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20/04/2022 | FRANCE | N°20/00352

France | France, Cour d'appel de Colmar, Chambre 1 a, 20 avril 2022, 20/00352


MINUTE N° 210/22





























Copie exécutoire à



- Me Valérie SPIESER



- Me Thierry CAHN de la SCP CAHN G./CAHN T./BORGHI





Le 20.04.2022



Le Greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE COLMAR

PREMIERE CHAMBRE CIVILE - SECTION A



ARRET DU 20 Avril 2022



Numéro d'inscription au répertoire général : 1 A N° RG 20/00352 - N° Port

alis DBVW-V-B7E-HIXN



Décision déférée à la Cour : 08 Novembre 2019 par le TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE MULHOUSE



APPELANT :



Monsieur [P] [M]

12 rue de Village Neuf

68330 HUNINGUE



Représenté par Me Valérie SPIESER, avocat à la Cour



INTIM...

MINUTE N° 210/22

Copie exécutoire à

- Me Valérie SPIESER

- Me Thierry CAHN de la SCP CAHN G./CAHN T./BORGHI

Le 20.04.2022

Le Greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE COLMAR

PREMIERE CHAMBRE CIVILE - SECTION A

ARRET DU 20 Avril 2022

Numéro d'inscription au répertoire général : 1 A N° RG 20/00352 - N° Portalis DBVW-V-B7E-HIXN

Décision déférée à la Cour : 08 Novembre 2019 par le TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE MULHOUSE

APPELANT :

Monsieur [P] [M]

12 rue de Village Neuf

68330 HUNINGUE

Représenté par Me Valérie SPIESER, avocat à la Cour

INTIME :

Monsieur [L] [O]

37 rue de Saint Louis

68330 HUNINGUE

Représenté par Me Thierry CAHN de la SCP CAHN G./CAHN T./BORGHI, avocat à la Cour

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 13 Septembre 2021, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme PANETTA, Présidente de chambre

M. ROUBLOT, Conseiller

Mme ROBERT-NICOUD, Conseillère

qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Mme VELLAINE

ARRET :

- Contradictoire

- rendu par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.

- signé par Mme Corinne PANETTA, présidente et Mme Régine VELLAINE, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE :

Par contrat du 1er décembre 2011, M. [M], chirurgien-dentiste, a engagé, à compter du 2 janvier 2012, M. [O], chirurgien-dentiste, en qualité de collaborateur à durée indéterminée dans son cabinet.

Par lettre du 28 mars 2013, M. [O] a informé M. [M] mettre fin au contrat de collaboration à effet au 27 avril 2013.

Par décision du 23 mars 2015, confirmée le 12 mai 2016 par la Chambre disciplinaire nationale de l'Ordre des chirurgiens-dentistes, la Chambre disciplinaire de première instance de l'Ordre des chirurgiens-dentistes de la région Alsace a infligé un blâme au Dr [O] en retenant l'existence d'une faute disciplinaire, constituée par la tentative de détournement de clientèle résultant de son envoi d'un certain nombre de faire-part mentionnant le transfert de son cabinet dentaire aux patients relevant de la patientèle de M. [M].

Par acte du 11 septembre 2018, reçu le 17 septembre 2018, M. [M] a présenté une demande introductive d'instance tendant à la condamnation de M. [O] au paiement de diverses sommes en réparation du préjudice subi du fait des actes de concurrence déloyale de ce dernier.

Par jugement du 8 novembre 2019, le tribunal de grande instance de Mulhouse a :

- constaté la prescription de l'action introduite par M. [M] à l'encontre de M. [O] le 17 septembre 2018,

- déclaré irrecevable l'ensemble des demandes formées par M. [M],

- débouté M. [O] de sa demande de dommages-intérêts,

- condamné M. [M] à payer à M. [O] la somme de 1 800 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné M. [M] aux dépens de l'instance.

Le 10 janvier 2020, M. [M] a interjeté appel de cette décision.

Le 20 février 2020, M. [O] s'est constitué intimé.

