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24/05/2022 | FRANCE | N°22/01883

France | France, Cour d'appel de Colmar, Chambre 6 (etrangers), 24 mai 2022, 22/01883


COUR D'APPEL DE COLMAR

Chambre 6 (Etrangers)





N° RG 22/01883 - N° Portalis DBVW-V-B7G-H2XO

N° de minute : 120/2022





ORDONNANCE





Nous, Stéphanie ISSENLOR, Conseillère à la Cour d'Appel de Colmar, agissant par délégation de la première présidente, assistée de Nadine FRICKERT, greffier ;





Dans l'affaire concernant :



M. [I] [W],

né le 28 Mai 1992 à GROZNY (RUSSIE), de nationalité russe



Actuellement retenu au centre de rétention de Geispolsheim>




VU les articles L.141-2 et L.141-3, L.251-1 à L.261-1, L.611-1 à L.614-19, L.711-2, L.721-3 à L.722-8, L.732-8 à L.733-16, L.741-1 à L.744-17, L.751-9 à L.754-1, L761-8, R.7...

COUR D'APPEL DE COLMAR

Chambre 6 (Etrangers)

N° RG 22/01883 - N° Portalis DBVW-V-B7G-H2XO

N° de minute : 120/2022

ORDONNANCE

Nous, Stéphanie ISSENLOR, Conseillère à la Cour d'Appel de Colmar, agissant par délégation de la première présidente, assistée de Nadine FRICKERT, greffier ;

Dans l'affaire concernant :

M. [I] [W],

né le 28 Mai 1992 à GROZNY (RUSSIE), de nationalité russe

Actuellement retenu au centre de rétention de Geispolsheim

VU les articles L.141-2 et L.141-3, L.251-1 à L.261-1, L.611-1 à L.614-19, L.711-2, L.721-3 à L.722-8, L.732-8 à L.733-16, L.741-1 à L.744-17, L.751-9 à L.754-1, L761-8, R.741-1, R.744-16, R.761-5 du Code de l'Entrée et du Séjour des Etrangers et du Droit d'Asile (CESEDA) ;

VU l'arrêté d'expulsion pris le 7 février 2022 par le PREFET DE LA MEUSE à l'encontre de M. [I] [W] ;

VU la décision de placement en rétention admin istrative prise le 19 mai 2022 par le PREFET DE LA MEUSE à l'encontre de M. [I] [W], notifiée à l'intéressé le même jour à 8 h 51;

VU le recours de M. [I] [W] daté du 20 mai 2022 reçu et enregistré le même jour à 18 h 45 au greffe du tribunal, par lequel il demande au tribunal d'annuler la décision de placement en rétention administrative pris à son encontre ;

VU la requête du PREFET DE LA MEUSE datée du 20 mai 2022, reçue et enregistrée le même jour à 15 h 23 au greffe du tribunal, tendant à la prolongation de la rétention administrative pour une durée de 28 jours de M. [I] [W] ;

VU l'ordonnance rendue le 22 Mai 2022 à 14 h 20 par le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Strasbourg, ordonnant la jonction de la procédure introduite par le recours de M. [I] [W] et celle introduite par la requête du PREFET DE LA MEUSE, rejetant les exceptions de procédure soulevées in limine litis par M. [I] [W], déclarant le recours de M. [I] [W] recevable, le rejetant, déboutant M. [I] [W] de sa demande de voir condamner l'Etat à verser à son conseil la somme de 950 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, déclarant la requête du PREFET DE LA MEUSE recevable et la procédure régulière, et ordonnant la prolongation de la rétention de M. [I] [W] au centre de rétention de Geispolsheim, ou dans tout autre centre ne dépendant pas de l'administration pénitentiaire, pour une durée de 28 jours à compter du 21 mai 2022 à 8 h 51 ;

VU l'appel de cette ordonnance interjeté par M. [I] [W] par voie électronique reçue au greffe de la Cour le 23 Mai 2022 à 13 h 54 ;

