MINUTE N° 308/22
Copie exécutoire à
- Me Thierry CAHN
- Me Anne CROVISIER
Le 08.06.2022
Le Greffier
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE COLMAR
PREMIERE CHAMBRE CIVILE - SECTION A
ARRET DU 08 Juin 2022
Numéro d'inscription au répertoire général : 1 A N° RG 20/02936 - N° Portalis DBVW-V-B7E-HNCN
Décision déférée à la Cour : 10 Septembre 2020 par la Chambre commerciale du Tribunal judiciaire de COLMAR
APPELANTE :
S.A. CAISSE D'EPARGNE ET DE PREVOYANCE GRAND EST EUROPE
prise en la personne de son représentant légal
1 route du Rhin
67000 STRASBOURG
Représentée par Me Thierry CAHN, avocat à la Cour
INTIME :
Monsieur [X] [S]
3 Rue de la Marne
68000 COLMAR
Représenté par Me Anne CROVISIER, avocat à la Cour
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 805 modifié du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 19 Janvier 2022, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme PANETTA, Présidente de chambre.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme PANETTA, Présidente de chambre
M. ROUBLOT, Conseiller
Mme ROBERT-NICOUD, Conseillère
qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : Mme VELLAINE
ARRET :
- Contradictoire
- rendu par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.
- signé par Mme Corinne PANETTA, présidente et Mme Régine VELLAINE, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS PROCÉDURE PRÉTENTIONS DES PARTIES :
La SA CAISSE D'EPARGNE ET DE PREVOYANCE GRAND EST EUROPE a consenti à la SARL GOOD MORNING MAJOR l'ouverture d'un compte courant professionnel n°08002026720 par convention de compte en date du 31 août 2017 ainsi qu'un prêt professionnel aux fins d'aménagement d'un nouveau local et de fonds de roulement d'un montant en capital de 25 000 euros au taux de 1,30% l'an selon convention en date du 18 février 2019.
M. [S], gérant de la société GOOD MORNING MAJOR s'est porté caution personnelle et solidaire de tous les engagements de la société GOOD MORNING MAJOR dans la limite d'un montant de 13 000 euros incluant le principal, les intérêts et frais accessoires par acte sous seing privé en date du 21 décembre 2018.
Par jugement de la chambre commerciale du Tribunal de grande instance de STRASBOURG en date du 22 juillet 2019, la société GOOD MORNING MAJOR a fait l'objet d'un placement en liquidation judiciaire. Par suite, le compte courant professionnel a tenu une position débitrice et les échéances du prêt professionnel n'ont plus été remboursées.
Le 23 août 2019, la société CAISSE D'EPARGNE a déclaré sa créance auprès de Maître [G] [K], liquidateur judiciaire. Par lettre recommandée du même jour, M. [S] a été mis en demeure de régler le découvert en compte courant professionnel ainsi que les impayés du prêt professionnel en qualité de caution.
Par acte d'huissier en date du 02 octobre 2019, exposant que cette sommation est demeurée sans effet, la société CAISSE D'EPARGNE a formé contre M. [S], une demande aux fins de le voir condamner à lui payer la somme de 13 000 euros en qualité de caution personnelle et solidaire de tous les engagements de la société GOOD MORNING MAJOR augmentée des intérêts légaux à compter du 23 août 2019, la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du CPC ainsi que tous frais et dépens, le tout bénéficiant de l'exécution provisoire.
Par chèque sous pli en date du 14 novembre 2019, M. [S] a réglé le montant de 3 386,76 euros auprès de la CAISSE D'EPARGNE en remboursement du débit en compte courant professionnel.