Par ses dernières conclusions du 21 juin 2021, auxquelles est joint un bordereau de communication de pièces qui n'a fait l'objet d'aucune contestation, lesquels ont été transmis par voie électronique le même jour, M. [M] demande à la cour de :

- le déclarer recevable et bien fondé en son appel,

Y faisant droit,

- infirmer le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Mulhouse en ce qu'il a déclaré son action prescrite et, en conséquence, ses demandes irrecevables, le condamnant aux entiers frais et dépens ainsi qu'à verser à M. [O] la somme de 1.800 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

Statuant à nouveau dans cette limite,

- débouter M. [O] de l'ensemble de ses moyens, fins et prétentions,

- déclarer son action recevable et bien fondée,

Y faisant droit,

- dire et juger que M. [O] a engagé sa responsabilité délictuelle en commettant à son préjudice des actes de concurrence déloyale,

En conséquence,

- condamner M. [O] à lui verser en réparation des dommages-intérêts pour les montants suivants :

- 411.000 euros au titre du préjudice économique,

- 30.000 euros au titre du préjudice moral,

- 5.000 euros au titre du temps mobilisé avant la présente procédure comme des frais engagés pour sa défense devant les instances ordinales,

- 10.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile pour les deux instances,

- ainsi qu'aux entiers frais et dépens.

En substance, il conteste la prescription de son action, soutenant que le dépôt de la plainte disciplinaire du 29 mai 2013 ne peut pas constituer le point de départ du délai quinquennal de prescription. Au soutien de cette contestation, il fait valoir que ce délai a nécessairement été suspendu par l'effet suspensif de la procédure de tentative de conciliation et rappelle que conformément à la clause contractuelle de conciliation, une tentative de conciliation a été entreprise et a échoué, la chambre disciplinaire de l'Ordre évoquant le procès-verbal de non-conciliation du 12 septembre 2013. Il ajoute que la saisine du conseil de discipline le 29 mai 2013 ne peut être assimilée à une plainte pour concurrence déloyale, dès lors que les éléments dont il disposait alors étaient insuffisants pour caractériser des actes de concurrence déloyale, qu'il ne s'était alors plaint que de l'installation de M. [O] à 500 mètres de son cabinet, ce qui n'était pas en soi constitutif d'un acte de concurrence déloyale, et qu'il n'a appris qu'au cours de l'instruction, les éléments de nature à caractériser sa responsabilité pour actes de concurrence déloyale, à savoir le fait que M. [O] avait prévenu tous ses propres clients de son déménagement par l'envoi de flyers, et le détournement des clients par le vol de fichiers de ses propres clients.

Sur le fond de sa demande, il reproche à M. [O], d'une part, de l'avoir dénigré, en invoquant deux attestations et en soutenant qu'il a écrit un courrier de délation au fisc, d'autre part, d'avoir cherché à créer une confusion dans l'esprit de ses propres clients en leur adressant un carton les informant du transfert de son cabinet et précisant 'vous pourrez retrouver toute notre équipe dans nos nouveaux locaux', de troisième part, en désorganisant son activité en débauchant une secrétaire, en volant son fichier clients sur un support dématérialisé, en démarchant ses clients en les convoquant verbalement à son nouveau cabinet ou en leur envoyant des flyers prêtant à confusion.

S'agissant de son préjudice, il soutient avoir subi un préjudice économique, dès lors que son chiffre d'affaires a régulièrement décru depuis le départ de M. [O] et qu'il n'a jamais réussi à trouver le niveau de patientèle qu'il avait lors de son départ. Il invoque à cet égard le rapport d'expertise comptable du cabinet Giella, qui s'appuie sur le compte de résultat pour l'année 2012 et les extraits des liasses fiscales des années 2013 à 2016 et précise que les chiffres qu'il cite ne concernent pas les patients personnels de M. [O]. Il ajoute que le cabinet et ses projets ont été désorganisés. A cet égard, il soutient que M. [O] ayant convaincu M. [U] qui collaborait depuis dix ans avec lui de quitter son cabinet, ainsi que l'une des secrétaires, alors que les relations contractuelles s'étaient nouées dans la perspective de prendre sa retraite en 2014 et de vendre sa patientèle, et que pour faire face, il a dû majorer ses heures de travail et différer de plusieurs années son départ à la retraite, faute d'avoir trouvé un autre acquéreur. Il invoque également un préjudice moral et le temps, l'énergie et les moyens financiers mobilisés pour faire valoir ses droits devant les instances ordinales.

