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27/04/2022 | FRANCE | N°19/03405

France | France, Cour d'appel de Colmar, Chambre 1 a, 27 avril 2022, 19/03405


MINUTE N° 229/22





























Copie exécutoire à



- Me Nadine HEICHELBECH



- Me Laurence FRICK





Le 27.04.2022



Le Greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE COLMAR

PREMIERE CHAMBRE CIVILE - SECTION A



ARRET DU 27 Avril 2022



Numéro d'inscription au répertoire général : 1 A N° RG 19/03405 - N° Portalis DBVW-V-B7D-HEWW

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Décision déférée à la Cour : 04 Juin 2019 par le TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE MULHOUSE



APPELANTS - INTIMES INCIDEMMENT :



Monsieur [X] [K]

9 rue des Jonquilles 25230 SELONCOURT



Madame [N] [D] épouse [K]

9 rue des Jonquilles 25230 SELONCOURT



Rep...

MINUTE N° 229/22

Copie exécutoire à

- Me Nadine HEICHELBECH

- Me Laurence FRICK

Le 27.04.2022

Le Greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE COLMAR

PREMIERE CHAMBRE CIVILE - SECTION A

ARRET DU 27 Avril 2022

Numéro d'inscription au répertoire général : 1 A N° RG 19/03405 - N° Portalis DBVW-V-B7D-HEWW

Décision déférée à la Cour : 04 Juin 2019 par le TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE MULHOUSE

APPELANTS - INTIMES INCIDEMMENT :

Monsieur [X] [K]

9 rue des Jonquilles 25230 SELONCOURT

Madame [N] [D] épouse [K]

9 rue des Jonquilles 25230 SELONCOURT

Représentés par Me Nadine HEICHELBECH, avocat à la Cour

Avocat plaidant : Me Katia DEBAY, avocat au barreau de VERSAILLES

INTIMEE - APPELANTE INCIDEMMENT :

CAISSE DE CREDIT MUTUEL MULHOUSE EUROPE

prise en la personne de son représentant légal

37 Avenue du Président Kennedy

68200 MULHOUSE

Représentée par Me Laurence FRICK, avocat à la Cour

Avocat plaidant : Me LUTZ, avocat au barreau de STRASBOURG

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 13 Septembre 2021, en audience publique, un rapport ayant été présenté, devant la Cour composée de :

Mme PANETTA, Présidente de chambre

M. ROUBLOT, Conseiller

Mme ROBERT-NICOUD, Conseillère

qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Mme VELLAINE

ARRET :

- Contradictoire

- rendu par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.

- signé par Mme Corinne PANETTA, présidente et Mme Régine VELLAINE, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE :

Suivant offre de prêt émise le 15 novembre 2005, M. et Mme [K] ont souscrit auprès de la Caisse de Crédit Mutuel Mulhouse Europe un prêt immobilier d'un montant de 390 000 CHF, remboursable in fine en une échéance unique le 31 octobre 2021, outre des intérêts et cotisations d'assurance payables annuellement, calculés au taux de 2,260 % indexé sur le Libor 3 mois, destiné à financer l'acquisition de trois appartements.

Le prêt a été réitéré par acte authentique établi le 8 décembre 2015.

Par acte d'huissier de justice délivré le 4 octobre 2017, M. et Mme [K] ont assigné la Caisse de Crédit Mutuel devant le tribunal de grande instance de Mulhouse.