VU la proposition de la préfecture de la Meuse par voie électronique reçue le 23 mai 2022 afin que l'audience se tienne par visioconférence ;

VU les avis d'audience délivrés le 23 mai 2022 à l'intéressé, à Maître Vincent THALINGER, avocat au barreau de Strasbourg, à M. [B] [U], interprète en langue russe assermenté, au PREFET DE LA MEUSE et à M. Le Procureur Général ;

Le représentant du PREFET DE LA MEUSE, intimé, dûment informé de l'heure de l'audience par courrier électronique du 23 mai 2022, a comparu et a fait parvenir des conclusions en date du 24 mai 2022, qui ont été communiquées au conseil de la personne retenue.

Monsieur [B] [U], interprète, régulièrement convoqué, empêché, est remplacé par Mme [C] [U], interprète ayant prêté serment.

Après avoir entendu M. [I] [W] en ses déclarations par visioconférence et par l'intermédiaire de M. [B] [U], interprète en langue russe assermenté, Maître Vincent THALINGER, avocat au barreau de STRASBOURG, en ses observations pour le retenu, pui Maître Beril MOREL, avocat de la préfecture de la Meuse et à nouveau l'appelant qui a eu la parole en dernier.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Sur la recevabilité de l'appel :

L'appel interjeté par Monsieur [W] via son avocat le 23 mai 2022 à 13H54 à l'encontre de l'ordonnance du Juge des Libertés de Strasbourg rendue le 22 mai 2022 à 14H20, dans le délai prévu à l'article R 743-10 du CESEDA, est régulier et recevable ;

Sur l'appel

Monsieur [W] conteste l'ordonnance du Juge des Libertés de Strasbourg rendue le 22 mai 2022 rejetant son recours contre le placement en rétention et prolongeant la rétention administrative pour une durée de 28 jours.

Sur les exceptions de procédure

Monsieur [W] fait valoir, à hauteur d'appel, des exceptions soulevées in limine litis devant le premier juge.

Elles seront donc déclarées recevables.

Sur la violation de l'article L. 741-6 du CESEDA

Monsieur [W] soutient que son placement en rétention est illégal, dès lors que l'arrêté de placement en rétention a été signé le 9 mai 2022, soit 10 jours avant l'issue de sa période d'incarcération, en violation des dispositions de l'article L.741-6 du CESEDA.

En application des dispositions de l'article L.741-6 du CESEDA 'la décision de placement en rétention est prise par l'autorité administrative, après l'interpellation de l'étranger ou, le cas échéant, lors de sa retenue aux fins de vérification de son droit de circulation ou de séjour, à l'expiration de sa garde à vue, ou à l'issue de sa période d'incarcération en cas de détention.

Elle est écrite et motivée. Elle prend effet à compter de sa notification'.

L'article L 743-12 du CESEDA dispose qu' «en cas de violation des formes prescrites par la loi à peine de nullité ou d'inobservations des formalités substantielles, le juge des libertés et de la détention saisi d'une demande sur ce motif ou qui relève d'office une telle irrégularité ne peut prononcer la mainlevée du placement ou du maintien en rétention que lorsque celle-ci a pour effet de porter atteinte aux droits de l'étranger ».

D'une part, la loi n'interdit pas à l'administration de rédiger de façon anticipée des décisions individuelles, dès lors qu'elles ne sont pas mises à exécution avant leur notification à la personne intéressée.

En l'espèce, la préfecture de la Meuse a pris un arrêté de placement en rétention le 9 mai 2022 en exécution d'un arrêté préfectoral d'expulsion en date du 7 février 2022, notifié à l'intéressé le 16 février 2022.

L'arrêté de placement en rétention a été notifié le 19 mai 2022 à 8H51, lors de sa levée d'écrou, par le truchement d'un interprète assermenté en langue russe, soit au moment de sa mise en oeuvre.

La préfecture a donc respecté les dispositions de l'article L. 746-1 du CESEDA et Monsieur [W] ne démontre pas en quoi il a été porté atteinte à ses droits.

