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20/04/2022 | FRANCE | N°19/05124

France | France, Cour d'appel de Colmar, Chambre 1 a, 20 avril 2022, 19/05124


MINUTE N° 206/22

























Copie exécutoire à



- Me Guillaume HARTER



- Me Laurence FRICK





Le 20.04.2022



Le Greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE COLMAR

PREMIERE CHAMBRE CIVILE - SECTION A



ARRET DU 20 Avril 2022



Numéro d'inscription au répertoire général : 1 A N° RG 19/05124 - N° Portalis DBVW-V-B7D-HHPR



Décision d

éférée à la Cour : 13 Septembre 2019 par la Chambre commerciale du Tribunal de grande instance de STRASBOURG



APPELANTE - INTIMEE INCIDEMMENT :

INTIMEE dans le dossier joint RG N° 1A 20/00668 :



SARL GROUPE [B] MATIN DG anciennement SAR SAINT CLAIRE ...

MINUTE N° 206/22

Copie exécutoire à

- Me Guillaume HARTER

- Me Laurence FRICK

Le 20.04.2022

Le Greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE COLMAR

PREMIERE CHAMBRE CIVILE - SECTION A

ARRET DU 20 Avril 2022

Numéro d'inscription au répertoire général : 1 A N° RG 19/05124 - N° Portalis DBVW-V-B7D-HHPR

Décision déférée à la Cour : 13 Septembre 2019 par la Chambre commerciale du Tribunal de grande instance de STRASBOURG

APPELANTE - INTIMEE INCIDEMMENT :

INTIMEE dans le dossier joint RG N° 1A 20/00668 :

SARL GROUPE [B] MATIN DG anciennement SAR SAINT CLAIRE INTERNATIONALE

prise en la personne de son représentant légal

231 rue Saint-Honoré 75001 PARIS

Représentée par Me Guillaume HARTER, avocat à la Cour

INTIMEE - APPELANTE INCIDEMMENT :

APPELANTE dans le dossier joint RG N° 1A 20/00668 :

SAS BANQUE EUROPEENNE DU CREDIT MUTUEL (BECM) anciennement société BANQUE DE L'ECONOMIE DU COMMERCE ET DE

LA MONETIQUE prise en la personne de son représentant légal

34 rue du Wacken 67000 STRASBOURG

Représentée par Me Laurence FRICK, avocat à la Cour

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 805 modifié du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 08 Septembre 2021, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme PANETTA, Présidente de chambre, et M. ROUBLOT, Conseiller.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme PANETTA, Présidente de chambre

M. ROUBLOT, Conseiller

Mme ROBERT-NICOUD, Conseillère

qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Mme VELLAINE

ARRET :

- Contradictoire

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.

- signé par Mme Corinne PANETTA, présidente et Mme Régine VELLAINE, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :

Par acte sous seing privé en date du 26 juin 2000, la SARL Saint Claire International, aux droits de laquelle vient la SARL Groupe [B] Matin DG, ci-après également dénommée 'la société' a régularisé avec la Banque européenne de Commerce et de Monétique, aux droits de laquelle vient la SAS Banque Européenne du Crédit Mutuel, ci-après 'la BECM' ou 'la banque', une convention de gestion de comptes titres portant sur une somme de 9 000 000 de francs (FRF) provenant de la cession d'une entreprise.

Ayant constaté rapidement une baisse de la valeur de son portefeuille et ayant vainement mis en cause, pour avoir manqué à son devoir de conseil et d'information, la BECM, laquelle a estimé n'avoir commis aucune faute susceptible d'engager sa responsabilité, la société a fait assigner, par acte du 6 mars 2006, la BECM devant la chambre commerciale du tribunal de grande instance de Strasbourg afin d'obtenir une indemnisation correspondant à la moins-value subie par son portefeuille d'actions.

La BECM a déposé, le 27 novembre 2006, une plainte contre X avec constitution de partie civile pour faux, usage de faux et escroquerie et demandé au juge de la mise en état de surseoir à statuer dans l'attente de l'issue de cette procédure.

