MINUTE N° 247/22
Copie exécutoire à
- Me Laurence FRICK
- Me Dominique HARNIST
Le 11.05.2022
Le Greffier
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE COLMAR
PREMIERE CHAMBRE CIVILE - SECTION A
ARRET DU 11 Mai 2022
Numéro d'inscription au répertoire général : 1 A N° RG 18/04319 - N° Portalis DBVW-V-B7C-G365
Décision déférée à la Cour : 28 Août 2018 par le TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE STRASBOURG
APPELANTE :
CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE ALSACE VOSGES
prise en la personne de son représentant légal
1 Place de la Gare - BP 20440
67008 STRASBOURG CEDEX
Représentée par Me Laurence FRICK, avocat à la Cour
INTIMES :
Madame [S] [J]
2 Ter C rue du Maire Gilliot
67860 RHINAU
Monsieur [P] [N] intimé
2 Ter C rue du Maire Gilliot
67860 RHINAU
Représentés par Me Dominique HARNIST, avocat à la Cour
Avocat plaidant : Me PELLETIER, avocat au barreau de STRASBOURG
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 805 modifié du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 27 Septembre 2021, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant M. ROUBLOT, Conseiller, et Mme ROBERT-NICOUD, Conseillère, un rapport de l'affaire ayant été présenté à l'audience.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme PANETTA, Présidente de chambre
M. ROUBLOT, Conseiller
Mme ROBERT-NICOUD, Conseillère
qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : Mme VELLAINE
ARRET :
- Contradictoire
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.
- signé par Mme Corinne PANETTA, présidente et Mme Régine VELLAINE, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Vu l'assignation délivrée le 12 mai 2016 par laquelle Mme [S] [J] et M. [P] [N] ont fait citer la Caisse régionale de Crédit Agricole Alsace Vosges, ci-après également dénommée 'le Crédit Agricole' ou 'la banque', devant le tribunal de grande instance de Strasbourg,
Vu le jugement rendu le 28 août 2018, auquel il sera renvoyé pour le surplus de l'exposé des faits, ainsi que des prétentions et moyens des parties en première instance, et par lequel le tribunal de grande instance de Strasbourg a :
- condamné la Caisse régionale de Crédit Agricole Alsace Vosges à calculer le montant des échéances réellement dues par M. [P] [N] et Mme [S] [J] sur la base d'un prêt à taux zéro de 18 253,63 euros, à établir un nouveau tableau d'amortissement, et à leur rembourser les sommes apparaissant indûment perçues du fait de ce nouveau calcul,
- assorti cette condamnation d'une astreinte de 150 euros par jour de retard commençant à courir un mois après la signification de la décision et dans la limite de 90 jours, sauf à ce qu'il soit statué à nouveau,
- condamné la Caisse régionale de Crédit Agricole Alsace Vosges à payer aux demandeurs la somme de 1 500 euros à titre de dommages et intérêts, ainsi que la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté la banque de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné le Crédit Agricole aux dépens,
- ordonné l'exécution provisoire.
aux motifs, notamment, que :
- dans le cas où l'emprunteur, pour bénéficier du prêt à taux zéro, n'était pas en mesure de fournir ses avis d'imposition de l'année précédant l'offre de prêt, il déclarait ses revenus fiscaux de référence et devait procéder à une régularisation après réception de l'avis,
- les emprunteurs, qui s'étaient vu allouer un prêt de 30 900 euros, avaient adressé à la banque leur avis d'imposition et le débit de 12 647,37 euros correspondait à cette régularisation, et ne pouvait relever de l'application de la sanction prévue par le code de la construction et de l'habitation (CCH),
- le montant du prêt n'était donc que de 18 252,63 euros après cette régularisation et un tableau d'amortissement conforme aurait dû être établi par la banque,
- la banque avait commis une faute en ne rectifiant pas le montant du prêt à taux zéro ainsi que ses modalités de remboursement, et devait être condamnée à faire le nécessaire, ainsi qu'à restituer aux emprunteurs les montants éventuellement trop perçus,
- il ne pouvait en revanche pas être question de condamner la banque à verser aux demandeurs la somme de 12 647,37 euros, dès lors qu'ils n'avaient pas droit en 2009 à l'octroi d'un prêt à taux zéro de 30 900 euros,
- les demandeurs ne démontraient pas que la banque ait manqué à son obligation de conseil au moment de l'octroi du prêt, l'offre de prêt ayant apparemment été faite sur la base des revenus qu'ils avaient déclarés.
