 28 août et 22 décembre 2015 dressés par Me [T].

Ils invoquent, en outre, la négligence du bailleur, qui n'était pas présent lors des opérations d'expertise et qui n'a écrit au syndic que les 23 mars puis 19 mai 2015, sans en tirer de conséquences sur le plan judiciaire, alors qu'il incombe au bailleur d'entreprendre immédiatement des travaux de restauration des lieux loués, quitte à se retourner ensuite contre les éventuels responsables du sinistre.

Ils soutiennent que le dégât des eaux concernait tant le gros oeuvre entre le plancher du dessus et le plafond du dessous, qui est une partie commune, que le revêtement des planchers et des plafonds, sont des parties privatives et qu'ainsi le maintien de la structure du plafond du local loué incombait à la SCI Vauban. Au surplus, ils ajoutent que celle-ci n'a fait aucune diligence pour que le syndic intervienne dans un délai raisonnable s'agissant de la remise en état du gros oeuvre.

Ils considèrent que les dispositions de l'article 14 de la loi du 10 juillet 1965 sont inapplicables en l'espèce.

Ils ajoutent que seul le bailleur pouvait exiger une quelconque réparation de la part du syndic et qu'il lui appartenait de faire immédiatement le nécessaire pour qu'il saisisse l'assurance de l'immeuble et intervienne dans l'urgence.

Ils soutiennent que le bailleur ne peut invoquer la carence du syndic, dès lors qu'il avait la possibilité de mettre en oeuvre le mécanisme prévu par l'article 17-1 B 2ème de la loi du 10 juillet 1965 pour pallier la défaillance du syndic mettant en péril la conservation de l'immeuble, la santé ou la sécurité des occupants.

Ils ajoutent que l'article 1725 du code civil n'est pas applicable, le dégât des eaux n'étant pas assimilable à une voie de fait, et ne dispensant pas le bailleur de son obligation de délivrance au titre de l'article 1721 du code civil dans ses parties privatives lorsque le dommage est causé par un autre copropriétaire, ni n'empêchant le locataire d'agir contre le bailleur lorsqu'il n'a pas accompli, à l'égard du syndicat des copropriétaires, les diligences nécessaires pour satisfaire à la demande des preneurs.

Invoquant l'article 9-1 de la loi du 10 juillet 1965, modifiée par la loi Alur du 24 mars 2014, ils soulignent que la gestion de l'immeuble n'exempte pas le copropriétaire bailleur de sa responsabilité à l'égard des preneurs et que 'l'assurance non occupant du bailleur' n'est pas intervenue en l'espèce.

S'agissant de leur préjudice, décrivant la disposition du local loué et l'utilisation qui en est faite, ils soutiennent que les conséquences du sinistre ne se sont pas limitées à l'arrière du local affecté par le sinistre, mais ont concerné également l'avant du magasin, où était installé le studio photographique, une partie du matériel ayant dû y être stockée pour éviter une dégradation liée à l'humidité et à la poussière.

Ils ajoutent avoir dû, pour éviter qu'il ne soit endommagé, déplacer au domicile de M. [E] du matériel numérique et informatique, qu'il avait acquis deux ans plus tôt, ce qui a entravé durablement son autre activité, celle de laboratoire numérique.

Ils en déduisent que c'est quasiment toutes les activités de M. [E] en intérieur qui ont été entravées pendant cette période, ce qui justifie une diminution du loyer de 50 % pendant 16 mois. Le studio n'ayant pu être utilisé comme à l'origine, ils en déduisent une atteinte à l'image de marque de M. [E], qu'ils évaluent à 20 000 euros au titre du préjudice moral. Ils évaluent le montant du préjudice commercial à 15 855 euros.

Par ordonnance du 28 mai 2021, la clôture de la procédure a été ordonnée et l'affaire renvoyée à l'audience de plaidoirie du 22 novembre 2021.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se référer aux dernières conclusions des parties pour plus ample exposé de leurs moyens et prétentions.

MOTIFS DE LA DECISION :

Le contrat de bail a été conclu par M. et Mme [E] en qualité de preneurs et ces derniers en ont demandé le renouvellement ; leur qualité de preneur n'est pas contestée par la SCI Vauban.