L'exception sera donc rejetée.

Sur l'absence de preuve de la nécessité de recourir à un interprète par téléphone lors de la notification du placement en rétention et lors de la notification des droits

Il ne s'agit en réalité pas d'une exception de procédure mais d'une défense au fond qui porte sur la phase de rétention

Monsieur [W] fait valoir que l'Administration a eu recours à un interprète en langue russe par téléphone pour lui notifier le placement en rétention puis ses droits, sans démontrer la nécessité d'une telle intervention et que cela entache la procédure d'une irrégularité substantielle, d'autant que sa date de levée d'écrou était prévisible et que l'administration aurait pu anticiper la présence physique d'un interprète.

Il y a lieu de relever que le placement en rétention et ses droits en rétention lui ont été notifiés par M. [K], interprète assermenté en langue russe près la Cour d'appel de Nancy, par téléphone le 19 mai 2022 à 8H51, sans viser de motif quant à l'absence physique d'interprète, puis lui ont été, à nouveau, notifiés lors de son arrivée au Centre de Rétention Administratif, le 19 mai 2022 de 12H à 12H15, par téléphone, par Mme [X], interprète en langue russe de la société IMS, étant noté, comme remarque, que l'interprète n'était pas présent en raison de la situation sanitaire « Covid 19 » et que l'intéressé aurait déclaré « je parle correctement français ». A hauteur de cour, le conseil de Monsieur [W] indique que son client a eu cette phrase car il ne comprenait pas l'interprète par téléphone et qu'il se rendait compte qu'il comprenait mieux sans l'interprète.

S'il est exact que l'article L. 141-3 du CESEDA prévoit qu'« en cas de nécessité, l'assistance de l'interprète peut se faire par l'intermédiaire d'un moyen de télécommunication », aucune sanction n'étant prévue par le texte, et que l'administration n'a pas caractérisée cette nécessité dans le cas d'espèce, Monsieur [W] ne démontre pas en quoi cette irrégularité lui a fait grief, en l'occurrence l'aurait privé du plein usage de ses droits et du plein exercice des diverses voies de recours, et donc en quoi l'article L 743-12 du CESEDA trouverait à s'appliquer.

En effet, on peut relever que la communication, pendant 15 minutes, le 19 mai 2022 de 12H à 12H15, avec un interprète de la société IMS aura permis une lecture complète du formulaire de notification des droits et à Monsieur [W] d'être pleinement informé de ceux-ci, voir de poser toutes questions utiles à l'interprète, l'intéressé ayant toutefois manifestement fait remarquer qu'il comprenait et parlait mieux le français sans interprète et ayant pu saisir le juge des Libertés et de la détention le 20 mai 2022, par le biais d'un avocat, d'une demande d'annulation de son placement en rétention.

Le moyen sera donc rejeté.

S'agissant de la régularité de la procédure de rétention

Sur l'insuffisance de motivation de la décision et l'erreur d'appréciation quant à ses garanties de représentation

Monsieur [W] fait valoir que le Préfet n'a pas caractérisé dans son arrêté de rétention le risque de soustraction à l'exécution de la mesure d'éloignement et n'a visé aucun des critères de fuite prévus à l'article L 612-3 du CESEDA. Par ailleurs, il fait valoir une adresse 43 boulevard de la fontaine à Strasbourg qui serait sienne depuis son arrivée en France. Dès lors, le préfet aurait dû l'assigner à résidence, au besoin longue durée, le temps de trouver une solution d'éloignement respectueuse des droits de l'homme.

L'article L. 741-1 du CESEDA dispose : « L'autorité administrative peut placer en rétention, pour une durée de quarante-huit heures, l'étranger qui se trouve dans l'un des cas prévus à l'article L. 731-1 lorsqu'il ne présente pas de garanties de représentation effectives propres à prévenir un risque de soustraction à l'exécution de la décision d' éloignement et qu'aucune autre mesure n'apparaît suffisante à garantir efficacement l'exécution effective de cette décision.