Par ses dernières conclusions du 26 juin 2020, auxquelles est joint un bordereau de communication de pièces qui n'a fait l'objet d'aucune contestation, lesquels ont été transmis par voie électronique le même jour, M. [O] demande à la cour de :

- rejeter l'appel,

- conformer le jugement en toutes dispositions,

- subsidiairement en cas d'infirmation,

- rejeter les demandes de M. [M],

- très subsidiairement, réduire dans une très large mesure les montants sollicités,

- condamner M. [M] aux entiers dépens d'appel, au paiement de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts pour appel abusif, et 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour l'instance d'appel, outre les frais et dépens.

En substance, il invoque la prescription de l'action, soutenant que M. [M] connaissait, lors de sa plainte disciplinaire du 29 mai 2013, les faits lui permettant d'introduire une action civile en responsabilité. Il soutient que la phase de conciliation est obligatoire, prévue par l'article L.4123-2 du code de la santé publique, et n'est ainsi par régie par les dispositions de l'article 2238 du code civil, et qu'en tout état de cause, le procès-verbal de non-conciliation date du 12 septembre 2013, soit plus de cinq ans avant l'acte introductif d'instance déposé le 17 septembre 2018.

Sur le fond, il soutient que M. [M] ne justifie pas du bien fondé et du quantum de ses demandes. Il fait valoir que M. [M] a travaillé avec un collaborateur jusqu'à sa retraite puis a vendu sa patientèle à un prix resté inconnu à un couple de dentistes, ce qui montre qu'il y avait encore du travail pour deux, que les éléments produits ne tiennent pas compte de la rétrocession faite aux deux praticiens qui travaillaient avec M. [M], ni des clients qui ont dès l'origine été traités uniquement par lui, M. [O], et qui ont souhaité le suivre, et, enfin, n'indiquent pas les conditions dans lesquelles M. [M] a travaillé après 2012.

Il conteste les fautes qui lui sont reprochées, soutenant que la décision disciplinaire n'a pas autorité de la chose jugé, qu'il n'est pas justifié que les clients de M. [M] aient été touchés par le carton, qu'il n'a utilisé qu'une copie du fichier qui avait été copié par M. [U], titulaire de la licence '[Z]', que le listing établi correspond aux patients qu'il avait soignés, qu'ils aient ou non été soignés par M. [M], et qu'il avait le droit mais aussi l'obligation d'avertir ses patients du déménagement. Il conteste le débauchage de la secrétaire du cabinet. Enfin, il expose les raisons pour lesquelles il a quitté le cabinet du Dr [M].

Il soutient que le préjudice n'est pas démontré, dès lors qu'il est demandé une indemnité équivalente aux chiffres d'affaires non justifiés, sans tenir compte des charges, des honoraires de rétrocession, du prix de vente de la clientèle et de la durée de travail du Dr [M].

Le 25 août 2021, la clôture de la procédure a été prononcée et l'affaire renvoyée à l'audience de plaidoirie du 13 septembre 2021.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux dernières conclusions des parties pour plus ample exposé de leurs moyens et prétentions.

MOTIFS DE LA DECISION :

Sur la prescription :

L'action en concurrence déloyale engagée par M. [M] est fondée sur les dispositions de l'article 1240 du code civil, reprenant celles de l'ancien article 1382 dudit code.

Son régime de la prescription obéit par conséquent aux règles définies par l'article 2224 dudit code.

Au soutien de son action, M. [M] reproche les fautes suivantes à M. [O] (p. 7 et suivantes de ses conclusions) :

- un dénigrement à l'égard de clients et de l'administration fiscale,

- d'avoir créé une confusion dans l'esprit des clients en leur adressant un carton les informant du transfert de son cabinet précisant 'vous pourrez retrouver toute notre équipe dans nos nouveaux locaux',

- d'avoir désorganisé son activité en débauchant une secrétaire, Mme [N], en volant le fichier clients sur un support dématérialisé, et en démarchant de manière déloyale ses clients.

Dans sa plainte du 29 mai 2013 adressée à l'instance disciplinaire et dirigée contre M. [O], il avait écrit : 'j'apprends le 27 avril 2013, date de départ de son poste de collaborateur, qu'il s'installe à 500 mètres et sans vergogne, en détournant toute la clientèle que je lui ai confiée'.