Par jugement du 4 juin 2019, le tribunal de grande instance de Mulhouse a :

- dit que les règles relatives à la prescription n'ont pas vocation à s'appliquer à une demande tendant à voir des stipulations d'une offre de prêt réputées non écrites au sens de l'article L.132-1 du code de la consommation,

- rejeté la demande formée à titre principal par M. et Mme [K] tendant à voir réputées non écrites les clauses 4.3 et 9.5 incluses dans l'offre de prêt émise le 15 novembre 2005,

- rejeté la demande formée à titre subsidiaire par M. et Mme [K] tendant à ce qu'il soit jugé que le montant du capital à rembourser s'élève à 246 817,20 euros,

- rejeté la demande formée en tout état de cause par M. et Mme [K] tendant à ce qu'il soit jugé que le montant du capital à rembourser ne pourra pas être supérieur à 246 817,20 euros,

- rejeté la demande de condamnation de la Caisse de Crédit Mutuel Europe à établir un nouveau tableau d'amortissement pour le prêt de 381 300 CHF, au même taux et sur la même durée avec substitution de l'euro au franc suisse, déduction faite des intérêts déjà versés réactualisés au cours de change à la date du déblocage du prêt, sous astreinte de 300 euros par jour de retard, à compter de la signification du jugement,

- dit que l'action formée par M. et Mme [K] au titre d'un manquement de la banque à son obligation de mise en garde est irrecevable pour être prescrite,

- rejeté en conséquence la demande de condamnation de la Caisse de Crédit Mutuel Europe au paiement de dommages-intérêts à hauteur de 150 000 euros,

- condamné in solidum M. et Mme [K] à payer la somme de 1 200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et rejeté leur demande de ce chef,

- rejeté toutes autres demandes plus amples ou contraires formées par les parties,

- condamné in solidum M. et Mme [K] aux dépens,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire de la décision.

Le 26 juillet 2019, M. [K] et Mme [D] épouse [K] ont interjeté appel de cette décision.

Le 5 septembre 2019, la Caisse de Crédit mutuel Mulhouse Europe (la Caisse) s'est constituée intimée.

Dans leurs dernières conclusions du 5 juillet 2021, transmises par voie électronique le 6 juillet 2021 avec un bordereau de communication de pièce du même jour qui n'a fait l'objet d'aucune contestation, M. et Mme [K] demandent à la cour de :

- déclarer l'appel principal recevable,

- confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré l'action en suppression de clauses abusives imprescriptible,

- d'infirmer le jugement pour le surplus,

Statuant à nouveau,

- juger que les clauses 4.3 relative au remboursement de prêt en francs suisses et la clause 9.5 afférente au risque de change de l'offre de prêt du 15 novembre 2005 sont abusives et réputées non écrites,

- condamner la Caisse à leur verser la somme de 151.474,88 Euros à titre de dommages-intérêts suite au préjudice subi du fait de l'existence de clauses abusives,

A titre subsidiaire :

- juger l'action en manquement au devoir de mise en garde recevable,

- constater que la Caisse a manqué à son obligation de mise en garde à leur égard,

- juger qu'ils ont subi un préjudice résultant de la perte de chance d'avoir conclu un contrat de prêt immobilier à des conditions financières plus avantageuses,

- condamner la Caisse à leur verser la somme de 151 474,88 euros à titre de dommages-intérêts au titre de son manquement au devoir de mise en garde au titre du préjudice financier subi outre 15 000 euros au titre du préjudice moral,

- condamner la Caisse à leur payer la somme de 9 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- débouter la Caisse de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- condamner la Caisse aux entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions du 11 août 2021, auxquelles a été joint un bordereau de communication de pièces qui n'a fait l'objet d'aucune contestation, lesquels ont été transmis par voie électronique le même jour, la Caisse demande à la cour de :

Statuant sur l'appel principal :

- le déclarer mal fondé ;

- débouter les appelants de toutes leurs fins et prétentions ;

- confirmer le jugement entrepris dans la limite de l'appel incident.

Statuant sur l'appel incident formé par la CCM :

- déclarer l'appel incident recevable et bien fondé ;

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré l'action restitutoire fondée sur les clauses abusives imprescriptible ;

- déclarer cette action prescriptible et en l'espèce prescrite ;

- confirmer pour le surplus.

En tout état de cause :

- condamner solidairement M. et Mme [K] à lui payer une indemnité de 4 000 euros au titre de l'article 700 du CPC ;

- les condamner solidairement aux entiers frais et dépens d'appel.