Il résulte des conclusions de M. et Mme [E], ainsi que des pièces qu'ils produisent, que la SARL [...], dont M. [E] est le gérant, exerce une activité de photographe dans lesdits locaux.

La recevabilité de l'intervention volontaire de la SARL [...] n'est pas contestée.

M. et Mme [E] reprochent à la SCI Vauban d'avoir, durant 16 mois du 27 août 2014 au début du mois de janvier 2016, manqué à son obligation de délivrance prévue à l'article 1719 du code civil, et plus particulièrement d'entretenir la chose louée en état de servir à l'usage pour lequel elle a été prise à bail.

Ils ajoutent qu'à ce titre, le bailleur doit leur assurer une jouissance paisible des lieux loués, ce qu'il n'a pas fait, se désintéressant du sinistre dont ils ont été victime.

Selon l'article 1720 du code civil, le bailleur est tenu de délivrer la chose en bon état de réparations de toute espèce ; qu'il doit y faire, pendant la durée du bail, toutes les réparations qui peuvent devenir nécessaires, autres que les locatives.

Selon l'article 1725 dudit code, il n'est pas tenu de garantir le preneur du trouble que des tiers apportent par voies de fait à sa jouissance, sans prétendre d'ailleurs aucun droit sur la chose louée, sauf au preneur à les poursuivre en son nom personnel.

L'absence d'obligation de garantir le trouble de jouissance causé au preneur par des tiers, prévue par l'article 1725 dudit code, ne dispense pas le bailleur de son obligation de faire, pendant la durée du bail, les réparations nécessaires autres que locative.

En l'espèce, il résulte du rapport d'expertise du 3 mars 2015 produit par chacune des parties que le 27 août 2014, un dégât des eaux s'est produit dans l'appartement du 1er étage, situé au-dessus des locaux loués à M. et Mme [E], que l'eau traversa le plancher pour réapparaître dans le laboratoire, occasionnant des dommages à du matériel, à des embellissements et à un faux-plafond.

Il résulte de ce qui précède que si la SCI Vauban n'est pas, en application de l'article 1725 du code civil, tenue de garantir le trouble de jouissance causé au preneur par le tiers, qu'il s'agisse de l'occupant des locaux situés au-dessus et non locataire de ladite SCI ou du propriétaire dudit local, elle n'est pas dispensée de son obligation de faire, pendant la durée du bail, les réparations nécessaires autres que locatives.

Selon le constat d'huissier de justice du 28 août 2015, le plafond de la pièce située à l'arrière gauche de l'établissement est dégradé, les matériaux constituant le plafond s'effrite, un trou est visible dans le plafond, permettant de voir dans l'appartement du dessus, le plafond est renforcé sommairement par une planche et des tasseaux, une bâche en plastique est positionnée pour retenir la chute des débris. Des débris sont présents au sol sous l'orifice du plafond.

Ces constats ont également été faits lors du constat d'huissier du 22 décembre 2015, qui ajoute constater, outre le trou dans le plafond permettant de voir dans la salle de bains de l'étage au-dessus, l'existence d'une plaque en bois fixée au plafond de la pièce située devant la pièce du fond, l'existence d'un cagibi contenant du matériel servant à l'activité professionnelle de la SARL [...] et l'existence d'objets qu'il cite placés dans la partie avant de l'établissement ainsi que dans le domicile privé de M. [E].

Selon le constat d'huissier du 17 février 2016, le plafond a été refait, des plaques ont été posées au plafond, qui laissent apparaître des marques, les plaques ne paraissant ni poncées et n'étant pas peintes, et les jonctions entre les plaques et le mur n'étant pas réalisées. Une étagère n'est pas remise en place et ses éléments sont déposés sur une surface de travail. Divers objets en rapport avec l'activité professionnelle de la SARL [...] sont stockés à l'entrée du magasin, donnant un aspect désordonné du lieu et visible par la clientèle en accédant au magasin.

Comme le reconnaît la SCI Vauban, le dégât des eaux a affecté le plancher entre deux étages.

