La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

13/05/2016 | FRANCE | N°312

France | France, Cour d'appel de colmar, DeuxiÈme chambre civile - section a, 13 mai 2016, 312


BP
MINUTE No 312/2016
Copies exécutoires à
Maître MAKOWSKI
Maîtres ROSENBLIEH, WELSCHINGER et WIESEL
Maître LITOU-WOLFF
Maître HARNIST

Le 13 mai 2016
Le Greffier RÉPUBLIQUE FRANÇAISE AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE COLMAR DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE - SECTION A
ARRÊT DU 13 mai 2016
Numéro d'inscription au répertoire général : 2 A 13/04289
Décision déférée à la Cour : jugement du 06 juin 2013 du TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE de STRASBOURG

APPELANTE et demanderesse :
Madame Sabine X... demeurant ...
(béné

ficie d'une aide juridictionnelle totale no 2013/5152 du 23/09/2013 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de CO...

BP
MINUTE No 312/2016
Copies exécutoires à
Maître MAKOWSKI
Maîtres ROSENBLIEH, WELSCHINGER et WIESEL
Maître LITOU-WOLFF
Maître HARNIST

Le 13 mai 2016
Le Greffier RÉPUBLIQUE FRANÇAISE AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE COLMAR DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE - SECTION A
ARRÊT DU 13 mai 2016
Numéro d'inscription au répertoire général : 2 A 13/04289
Décision déférée à la Cour : jugement du 06 juin 2013 du TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE de STRASBOURG

APPELANTE et demanderesse :
Madame Sabine X... demeurant ...
(bénéficie d'une aide juridictionnelle totale no 2013/5152 du 23/09/2013 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de COLMAR)
représentée par Maître MAKOWSKI, avocat à COLMAR

INTIMÉS :
- défendeurs :
1 - Monsieur Franck Y... demeurant ...
représenté par Maîtres ROSENBLIEH, WELSCHINGER et WIESEL, avocats à COLMAR plaidant : Maître MAURY, avocat à PARIS

2 - La Mutuelle MFP SERVICES SECTION LOCALE D'ASSURANCE MALADIE DE LA DORDOGNE prise en la personne de son représentant légal ayant son siège social 3 rue Pablo Picasso BP 830 24108 BERGERAC
assignée à personne morale le 25 octobre 2013 n'ayant pas constitué avocat

- parties intervenantes :
3 - La S.A. PACIFICA prise en la personne de son représentant légal ayant son siège social 8-10 Boulevard de Vaugirard 75724 PARIS CEDEX 08
représentée par Maître LITOU-WOLFF, avocat à COLMAR plaidant : Maître INGLESE, avocat à STRASBOURG

4 - La CPAM DU BAS-RHIN prise en la personne de son représentant légal ayant son siège social 16 rue de Lausanne 67090 STRASBOURG CEDEX
représentée par Maître HARNIST, avocat à COLMAR

COMPOSITION DE LA COUR : En application des dispositions des articles 786 et 910 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 18 mars 2016, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Bernard POLLET, Président, et Madame Isabelle DIEPENBROEK, Conseiller, chargés du rapport.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de : Monsieur Bernard POLLET, Président Madame Isabelle DIEPENBROEK, Conseiller Madame Pascale BLIND, Conseiller qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : Madame Nathalie NEFF

ARRÊT Réputé contradictoire - prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile. - signé par Monsieur Bernard POLLET, Président et Madame Nathalie NEFF, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