Une ordonnance de sursis à statuer a été rendue le 2 avril 2007.

L'instance a repris le 21 septembre 2016.

Par jugement rendu le 13 septembre 2019, le tribunal de grande instance de Strasbourg a :

- dit et jugé que la BECM avait engagé sa responsabilité pour défaut de conseil et d'information dans le cadre de la convention du 26 juin 2006,

- dit que le préjudice subi consistait en la perte de chance de choisir un autre mode de gestion,

- condamné la BECM à payer à la société au titre du préjudice supporté, une somme de 10 000 euros, ainsi qu'aux entiers dépens de la procédure et encore à payer à la société une somme de 2 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit n'y a voir lieu à prononcer l'exécution provisoire.

Le premier juge a, notamment, retenu que la convention conclue par les parties avait pour objectif la valorisation à moyen/long terme du patrimoine de la société par la BECM, et que, contrairement à ses affirmations, la société ne démontrait pas que l'objet du mandat confié à la BECM consistait à faire fructifier de manière raisonnable le capital obtenu, cet objectif de rendement étant subordonné à la garantie du capital investi, ajoutant qu'au vu du risque financier associé à tout objectif de rentabilité, tel que rappelé aux conditions générales du contrat, la BECM était tenue d'une obligation de moyens, sa responsabilité ne pouvant être engagée en cas de résultat déficitaire, outre encore que la société n'établissait pas avoir contesté le caractère offensif du mandat de gestion de comptes titres confié à la BECM alors même que ce caractère offensif lui avait été rappelé à deux reprises, la société ne pouvant, en conséquence, reprocher à la banque d'avoir modifié les termes de la convention. Quant aux manquements reprochés à la banque par la société, il a encore retenu que si les conditions relatives au mandat de gestion précisées par l'article 11 de l'arrêté du 24 décembre 1996 avaient été respectées, et si les conditions générales du mandat de gestion rappelaient l'éventualité de résultats déficitaires et l'absence de responsabilité de la BECM en pareil cas, il revenait au prestataire, en vertu de l'article 19 de l'arrêté du 6 janvier 1997, de s'enquérir

des objectifs, de l'expérience en matière d'investissement, et de la situation financière du mandant, les prestations proposées devant être adaptées à la situation de ce dernier, et la banque, sur laquelle pesait la charge de la preuve en sa qualité de prestataire ne versait aux débats aucune pièce démontrant qu'elle s'était préalablement informée sur les objectifs, l'expérience d'investissement et la situation financière de la société et n'établissait pas avoir cherché à adapter spécifiquement les prestations proposées à la situation de la société.

Toutefois, concernant le préjudice de la société, le tribunal a considéré que la société ne versait aux débats aucun élément de nature à démontrer la réalité des pertes financières dont elle se prévalait, son préjudice consistant en la perte de chance d'avoir pu choisir une autre orientation de gestion, eu égard aux risques encourus, dont elle n'avait pas été suffisamment informée, et non dans la perte de valeur du portefeuille, soumise aux aléas de l'économie.

La SARL Groupe [B] Matin DG a interjeté appel de cette décision, par déclaration déposée le 25 novembre 2019. Elle s'est par ailleurs constituée intimée le 5 mars 2020 dans la procédure n° 20/668.

Dans ses dernières conclusions en date du 23 mars 2021, auxquelles est joint un bordereau de communication de pièces qui n'a fait l'objet d'aucune contestation des parties, le tout transmis par voie électronique le 6 avril 2021, elle demande à la cour de :

'DECLARER l'appel formé par la SARL GROUPE [B] MATIN DG anciennement SARL SAINTE CLAIRE INTERNATIONALE à l'encontre du Jugement du Tribunal de Grande Instance de STRASBOURG du 13 septembre 2019 recevable et bien fondé ;

Y faire droit ;

En conséquence :

INFIRMER le Jugement du Tribunal de Grande Instance de STRASBOURG du 13 septembre 2019 ;

STATUANT A NOUVEAU :

DIRE ET JUGER que la SA BECM a engagé sa responsabilité à l'égard de la SARL GROUPE [B] MATIN DG anciennement SARL SAINTE CLAIRE INTERNATIONALE au regard des articles 1134 et suivants du Code Civil.