Vu la déclaration d'appel formée par la Caisse régionale de Crédit Agricole Alsace Vosges contre ce jugement, et déposée le 10 octobre 2018,
Vu la constitution d'intimée de Mme [S] [J] et de M. [P] [N] en date du 1er février 2019,
Vu les dernières conclusions en date du 15 septembre 2021, auquel est joint un bordereau de pièces récapitulatif qui n'a fait l'objet d'aucune contestation des parties, et par lesquelles la Caisse régionale de Crédit Agricole Alsace Vosges demande à la cour de :
'DECLARER l'appel recevable,
LE DECLARER bien fondé,
INFIRMER le jugement du Tribunal de Grande Instance de STRASBOURG en date du 28 août 2018,
STATUANT A NOUVEAU,
DEBOUTER Monsieur [N] et Madame [J] de l'intégralité de leurs fins et conclusions,
DIRE n'y avoir lieu à condamnation du CREDIT AGRICOLE sous astreinte,
EN CONSEQUENCE,
DIRE ET JUGER que Monsieur [P] [N] et Madame [S] [J] devront restituer au CREDIT AGRICOLE les montants qui leurs [sic] ont été payés par le CREDIT AGRICOLE dans le cadre de la liquidation de l'astreinte soit une somme de 3.950 euros,
CONDAMNER Monsieur [P] [N] et Madame [S] [J] in solidum à payer la somme de 3.950 euros au CREDIT AGRICOLE
DEBOUTER Monsieur [N] et Madame [J] de leur demande de dommages et intérêts,
EN TOUT ETAT DE CAUSE,
CONDAMNER solidairement Monsieur [P] [N] et Madame [S] [J] à verser à la Caisse Régionale de Crédit Agricole Alsace Vosges une somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile,
CONDAMNER solidairement Monsieur [P] [N] et Madame [S] [J] aux entiers frais et dépens de la procédure de première instance et d'appel.'
et ce, en invoquant, notamment :
- le caractère inexact, déplacé et sans fondement des affirmations adverses,
- la contestation de l'appréciation du tribunal quant au fait que les emprunteurs n'auraient été redevables que sur la base d'un capital emprunté de 18 252,63 euros et non 30 900 euros au titre du prêt à taux zéro,
- à ce titre, le caractère de sanction du 'redressement' à hauteur de 12 647 euros, somme prélevée sur le compte des emprunteurs mais, dans les faits, versée au Trésor Public, compte tenu de la restitution par la banque du crédit d'impôt versé, calculé auparavant sur la base d'autres conditions contractuelles et financières, et ce en raison des déclarations inexactes des emprunteurs sur leurs revenus, leur ayant procuré un avantage indu, ce remboursement ne devant pas peser sur la concluante,
- l'absence de nécessité de modifier les documents contractuels, et partant, de recourir à l'astreinte, dont le montant, alors que le jugement entrepris a été exécuté, devrait être restitué par les intimés, outre rejet de la demande d'astreinte complémentaire,
- l'absence de préjudice justifiant de la demande adverse en dommages-intérêts,
- le remboursement du prêt à taux zéro sur la base des indications du jugement entrepris et du choix opéré par les emprunteurs, la concluante ayant respecté son obligation d'établir un nouveau tableau d'amortissement, d'une part et ce tableau d'amortissement étant en possession des emprunteurs d'autre part, le jugement entrepris étant ainsi appliqué.
Vu les dernières conclusions en date du 2 septembre 2021, auquel est joint un bordereau de pièces récapitulatif qui n'a fait l'objet d'aucune contestation des parties, et par lesquelles Mme [J] et M. [N] demandent à la cour de :
'Vu l'article 1235 du Code civil,
DECLARER l'appel irrecevable et mal fondé ;
DEBOUTER l'appelante de l'intégralité de ses prétentions ;
CONFIRMER en toutes ses dispositions le Jugement entrepris ;
En sus,
CONSTATER, subsidiairement DIRE ET ARRETER que la banque n'a pas déféré à l'astreinte de la juridiction de premier degré en ne produisant pas de tableau d'amortissement dûment modifié ;
CONSTATER, subsidiairement DIRE ET ARRETER que la banque assume parfaitement qu'à ce jour le prêt reste toujours informatiquement à hauteur de 30.900 € ;
ASSORTIR la condamnation de la banque à produire un nouveau tableau d'amortissement d'une astreinte de 200 € par jour, commençant à courir rétroactivement le 17 décembre 2018 jusqu'à production par la banque dudit document, sans limite de temps ;
CONDAMNER la banque aux entiers frais et dépens de la procédure, ainsi qu'au paiement d'une somme de 5.000 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile.'
et ce, en invoquant, notamment :
- le remboursement à double titre, par les concluants, de la somme de 12 647 euros,
- le caractère invraisemblable voire mensonger de l'argumentation de la banque, en l'absence de toute erreur de leur part ou de toute sanction encourue, et alors que la somme débitée serait toujours en compte d'attente, sans preuve valable du versement à l'État invoqué par la banque, qui produirait un faux à l'appui de ses allégations,
- la résistance de la banque à se conformer au jugement ;
Vu l'ordonnance de clôture en date du 22 septembre 2021,
Vu les débats à l'audience du 27 septembre 2021,
Vu le dossier de la procédure, les pièces versées aux débats et les conclusions des parties auxquelles il est référé, en application de l'article 455 du code de procédure civile, pour l'exposé de leurs moyens et prétentions.