Le risque mentionné au premier alinéa est apprécié selon les mêmes critères que ceux prévus à l'article L. 612-3. » 

L'article L. 612-3 du CESEDA prévoit : « Le risque mentionné au 3° de l'article L. 612-2 peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants :

1° L'étranger, qui ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français, n'a pas sollicité la délivrance d'un titre de séjour;

2° L'étranger s'est maintenu sur le territoire français au-delà de la durée de validité de son visa ou, s'il n'est pas soumis à l'obligation du visa, à l'expiration d'un délai de trois mois à compter de son entrée en France, sans avoir sollicité la délivrance d'un titre de séjour;

3° L'étranger s'est maintenu sur le territoire français plus d'un mois après l'expiration de son titre de séjour, du document provisoire délivré à l'occasion d'une demande de titre de séjour ou de son autorisation provisoire de séjour, sans en avoir demandé le renouvellement;

4° L'étranger a explicitement déclaré son intention de ne pas se conformer à son obligation de quitter le territoire français;

5° L'étranger s'est soustrait à l'exécution d'une précédente mesure d'éloignement;

6° L'étranger, entré irrégulièrement sur le territoire de l'un des États avec lesquels s'applique l'acquis de Schengen, fait l'objet d'une décision d'éloignement exécutoire prise par l'un des États ou s'est maintenu sur le territoire d'un de ces États sans justifier d'un droit de séjour;

7° L'étranger a contrefait, falsifié ou établi sous un autre nom que le sien un titre de séjour ou un document d'identité ou de voyage ou a fait usage d'un tel titre ou document;

8° L'étranger ne présente pas de garanties de représentation suffisantes, notamment parce qu'il ne peut présenter des documents d'identité ou de voyage en cours de validité, qu'il a refusé de communiquer les renseignements permettant d'établir son identité ou sa situation au regard du droit de circulation et de séjour ou a communiqué des renseignements inexacts, qu'il a refusé de se soumettre aux opérations de relevé d'empreintes digitales ou de prise de photographie prévues au 3° de l'article L. 142-1, qu'il ne justifie pas d'une résidence effective et permanente dans un local affecté à son habitation principale ou qu'il s'est précédemment soustrait aux obligations prévues aux articles L. 721-6 à L. 721-8, L. 731-1, L. 731-3, L. 733-1 à L. 733-4, L.733-6, L. 743-13 à L. 743-15 et L. 751-5. »

L'arrêté de placement en rétention du 9 mai 2022 indique notamment « CONSIDERANT qu'il résulte des pièces du dossier de M. [F] se disant [I] [W] que celui-ci ne présente pas de garanties de représentations effectives propres à prévenir un risque de soustraction à la mesure d'expulsion dont il fait l'objet; que notamment il n'établit pas disposer d'un domicile fixe et durablement établi en France et qu'au regard de l'arrêté ordonnant son expulsion du territoire français prononcé à son encontre, il ne dispose d'aucun droit de séjourner en France;»

Cet arrêté renvoi expressément à l'arrêté d'expulsion du 7 février 2022, lequel souligne :

« (1) Considérant que M. [I] [W] indique être né le 28/05/1992 à GROZNY en Russie, et être de nationalité russe; qu'il est dépourvu de document justifiant de son identité et de sa

nationalité;

(2) Considérant que M. [I] [W] a déclaré être entré en France le 28/05/2016; qu'il a déposé une demande d'asile qui a été enregistrée le 23/06/2016 ; que cette demande a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 17/12/2018; que ce rejet a été

confirmé par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) le 27/07/2021 ;

...