Par jugement du 10 septembre 2020, le Tribunal judiciaire de COLMAR a débouté M. [S] de sa demande aux fins de nullité de son engagement de caution en date du 21 décembre 2018, a débouté M. [S] de sa demande de condamnation de la société CAISSE D'EPARGNE ET DE PREVOYANCE GRAND EST EUROPE à lui rembourser la somme de 886,76 euros à titre de trop-perçu, a condamné M. [S] à payer à la société CAISSE D'EPARGNE, au titre de son cautionnement 'tous engagements' du 21 décembre 2018, la somme de 9 613,24 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter du 23 août 2019, a condamné la société CAISSE D'EPARGNE à payer à M. [S] la somme de 9 613,24 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter du 23 août 2019 au titre de l'indemnisation du préjudice subi par suite de ses manquements à ses obligations pré-contractuelles et contractuelles, a ordonné la compensation des créances réciproques, a condamné la société CAISSE D'EPARGNE à supporter les entiers dépens, a dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du CPC au profit de la CAISSE D'EPARGNE, a débouté M. [S] de sa demande en application de l'article 700 du CPC, a ordonné l'exécution provisoire du présent jugement.
Par déclaration faite au greffe le 13 octobre 2020, la société CAISSE D'EPARGNE a interjeté appel de cette décision.
Par déclaration faite au greffe le 03 novembre 2020, M. [S] s'est constitué intimé.
Par ses dernières conclusions du 12 janvier 2021, auxquelles était joint le bordereau de communication de pièces récapitulatif, qui n'a fait l'objet d'aucune contestation, la CAISSE D'EPARGNE demande à la Cour de recevoir l'appel partiel, de réformer pour partie le jugement entrepris, de débouter M. [S] de toutes prétentions formulées à l'encontre de la CAISSE D'EPARGNE, de confirmer le jugement pour le surplus et notamment en ce qu'il est entré en voie de condamnation à l'encontre de M. [S] pour la somme de 9 613,24 euros avec intérêts légaux du 23 août 2019, de condamner M. [S] aux entiers dépens des deux instances ainsi qu'au versement d'un montant de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du CPC.
Au soutien de ses prétentions, la CAISSE D'EPARGNE affirme, que le Tribunal a jugé qu'il n'existe pas de dol, que lors de l'octroi de la facilité de caisse il n'y avait aucun autre concours accordé ou envisagé, qu'il n'était pas possible d'anticiper un quelconque engagement supplémentaire, que la caution a reconnu être dûment informée au moment de l'engagement qu'elle a souscrit de l'importance de celui-ci par rapport à son patrimoine et ses revenus, que la rédaction du document était claire et insusceptible de mauvaise compréhension.
La CAISSE D'EPARGNE soutient que M. [S] n'était pas un novice dans les relations avec la CAISSE D'EPARGNE, que M. [S] est conseillé en informatique, que la caution était limitée à 13 000 euros, qu'il ne peut en aucun cas être reproché un manquement à une quelconque obligation de conseils ou d'informations.
Par ses dernières conclusions du 09 avril 2021, auxquelles était joint le bordereau de communication de pièces récapitulatif, qui n'a fait l'objet d'aucune contestation, M. [S] demande à la Cour de déclarer la CAISSE D'EPARGNE mal fondée en son appel, de l'en débouter ainsi que de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions, en conséquence, de confirmer le jugement entrepris, de condamner la CAISSE D'EPARGNE aux entiers frais et dépens ainsi qu'à une somme de 3 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du CPC.
Au soutien de ses prétentions, M. [S] affirme, que le comportement de la CAISSE D'EPARGNE est fautif, que le comportement de la CAISSE D'EPARGNE a causé un préjudice, qu'il y a eu perte de chance de ne pas consentir le cautionnement initial et résiliation de cet engagement avant la signature du prêt, qu'il y a eu des échanges clairs et précis entre M. [S] et sa conseillère, que M. [S] n'entendait s'engager que pour la facilité de caisse de 10 000 euros.
M. [S] soutient que la CAISSE D'EPARGNE a abusé de la confiance qu'il avait à son égard, que la CAISSE D'EPARGNE a conservé par-devers elle une information dont l'importance était déterminante en lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat lors de la souscription du prêt, que M. [S] s'est retrouvé caution de ce prêt à due concurrence entre l'utilisation de la facilité de caisse et la somme de 13 000 euros, qu'il y a eu dol au sens de l'article 1112-1 du Code civil, qu'il y a eu manquement grave à l'obligation d'information.