M. [M] soutient que cette plainte ne peut constituer le point de départ de la prescription pour deux raisons.

Il fait valoir, en premier lieu, les dispositions de l'article 2238 du code civil et que le 29 mai 2013 ne peut correspondre au point de départ de la prescription, puisqu'il aurait été suspendu par l'effet suspensif de la procédure de tentative de conciliation.

A supposer que l'article 2238 du code civil soit applicable en l'espèce, la prescription aurait alors couru à compter du 12 septembre 2013, date du procès-verbal de non-conciliation, pour les faits dénoncés à l'instance ordinale. Or, comme l'indique M. [O], l'acte introductif d'instance a été déposé le 17 septembre 2018, soit plus de cinq ans après. Il en résulte que l'application de l'article 2238 du code civil est inopérante en l'espèce pour faire obstacle au jeu de la prescription pour les faits dénoncés à l'instance ordinale.

M. [M] fait valoir, en second lieu, que la plainte au conseil de l'Ordre n'était pas déposée pour des actes de concurrence déloyale, qu'il estimait alors que l'installation à proximité de son cabinet détournerait sa clientèle, mais qu'une telle installation ne constitue pas un acte de concurrence déloyale, en raison de la liberté de la concurrence, et qu'il n'a eu connaissance, qu'en cours de procédure disciplinaire, d'un certain nombre d'éléments nouveaux de nature à caractériser l'engagement de la responsabilité de M. [O] pour des actes de concurrence déloyale.

M. [O] réplique qu'il résulte de la plainte du 29 mai 2013 que M. [M] connaissait les faits lui permettant d'introduire dès l'époque une action civile en responsabilité.

Il convient de rappeler que le détournement de clientèle constitue un acte de concurrence déloyale.

Les termes précités de la plainte du 29 mai 2013 déposée par M. [M] devant l'instance ordinale montrent qu'il reprochait à M. [O] de s'être installé à proximité de son cabinet, 'en détournant toute la clientèle que je lui ai confiée', et non pas comme il l'indique dans ses conclusions, 'détournant toute la clientèle que je lui ai confiée'. En outre, dans cette plainte, il ne lui reprochait pas un détournement futur de sa clientèle.

Dès lors, M. [M] avait, dès le 29 mai 2013, connaissance de l'existence du détournement allégué de la clientèle qu'il avait confiée à M. [O] et était en mesure d'agir en responsabilité pour concurrence déloyale de ce chef. En conséquence, est prescrite l'action en concurrence déloyale en ce qu'elle est fondée sur le détournement des clients confiés par M. [M] à M. [O].

En revanche, ce dépôt de plainte disciplinaire ne démontre pas qu'il avait, dès le 29 mai 2013, connaissance de faits distincts de concurrence déloyale qu'il invoque dans le cadre de la présente instance, à savoir le dénigrement invoqué, la confusion invoquée à l'égard de clients, la désorganisation de son activité par le débauchage de la secrétaire, le vol de fichiers et du démarchage déloyal ou encore le détournement de clients de M. [M] qu'il n'avait pas confiés à M. [O].

S'agissant de l'envoi de flyers, M. [O] soutient que l'envoi date de début mai 2013, tandis que M. [M] soutient qu'il ne ressort que de son mémoire ampliatif du 13 octobre 2013 devant les instances ordinales qu'il en a eu connaissance, ajoutant qu'il ne pouvait avoir connaissance de ces flyers lors de leur envoi, n'en étant pas destinataire.

M. [M] produit aux débats trois flyers, adressés à trois personnes différentes, avec les enveloppes montrant qu'elles ont été expédiées le 6 mai 2013. M. [O] ne conteste pas que M. [M] n'a pas été destinataire en mai 2013 d'un flyer de ce type. Aucun élément du dossier ne permet d'établir que M. [M] en a eu connaissance avant la date qu'il invoque lui-même à savoir le 13 octobre 2013.

Il produit, en outre, un 4ème mais sans enveloppe et ne permettant pas de connaître la date à laquelle il a été remis à M. [M].

Il convient d'en déduire que M. [M] a eu connaissance de l'envoi de ces quatre flyers moins de cinq ans avant l'introduction de l'instance le 17 septembre 2018.