CONDAMNER la SA BECM à verser à la SARL GROUPE [B] MATIN DG anciennement SARL SAINTE CLAIRE INTERNATIONALE la somme de 442 838,93 € au titre de la perte en capital avec intérêts de droit à compter de la signification de la demande du 6 mars 2006.

LA CONDAMNER à lui payer la somme de 380 000 € au titre du préjudice à raison du manque de trésorerie.

SUBSIDIAIREMENT :

CONFIRMER la décision entreprise ;

SUR L'APPEL PRINCIPAL (procédure RG 20/00668) et INCIDENT (procédure RG 19/05124) de la SA BECM

La DEBOUTER de l'intégralité de ses demandes

EN TOUT ETAT DE CAUSE :

DEBOUTER la SA BECM de toutes ses demandes formées au titre d'un appel incident ou principal

LA CONDAMNER aux entiers frais et dépens des deux instances ainsi qu'au paiement de la somme de 5 000 € par application de l'article 700 du Code de Procédure Civile.'

À l'appui de ses prétentions, contestant tout établissement d'un faux, au titre duquel une procédure pénale a fait l'objet d'un non-lieu par un magistrat instructeur, sans, par après, recevoir de suite à l'issue de l'exercice des voies de recours, et exposant, à cet égard, avoir reçu de la banque un second mandat destiné à régulariser le premier, elle entend, notamment, invoquer :

- la méconnaissance des stipulations du mandat de gestion, l'absence de gestion diligente et la modification unilatérale de la convention des parties par la BECM, en constituant un portefeuille d'actions non conforme à l'objectif initial de gestion, s'orientant vers une gestion 'offensive' et non diversifiée, sans apporter la preuve qu'elle en avait dûment informé la société, qui ne se serait, en tout état de cause, pas engagée en ce sens, outre que l'effondrement de la bourse puis sa stagnation au cours des années suivantes, aurait dû conduire un mandataire professionnel avisé à désinvestir ou à réorienter le portefeuille, aucune information n'étant en outre donnée par la banque à sa co-contractante,

- des manquements de la banque aux obligations d'information, de conseil et de mise en garde résultant des arrêtés du 24 décembre 1996 et du 6 janvier 1997, tels que retenus par le premier juge, sous réserve que celui-ci a écarté l'obligation de mise en garde pourtant inhérente au mandat, et sans égard pour l'appel adverse quant à la prétendue qualité d'investisseur avisé du gérant de la concluante, et en l'absence de rédaction claire du mandat de gestion,

- un préjudice certain, déterminé et en lien direct avec la faute de la BECM, au titre duquel elle affirme établir la réalité d'une perte en capital, selon elle parfaitement déterminée, et résultant d'une gestion qualifiée de désastreuse et hors mandat, alors qu'elle comptait sur les conseils de la banque pour bénéficier de revenus à peu près stables, ce qui n'aurait pas été nécessaire si elle avait souscrit un placement en obligations.

La SAS Banque européenne du Crédit Mutuel s'est constituée intimée le 9 décembre 2019, tout en formant appel principal du jugement le 5 février 2020 (procédure n° RG 20/668), les deux instances étant jointes par ordonnance rendue le 9 septembre 2020.