Le 25 août 2021, la clôture de la procédure a été ordonnée et l'affaire renvoyée à l'audience de plaidoirie du 13 septembre 2021, à laquelle l'affaire a été appelée.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se référer aux dernières conclusions des parties pour l'exposé de leurs moyens et prétentions.

MOTIFS DE LA DECISION :

1. Sur la demande tendant à déclarer abusives et réputées non écrites les clauses 4.3 relative au remboursement du prêt en francs suisses et 9.5 afférente au risque de change de l'offre de prêt du 15 novembre 2005 :

Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription :

La Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit (10 juin 2021, C-776/19 à C-782/19) que 'L'article 6, paragraphe 1, et l'article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, lus à la lumière du principe d'effectivité, doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une réglementation nationale soumettant l'introduction d'une demande par un consommateur aux fins de la constatation du caractère abusif d'une clause figurant dans un contrat conclu entre un professionnel et ce consommateur à un délai de prescription.'

Ainsi, l'action des emprunteurs, qui tend à déclarer abusives et réputées non écrites les clauses précitées, ne peut être soumise à un délai de prescription.

Il convient donc de confirmer le jugement ayant dit que les règles relatives à la prescription n'ont pas vocation à s'appliquer à une demande tendant à voir des stipulations d'une offre de prêt réputées non écrites au sens de l'article L.132-1 du code de la consommation.

Sur le fond :

Selon l'article L. 132-1 du code de la consommation, devenu l'article L. 212-1, dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.

Sans préjudice des règles d'interprétation prévues aux articles 1188, 1189, 1191 et 1192 du code civil, le caractère abusif d'une clause s'apprécie en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, de même qu'à toutes les autres clauses du contrat. Il s'apprécie également au regard de celles contenues dans un autre contrat lorsque les deux contrats sont juridiquement liés dans leur conclusion ou leur exécution.

L'appréciation du caractère abusif des clauses au sens du premier alinéa ne porte ni sur la définition de l'objet principal du contrat ni sur l'adéquation du prix ou de la rémunération au bien vendu ou au service offert pour autant que les clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible.

Il est constant qu'il y a lieu d'apprécier dans un premier temps si la clause litigieuse constitue l'objet principal du contrat, dans l'affirmative si elle est rédigée de façon claire et compréhensible et si, dans les hypothèses où la clause ne relevait pas de l'objet principal du contrat ou si elle n'était pas rédigée de façon claire et compréhensible, de rechercher l'existence ou non d'un déséquilibre significatif.

La Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit (10 juin 2021, C-776/19 à C-782/19) que :

'L'article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que les clauses du contrat de prêt qui prévoient que la devise étrangère est la monnaie de compte et que l'euro est la monnaie de paiement et qui ont pour effet de faire porter le risque de change sur l'emprunteur relèvent de cette disposition dans le cas où ces clauses fixent un élément essentiel caractérisant ledit contrat.

3) L'article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que, dans le cadre d'un contrat de prêt libellé en devise étrangère, l'exigence de transparence des clauses de ce contrat qui prévoient que la devise étrangère est la monnaie de compte et que l'euro est la monnaie de paiement et qui ont pour effet de faire porter le risque de change sur l'emprunteur, est satisfaite lorsque le professionnel a fourni au consommateur des informations suffisantes et exactes permettant à un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d'évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de telles clauses sur ses obligations financières pendant toute la durée de ce même contrat.

4) La directive 93/13 doit être interprétée en ce sens qu'elle s'oppose à ce que la charge de la preuve du caractère clair et compréhensible d'une clause contractuelle, au sens de l'article 4, paragraphe 2, de cette directive, incombe au consommateur.

5) L'article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que les clauses d'un contrat de prêt qui prévoient que la devise étrangère est la monnaie de compte et que l'euro est la monnaie de paiement et qui ont pour effet de faire porter le risque de change, sans qu'il soit plafonné, sur l'emprunteur, sont susceptibles de créer un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties découlant dudit contrat au détriment

du consommateur, dès lors que le professionnel ne pouvait raisonnablement s'attendre, en respectant l'exigence de transparence à l'égard du consommateur, à ce que ce dernier accepte, à la suite d'une négociation individuelle, un risque disproportionné de change qui résulte de telles clauses.'