(6) Considérant que M. [I] [W] a été condamné à 6 ans d'emprisonnement et à

l'interdiction judiciaire définitive du territoire français par la Cour d'appel de Paris pour des faits de participation à association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un acte de terrorisme, faits

commis courant 2014,2015,2016 et jusqu'au 10/01/2017 à Wissembourg, Strasbourg dans le Bas-Rhin, en Ukraine, en Pologne, en Allemagne, en Turquie, en Syrie et en Irak, peine confirmée par la Cour de Cassation; qu'il a également fait l'objet d'une inscription au fichier judiciaire national automatisé des auteurs d'infractions terroristes (FIJAIT) ;

(7) Considérant que M. [I] [W] est connu du traitement des antécédents judiciaires pour des faits de recel de biens provenant d'un délit puni d'une peine n'excédant pas 5 ans d'emprisonnement, fait commis à Fleury-Merogis en 2017, alors qu'il était incarcéré;

(8) Considérant que lors d'une perquisition au domicile de M. [I] [W] le 10/01/2017, trois téléphones portables, trois cartes SIM, deux disques durs, quatre cartes SO et une tablette ont été découvertes et placées sous scellées; que l'exploitation de ce matériel note la présence de vidéos de décapitation, d'exactions, de bombardements en zone syrienne, d'exécutions de prisonniers; que des photographies d'Oussama Ben Laden ont également été découvertes; que

M. [I] [W] a confirmé que ce matériel lui appartenait mais pas le contenu hormis des photos et vidéos à caractère personnel; que sur les faits commis sur le territoire français, l'exploitation de la ligne téléphonique de M. [I] [W] met en évidence que le contact principal de l'intéressé résidant au Mans a été mis en examen dans le cadre d'une affaire de chef de participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'actes de terrorisme ayant pour objet la préparation d'un ou plusieurs crimes d'atteintes aux personnes, à la

suite de. son interpellation après avoir projeté de passer la frontière turco-syrienne.;

(9) Considérant que M. [I] [W] ne dispose d'aucun droit au séjour sur le territoire national;

(10) Considérant qu'au regard de l'extrême gravité des faits commis en France par M. [I]

[W], son maintien sur le territoire national serait constitutif d'une menace grave pour

l'ordre public au sens de l'article L. 631-1 du CESEDA ; ... ».

Comme l'a souligné, par de justes motifs, le juge des Libertés et de la Détention, la motivation de l'arrêté de placement en rétention, laquelle n'a pas à être exhaustive et qui se réfère, en l'espèce, à un arrêté d'expulsion très circonstancié, est suffisante en fait et en droit pour s'assurer qu'il n'y a pas eu d'erreur d'appréciation de la part de l'Administration, laquelle a estimé, au moment de la décision de rétention, que l'intéressé ne présentait pas de garantiesde représentation de nature à contre-balancer le de soustraction à l'exécution de la décision d' éloignement, les hypothèses visées à l'article L. 612-3 du CESEDA étant individuellement suffisantes pour caractériser ce risque.

Le moyen sera donc rejeté.

Sur la prolongation de la rétention

Sur le défaut de diligence de l'administration et l'absence de perspective raisonnable d'éloignement

L'article L. 741-3 du CESEDA dispose que « Un étranger ne peut être placé ou maintenu en rétention que pour le temps strictement nécessaire à son départ. L 'administration exerce toute diligence à cet effet ».

Monsieur [W] fait valoir que l'administration ne justifie pas de perspectives sérieuses d'éloignement vers la Russie, vu le contexte de guerre avec l'Ukraine, tous les vols vers son pays d'origine étant suspendus et le principe de non-refoulement devant lui bénéficier. Il ajoute avoir sollicité, dès le 9 septembre 2021, son éloignement vers la Turquie, où se trouveraient des membres de sa famille, dont sa mère, mais que l'administration ne justifie d'aucune diligence auprès de ce pays afin de solliciter un laissez-passer

L'administration fait valoir, dans sa requête en prolongation, que l'intéressé ne dispose d'aucun document de voyage en cours de validité mais a été reconnu comme ressortissant russe par Moscou le 21 février 2022.

Elle indique que les vols sont temporairement suspendus vers le Russie et qu'elle n'a donc pas été en mesure d'éloigner l'intéressé dans le délai de 48 heures.