Dans ses dernières écritures déposées le 19 mai 2021, auxquelles est joint un bordereau de communication de pièces qui n'a fait l'objet d'aucune contestation des parties, elle entend voir :

'Sur l'appel principal et incident de la SARL GROUPE [B] MATIN DG :

DECLARER l'appel irrecevable, subsidiairement mal fondé ;

DEBOUTER la SARL GROUPE [B] MATIN DG de toutes ses fins et prétentions ;

CONDAMNER la SARL GROUPE [B] MATIN DG à payer à la BECM une indemnité de 10.000 € au titre de l'article 700 du CPC,

CONDAMNER la SARL GROUPE [B] MATIN DG aux entiers frais et dépens d'appel ;

Sur l'appel principal et incident de la BECM :

'DECLARER l'appel de la BECM recevable et bien fondé ;

DECLARER l'appel incident de la BECM recevable et bien fondé ;

INFIRMER le jugement entrepris en tant qu'il a retenu que la BECM a engagé sa responsabilité pour défaut de conseil et d'information, et l'a condamnée à réparer une perte de chance chiffrée à 10.000 €, ainsi qu'aux entiers frais et dépens et à une indemnité de 2.000 € au titre de l'article 700 du CPC ;

DECLARER la demande de la SARL GROUPE [B] MATIN DG mal fondée ;

DEBOUTER la SARL GROUPE [B] MATIN DG de toutes ses fins et prétentions ;

CONDAMNER la SARL GROUPE [B] MATIN DG aux entiers frais et dépens de premier ressort et d'appel.'

Entendant rappeler le caractère initialement 'offensif' du placement réalisé, comme précisé dans le courrier accompagnant le contrat initial, et sa redéfinition deux ans plus tard dans un mandat frauduleusement antidaté par le gérant de la société, elle invoque, pour sa part, notamment :

- à titre d'observation préliminaire, les effets de la plainte et de la procédure d'instruction, même en l'absence de condamnation, dès lors que le mandat 'diversifié' antidaté ne serait plus invoqué et que la procédure aurait permis de dégager des faits matériels et juridiques,

- le sens de l'objectif recherché par le dirigeant de la société en termes de valorisation du placement, tel que s'interprétant de ses déclarations passées et de sa qualité d'investisseur avisé, ces termes, définis d'un commun accord, et de manière claire (aucune opération à terme n'ayant ainsi été réalisée faute d'autorisation spécifique) ayant en tout état de cause été explicités dans la lettre d'accompagnement précitée - dont la réception n'a jamais été discutée auparavant, et ce alors que les mandats ont été retournés signés et qu'un autre courrier rappelle l'objectif du placement - comme privilégiant un investissement 'offensif', visant à rechercher une plus-value du capital et non un rendement mensuel garanti, l'intéressé s'étant, en outre, vu adresser chaque trimestre un compte-rendu de gestion accompagné d'un certain nombre de documents d'information,

- le respect, par la concluante, de ses obligations légales, qu'elle détaille - excluant toute obligation de conseil, à défaut d'opération à terme spéculative, ou même de mise en garde, compte tenu de l'expérience du dirigeant -notamment la réalisation d'une étude de la situation du client, ainsi que cela résulte du bilan patrimonial produit par ce dernier, le mandat ayant, en outre, été défini en sa parfaite connaissance et information, avec une explication du sens des termes employés, comme cela aurait été reconnu par l'intéressé, qui aurait également admis son expérience des opérations boursières, ce qui serait corroboré par les éléments relatifs à la consistance de son patrimoine, le mandat de gestion ne portant, en outre, que sur une partie limitée des avoirs liquides et ayant été exécuté conformément aux stipulations, le client recevant une information régulière sans émettre de contestation,

- s'agissant du préjudice allégué, l'absence de caractérisation d'une perte de chance de mieux investir, dès lors que sont invoquées des obligations précontractuelles, et l'absence de lien de causalité caractérisé, alors même que le dirigeant de la société, en dépit de l'information reçue, notamment lors d'une rencontre en 2002, n'aurait pas réorienté ses actifs de gestion, et alors qu'aucune faute n'aurait été commise dans l'exécution du mandat,

- le bien-fondé, au vu de ce qui précède, de son appel, le manquement retenu par le premier juge n'étant pas caractérisé, au vu de l'analyse effectuée de la situation et des objectifs du client, de son expérience en matière boursière, et, à supposer même qu'une insuffisance de diligences précontractuelles puisse être retenue, à défaut de préjudice en lien avec celle-ci, compte tenu des choix maintenus par le client en toute connaissance de cause.

Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens de chacune des parties, il conviendra de se référer à leurs dernières conclusions respectives.

La clôture de la procédure a été prononcée le 30 juin 2021 et l'affaire renvoyée à l'audience de plaidoirie du 8 septembre 2021.

MOTIFS :

Sur les fautes de gestion et la modification unilatérale de la convention de gestion reprochées par la société à la BECM :

La société fait, à ce titre, grief à la BECM :

- d'une méconnaissance les stipulations du mandat de gestion, à savoir d'une gestion 'vers un portefeuille diversifié', lui permettant de disposer d'une trésorerie mensuelle de l'ordre de 5 000 euros, sans avoir à affecter le capital constitué, soit un rendement de l'ordre de moins de 5 % par an, la mandataire ayant, au contraire, opté, sans explication, ni avertissement adressé à la société elle-même, et en tout cas sans acceptation de cette dernière, pour une 'gestion offensive' à court terme répartie sur un nombre de secteurs limités et à haut risque, en dérogeant au cadre du mandat,

- d'une absence de gestion diligente, ainsi que rappelé dans le courrier recommandé avec accusé de réception du 4 mars 2005 qui lui avait été adressé, alors pourtant que l'effondrement de la bourse puis sa stagnation au cours des années suivantes, aurait dû conduire un mandataire professionnel avisé à désinvestir ou à réorienter le portefeuille, aucune information n'étant en outre donnée par la banque à sa co-contractante, en violation là encore des dispositions du mandat et notamment de son article 5 ainsi que des prescriptions de l'article 19 alinéa 1 du règlement COB n° 96-03,

- d'une modification unilatérale de la convention des parties, par la mise en 'uvre d'une orientation offensive en constituant un portefeuille composé uniquement en actions, dont des valeurs hautement spéculatives, et pour moitié des valeurs de la nouvelle économie, le tout à l'époque du déclenchement de la crise boursière de mai-juin 2000.

Pour sa part, la banque invoque la reconnaissance initiale, par la partie adverse, dont le gérant était un investisseur suffisamment expérimenté, du caractère offensif du mandat de gestion, par la recherche de la plus-value du capital par une gestion offensive en divers types d'actions, et non d'un rendement mensuel avec garantie du capital, comme reconnu dans l'acte introductif d'instance puis dans le cadre de la procédure pénale, outre qu'elle en aurait été informée dans un courrier, auquel étaient joints trois exemplaires du mandat qui ont été retrournés, ce courrier ne constituant pas une modification unilatérale de l'objectif, lequel a fait l'objet d'un rappel ultérieur, outre l'envoi d'un compte-rendu trimestriel de gestion avec un listage du portefeuille, dont la société devait nécessairement disposer pour déposer son bilan annuel avec valorisation de son portefeuille. Elle conteste, par ailleurs, le reproche adverse d'une diversification insuffisante du portefeuille, dont la répartition aurait été définie d'un commun accord.

Sur ce, la cour considère que sur ces points, le premier juge a, par des motifs pertinents qu'il y a lieu d'adopter, fait une exacte appréciation des faits de la cause et du droit des parties, étant encore précisé que si la lettre du 29 juin 2000 n'a pas été formellement adressée à la société, mais à la personne de M. [Y], qui est néanmoins son gérant, elle était accompagnée du mandat de gestion en triple exemplaire, lequel a été retourné, en connaissance de cause, par M. [Y] à la banque, la société ne contestant pas avoir confié ce mandat, qui est précisément l'objet du présent litige, à la BECM, pas davantage qu'elle ne conteste formellement avoir reçu le courrier ultérieur du 25 juillet 2000, la banque faisant, pour le surplus, à juste titre valoir qu'il était rendu compte trimestriellement de sa gestion à la société, laquelle se devait, en sa qualité de SARL, nécessairement disposer de ces informations pour valoriser son portefeuille. Et s'agissant du manque de diligence imputé à la BECM dans sa gestion du portefeuille, aucune faute n'apparaît établie à l'encontre de la BECM tant au regard du profil d'investissement adopté que de l'information qui avait nécessairement, ainsi que cela vient d'être observé, été délivrée à la société dans le cadre d'un mandat qui se poursuivait depuis plusieurs années.