En l'espèce, les emprunteurs invoquent le caractère abusif des clauses 4.3 et 9.5 de l'offre de prêt d'un montant de 390 000 CHF.

Il résulte de la clause 4.3 qu'elle précise les modalités de remboursement du crédit, précisant que le capital s'amortira en une seule fois, l'échéance de 390 000 CHF étant payable le 31 octobre 2021, et que les intérêts et s'il y a lieu, la cotisation d'assurance sont payables le 31 décembre de chaque année jusqu'au remboursement intégral du capital et selon les modalités détaillées dans le tableau d'amortissement joint. La clause précise d'ailleurs le montant de la cotisation d'assurance en CHF.

Il résulte également de cette clause que les remboursements s'effectueront dans la devise empruntée, c'est-à-dire en francs suisses, les emprunteurs ayant cependant toujours la possibilité de payer les échéances en euros, la clause précisant que la monnaie de paiement est l'euro. Ainsi, le paiement des échéances peut s'effectuer, au choix de l'emprunteur, soit à hauteur du montant de la mensualité exprimée en CHF, soit à hauteur d'une somme correspondante en euros, qui est alors indexée sur cette somme en CHF. En cas d'insuffisance de provision sur le compte en devises le jour de l'échéance, la banque est en droit de prélever l'échéance correspondante en euros. Le cours du change appliqué est alors le cours du change tiré.

La clause 9.5, insérée dans la clause 9 intitulée 'dispositions propres aux crédits en devises', sous un chapitre 'engagements liés à la nature des prêts' indique 'il est expressément convenu que l'emprunteur assume les conséquences du changement de parité entre la devise empruntée et l'euro, qui pourrait intervenir jusqu'au complet remboursement du prêt'.

Dès lors, ces clauses portent sur un élément essentiel caractérisant ledit contrat puisque la première a trait aux modalités de remboursement du capital prêté en francs suisses et des intérêts et cotisations d'assurance dus par l'emprunteur, le montant des sommes dont le paiement est dû au prêteur, lorsqu'il s'effectue en euros, étant susceptible de varier en fonction de l'évolution du cours du franc suisse dans lequel sont libellés le capital emprunté et à rembourser, ainsi que les échéances annuelles de remboursement jusqu'à l'amortissement du capital, et la seconde ayant trait à ce risque de change.

L'appréciation du caractère abusif ne peut dès lors porter sur de telles clauses, qui portent sur l'objet principal du contrat, sauf si elles ne sont pas rédigées de manière claire et compréhensible.

L'exigence selon laquelle une clause contractuelle doit être rédigée de manière claire et compréhensible oblige les établissements financiers à fournir aux emprunteurs des informations suffisantes pour permettre à ceux-ci de prendre leurs décisions avec prudence et en toute connaissance de cause.

S'agissant de clauses relatives aux modalités de remboursement et au risque de change, elles doivent être comprises à la fois sur les plans formel et grammatical, mais également quant à leur portée concrète en ce sens qu'un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, puisse non seulement avoir conscience de la possibilité de dépréciation de la monnaie nationale par rapport à la devise étrangère dans laquelle le prêt est libellé mais aussi évaluer les conséquences économiques, potentiellement significatives, d'une telle clause sur ses obligations financières.

En l'espèce, les documents contractuels ne contenaient pas d'éléments simulant concrètement une variation du cours de change à la hausse ou à la baisse et les effets sur le montant d'une mensualité qui serait payée en euro, du capital qui serait remboursé par anticipation en euros ou du montant des sommes restant dues en cas de conversion du prêt en euros. Toutefois, aucune disposition légale ou réglementaire n'imposait, alors, une telle simulation.