La SCI Vauban soutient que le plancher à réparer est commun et M. et Mme [E] font valoir que le dégât des eaux a affecté tant les parties communes, à savoir le gros-oeuvre entre le plancher de l'appartement du 1er étage et le plafond du local loué, que des parties privatives, à savoir la remise en état du plafond.

Même si, contrairement à ce que soutiennent M. et Mme [E], il ne résulte pas du procès-verbal de constat du 28 août 2015 que les poutres en bois porteuses ont été altérées, l'huissier de justice indiquant ne pouvant voir cette poutre, il résulte des éléments précités que les travaux de réparation nécessitaient de combler le trou existant entre le plancher du local du 1er étage et le plafond du local loué à M. et Mme [E], et, dès lors, de solidifier le gros oeuvre à cet endroit situé entre le rez-de-chaussée et le premier étage.

Ces réparations portaient ainsi sur une partie commune de la copropriété, l'article 3 de la loi du 10 juillet 1965 indiquant que dans le silence ou la contradiction des titres sont réputées parties communes, notamment le gros oeuvre des bâtiments.

De surcroît, il s'agit de travaux, qui en application de l'article 606 du code civil, incombe au bailleur, puisqu'ils intéressent la structure de l'immeuble.

En revanche, le revêtement du plafond constitue une partie privative au local loué, et relève de l'entretien locatif, ce d'autant qu'il n'est pas soutenu ni démontré que sa seule réfection aurait suffi à remédier au désordre avant ou sans que le gros-oeuvre ne soit réparé.

M. et Mme [E] reprochent au bailleur de ne pas avoir participé aux opérations d'expertise, ni n'avoir entrepris de travaux, ni effectué aucune diligence utile pour que le syndic intervienne dans des délais raisonnables.

Il sera relevé que le sinistre a eu lieu le 27 août 2014, que l'expert mandaté par l'assureur de la SARL [...] s'est rendu sur place le 2 septembre et 1er octobre 2014.

La SCI Vauban ne conteste pas avoir été informée de la réalisation de la mission de l'expertise.

Dans ses conclusions (p.3), elle indique avoir été informée par mail du 7 janvier 2015 par les époux [E] de ce que les travaux de remise en état n'avaient pas encore été réalisés.

Le rapport déposé par l'expert date du 3 mars 2015.

Par lettre du 23 mars 2015, la SCI Vauban a mis en demeure l'agence immobilière Kessler de faire le nécessaire afin que les travaux puissent démarrer au plus vite, puis l'a mise en demeure par lettre de son conseil du 19 mai 2015 d'assurer le suivi du sinistre sous huitaine, le nécessaire n'ayant pas été fait pour la remise en état de l'immeuble, cette seconde lettre précisant que cette agence est le syndic de l'immeuble.

La société [...], exploitant le local loué, a mis, par lettre de son conseil du 28 juillet 2015, la société Top Immo en demeure, 'en sa qualité de propriétaire', 'de faire le nécessaire auprès des responsables de ce dommage pour que les travaux de remise en état puissent reprendre au plus vite'.

Par lettre du 24 novembre 2015, M. et Mme [E] ont, par lettre de leur conseil adressée à la SCI Vauban, rappelé le courrier du 28 juillet 2015 faisant état du dégât des eaux subi, qu'ils n'avaient pas bénéficié d'une jouissance paisible depuis le 27 août 2014 et qu'elle ne s'est pas conformée à l'obligation de délivrance, la mettant en demeure de les indemniser du préjudice subi au titre des loyers et d'une perte de chiffre d'affaires pendant 15 mois.

Par courriel du 25 novembre 2015, une personne ayant une adresse mail contenant le nom de Top Immo a indiqué gérer pour la SCI Vauban le local du photographe et présentait une demande de réparation au bénéficiaire du chèque d'indemnité d'assurance, précisant que le syndic Immobilière Kessler n'est pas en mesure d'assurer le suivi.