S'agissant du vol du fichier client, M. [O] soutient que l'impression du fichier client a été effectuée entre le 2 janvier et le 27 avril 2013, mais sans produire d'élément à cet égard. M. [M] soutient n'en avoir eu connaissance qu'à réception du mémoire en défense de M. [O] du 24 mars 2014 adressé à l'instance disciplinaire, en examinant les deux fichiers clients produits par M. [O] imprimés le 17 juin 2014. M. [M] produit à cet effet deux fichiers portant la date d'impression du 17 juin 2014.

Il convient d'en déduire que M. [M] a eu connaissance des faits qu'il caractérise de vol de fichier moins de cinq ans avant l'introduction de l'instance le 17 septembre 2018.

S'agissant des autres griefs, M. [O] ne soutient pas d'autre moyen que celui consistant à soutenir que M. [M] connaissait les faits dès la saisine de l'instance ordinale le 29 mai 2013, moyen sur lequel il a déjà été statué en distinguant l'acte de concurrence déloyale caractérisé par le détournement de clientèle confiée par M. [M] à M. [O] des autres faits qui n'étaient pas visés dans cette plainte.

Dès lors, l'action en concurrence déloyale n'est pas prescrite en ce qu'elle est fondée sur ces faits distincts invoqués par M. [M], à savoir le dénigrement à l'égard de patients de M. [M] et de l'administration fiscale, la confusion créée dans l'esprit des clients de M. [M] en leur adressant un carton les informant du transfert de son cabinet précisant 'vous pourrez retrouver toute notre équipe dans nos nouveaux locaux', la désorganisation de son activité caractérisée par le débauchage d'une secrétaire, Mme [N], le vol du fichier clients sur un support dématérialisé, et le démarchage de manière déloyale de ses clients ou encore le détournement de clients de M. [M] qu'il n'aurait pas confiés à M. [O].

Sur le fond :

S'agissant du dénigrement invoqué, M. [M] produit, en annexe 10 et 11, des documents écrits par deux personnes. M. [O] répond que les deux témoignages produits ne sont pas exacts et conteste avoir tenu des propos anticonfraternels, faisant valoir qu'il n'a jamais eu ces deux clients en soin.

La cour relève que ces deux documents, qui ne constituent d'ailleurs pas des attestations répondant aux dispositions de l'article 202 du code de procédure civile, et font état de faits non datés, ne peuvent être considérées comme suffisamment probants.

D'autre part, M. [M] produit un courrier, qui constitue manifestement un brouillon, comme il le qualifie lui-même dans ses conclusions, rédigé à l'attention de 'Madame, Monsieur le contrôleur fiscal' faisant état de fraude fiscale de M. [M].

La cour relève qu'à supposer qu'il ait été écrit de la main de M. [O], ce seul document ne suffit pas à établir qu'il a été effectivement adressé à l'administration fiscale. M. [M] ne produit d'ailleurs aucun élément à cet égard permettant notamment de corroborer son affirmation relative à l'existence d'investigations de l'administration fiscale, de réponses de sa part et à l'existence d'un redressement minime.

Dès lors, les pièces produites sont insuffisantes à démontrer le dénigrement invoqué.

S'agissant de la confusion par l'envoi de flyers :

Le faire-part indiquait que 'M. [U] et [O] vous informent du transfert de leur cabinet dentaire à partir du 6 mai 2013. Vous pourrez retrouver toute notre équipe dans nos nouveaux locaux (...)'.

Les termes de ce carton, et notamment ceux 'retrouver toute notre équipe' est de nature à entraîner la confusion dans l'esprit des destinataires de ce flyer qui était susceptible de leur faire croire que l'ensemble du cabinet avait déménagé.

Il appartient donc à M. [M] de démontrer que M. [O] a adressé les faire-part annonçant le transfert de son cabinet aux patients de M. [M] créant de ce fait une confusion dans l'esprit de ses patients.

M. [O] soutient qu'il n'est pas justifié que les clients de M. [M] aient été atteints par le carton, conteste un envoi systématique à tous les patients du cabinet, y compris ceux de M. [M] et fait valoir que le listing établi correspond à des patients que M. [O] a soignés, qu'ils aient été ou non aussi soignées par M. [M]. En page 5 de ses conclusions, il affirmait que 'le carton a été envoyé en avril et en mai 2013 aux clients traités par les Dr [U] et [O]. (..) Ce carton a été envoyé uniquement aux clients soignés par le Dr [O] d'une part mais aussi ceux du Dr [U] de janvier 2012 à avril 2013'.