La Caisse fait cependant valoir qu'ils ont signé une attestation attirant leur attention sur le risque de change et de taux.

En effet, selon la pièce n°2 produite par la Caisse, M. et Mme [K] ont signé le 9 novembre 2015 une attestation par laquelle ils déclarent notamment avoir 'pris connaissance des risques de change liés au cours du Franc suisse'. Ils ne sont donc pas fondés à soutenir ne pas avoir reçu une information personnalisée sur les risques encourus dans le cadre d'un prêt en devises.

La Caisse ajoute, ce qui n'est pas contesté, qu'ils sont domiciliés dans un département limitrophe de la Suisse.

Ainsi, ces clauses, rédigées en des termes clairs et compréhensibles, au demeurant éclairées par l'information spécialement et distinctement fournie sur le risque de change lié au cours du franc suisse qu'ils ont reconnu avoir reçue en signant l'attestation précitée avant de souscrire l'offre de prêt, était suffisamment claire et compréhensible pour permettre aux emprunteurs - dont le caractère de consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé sera retenu, en l'absence de toute preuve contraire - de comprendre la portée concrète du fonctionnement du prêt et du risque, lequel résultait clairement des termes de la clause 9.5 dans un vocabulaire aisément compréhensible, lié à l'évolution du cours de change entre le CHF et l'euro qu'ils pourraient être amenés à supporter lors du remboursement en euros des sommes libellées en CHF en cas d'évolution défavorable pour eux de la parité, et ce, jusqu'au remboursement complet du prêt comme le précise cette clause, étant précisé qu'ils indiquent qu'ils ne percevaient pas de revenus en franc suisse et qu'ils n'invoquent pas détenir de fonds en franc suisse.

Il résulte de l'ensemble de ces éléments que le prêteur leur a fourni des informations suffisantes et exactes leur permettant de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d'évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de telles clauses sur leurs obligations financières pendant toute la durée de ce même contrat dans l'hypothèse d'une dépréciation importante de la monnaie dans laquelle ils percevaient leurs revenus par rapport à la monnaie de compte.

Ainsi, a été remplie l'exigence de transparence des clauses de ce contrat faisant peser, lorsque la mensualité libellée en CHF est payée en euro et en cas de dépréciation de l'euro par rapport à cette monnaie de compte, le risque de change sur l'emprunteur.

Dès lors, compte tenu de ces motifs, outre ceux pertinents des premiers juges qu'il convient d'adopter, ces clauses sont claires et suffisamment compréhensibles. Il s'ensuit qu'il n'y a pas lieu d'apprécier, si elles ont un caractère abusif en ce qu'elles portent sur le remboursement du prêt en francs suisses et sur le risque de change.

En outre, les emprunteurs soutiennent, in fine, dans leurs conclusions (p.12), dans un paragraphe qui n'est pas celui relatif à l'appréciation du caractère clair et compréhensible de la clause, mais qui a trait à la notion de déséquilibre significatif, qu'il n'est pas indiqué précisément comment sera déterminé le cours du change lors du règlement des intérêts en CHF et du remboursement du prêt in fine en CHF, et qu'il est seulement indiqué qu'il s'agit du cours du change tiré, ce qui ne peut être considéré comme précisément défini.

Cependant, d'une part, il convient d'observer qu'ils ne soutiennent pas cette argumentation au soutien de leur moyen selon lequel la clause 4.3 ou 9.5 ne serait pas claire ou compréhensible.

D'autre part, les termes de la clause 4.3. indiquant que 'le cours du change appliqué sera le cours du change tiré' ne se rapportent qu'à la phrase les précédant directement dans la même clause, à savoir 'si le compte en devises ne présente pas la provision suffisante au jour de l'échéance, le prêteur est en droit de convertir le montant de l'échéance impayée en euros, et de prélever ce montant sur tout compte ouvert dans les livres du prêteur, au nom de l'emprunteur ou du co-emprunteur.'

