La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

27/05/2016 | FRANCE | N°344

France | France, Cour d'appel de colmar, DeuxiÈme chambre civile - section a, 27 mai 2016, 344


MINUTE No 344/ 2016

Copies exécutoires à

Maître DUBOIS
Maîtres ROSENBLIEH, WELSCHINGER et WIESEL

Le 27 mai 2016

Le Greffier
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE COLMAR DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE-SECTION A

ARRÊT DU 27 mai 2016

Numéro d'inscription au répertoire général : 2 A 15/ 03970

Décision déférée à la Cour : ordonnance du 30 juin 2015 du TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE de STRASBOURG

APPELANTES et demanderesses :

1- L'ASSOCIATION DES EVADES ET INCORPORES DE FORCE DU B

AS-RHIN (ADEIF 67) prise en la personne de son représentant légal ayant son siège social 12 rue Kuhn 67000 STRASBOURG

2- L'ASSOCI...

MINUTE No 344/ 2016

Copies exécutoires à

Maître DUBOIS
Maîtres ROSENBLIEH, WELSCHINGER et WIESEL

Le 27 mai 2016

Le Greffier
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE COLMAR DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE-SECTION A

ARRÊT DU 27 mai 2016

Numéro d'inscription au répertoire général : 2 A 15/ 03970

Décision déférée à la Cour : ordonnance du 30 juin 2015 du TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE de STRASBOURG

APPELANTES et demanderesses :

1- L'ASSOCIATION DES EVADES ET INCORPORES DE FORCE DU BAS-RHIN (ADEIF 67) prise en la personne de son représentant légal ayant son siège social 12 rue Kuhn 67000 STRASBOURG

2- L'ASSOCIATION DES EVADES ET INCORPORES DE FORCE DU HAUT-RHIN (ADEIF 68) prise en la personne de son représentant légal ayant son siège social 1 rue Victor Huen 68000 COLMAR

représentées par Maître DUBOIS, avocat à COLMAR plaidant : Maître SIMONET, avocat à STRASBOURG

INTIMÉS et défendeurs :

1- Monsieur Michaël X...demeurant ...75004 PARIS

représenté par Maîtres ROSENBLIEH, WELSCHINGER et WIESEL, avocats à COLMAR plaidant : Maître Michaël MAJSTER, avocat à PARIS

2- Monsieur le Procureur de la République près le Tribunal de Grande Instance de STRASBOURG pris en la personne de Monsieur le Procureur Général près la Cour d'Appel de COLMAR

assigné par acte d'huissier en date du 25 août 2015 remis à un substitut général
3- Madame Patricia Y... Z...demeurant ... 75015 PARIS

4- La SARL NILAYA PRODUCTIONS prise en la personne de son représentant légal ayant son siège social ... 75015 PARIS

représentées par Maîtres ROSENBLIEH, WELSCHINGER et WIESEL, avocats à COLMAR plaidant : Maître Benjamin SARFATI, avocat à PARIS

COMPOSITION DE LA COUR : L'affaire a été débattue le 01 avril 2016, en audience publique, devant la Cour composée de : Monsieur Bernard POLLET, Président Madame Isabelle DIEPENBROEK, Conseiller Madame Pascale BLIND, Conseiller qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Madame Nathalie NEFF
ARRÊT Contradictoire-prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.- signé par Monsieur Bernard POLLET, Président et Madame Nathalie NEFF, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

* * *
FAITS, PROCÉDURE, MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

M. X...est le réalisateur et la société Nilaya productions le producteur d'un film documentaire intitulé " une division SS en France, das Reich ", qui a été diffusé le 2 mars 2015 par la chaîne de télévision France 3.