Il convient de relever que le collaborateur libéral peut se constituer une clientèle personnelle, ainsi que le précise l'article 18 II de la loi n°2005-882 du 2 août 2005 en faveur des petites et moyennes entreprises, mentionnée dans la pièce n°14 produite par M. [O], ainsi que le document 'guide des contrats' qu'il produit, ce dernier indiquant que 'dans le cadre d'un contrat de collaboration libérale, le collaborateur est amené à soigner les patients présentés par le titulaire, mais a également la possibilité de se constituer et de développer une clientèle personnelle. (...) afin d'anticiper les éventuelles discordes lors de la rupture du contrat de collaboration, le Conseil national de l'Ordre recommande aux titulaires et collaborateurs d'établir un recensement de leur clientèle respective selon une périodicité déterminée (trimestre, semestre). (...) Lors de la rupture, le collaborateur qui quitte le cabinet a la possibilité d'informer sa clientèle personnelle de son nouveau lieu d'exercice et d'apposer une plaque de transfert pendant un an.'

En l'espèce, une telle liste a été dressée, puisqu'il résulte de la pièce n°13 produite par M. [M], et non contestée par M. [O], que les clients étaient répartis entre M. [M], M. [O] et un troisième dentiste.

Au soutien de sa prétention, M. [M] produit, d'une part, trois flyers adressés à trois personnes différentes, avec les enveloppes correspondantes, outre un quatrième flyer ainsi qu'il a été dit.

La cour relève que les trois noms de personnes figurant sur les enveloppes adressées le 6 mai 2013 au format des trois flyers produits aux débats sont listés comme clients de M. [M] depuis la date qu'il invoque, dans sa pièce produite en annexe 13. M. [O] se borne à soutenir qu'il n'est pas justifié que les clients de M. [M] ont été atteints par le carton, sans invoquer de moyen de preuve. Il doit dès lors être considéré comme établi que M. [O] a adressé ces flyers à trois clients de M. [M].

M. [M] ne démontre pas quel était le destinataire du quatrième flyer, et ce en l'absence d'enveloppe produite aux débats ou de tout autre élément probant à cet égard.

D'autre part, M. [M] invoque la décision disciplinaire ayant retenu 'qu'il résulte de l'instruction que le Dr [O] a commandé le 12 avril 2014 1500 faire part (...) ; qu'il y a lieu de considérer que ces faire-part ont été adressés à autant de patients du cabinet où il exerçait auparavant ; (...) que la clientèle du Dr [O] ne s'élevait pas à ce nombre de patients ; qu'il s'ensuit qu'un certain nombre de faire-part ont nécessairement été adressés à des patients du Dr [M] ; que par suite l'envoi de ces documents doit être regardé comme une tentative de détournement de clientèle (...) constitutif d'une faute disciplinaire', M. [M] ajoutant que le fichier de clientèle produit par le Dr [O] devant les instances ordinales comme représentant sa clientèle propre présentait un total de 1 074 patients.

Cependant, comme le soutient M. [O], de tels motifs ne s'imposent pas à la présente juridiction. La cour ne considère d'ailleurs pas qu'il puisse être déduit du fait que la patientèle de M. [O] était inférieure à 1 500 patients, qu'il a nécessairement adressé une partie des 1 500 faire-part à des patients de M. [M], étant d'ailleurs observé que le faire-part avait également trait au déménagement de M. [U] qui avait également des clients selon la liste produite en pièce 13.

Enfin, dans ses conclusions, M. [M] soutient, après avoir évoqué le listing produit en annexe 13, que 'l'examen de ce listing permettra de constater qu'y figurent les noms de patients revendiqués comme lui revenant par M. [O] auxquels il a admis dans le cadre de l'instance ordinale avoir adressé ses flyers de démarchage (listing des patients revendiqués comme siens par le docteur [O] qu'il a produit dans le cadre de l'instance disciplinaire

annexe 8) et en réalité patients de longue date de M. [M]. Sur ce point, les stipulations du contrat de collaboration étaient claires (annexe 1 article 1 alinéa 2 : 'pour la bonne exécution des présentes, le 'patient du titulaire' s'entend comme celui avec lequel le collaborateur aura été mis en relation par le titulaire pendant l'exécution du contrat'.)'