Les termes 'le cours du change appliqué sera le cours du change tiré' ne sont pas de nature à rendre non claire et non compréhensible l'intégralité de la clause 4.3., et les emprunteurs ne soutiennent d'ailleurs pas le contraire, et notamment pas les autres phrases de la clause qui prévoient que les remboursements auront lieu dans la devise empruntée, que les échéances seront débitées sur tout compte en devises ouvert au nom de l'un des emprunteurs dans les livres du prêteur ou encore que la monnaie de paiement est l'euro et que l'emprunteur a toujours la faculté de rembourser en euros les échéances au montant de leur prélèvement et que les échéances seront débitées sur tout compte en devises ou en euros ouvert au nom de l'un des emprunteurs dans les livres du prêteur.

Dans les autres cas, et notamment dans le cas où l'emprunteur choisit d'alimenter son compte en devises à partir de son compte en euros, ladite clause ne définit pas le cours du change qui sera appliqué. Cependant, cette absence de précision dans la clause ne la rend pas non claire et non compréhensible et ne confère aucun pouvoir unilatéral à la Caisse.

D'autre part, s'agissant plus précisément de cette notion de 'cours du change tiré', les emprunteurs en donnent la définition dans leurs conclusions, à savoir le change scriptural qui reflète le solde des devises détenues, ce qui démontre d'ailleurs qu'ils ont compris cette notion, mais soutiennent qu'elle n'est pas assez précise.

Ils ajoutent que le cours de change d'une devise varie fortement au cours d'une même journée, que le fait d'indiquer qu'il s'agit du 'cours du change tiré' (change scriptural qui reflète le solde des devises détenues) ne peut être considéré comme précisément défini. Ils concluent que 'ces clauses cumulées' confèrent un pouvoir unilatéral au professionnel.

Cependant, une telle clause ne définit pas le taux de change appliqué dans un tel cas, mais indique seulement que sera appliqué le cours du change tiré applicable au moment de l'opération de prélèvement opérée par la banque sur le compte en euro, laquelle n'a lieu que le jour de l'échéance et dans le cas précis précité.

En outre, en ce que la clause se réfère à cette notion technique de 'cours du change tiré', elle n'est pas potestative.

Elle ne confère pas de pouvoir unilatéral à la Caisse qui aurait pour objet ou pour effet de créer un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties au détriment des emprunteurs.

En effet, il a été vu que ce n'est qu'en cas d'insuffisance de la provision sur le compte en devises pour payer l'échéance prévue, que cette clause permet à la Caisse de convertir, en euros, le montant de l'échéance impayée, le cours du change appliqué étant alors le cours du change tiré, de sorte qu'elle ne s'applique que lorsque les emprunteurs n'ont pas suffisamment alimenté leur compte en devises et qu'elle permet d'assurer le paiement de l'échéance avec les euros dont dispose le ou les emprunteurs sur un de leur compte quelconque ouvert dans les livres du prêteur, tout en leur évitant d'être défaillants dans le remboursement de leur prêt.

Même si cette clause permet à la Caisse, dans le cas précis précité, de choisir le moment de la journée de l'échéance pour effectuer, dans ces circonstances, la conversion et ledit prélèvement et, le cas échéant, de choisir le cours de change appliqué à tel moment de la journée plutôt qu'à un autre, elle n'a pas pour objet ou pour effet de créer un déséquilibre significatif au détriment du consommateur, dès lors que ce prélèvement a lieu le jour de l'échéance et qu'elle permet d'éviter aux emprunteurs de se trouver défaillants dans l'exécution de leurs obligations, étant observé qu'ils peuvent également choisir le moment qui leur est le plus favorable pour alimenter le compte en devises et éviter ainsi l'application de cette clause.

Le jugement sera dès lors confirmé en ce qu'il a rejeté la demande tendant à déclarer abusives les clauses 4.3. et 9.5.

2. Sur l'action en dommages-intérêts résultant du caractère abusif des clauses précitées :

Il résulte de ce qui précède que cette action est sans objet s'agissant des clauses dont le caractère abusif n'a pas été retenu. Cette demande sera dès lors rejetée.