Il convient donc de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société de sa demande en responsabilité à ce titre.

Sur le manquement de la BECM invoqué par la société au titre des obligations d'information, de conseil et de mise en garde :

La Cour rappelle qu'il résulte, notamment, des dispositions du règlement n° 96-03 de la Commission des opérations de bourse relatives aux règles de bonne conduite applicables au service de gestion de portefeuille pour le compte de tiers, tel qu'homologué par arrêté du ministre chargé des finances en date du 6 janvier 1997, et applicable, aux termes de son article 1er, à 'l'ensemble des prestataires de services d'investissement qui gèrent, à titre principal ou accessoire, des portefeuilles pour le compte de tiers', ce qui est le cas de la BECM en l'espèce, que le prestataire s'enquiert des objectifs, de l'expérience en matière d'investissement, et de la situation financière du mandant, les prestations proposées devant être adaptées à la situation de ce dernier (article 19), outre que le devoir d'information et de conseil comporte la mise en garde contre les risques courus (article 20), tandis qu'il est précisé que toute gestion individuelle de portefeuille doit donner lieu à l'établissement préalable d'une convention écrite (article 21).

En l'espèce, la société reproche à la banque de ne pas s'être préalablement informée sur ses objectifs, son expérience d'investissement et sa situation financière, peu important ses relations anciennes avec M. [Y] et les sociétés de son groupe, ainsi que l'expérience des affaires et le patrimoine de l'intéressé. Elle ajoute ne pas avoir été suffisamment mise en garde par la seule mention de l'éventualité de résultat déficitaire, alors qu'elle aurait dû se voir remettre, en vertu de l'article 2 du règlement précité concernant les marchés réglementés d'instruments financiers à terme, la note d'information et les fiches techniques prévues à l'article 1er du même règlement. Elle reproche encore au mandat de ne pas être suffisamment précis dans ses objectifs et ses instruments, la BECM se voyant reprocher de ne pas avoir fourni toutes les informations nécessaires au regard de la complexité des instruments financiers à terme, dont elle se serait abstenue d'expliquer les caractéristiques à M. [Y].

Quant à la BECM, qui réfute l'application de l'article 2 du règlement précité, en l'absence d'opération effectuée sur les marchés à terme, bien qu'elle y ait été autorisée, et exclut également toute opération spéculative, ce qui n'impliquerait d'information et de mise en garde, à l'exclusion de tout conseil, qu'à l'égard des clients qui ignoreraient les risques inhérents aux placements en actions, à savoir une variation des cours à la hausse ou à la baisse, elle ajoute avoir procédé à l'analyse des capacités du client, de ses objectifs et de l'adéquation des solutions proposées, sur la base d'une étude produite par le client lui-même. Par ailleurs, au regard du caractère convenu, en connaissance de cause, 'offensif' du mandat de gestion, portant sur une fraction limitée des avoirs liquides et en contestant l'inexpérience de M. [Y], au regard de ses propres affirmations, tout en indiquant lui avoir fourni dans les comptes-rendus de gestion les informations requises sur les notions en cause, elle met en cause l'argumentation adverse.

Cela étant, tout d'abord, la cour relève que c'est à bon droit que le premier juge a retenu que la société avait été mise en garde contre le risque de pertes financières inhérent au mandat de gestion confié à la BECM en vue de la valorisation de son capital, et ce, au regard des obligations qui étaient les siennes s'agissant de placement en actions au comptant et en l'absence de toute opération réalisée à terme, de sorte qu'il ne peut lui être reproché de ne pas avoir délivré la note d'information et les fiches techniques prévues à l'article 1er du règlement COB n° 96-03.