Les associations des évadés et incorporés de force du Bas-Rhin (ADEIF 67) et du Haut-Rhin (ADEIF 68) sont intervenues pour solliciter le retrait des commentaires suivants assortissant le film :
- à la 8ème minute : " le gros des troupes est composé d'alsaciens ",- à la 9ème minute : " ce ne sont pas moins de 6 000 alsaciens qui ont été enrôlés dans la division das Reich ",- à la 86ème minute : " des alsaciens, volontaires ou incorporés de force, qui composaient le gros des troupes, aucun ne purgera la plus petite peine de prison ".

Le film a fait l'objet d'une nouvelle diffusion par la chaîne de télévision Arte, dans une version ne comportant plus les commentaires ci-dessus. En revanche, des DVD de la version d'origine du film ont été mis en vente.
Les associations ADEIF 67 et 68 ont alors fait assigner devant le juge des référés du tribunal de grande instance de Strasbourg M. X..., la société Nilaya productions et Mme Y...Z..., gérante de cette société, afin que soit ordonné, sous astreinte, le retrait de la vente des DVD, au motif que les commentaires précités étaient constitutifs de diffamation publique envers un particulier, faits prévus et réprimés par les articles 29, alinéa 1, et 32, alinéa 1, de la loi du 29 juillet 1881 sur la presse.
Par ordonnance en date du 30 juin 2015, le juge des référés a
-mis hors de cause Mme Y...Z...à titre personnel,- prononcé la nullité de l'assignation et constaté l'irrecevabilité à agir de l'association ADEIF 67 et de l'association ADEIF 68,- débouté les défendeurs de leurs demandes de dommages et intérêts,- condamné les associations ADEIF 67 et 68 aux dépens ainsi qu'à payer à M. X...et à la société Nilaya productions, chacun, une indemnité de procédure de 1 000 euros.

Le juge des référés a, tout d'abord, considéré que l'action des associations demanderesses était irrecevable à l'égard de Mme Y...Z..., celle-ci n'étant pas, à titre personnel, le producteur du film litigieux, mais la gérante de la société Nilaya productions, ayant produit le film.
Ensuite, se prononçant sur la recevabilité des demandes à l'égard de M. X...et de la société Nilaya productions, le juge des référés a
-déclaré les associations ADEIF 67 et 68 irrecevables à agir sur le fondement de l'article 32, alinéa 1, de la loi du 29 juillet 1881, aux motifs qu'elles ne sont pas des particuliers au sens de ce texte, qu'elles ne peuvent agir au lieu et place de leurs membres éventuellement victimes de diffamation et que les propos litigieux ne visent aucune personne identifiée ni identifiable,- déclaré les associations demanderesses irrecevables à agir sur le fondement de l'article 32, alinéa 2, de la loi précitée, visant la diffamation à caractère racial envers un groupe de personnes, texte inapplicable aux alsaciens dans leur ensemble, ni aux " malgré nous " (alsaciens incorporés de force dans l'armée allemande).