Dans la mesure où l'administration indique que les obstacles sont susceptibles d'être surmontés dans des délais compatibles avec la rétention et que les perspectives d'éloignement sont raisonnables, la délivrance de laissez-passer consulaires se poursuivant avec la Russie, et alors que l'arrêté d'expulsion du 7 février 2022 vise la Russie « ou à défaut tout autre pays où il serait légalement admissible», ce moyen sera rejeté, le juge judiciaire n'étant pas compétent pour se prononcer sur la situation administrative de l'intéressé, lequel ne bénéficie pas, à ce jour, du statut de réfugié sur le territoire français, ni sur le pays vers lequel il devrait être éloigné et vers lequel l'administration devrait se tourner dans le cadre de ses diligences.

Ce moyen sera rejeté.

- sur la violation des articles 2,3, 5 et 34 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales

Le 24 mai 2022 à 12h23, le conseil de Monsieur [W] a fait parvenir un additif, au terme duquel il soulève un nouveau moyen, tiré de la violation des articles susvisés.

Il indique et justifie avoir saisi, en urgence, le 23 mai 2022, au visa de l'article 39 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la Cour européenne des droits de l'homme d'une demande de suspension de l'arrêté d'expulsion de l'intéressé vers la Russie.

La section du filtrage lui a répondu le 23 mai 2022 que la Cour demande au gouvernement français de ne pas renvoyer le requérant avant le 1er juin 2022 à 14 heures, assurant que la requête sera traitée en priorité.

Le conseil de Monsieur [W] en déduit que l'administration ne peut justifier, dans ces conditions, de perspectives d'éloignement au sens de l'article L 741-3 du CESEDA, de surcroît sans violer les articles 2 et 3 de la CESDH. Il a également fait parvenir le 24 mai 2022 à 14 h 04 une ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg du 24 mai 2022 ayant suspendu l'arrêté d'expulsion fixant la Russie comme pays de destination jusqu'à ce qu'une décision au fond intervienne.

Il ressort des dispositions de l'article L743-11 du CESEDA qu''à peine d'irrecevabilité, prononcée d'office, aucune irrégularité antérieure à une audience à l'issue de laquelle le juge des libertés et de la détention a prolongé la mesure ne peut être soulevée lors d'une audience ultérieure'.

Sauf s'ils constituent des exceptions de procédure au sens de l'article 74 du Code de procédure Civile, les moyens nouveaux sont recevables en appel.

En application des dispositions de l'article 563 du code de procédure civile, « pour justifier en appel les prétentions qu'elles avaient soumises au premier juge, les parties peuvent invoquer des moyens nouveaux, produire de nouvelle pièce ou proposer de nouvelles preuves ».

La Cour de cassation a tranché que les moyens nouveaux d'appel peuvent être complétés ou régularisés que dans le délai de recours de 24h, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.

Dès lors, ce nouveau moyen, soulevé tardivement, est irrecevable.

Au demeurant, si ces décisions provisoires et prises dans l'urgence par la Cour européenne des droits de l'homme et par le tribunal administratif de Strasbourg ne permettent pas au gouvernement français de mettre à exécution la mesure d'expulsion vers la Russie tant qu'une décision au fond n'aura pas statué, elles n'apparaissent pas, à ce stade, vu le bref délai annoncé par la Cour européenne et en l'absence d'autres précisions de date émanant de la juridiction administrative, un obstacle à la prolongation de la mesure de rétention administrative dès lors que les délais légaux ne sont pas expirés et alors que l'administration conserve la possibilité d'une expulsion dans tout autre pays où Monsieur [W] serait légalement admissible. L'administration a précisé lors de l'audience avoir initié une demande de réadmission de l'intéressé vers les autorités turques et a transmis un courrier en ce sens adressé par LR-AR au consul le 23 mai 2022.