MOTIFS :
La cour entend, au préalable, rappeler que :
- aux termes de l'article 954, alinéa 3, du code de procédure civile, elle ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion,
- ne constituent pas des prétentions, au sens de l'article 4 du code de procédure civile, les demandes des parties tendant à 'dire et juger' ou 'constater', en ce que, hors les cas prévus par la loi, elles ne sont pas susceptibles d'emporter de conséquences juridiques, mais constituent en réalité des moyens ou arguments, de sorte que la cour n'y répondra qu'à la condition qu'ils viennent au soutien de la prétention formulée dans le dispositif des conclusions et, en tout état de cause, pas dans son dispositif mais dans ses motifs.
S'agissant des demandes au fond, si la justification, ou à tout le moins la possibilité d'une correction de la situation des emprunteurs postérieurement à l'octroi du prêt n'apparaît pas réellement discutée dans son principe, même si les pièces produites ne permettent formellement d'attester ni de l'exactitude de la somme en cause, ni de son imputabilité aux consorts [J] ' [N], il ne ressort, pour autant, pas des éléments versés aux débats que la banque aurait procédé, ou aurait permis à l'administration de procéder dans les conditions prévues par la loi, et plus particulièrement en application de l'article R. 318-22 du code de la construction et de l'habitation, à une régularisation pour ce motif, ce dont il résulte qu'il n'est pas établi que la somme prélevée à hauteur de 12 647 euros, d'autorité, par la banque sur le compte des intéressés correspondrait à un 'redressement' au titre de leur droit au PTZ, ce d'autant plus que l'établissement n'a pas été en mesure, en tout cas dans un premier temps, mais y compris plusieurs années après l'octroi du prêt, d'expliquer les raisons de ce prélèvement qui a été affecté à un compte d'attente. Il en résulte que la somme mise à disposition des emprunteurs au titre du PTZ a ainsi été, sans justification valable, réduite du montant de 12 647 euros, le montant prêté n'atteignant ainsi que 18 253,63 euros.
Dans ces conditions, la cour considère que le premier juge a, par des motifs pertinents qu'il convient d'approuver, fait une exacte appréciation des faits de la cause et du droit des parties en condamnant la Caisse régionale de Crédit Agricole Alsace Vosges à calculer le montant des échéances réellement dues par M. [P] [N] et Mme [S] [J] sur la base d'un prêt à taux zéro de 18 253,63 euros, à établir un nouveau tableau d'amortissement, et à leur rembourser les sommes apparaissant indûment perçues du fait de ce nouveau calcul.
C'est encore à bon droit, et par des motifs pertinents qui seront adoptés, que le premier juge a condamné la banque à verser aux consorts [J]-[N] la somme de 1 500 euros à titre de dommages-intérêts, dès lors que la position de la banque, l'incertitude de ses explications et le temps de traitement du dossier ont placé les emprunteurs dans une situation d'insécurité juridique et financière caractérisée.
Il résulte également de la solution retenue par la cour que le prononcé d'une astreinte, puis sa liquidation, par décision du juge de l'exécution, confirmée par la cour de céans, n'ont causé aucun préjudice indemnisable au détriment de la banque, dont la demande à ce titre sera rejetée.
Pour autant, la cour, au vu des éléments dont elle dispose, n'aperçoit pas de motif de s'écarter de l'appréciation faite par le magistrat chargé de la mise en état qui, dans son ordonnance du 26 juin 2020, a, pour écarter la requête en radiation présentée par les intimés, constaté que la décision entreprise avait été exécutée en toutes ses dispositions, en relevant, notamment, que plusieurs propositions avaient été faites aux emprunteurs, lesquels avaient opté pour une période d'amortissement de 24 ans, sans qu'aucun élément ne permette de déduire que la banque n'en aurait pas tenu compte.
Il convient, en conséquence, de rejeter la demande de Mme [J] et M. [N] tendant au prononcé d'une astreinte à hauteur de cour.
Le Crédit Agricole succombant pour l'essentiel sera tenu des dépens de l'appel, par application de l'article 696 du code de procédure civile, outre confirmation du jugement déféré sur cette question.
L'équité commande en outre de mettre à la charge de la banque une indemnité de procédure pour frais irrépétibles de 2 000 euros au profit des intimés, tout en disant n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile à l'encontre de ces derniers, et en confirmant les dispositions du jugement déféré de ce chef.
P A R C E S M O T I F S
La Cour,
Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 28 août 2018 par le tribunal de grande instance de Strasbourg,
Y ajoutant,
Déboute la Caisse régionale de Crédit Agricole Alsace Vosges de sa demande en dommages-intérêts,
Déboute Mme [S] [J] et M. [P] [N] de leur demande de prononcé d'une astreinte,
Condamne la Caisse régionale de Crédit Agricole Alsace Vosges aux dépens de l'appel,
Condamne la Caisse régionale de Crédit Agricole Alsace Vosges à payer à Mme [S] [J] et M. [P] [N], indivisément, la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de la Caisse régionale de Crédit Agricole Alsace Vosges.
La Greffière :la Présidente :