La Cour se référera aux dernières écritures des parties pour plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 15 décembre 2021.
L'affaire a été appelée et retenue à l'audience du 19 Janvier 2022.
MOTIFS DE LA DECISION :
Sur le manquement à l'obligation d'information :
Le tribunal judiciaire de Colmar a condamné la SA CAISSE D'EPARGNE DE PREVOYANCE GRAND EST EUROPE à payer à Monsieur [S] au titre de son cautionnement 'tous engagements' du 21 décembre 2018, la somme de 9 613,24 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter du 23 août 2019.
La SA CAISSE D'EPARGNE ET DE PREVOYANCE GRAND EST EUROPE conclut à l'infirmation du jugement en ce qu'il retient que les manquements successifs de la banque à ses obligations d'information et de conseil ont occasionné un préjudice à Monsieur [S], à savoir la perte d'une chance, dans un premier temps, de ne pas consentir le cautionnement initial 'tous engagements', et, ensuite, de résilier cet engagement avant la signature du prêt par la SARL GOOD MORNING MAJOR.
La SA CAISSE D'EPARGNE ET DE PREVOYANCE GRAND EST EUROPE soutient que Monsieur [S] ne peut prétendre qu'il a été mal informé, que l'engagement de caution, produit en annexe 7, est clair et insusceptible de mauvaise compréhension, que Monsieur [S] n'était pas un novice dans les relations avec la Caisse d'Epargne et donc qu'il bénéficiait de toutes les capacités afin de comprendre un engagement simple et clairement rédigé, que le contrat de prêt a été signé en février 2019 soit deux mois suivant le mail de la conseillère de la Caisse pour inviter Monsieur [S] à signer la caution personnelle 'de la facilité de caisse de 10 000 €', et qu'ainsi il ne peut être en aucun cas reproché un manquement à une quelconque obligation de conseils ou d'informations.
Monsieur [S] soutient que des échanges clairs et précis ont eu lieu entre lui et sa conseillère dont il résulte qu'il n'entendait s'engager que pour la facilité de caisse de 10 000 €, que Monsieur [S] a exprimé son refus de s'engager en qualité de caution lors de la souscription du prêt de 25 000 €, à hauteur de la moitié soit 12 500 €, qu'ainsi la banque a abusé de la confiance que Monsieur [S] avait à son égard pour lui faire souscrire un cautionnement 'tous engagements', que d'autre part, la Caisse d'Epargne a conservé par-devers elle une information dont l'importance était déterminante en lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat lors de la souscription du prêt de 25 000 € à savoir que, nonobstant son refus de cautionner ce prêt à hauteur de la moitié, Monsieur [S] était en tout état de cause caution de ce prêt à due concurrence entre l'utilisation de la facilité de caisse et la somme de 13 000 €.
Monsieur [S] fait également valoir qu'eu égard à sa qualité de professionnelle du crédit et des garanties, il était indispensable que la Caisse d'Epargne, d'une part l'informe clairement sur la portée de son engagement, et que d'autre part, et pour le moins, qu'elle attire son attention sur le fait qu'il avait signé un engagement 'tous engagements' d'un montant de 13 000 €, et que celui-ci serait appelé en cas de défaillance de la SARL GOOD MORNING MAJOR dans le remboursement de ce prêt, à due concurrence. Ainsi, Monsieur [S] fait valoir qu'il y a un manquement grave à l'obligation d'information et de conseil qui est à l'origine directe du préjudice de Monsieur [S] consistant en la perte de chance, soit de ne pas souscrire ce cautionnement, soit de le résilier au moment de la mise en place du prêt.