Par lettre du 30 novembre 2015, le conseil de la SCI Vauban répondait à la lettre du 24 novembre 2015 que les travaux de remise en état du plafond incombent à la copropriété, que son client n'a eu de cesse de mettre le syndic de copropriété d'avoir à faire procéder aux travaux, qu'il semble que l'assureur de la copropriété a versé les fonds nécessaires à l'Immobilière Kessler qui n'a rien fait et que la SCI Vauban est disposée à se substituer à la copropriété et à avancer le coût des travaux de remise en état afin qu'ils puissent être achevés à condition qu'il soit renoncé aux prétentions financières.

Il résulte du courriel de la société [...] du 8 mars 2016 que dans un premier temps, elle avait refermé le plafond et passé un coup de peinture, puis que les ouvriers ont commencé les travaux et ont tout cassé, ont mis des planches avec des étais en attendant, que les travaux ont repris début janvier et que les poutres ont été renforcées et les ouvriers ont refait le plafond, mais sans faire les finitions, ni remonter les étagères.

La SCI Vauban indique dans ses conclusions avoir accepté de se substituer à la copropriété et de mandater des entreprises lorsqu'elle a pu prendre conscience que les travaux ne seraient réalisés dans un délai raisonnable ni par le syndicat des copropriétaires, ni par le copropriétaire concerné.

M. et Mme [E] contestent que les travaux effectués en janvier 2016 l'aient été à la demande de la SCI Vauban en produisant un courriel du conducteur de travaux ayant effectué les travaux de réfection du plafond indiquant intervenir pour le syndic de l'immeuble.

Ils précisent que les travaux classiques de peinture ont été pris en charge par leur assureur.

Ainsi, si la SCI Vauban a rapidement, après l'établissement du rapport d'expertise, adressé une mise en demeure au syndic de copropriété le 23 mars 2015, elle n'avait effectué, préalablement, aucune diligence après avoir appris la survenance du sinistre et notamment pas après le mail des époux [E] du 7 janvier 2015, ni, suite à son courrier du 23 mars 2015, vérifié si le syndic de copropriété effectuait les travaux nécessaires. Elle a tardé à le relancer et à faire toute diligence utile pour assurer, à l'égard de M. et Mme [E], le respect de son obligation de délivrance d'un local conforme à son usage.

Il en résulte un préjudice résultant du manquement du bailleur à son obligation de délivrance affectant partiellement, d'une part, la pièce concernée par le sinistre, dont la grandeur n'est pas démontrée au sein des lieux loués d'une surface totale de 70 m2, puisqu'elle n'était pas complètement utilisable jusqu'à début janvier 2016, une partie du matériel ayant dû être stocké au domicile de M. [E], et d'autre part, la pièce avant du local loué qui a dû être occupée par une partie du matériel habituellement stocké dans la partie affectée par le sinistre ainsi qu'il résulte notamment du constat du 22 décembre 2015.

Il convient d'évaluer le préjudice subi résultant du manquement à l'obligation de délivrance à hauteur d'une réduction de loyer d'un montant de 2 500 euros.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné la SCI Vauban à payer cette somme à M. et Mme [E].

S'agissant du préjudice commercial invoqué, ni M. et Mme [E], ni la SARL [...] ne justifient de l'existence d'un tel préjudice en lien avec le manquement du bailleur.

Ils produisent deux attestations de l'expert-comptable de la SARL [...], la première du 19 février 2016 (pièce G) évoquant 'une perte subie par la société [...] suite aux dégâts des eaux intervenus depuis août 2014 à son siège social représente 15 855 euros TTC, soit une moyenne de 54 % des recettes TTC effectuées en magasin', et la seconde du 12 février 2021 qui indique que M. [E] exerce son activité dans le cadre d'une SARL, que son revenu est perçu dans le cadre d'un mandat social de gérant majoritaire et dépend du chiffre d'affaires de la SARL qui constitue son revenu potentiel après les charges fixes payées, de sorte que toute perte de chiffre d'affaires constitue un manque de revenu professionnel brut pour le gérant majoritaire.