Examinant en dernier lieu l'exception de nullité de l'assignation, le juge des référés, après avoir rappelé que l'article 53 de la loi du 29 juillet 1881 exige, à peine de nullité, que l'acte introductif d'instance précise et qualifie le fait incriminé et qu'il indique le texte de loi applicable à la poursuite, a considéré que, dès lors que les propos litigieux visaient les " malgré nous ", soit un groupe de personnes, l'assignation était nulle, en ce qu'elle entretenait une confusion entre le délit de diffamation envers un particulier visé dans l'acte et celui, distinct, de diffamation envers un groupement de personne.
*
Les associations ADEIF 67 et 68 ont régulièrement interjeté appel de cette ordonnance par déclaration en date du 15 juillet 2015.
Elles demandent à la cour d'infirmer la décision entreprise et
-de constater que les intimés se sont rendus coupables de diffamation envers un particulier par l'un des moyens énoncés à l'article 23 de la loi du 29 juillet 1881, faits prévus et réprimées par les articles 29, alinéa 1 et 32, alinéa 1, de la dite loi, en incluant dans le DVD " Das Reich, une division SS en France " les trois commentaires rappelés ci-dessus,- d'ordonner, sous astreinte de 100 euros par jour de retard et par exemplaire constaté, le retrait par la société Nilaya productions des exemplaires en vente du DVD précité, et de se réserver la liquidation de l'astreinte,- de condamner chaque intimé à payer à chacune des deux associations appelantes une somme provisionnelle d'un euro en réparation de son préjudice,- de condamner les intimés in solidum aux dépens et au paiement d'une somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Les associations appelantes contestent la mise hors de cause de Mme Y...Z...prononcée par le premier juge, au motif qu'elle a la qualité de directrice de la publication et qu'en cette qualité elle peut, en vertu de l'article 42 de la loi du 29 juillet 1881, être poursuivie du chef de diffamation.
Elle soutiennent que l'assignation, qui visait uniquement le délit de diffamation envers un particulier et non celui de diffamation envers un groupe de personnes, ne comportait aucune ambiguïté quant au texte applicable aux poursuites et que c'est donc à tort que le premier juge en a prononcé la nullité.
Quant à la recevabilité de leur action, les associations ADEIF 67 et 68 font valoir que le délit de diffamation suppose que la victime soit identifiable, sinon identifiée, et que tel est le cas en l'espèce, les personnes visées formant un groupe déterminé, à savoir les " malgré nous ", dont elles ont qualité pour défendre les intérêts collectifs. Elles ajoutent que priver ces personnes de la possibilité d'agir serait contraire aux dispositions de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme de 1789, qui garantit le droit d'accès à un juge. Les appelantes soutiennent en outre que l'atteinte portée à l'honneur et à la considération des incorporés de force rejaillit sur elles-mêmes.
Sur le fond, les associations ADEIF 67 et 68 font valoir que les propos incriminés sont diffamatoires en ce qui concerne le nombre des alsaciens incorporés dans la division SS das Reich, celui de 6 000 cité dans le film ayant été extrapolé à partir d'une source unique et étant manifestement surévalué, comme l'a admis le propre historien dont M. X...s'est adjoint les conseils et M. X...lui-même, puisqu'il a accepté de revoir ce nombre à la baisse dans la version rectifiée de son film.

Elles ajoutent que la diffamation est amplifiée par le commentaire laissant à penser que les alsaciens incorporés dans la division das Reich auraient bénéficié d'une impunité, alors que certains ont été jugés, condamnés et amnistiés et qu'au moins l'un d'eux a purgé une peine de 14 ans d'emprisonnement.

Plus généralement, les associations appelantes estiment que les commentaires incriminés sont tendancieux et destinés à entretenir une polémique dans un but commercial.
*
Formant appel incident, M. X...demande à la cour
-à titre principal, de déclarer l'action des appelantes prescrite, à défaut de confirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a prononcé la nullité de l'assignation,- à titre subsidiaire, de confirmer la décision déférée en ce qu'elle a déclaré les associations ADEIF 67 et 68 irrecevables à agir,- à titre plus subsidiaire, de constater l'absence de diffamation, aux motifs que les propos incriminés n'imputent aucun fait précis aux alsaciens ou aux " malgré nous " et qu'ils participent d'un débat national, dans les limites de la liberté d'expression, et qu'au surplus, leur auteur est fondé à invoquer sa bonne foi,- de condamner les associations ADEIF 67 et 68 à lui payer une somme de 5 000 euros pour procédure abusive et une somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