Aux termes de l'article 1112-1 du code civil, celle des parties qui connaît une information dont l'importance est déterminante pour le consentement de l'autre doit l'en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant. Cet article énonce également qu'ont une importance déterminante les informations qui ont un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties.
La Cour relève que le contrat de caution solidaire 'tous engagements' versé en pièce annexe n°7 par la SA CAISSE D'EPARGNE ET DE PREVOYANCE GRAND EST EUROPE, précise 'le présent engagement personnel s'applique au paiement de toutes sommes que le débiteur principal peut ou pourra devoir à un titre quelconque à la Caisse d'Epargne en principal, intérêts, commissions, frais et accessoires, pénalités et intérêts de retard, en raison de tous engagements ou opérations directes ou indirectes, et notamment par suite d'ouverture de crédit, avance, débours de caisse, solde provisoire ou définitif du compte courant, garantie en faveur de tiers, retours d'effets impayés revêtus à quelque titre que ce soit de la signature du débiteur principal, la Caisse d'Epargne étant dispensée de faire dresser tout protêt ou autre certificat de non-paiement ' et 'la caution s'engage pour un montant en principal de 13 000 euros comprenant les intérêts, commissions, frais et accessoires, pénalités et intérêts de retard, afférents aux opérations garanties, aux taux et conditions applicables aux dites opérations, convenus entre la Caisse d'Epargne et le débiteur principal.' Le contrat a été paraphé et signé par Monsieur [S] le 21 décembre 2018. Ce dernier a également apposé manuscritement la mention suivante en fin de contrat : ' en me portant Caution de Good Morning Major, dans la limite de la somme de 13 000 couvrant le paiement du principal, des intérêts et, le cas échéant, des pénalités ou intérêts de retard et pour la durée de 60 mois, je m'engage à rembourser au Prêteur les sommes dues sur mes revenus et mes biens si Good Morning Major n'y satisfait pas lui-même'
Ces éléments démontrent que Monsieur [S] a reçu une information claire et exhaustive quant à la portée de son engagement.
Cependant, si la banque a donné à Monsieur [S] une information sur l'étendue et la portée de son engagement de caution, Monsieur [S] a en réalité, reçu deux informations contradictoires, l'une résultant des échanges de mail intervenus au début du mois de décembre 2018, entre lui-même et Madame [I], conseillère clientèle de la Caisse d'Epargne et qui ne portaient que sur l'engagement de caution envisagé pour garantir le paiement de la facilité de caisse de 10 000 € et l'acte de cautionnement 'tous engagements' du 21 Décembre 2018, adressé à Monsieur [S].
Ainsi, l'information donnée à Monsieur [S], lui laissait à penser que le cautionnement n'était lié qu'à la facilité de caisse, d'autant plus que le montant de l'engagement de caution avait été fixé en considération du montant de la facilité de caisse.
En conséquence, l'information donnée à Monsieur [S], n'était pas une information pertinente.
Il n'est pas démontré que cette mauvaise information révèle une intention frauduleuse ou une réticence dolosive de la Banque.
La décision entreprise sera en conséquence confirmée en toutes ses dispositions.
Sur les frais et dépens :
La SA CAISSE D'EPARGNE ET DE PREVOYANCE GRAND EST EUROPE succombant, sera condamnée aux entiers dépens et sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile sera rejetée.
L'équité commande l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit de Monsieur [S].
P A R C E S M O T I F S
LA COUR,
CONFIRME le jugement du tribunal judiciaire de Colmar en date du 10 septembre 2020,
Y ajoutant,
CONDAMNE la SA CAISSE D'EPARGNE ET DE PREVOYANCE GRAND EST EUROPE aux entiers dépens,
CONDAMNE la SA CAISSE D'EPARGNE ET DE PREVOYANCE GRAND EST EUROPE à payer à Monsieur [X] [S] la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure d'appel,
REJETTE la demande présentée par la SA CAISSE D'EPARGNE ET DE PREVOYANCE GRAND EST EUROPE sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
LA GREFFIÈRE :LA PRÉSIDENTE :