3. Sur la demande de dommages-intérêts pour manquement de la Caisse à son devoir de mise en garde :

Sur la fin de non-recevoir :

Les emprunteurs demandent le paiement de dommages-intérêts réparant le préjudice causé par le manquement de la banque à son devoir de mise en garde consistant d'une part dans le surcoût en capital au 30 avril 2017 et intérêts et d'autre part en un préjudice moral, ayant vécu depuis plusieurs années dans l'angoisse de rembourser un prêt au montant exponentiel.

La Caisse conclut à la confirmation du jugement ayant déclaré cette demande prescrite. Elle soutient que la prescription court de la conclusion du contrat et qu'alors que les appelants veulent faire courir la prescription de la révélation ou la réalisation du risque de change, la hausse du franc suisse a commencé en 2008, s'est poursuivie de 2009 à 2011 et que la décision du 15 janvier 2015 ne fait que prendre acte d'une envolée préexistant depuis six ans pour tenter de stabiliser le cours de la devise à un niveau certes élevé, mais inférieur aux sommes atteintes en 2011. Elle ajoute que devant payer des échéances régulières, les emprunteurs ont éprouvé la hausse du franc suisse dès 2008 en temps réel, de sorte que leur assignation du 26 octobre 2017 est prescrite.

Les emprunteurs répliquent que l'instauration d'un taux plancher de 2011 à 2015 les a empêchés de prendre conscience du risque, ce d'autant que, s'agissant d'un prêt à taux d'intérêt indexé sur le Libor 3 mois CHF, ils ne pouvaient pas déterminer si la variation du montant des intérêts était due à la variation de l'indice ou au cours du change. Ils font valoir n'avoir pris connaissance de l'intégralité de leur dommage que lors de l'abandon du taux plancher le 15 janvier 2015, qui a eu pour conséquence un renchérissement durable et historique du franc suisse par rapport à l'euro et avec le rapport de M. [U] faisant état d'une augmentation de leur capital à rembourser de plus de 100 000 euros du fait du risque de change. Ils ajoutent avoir été contraints de vendre leurs trois appartements situés dans une résidence de services dans la mesure où les prêts souscrits par les autres co-propriétaires venaient à échéance à peu près à la même période en octobre 2021 et dès lors que les époux [K] auraient eu beaucoup de difficultés afin de vendre leurs appartements à la même époque que les autres copropriétaires afin de régler la dernière échéance de leur prêt in fine. Ils ont ainsi vendu leurs biens en juillet 2019 et mars 2020 et soutiennent que c'est à l'occasion de la revente de leur bien immobilier qu'ils ont pu avoir pleinement conscience du caractère litigieux du prêt en franc suisse.

Afin de déterminer si l'action en réparation du dommage est ou non prescrite, il s'agit de déterminer la date à laquelle le dommage, dont il est demandé réparation, s'est réalisé ou, le cas échéant, a été révélé à l'emprunteur.

Le dommage résultant d'un manquement d'une banque à son obligation de mettre en garde un emprunteur non averti sur le risque d'endettement excessif né de l'octroi d'un prêt consiste en la perte d'une chance d'éviter le risque qui s'est réalisé, ce risque étant que l'emprunteur ne soit pas en mesure de faire face au paiement des sommes exigibles au titre du prêt, de sorte que le délai de prescription de l'action en indemnisation d'un tel dommage commence à courir, non à la date de conclusion du contrat de prêt, mais à la date d'exigibilité des sommes au paiement desquelles l'emprunteur n'est pas en mesure de faire face.

En l'espèce, le prêt était remboursable, dans un premier temps, par échéance annuelle, d'intérêts et cotisations d'assurance, au 31 décembre de chaque année, puis, in fine en octobre 2021, par le remboursement du capital, son remboursement anticipé ayant cependant débuté suite à la vente d'un bien immobilier en juillet 2019.