A cette pièce G est annexée un document intitulé '160224 constat comptable' Activité magasin, mentionnant des montants en euros pour chaque mois d'avril 2009 à janvier 2016, avec un total pour chaque exercice courant du 1er avril au 31 mars des années correspondantes. Ce document n'est pas signé et l'expert-comptable n'y fait pas référence dans son attestation. Au surplus, il ne permet pas non plus de savoir à quoi correspondent ces sommes indiquées en euros, et notamment s'il s'agit du chiffre d'affaires du magasin, pas plus que de déterminer quel a été le revenu versé à M. [E], et dès lors l'éventuel préjudice commercial qu'il aurait subi.

Les attestations et cette pièce sont insuffisantes pour établir l'existence d'une perte ou d'une diminution du chiffre d'affaires de la SARL en lien avec le manquement du bailleur, ni l'existence d'une perte de revenus subis par M. [E], ni d'ailleurs par Mme [E].

Plus généralement, les pièces produites par M. et Mme [E] et la SARL [...] sont insuffisantes pour démontrer qu'ils ont subi un préjudice commercial résultant de ce manquement. Ils ne démontrent notamment pas en quoi leur activité commerciale a été impactée, et ce même en tenant compte du déplacement de certains matériels à leur domicile privé.

Au surplus, alors qu'il est soutenu que l'inertie du bailleur a entravé une autre activité de M. [E], celle de laboratoire et du projet numérique interactif tel que soutenu par la Région Alsace, il résulte des pièces produites que les aides ou subventions, dans le cadre de cet investissement, ont été demandées et allouées en 2012 à la SARL [...], et les éléments produits ne permettent pas de démontrer l'existence d'un préjudice commercial subi en lien avec le manquement de la SCI Vauban.

S'agissant du préjudice moral invoqué, le fait que les locaux accessibles à la clientèle ou visibles de celle-ci aient pu être pour partie le lieu d'entreposage de matériels pendant une certaine période du fait du manquement du bailleur ne suffit pas à établir l'existence d'une perte ou atteinte à l'image du studio photographique, et ce même en tenant compte de la notoriété dont ils font état, à laquelle il n'est pas non plus démontré une atteinte.

M. et Mme [E] ne démontrent pas non plus que le fait d'avoir dû entreposer ailleurs les objets habituellement placés dans la pièce affectée par le sinistre, y compris à leur domicile, ou encore d'avoir dû organiser autrement les locaux loués leur ait causé un préjudice moral imputable au manquement du bailleur.

L'existence d'un préjudice moral subi par la SARL imputable au manquement du bailleur n'est pas plus démontrée.

Il sera relevé que le constat d'huissier faisant état d'un aspect désordonné du lieu et visible par la clientèle en accédant au magasin date du 17 février 2016, soit à une date postérieure à la réalisation des travaux de réfection du gros oeuvre du plafond, étant relevé que les travaux de peinture, pour lesquels ils indiquent d'ailleurs avoir été indemnisés, étaient à la charge des preneurs.

Il convient dès lors d'infirmer le jugement en ce qu'il a retenu l'existence d'un préjudice commercial et moral.

La SCI Vauban succombe, tout en obtenant partiellement gain de cause en son appel.

Il convient, en conséquence, de confirmer le jugement ayant statué sur les frais et dépens, de condamner la SCI Vauban à supporter les dépens d'appel. En revanche, l'équité commande de ne pas prononcer de condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile, de sorte que les demandes seront rejetées.

P A R C E S M O T I F S

La Cour,

Déclare recevable l'intervention volontaire de la SARL [...],

Infirme le jugement en ce qu'il a condamné la SCI Vauban à verser à M. et Mme [E] les sommes suivantes, avec intérêts au taux légal à compter du présent jugement :

- 2 000 euros au titre du préjudice commercial,

- 2 500 euros au titre du préjudice moral,

Le confirme pour le surplus,

Statuant à nouveau des chefs infirmés :

Rejette les demandes en paiement formées par M. et Mme [E] et la SARL [...],

Condamne la SCI Vauban à supporter les dépens d'appel,

Rejette les demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La Greffière :la Présidente :


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Colmar
Formation : Chambre 1 a
Numéro d'arrêt : 18/00769
Date de la décision : 06/07/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-07-06;18.00769 ?
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