Pour autant, M. [M] soutient ensuite qu'il 'est précisément reproché à M. [O] non pas d'avoir imprimé le fichier de ses propres patients, soit 1 074 patients (annexe 8), mais d'avoir imprimé et emporté dans le but de les démarcher le fichier des patients du docteur [M] (annexe 9), soit 2 581 patients'.

Il résulte de ces conclusions que M. [O] était en droit d'informer de son déménagement les 1 074 patients figurant sur l'annexe 8 que M. [M] qualifie de 'propres patients' de M. [O].

M. [M] ne démontre pas qu'au-delà des trois flyers précités, M. [O] en ait adressé à ses propres patients.

En tout état de cause, à supposer même que M. [O] ait soigné plus que les 1 074 patients mentionnés sur cette annexe 8 ou qu'en adressant des flyers aux patients qu'il a soignés, il ait adressé des flyers à des patients de M. [M] et non aux siens propres, M. [M] n'invoque pas d'éléments permettant de connaître le nombre de patients concernés au-delà des trois précités.

Cependant, il résulte de ce qui précède que M. [M] a établi qu'en adressant des flyers à trois de ses patients, M. [O] a commis un acte de concurrence déloyale caractérisé par la confusion par l'envoi de flyers.

S'agissant de la désorganisation de son activité qu'il impute à M. [O], M. [M] lui reproche, d'abord, le débauchage de sa secrétaire. A ce titre, il produit la lettre du 25 avril 2013 par laquelle Mme [N] a démissionné à effet du 11 mai 2013 de ses fonctions d'assistante dentaire.

M. [O] ne conteste pas que Mme [N] a démissionné à cette date, alors qu'il avait lui-même mis fin à son contrat de collaborateur le 28 mars à effet du 27 avril 2013, et qu'elle est ensuite venue travailler à ses côtés. D'ailleurs, par lettre du 15 juillet 2013, produite en annexe 11 par M. [M], ce dernier écrivait à M. [O] en qualifiant Mme [N] de 'votre assistante'.

M. [O] conteste le débauchage. Il invoque une déclaration sur l'honneur de Mme [N], qu'il ne produit cependant pas aux débats.

Toutefois, le fait que Mme [N] ait démissionné de son emploi dans le cabinet de M. [M] à un temps contemporain du départ de M. [O] pour être ensuite engagée par ce dernier ne suffit pas à considérer que M. [O] a procédé à un débauchage constituant un acte de concurrence déloyale.

S'agissant du vol de fichier, M. [M] lui reproche d'avoir imprimé et emporté, dans le but de les démarcher, le fichier des patients de M. [M] et se réfère précisément à son annexe 9, qui constitue le fichier produit par M. [O] devant l'instance disciplinaire comme représentant la clientèle de M. [M].

M. [O] impute la copie du fichier à un confrère, sans cependant apporter le moindre élément au soutien de cette affirmation.

Il ne conteste pas avoir utilisé le fichier représentant la clientèle de M. [M], qu'il a d'ailleurs produit devant l'instance ordinale.

La soustraction du fichier constitue donc également un acte de concurrence déloyale.

S'agissant du démarchage déloyal de ses clients, il résulte de ce qui précède que M. [M] le justifie pour trois de ses clients. Pour le surplus, il ne démontre pas que M. [O] a convoqué verbalement un ou plusieurs de ses clients à sa nouvelle adresse, le témoignage invoqué étant insuffisamment probant pour les motifs précités.

Enfin, alors que M. [M] fait état d'autres faits, tels la notification brutale du préavis ou l'installation de M. [O] à 600 m de son cabinet, ou d'avoir convaincu M. [U] de déménager avec lui, il ne les invoque pas à titre de fautes reprochées à M. [O] au soutien de la présente action.

Sur le préjudice subi :

M. [M] soutient démontrer son préjudice économique en produisant un rapport d'expertise comptable du cabinet Giella et des documents comptables. Il fait valoir que le préjudice lié aux actes de concurrence déloyale tient à la baisse de chiffre d'affaires qu'il a subie durant les premières années qui ont suivi les détournements de clients par M. [O]. Il affirme que le nombre de patient a diminué à hauteur de ceux détournés par M. [O] et que les chiffres ne concernent pas les patients personnels de M. [O]. Il produit également un courrier d'un collaborateur du 31 septembre 2017 relatif à la fin de sa collaboration pour le 31 décembre 2017 au motif que l'emploi du temps n'est pas assez complet.