S'agissant d'un prêt remboursable in fine, le dommage résultant du risque de change contre lequel les emprunteurs soutiennent ne pas avoir été mis en garde n'a pu se réaliser avant le début du remboursement du capital. Il en résulte que l'action en responsabilité n'est pas prescrite, le jugement étant infirmé de ce chef.

Sur le fond :

Les emprunteurs reprochent d'abord à la Caisse de ne pas avoir reçu les informations afin d'avoir pleinement conscience des risques importants associés à un emprunt en devises contracté dans le cadre d'un investissement immobilier, s'agissant du risque lié aux disparités de change et de l'augmentation du capital à rembourser ayant pour conséquence l'indisponibilité du bien immobilier acquis par le biais de la souscription d'un prêt en devises.

Ils reprochent ensuite à la Caisse de ne pas avoir attiré leur attention sur les risques résultant de l'évolution du cours du change.

Cependant, à supposer que l'action en responsabilité soit également fondée sur un manquement au devoir d'information, ce qui ne résulte pas des prétentions mentionnées au dispositif des conclusions des emprunteurs, il résulte de ce qui précède que compte tenu des termes clairs et précis des clauses précitées, outre la signature de l'attestation précitée, ils étaient informés, lors de la souscription de l'offre de prêt, de l'existence du risque de change qu'ils seraient amenés à supporter en payant en euro les sommes dues au titre du prêt. En outre, comme le soutient la Caisse, en signant ladite attestation, ils ont également attesté 'qu'ils s'engagent à actualiser chaque année la capitalisation constituée en assurant la sortie du concours financier in fine accordé par d'éventuels versements complémentaires'. Il en résulte que la Caisse n'a pas manqué à son devoir d'information.

S'agissant de l'action fondée sur le manquement au devoir de mise en garde, il convient de rappeler que, comme le soutient la Caisse, le banquier dispensateur de crédit n'est tenu d'une obligation de mise en garde que s'il existe un risque d'endettement né de l'octroi du prêt, résultant d'une inadaptation du prêt aux capacités financières de l'emprunteur non averti.

En l'espèce, les emprunteurs ne soutiennent pas avoir, lors de la souscription du prêt, ni d'ailleurs ultérieurement, subi un tel risque d'endettement né de l'octroi de ce prêt. Ils évoquent en effet seulement avoir été exposés à un surcoût, sans évoquer leur situation financière ni soutenir avoir été placés de ce fait en situation financière difficile.

Ils ne démontrent dès lors pas que la Caisse était tenue à un devoir de mise en garde à leur égard. Ainsi, leur action en responsabilité sera rejetée.

4. Sur les frais et dépens :

Succombant, M. et Mme [K] seront condamnés à supporter les dépens de première instance, le jugement étant confirmé de ce chef, et d'appel.

Le jugement sera également confirmé en ce qu'il a statué sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ; en revanche, l'équité commande de ne pas en faire application à hauteur d'appel.

P A R C E S M O T I F S

La Cour,

Confirme le jugement du tribunal de grande instance de Mulhouse du 4 juin 2019, sauf en ce qu'il a dit que l'action formée par M. et Mme [K] au titre d'un manquement de la banque à son obligation de mise en garde est irrecevable pour être prescrite,

L'infirme de ce chef,

Statuant à nouveau du chef infirmé,

Déclare recevable l'action formée par M. et Mme [K] au titre d'un manquement de la banque à son obligation de mise en garde,

Rejette les demandes de dommages-intérêts formées au titre d'un manquement au devoir de mise en garde,

Y ajoutant,

Rejette la demande de dommages-intérêts formée au titre d'un préjudice subi du fait de l'existence de clauses abusives,

Condamne M. et Mme [K] aux dépens d'appel,

Rejette les demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile.

La Greffière :la Présidente :


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Colmar
Formation : Chambre 1 a
Numéro d'arrêt : 19/03405
Date de la décision : 27/04/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-04-27;19.03405 ?
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