M. X...reprend à son compte les motifs de l'ordonnance déférée sur la nullité de l'assignation et l'irrecevabilité de l'action. Il ajoute, sur ce dernier point, que les associations appelantes ne sont habilitées à agir que dans l'intérêt de leurs membres, et non dans celui de tous les " malgré nous " et qu'encore faudrait-il que les dits membres susceptibles d'avoir été diffamés soient encore en vie.
Sur le fond, M. X...soutient que les propos qui lui sont reprochés relèvent d'une controverse entre historiens sur des données statistiques et qu'ils sont dépourvus de caractère diffamatoire. Il invoque par ailleurs sa bonne foi, dès lors que le nombre exact d'alsaciens incorporés de force dans la division das Reich demeure ignoré, qu'il s'est entouré des conseils d'un historien reconnu, s'appuyant sur des témoignages d'officiers allemands.
*
La société Nilaya productions et Mme Y...Z...demandent à la cour
-à titre principal, de confirmer l'ordonnance déférée en ce qu'elle a prononcé, sur le fondement de l'article 53 de la loi du 29 juillet 1881, la nullité de l'assignation du 26 mai 2015, et d'annuler, pour le même motif, l'assignation délivrée en cause d'appel le 25 août 2015,
- à titre subsidiaire, de déclarer prescrite l'action des les associations ADEIF 67 et 68,- à titre plus subsidiaire, de confirmer la décision frappée d'appel en ce qu'elle a déclaré irrecevables à agir les associations ADEIF 67 et 68, pour défaut d'intérêt et de qualité,- à titre encore plus subsidiaire, de dire que les propos incriminés ne présentent aucun caractère diffamatoire,- en tout état de cause, de confirmer l'ordonnance déférée en ce qu'elle a mis hors de cause Mme Y...Z...,- de condamner les appelantes à payer, à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive, une somme de 2 000 euros à la société Nilaya productions et à Mme Y...Z..., chacune,- de les condamner à payer à la société Nilaya productions une somme de 15 000 euros en réparation de son préjudice d'image commerciale et une somme de 10 000 euros en réparation de sa perte d'exploitation,- de condamner les associations ADEIF 67 et 68 à payer à la société Nilaya productions et à Mme Y...Z..., chacune, une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Sur la recevabilité de l'action à l'égard de Mme Y...Z..., celle-ci fait valoir que, contrairement à ce que soutiennent les appelantes, elle n'a pas la qualité de directeur de la publication, les dispositions de l'article 6 de la loi du 29 juillet 1881 n'étant pas applicables en l'espèce.
Sur la prescription, la nullité de l'assignation ainsi que l'absence d'intérêt et de qualité pour agir des associations ADEIF 67 et 68, la société Nilaya productions et Mme Y...Z...développent un argumentaire semblable à celui de M. X....
Sur le fond, elles font valoir que les propos incriminés relèvent d'un débat historique et qu'ils ne sauraient porter atteinte à l'honneur et à la considération des " malgré nous " incorporés dans la division das Reich, leur nombre étant à cet égard indifférent dès lors qu'ils ont été incorporés de force.
*
Pour l'exposé complet des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions notifiées et transmises à la cour par voie électronique
-le 1er février 2016 pour les associations ADEIF 67 et 68,- le 26 janvier 2016 pour M. X...,- le 1er février 2016 pour la société Nilaya productions et Mme Y...Z....

Le ministère public a été assigné devant la cour par acte d'huissier en date du 25 août 2015 remis à un substitut général. Il n'a pas conclu.
L'instruction de l'affaire a été clôturée par ordonnance en date du 1er mars 2016.
MOTIFS

Contrairement à la manière de procéder du premier juge, la question de la nullité de l'assignation doit être examinée avant celle de la recevabilité de l'action car, si l'assignation est nulle, le juge n'est pas régulièrement saisi et ne peut donc pas statuer.