Par ailleurs, si, comme le rappelle le premier juge, il appartenait, avant la conclusion du mandat, à la BECM de s'informer sur les objectifs, l'expérience d'investissement et la situation financière de la société, afin d'adapter spécifiquement les prestations proposées à la situation de celle-ci, la banque produit, à hauteur de cour, des éléments d'une étude effectuée par le Crédit du Nord le 10 février 1997 concernant le bilan patrimonial de M. [B] [Y], dont il ressort, notamment, qu'il était titulaire de valeurs mobilières à hauteur de 1 600 000 F, que ses actifs présentaient des risques élevés à hauteur de 2 550 000 F soit 4,36 %, et que son patrimoine privé incluait notamment une assurance vie multi-supports ou un plan d'épargne en actions (PEA), il n'en résulte pas pour autant que la BECM aurait procédé, au-delà de ces éléments, à une étude des objectifs et de la situation financière de la société elle-même, qui a une personnalité distincte de M. [Y] et n'a pas nécessairement vocation à mettre en 'uvre l'intégralité de ses propres objectifs d'investissement, à supposer qu'ils recoupent ceux présentés dans l'étude susmentionnée, qui avait, de surcroît une ancienneté de plus de trois ans au moment de la conclusion du mandat, outre qu'elle ne permettait pas de s'assurer d'une expérience suffisante de la société, si ce n'est de son gérant, dans les investissements à risque qui étaient malgré tout présents de manière limitée dans le patrimoine de celui-ci.

Dans ces conditions, le premier juge a fait une juste analyse des faits de la cause, appliqué à l'espèce les règles de droit qui s'imposaient et pertinemment répondu aux moyens des parties pour la plupart repris en appel, en retenant que la BECM avait manqué à ses obligations telles que prévues par l'arrêté du 6 janvier 1997, et avait ainsi commis une faute de nature à engager sa responsabilité à l'égard de la société, le jugement entrepris devant, par conséquent, également être confirmé de ce chef.

Sur le préjudice de la société :

Au vu des conclusions auxquelles est parvenue la cour sous l'angle de l'analyse de la responsabilité de la BECM, dont il résulte que cette dernière n'a pas commis de faute dans l'exécution de son mandat, ni de modification unilatérale de ce dernier, mais a commis une faute, si ce n'est au regard de son devoir d'information et de conseil, à tout le moins au titre du respect des exigences de l'article 19 du règlement COB précité, c'est à juste titre que le premier juge a retenu que le préjudice en cause consistait dans la perte de chance d'avoir pu

choisir une autre orientation de gestion, eu égard aux risques encourus, dont il n'a pas été suffisamment informé, et non dans la perte de valeur du portefeuille, soumise aux aléas de l'évolution des marchés, en l'absence au demeurant de toute donnée relative à l'évolution de supports alternatifs d'investissement.

Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a alloué la somme de 10 000 euros à ce titre à la société.

Sur les dépens et les frais irrépétibles :

La BECM succombant pour l'essentiel sera tenue des dépens de l'appel, par application de l'article 696 du code de procédure civile, outre confirmation du jugement déféré sur cette question.

L'équité commande en outre de mettre à la charge de la BECM une indemnité de procédure pour frais irrépétibles de 3 000 euros au profit de la société Groupe [B] Matin DG, tout en disant n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile à l'encontre de cette dernière et en confirmant les dispositions du jugement déféré de ce chef.

P A R C E S M O T I F S

La Cour,

Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 13 septembre 2019 par le tribunal de grande instance de Strasbourg, chambre commerciale,

Y ajoutant,

Condamne la SAS Banque Européenne du Crédit Mutuel aux dépens de l'appel,

Condamne la SAS Banque Européenne du Crédit Mutuel à payer à la SARL Groupe [B] Matin DG la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile au bénéfice de la SAS Banque européenne du Crédit Mutuel.

La Greffière :la Présidente :


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Colmar
Formation : Chambre 1 a
Numéro d'arrêt : 19/05124
Date de la décision : 20/04/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-04-20;19.05124 ?
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