- sur l'appréciation, au jour de l'audience, des conditions d'une assignation à résidence

L'article L 743-13 du CESEDA donne la possibilité au juge d'assigner l'étranger à résidence, s'il présente des garanties de représentation propres et effectives, lesquelles s'apprécient à la lumière du risque de fuite résultant de son dossier, et s'il a remis à un service de police l'original de son passeport ou de tout document justificatif d'identité.

Monsieur [W] ayant été incarcéré de janvier 2017 au 19 mai 2022, soit 6 mois après son arrivée présumée en France, dans le cadre d'une lourde condamnation pour des faits d'une extrême gravité qui caractérisent une menace grave pour l'ordre public, il ne justifie pas de garanties de représentation effectives, le caractère réel et pérenne de son hébergement invoqué n'étant de surcroît pas démontré via l'attestation manuscrite et les pièces émanant de sa femme.

Par ailleurs, il n'a pas remis préalablement l'original de son passeport ou de tout document justificatif d'identité à un service de police.

Dès lors, les conditions d'une assignation à résidence telles que visées à l'article L 743-13 du CESEDA ne sont pas réunies.

Il résulte de ce qui précède qu'il y a donc lieu de confirmer l'ordonnance déférée.

PAR CES MOTIFS :

DÉCLARONS l'appel de Monsieur [W] recevable.

DECLARONS le moyen soulevé postérieurement à l'expiration du délai d'appel irrecevable.

CONFIRMONS l'ordonnance du Juge des Libertés et de la Détention de Strasbourg du 22 mai 2022 dans l'ensemble de ses dispositions.

ADMETTONS M. [I] [W] au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire.

RAPPELONS à l'intéressé les droits qui lui sont reconnus pendant la rétention :

- il peut demander l'assistance d'un interprète, d'un conseil ainsi que d'un médecin,

- il peut communiquer avec son consulat et avec une personne de son choix ;

DISONS avoir informé M. [I] [W] des possibilités et délais de recours contre les décisions le concernant.

Prononcé à Colmar, en audience publique, le 24 Mai 2022 à 16 h 20, en présence de

- l'intéressé par visio-conférence

- Maître Vincent THALINGER , conseil de M. [I] [W]

- Maître Beril MOREL, avocat du PREFET DE LA MEUSE

- de l'interprète, lequel a traduit la présente décision à l'intéressé lors de son prononcé.

Le greffier,Le président,

reçu notification et copie de la présente,

le 24 Mai 2022 à 16 h 20

l'avocat de l'intéressé

Maître Vincent THALINGER

Présent

l'intéressé

M. [I] [W]

né le 28 Mai 1992 à GROZNY (RUSSIE)

Comparant par visioconférence

l'interprète

Mme [C] [U]

l'avocat de la préfecture

Comparant

EXERCICE DES VOIES DE RECOURS :

- pour information : l'ordonnance n'est pas susceptible d'opposition,

- le pourvoi en cassation est ouvert à l'étranger, à l'autorité administrative qui a prononcé le maintien en zone d'attente ou en rétention et au ministère public,

- le délai du pourvoi en cassation est de deux mois à compter du jour de la notification de la décision, ce délai étant augmenté de deux mois lorsque l'auteur du pourvoi demeure à l'étranger,

- le pourvoi en cassation doit être formé par déclaration au Greffe de la Cour de cassation qui doit être obligatoirement faite par un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation,

- l'auteur d'un pourvoi abusif ou dilatoire peut être condamné à une amende civile,

- ledit pourvoi n'est pas suspensif.

La présente ordonnance a été, ce jour, communiquée :

- au CRA de GEISPOLSHEIM pour notification à M. [I] [W]

- à Maître Vincent THALINGER

- au PREFET DE LA MEUSE

- à la SELARL CENTAURE AVOCATS

- à M. Le Procureur Général près la Cour de ce siège.

Le Greffier

M. [I] [W] reconnaît avoir reçu notification de la présente ordonnance

le À heures

Signature de l'intéressé


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Colmar
Formation : Chambre 6 (etrangers)
Numéro d'arrêt : 22/01883
Date de la décision : 24/05/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-05-24;22.01883 ?
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