Sur la nullité des assignations
L'article 53 de la loi du 29 juillet 1881 dispose que la citation précisera et qualifiera le fait incriminé et qu'elle indiquera le texte applicable à la poursuite, ces formalités étant prescrites à peine de nullité de la poursuite.
L'assignation signifiée en première instance visait les dispositions de l'article 32, alinéa 1, de la loi du 29 juillet 1881, réprimant le délit de diffamation envers un particulier, et aucunement celles de l'alinéa 2 du même texte sanctionnant la diffamation envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une race ou une religion déterminée.
Si cet acte pouvait prêter à discussion en ce qui concerne l'identification des victimes de la diffamation, il ne comportait, contrairement à l'opinion du premier juge, aucune ambiguïté quant à la qualification visée et au texte de loi applicable à la poursuite.
Ainsi, l'assignation était conforme aux exigences de l'article 53 de la loi du 29 juillet 1881 et l'ordonnance déférée doit être infirmée en ce qu'elle en a prononcé la nullité.
Pour le même motif, il n'y a pas lieu d'annuler l'assignation délivrée le 25 août 2015 en cause d'appel.
Sur la recevabilité de l'action en diffamation
Recevabilité au regard de la prescription
Selon l'article 65 de la loi du 29 juillet 1881, l'action publique et l'action civile résultant des infractions prévues par cette loi se prescrivent après trois mois révolus à compter du jour où elles auront été commises ou du jour du dernier acte d'instruction ou de poursuite s'il en a été fait.

Les intimés ont soulevé dans leurs écritures d'appel la prescription de l'action, sur le fondement du texte légal précité, au motif qu'aucun acte interruptif de prescription ne serait intervenu dans le délai de trois mois suivant le 7 septembre 2015, date de la plus tardive des assignations délivrées aux intimés en cause d'appel.

L'examen du dossier révèle cependant que les appelantes ont accompli dans ce laps de temps plusieurs actes ayant interrompu la prescription :
- le 10 et le 14 septembre 2015, dépôt des assignations au greffe,- les 8 octobre et 5 novembre 2015, notification de conclusions à l'avocat des intimés.

L'action n'est donc pas prescrite.
Recevabilité de l'action dirigée contre Mme Y...Z...
Les personnes susceptibles d'être déclarées coupables de diffamation publique sont énumérées à l'article 42 de la loi du 29 juillet 1881. Parmi elles figurent en premier lieu les directeurs de la publication ou éditeurs.
En l'espèce, l'éditeur, au sens du texte précité, est la société Nilaya productions, producteur du film documentaire litigieux.
Les associations ADEIF 67 et 68 entendent rechercher la responsabilité de Mme Y...Z..., gérante de la société Nilaya productions, en qualité de directrice de la publication.
Toutefois, il n'est pas établi que Mme Y...Z...possède cette qualité et le fait qu'elle soit la gérante de la société Nilaya productions ne suffit pas à la lui conférer, les dispositions de l'article 6 de la loi du 29 juillet 1881, selon lesquelles le représentant légal de l'entreprise éditrice est directeur de la publication, étant inapplicables dès lors qu'il ne s'agit pas d'une entreprise de presse périodique.
L'ordonnance déférée doit donc être confirmée en ce qu'elle a mis hors de cause Mme Y...Z....
Recevabilité au regard de la qualité pour agir
Les libertés de pensée et d'expression étant le principe, les infractions de diffamation et d'injure sont des exceptions qui trouvent leur justification, non pas dans la protection d'idées, d'opinions ou d'intérêts quelconques, mais uniquement dans la protection de personnes, physiques ou morales, atteintes dans leur honneur ou leur considération.

Pour cette raison, le délit de diffamation envers des particuliers suppose que les propos incriminés visent une ou plusieurs personnes physiques ou morales identifiées ou du moins identifiables.