Cependant, outre que l'action en concurrence déloyale est prescrite en ce qu'elle est fondée sur le détournement de clientèle de M. [M] qu'il avait confiée à M. [O], il ne résulte pas des pièces produites que les actes de concurrence déloyale qui ont été retenus à l'encontre de M. [O] ainsi qu'il vient d'être dit ont conduit à une diminution de la patientèle suivie par M. [M].

Le fait d'avoir créé de la confusion par l'envoi de flyer, démarché déloyalement des clients ou d'avoir soustrait le fichier client ne suffit pas à démontrer que M. [M] a perdu des clients du fait de M. [O]. La diminution du chiffre d'affaires après 2012 qu'il soit global ou effectué par le collaborateur sur les patients de M. [M] ou encore la diminution de la rétrocession d'honoraires du collaborateur, ni même les termes du courrier du collaborateur en 2017 ne suffisent pas à démontrer qu'elle est imputable aux actes retenus à l'encontre de M. [O].

Il ne démontre pas non plus avoir subi une désorganisation de son activité qui serait due aux actes retenus à l'encontre de M. [O].

Sa demande présentée au titre du préjudice économique sera dès lors rejetée.

M. [M] a, en revanche, subi un préjudice moral résultant des actes de concurrence déloyale retenus à l'encontre de M. [O] qu'il convient d'évaluer à la somme de 1 500 euros.

Sa demande en paiement au titre du temps, de l'énergie et des frais engagés devant les instances ordinales sera rejetée, une telle demande relevant de ladite instance.

Sur la demande reconventionnelle de dommages-intérêts pour appel abusif :

Il résulte de ce qui précède que l'appel n'était pas abusif, de sorte que la demande de M. [O] sera rejetée.

Sur les frais et dépens :

M. [M] succombant pour l'essentiel en ses demandes, tout en obtenant en appel la condamnation de M. [O] à lui payer la somme précitée à titre de dommages-intérêts, il convient de faire masse des dépens, et de condamner M. [M] à supporter 1/4 des dépens de première instance et d'appel et M. [O] à supporter 3/4 de ces mêmes dépens, le jugement étant infirmé en ce qu'il a statué sur les dépens d'appel.

Le jugement étant infirmé, il convient de l'infirmer en ce qu'il a condamné M. [M] à payer une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile à M. [O].

L'équité commande de ne pas faire application de l'article 700 du code de procédure civile, de sorte que les demandes seront rejetées.

P A R C E S M O T I F S

La Cour,

Infirme le jugement du tribunal de grande instance de Mulhouse du 8 novembre 2019, sauf en ce qu'il a constaté la prescription de l'action introduite par M. [M] à l'encontre de M. [O] le 17 septembre 2018 et a déclaré irrecevable l'ensemble des demandes de M. [M], mais seulement en ce que cette action est fondée sur des actes de concurrence déloyale visant à détourner les clients confiés par M. [M] à M. [O] et en ce qu'il a débouté M. [L] [O] de sa demande de dommages et intérêts,

Statuant à nouveau des chefs infirmés :

Rejette la fin de non-recevoir opposée à l'action en responsabilité pour concurrence déloyale fondée sur le dénigrement, la confusion créée dans l'esprit des clients de M. [M], la désorganisation de son activité caractérisée par le débauchage d'une secrétaire, le vol du fichier clients sur un support dématérialisé, le démarchage de manière déloyale des clients de M. [M] et le détournement de clients de M. [M] qu'il n'avait pas confiés à M. [O],

Condamne M. [O] à payer à M. [M] la somme de 1 500 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral,

Rejette les autres demandes de M. [M],

Rejette les demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Fait masse des dépens de première instance et condamne M. [M] à en supporter le 1/4 et condamne M. [O] à en supporter les 3/4,

Y ajoutant,

Rejette la demande reconventionnelle de M. [O],

Fait masse des dépens d'appel et condamne M. [M] à en supporter le 1/4 et condamne M. [O] à en supporter les 3/4,

Rejette les demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La Greffière :la Présidente :


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Colmar
Formation : Chambre 1 a
Numéro d'arrêt : 20/00352
Date de la décision : 20/04/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-04-20;20.00352 ?
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