Un groupe de personnes n'ayant pas la personnalité morale ne peut être victime de diffamation, sauf dans les cas particuliers où le législateur l'a spécialement prévu, par exemple dans le cas de diffamation raciale visé à l'article 32, alinéa 2, de la loi du 29 juillet 1881. Toutefois, ce dernier texte n'étant pas invoqué par les associations ADEIF 67 et 68, il n'y a pas lieu d'examiner s'il est applicable au cas d'espèce.
Les trois commentaires incriminés ne visent aucune personne physique identifiée ni même identifiable. A supposer qu'ils présentent un caractère diffamatoire, les personnes qui pourraient s'estimer diffamées seraient les alsaciens incorporés de force dans la division SS das Reich, voire l'ensemble des Alsaciens. Dans les deux cas, il s'agit de groupes de personnes n'ayant pas la personnalité morale, ne pouvant, par conséquent, être victimes du délit de diffamation envers un particulier.
Si les associations ADEIF 67 et 68 sont habilitées à agir en justice pour la défense des intérêts collectifs de leurs membres, elles ne peuvent se substituer à eux pour exercer l'action civile en matière de diffamation, qui n'appartient qu'à la victime directe de ce délit.
Dès lors que les personnes victimes directes de diffamation pourraient agir elles-mêmes, l'irrecevabilité de l'action des associations ADEIF 67 et 68 ne constitue pas une atteinte injustifiée au droit, à valeur constitutionnelle, d'accès à un juge.
Par ailleurs, les associations ADEIF 67 et 68 elles-mêmes, en tant que personnes morales, ne sont pas visées par les propos incriminés, qui ne portent aucunement atteinte à leur propre honneur ou considération.
Il s'ensuit que les deux associations appelantes n'ont pas qualité pour agir et que l'ordonnance déférée doit être confirmée en ce qu'elle a constaté leur irrecevabilité à agir.
L'irrecevabilité de l'action interdit à la cour d'examiner le fond du litige.
Sur les demandes reconventionnelles en dommages et intérêts
Etant observé que les intimés avaient accepté que le film soit rediffusé à la télévision dans une version expurgée des commentaires litigieux, les associations ADEIF 67 et 68, en demandant que soient retirés de la vente les DVD du film dans sa version d'origine, n'ont pas, nonobstant l'irrecevabilité de leur action, abusé du droit d'agir en justice. Les demandes des intimés de ce chef seront donc rejetées et l'ordonnance déférée confirmée sur ce point.
En l'absence de faute imputable aux associations ADEIF 67 et 68, la société Nilaya productions doit être déboutée de ses demandes en réparation d'un préjudice d'image et d'une perte d'exploitation, lesquels, au surplus, ne sont pas établis.

Sur les frais et dépens

Les appelantes, qui succombent en leur recours, seront condamnées aux dépens d'appel.
Il n'apparaît pas inéquitable que chaque partie conserve la charge des frais non compris dans les dépens qu'elle a exposés en cause d'appel. Il ne sera donc pas fait application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire, après débats en audience publique,

CONFIRME l'ordonnance rendue le 30 juin 2015 par le juge des référés du tribunal de grande instance de Strasbourg, sauf en ce qu'elle a prononcé la nullité de l'assignation ;
Statuant à nouveau sur l'exception de nullité de l'assignation ;
La REJETTE ;
Ajoutant à l'ordonnance déférée,
REJETTE la demande de nullité de l'assignation délivrée en cause d'appel le 25 août 2015 ;
REJETTE les demandes de la société Nilaya productions en réparation d'un préjudice d'image et d'une perte d'exploitation ;
REJETTE les demandes formées en cause d'appel sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE les associations ADEIF 67 et 68, in solidum, aux dépens d'appel.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT DE CHAMBRE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de colmar
Formation : DeuxiÈme chambre civile - section a
Numéro d'arrêt : 344
Date de la décision : 27/05/2016
Type d'affaire : Civile

Analyses

"Conformément à l'article 32, alinéa 1, de la loi du 29 juillet 1881, le délit de diffamation envers des particuliers suppose que les propos incriminés visent une ou plusieurs personnes physiques ou morales identifiées ou du moins identifiables, de sorte qu'un groupe de personnes n'ayant pas la personnalité morale ne peut être victime de diffamation" "Les associations habilitées à agir en justice pour la défense des intérêts collectif de leurs membres ne peuvent se substituer à eux pour exercer l'action civile en matière de diffamation qui n'appartient qu'à la victime directe de ce délit"


Références :

Décision attaquée : Tribunal de grande instance de Strasbourg, 30 juin 2015


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.colmar;arret;2016-05-27;344 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award