* * *

FAITS, PROCÉDURE, MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Le 3 mars 2004, Mme X..., qui souffrait de douleurs au genou droit, a consulté le docteur Y..., lequel a préconisé une intervention chirurgicale qu'il a pratiquée le lendemain, consistant en une ménisectomie interne partielle du genou droit.
Suite à cette intervention, Mme X... a présenté une algodystrophie et diverses complications qui l'ont empêchée de reprendre son activité professionnelle d'aide soignante.
Elle s'est vu accorder une pension d'invalidité de la sécurité sociale et a été indemnisée par la société Pacifica, auprès de laquelle elle avait souscrit une police d'assurance couvrant les accidents de la vie.
Mme X... a engagé une procédure devant la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux (CRCI) d'Alsace, laquelle, après avoir ordonné une expertise réalisée le 5 août 2005 par le docteur Z..., a rejeté la demande d'indemnisation.
A la demande de Mme X..., une ordonnance de référé en date du 3 novembre 2009 a désigné en qualité d'expert le docteur Christian A..., lequel a déposé son rapport le 26 mars 2010.
Au vu de ce rapport, Mme X... a fait assigner le docteur Y... devant le tribunal de grande instance de Strasbourg, par acte d'huissier du 25 octobre 2010, aux fins d'indemnisation de son préjudice.
Par jugement en date du 6 juin 2013 assorti de l'exécution provisoire, le tribunal de grande instance de Strasbourg a
- dit n'y avoir lieu d'ordonner une nouvelle expertise, - dit qu'à l'occasion des soins qu'il a prodigués à Mme X... au début du mois de mars 2004, le docteur Y... a commis des fautes engageant sa responsabilité civile à l'égard de sa patiente, - condamné le docteur Y... à payer à Mme X..., en réparation du préjudice qu'il lui a causé, une somme de 3 000 euros portant intérêts au taux légal à compter du jugement, - débouté Mme X... de ses plus amples prétentions concernant son préjudice, - débouté la société Pacifica et la CPAM du Bas-Rhin de toutes leurs prétentions, - condamné le docteur Y... à payer à la seule Mme X... une indemnité de 1 800 euros au titre des frais irrépétibles, - condamné le docteur Y... aux entiers dépens de la procédure qui comprendront ceux de la procédure de référé-expertise.
Le tribunal a tout d'abord rejeté la demande de nouvelle expertise formée par le docteur Y... et fondée sur le fait qu'il n'aurait pas eu connaissance du pré-rapport de l'expert A... et n'aurait pas pu y répondre.
Ensuite, sur le fond, le tribunal a retenu que le docteur Y... avait commis deux fautes
- en omettant d'informer Mme X..., avant l'intervention chirurgicale du 4 mars 2004, des risques inhérents à celle-ci, aggravés du fait d'une suspicion d'algodystrophie,
- en pratiquant cette intervention de manière hâtive sans faire procéder aux examens complémentaires que justifiaient les indices d'algodystrophie.
Enfin, le tribunal a considéré que le préjudice de Mme X... consistait en une perte de chance de subir l'intervention à un moment plus favorable et, qualifiant cette perte de chance "d'extrêmement infime", il l'a évaluée à la somme de 3 000 euros, correspondant aux souffrances supplémentaires endurées.
*
Mme X... a régulièrement interjeté appel de ce jugement par déclaration en date du 3 septembre 2013.
Elle demande à la cour d'infirmer le jugement déféré, de condamner le docteur Y... à lui payer la somme de 332 839 euros en réparation de son préjudice, avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation, ainsi qu'une somme de 3 000 euros par application de l'article 37 de la loi sur l'aide juridictionnelle, et d'ordonner une expertise afin d'évaluer l'incidence financière de sa situation actuelle sur ses droits à retraite.
L'appelante reprend à son compte les motifs du premier juge concernant les fautes commises par le docteur Y....
En revanche, s'agissant de son préjudice, elle soutient qu'il ne consiste pas en une perte de chance et qu'elle doit être indemnisée intégralement de toutes les conséquences dommageables de l'intervention chirurgicale du 4 mars 2004, notamment de l'algodystrophie qui, contrairement à ce qu'a retenu le premier juge, est, selon elle, entièrement imputable à cette intervention.
*
Formant appel incident, le Docteur Y... demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris et
- à titre principal, d'ordonner une nouvelle expertise, - à défaut, de rejeter toutes les demandes formées contre lui, - à titre subsidiaire, de confirmer le jugement, - à titre plus subsidiaire, de liquider le préjudice de Mme X... en tant que perte de chance, en réduisant les demandes de Mme X... et en tenant compte, avec application du taux de perte de chance, des sommes versées par la société Pacifica et par la CPAM du Bas-Rhin, - en tout état de cause, de condamner Mme X... à lui payer une somme de 1 500 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile.
Le docteur Y... soutient qu'une nouvelle expertise est nécessaire dès lors que, d'une part, l'expert A..., en méconnaissance des termes de sa mission, n'a pas communiqué aux parties de pré-rapport, et que, d'autre part, le rapport d'expertise judiciaire est contestable, ainsi qu'il ressort d'un rapport critique du professeur B... en date du 27 mai 2011.
S'appuyant sur le rapport du docteur Z... désigné par la CRCI, le docteur Y... conteste avoir commis des fautes, faisant valoir que l'état antérieur algodystrophique de la patiente n'était pas certain lors de l'intervention chirurgicale du 4 mars 2004, que l'indication opératoire était dès lors entièrement justifiée et que l'algodystrophie apparue dans les suites de l'intervention relevait d'un accident médical non fautif.
Il ajoute que le lien de causalité entre une éventuelle faute de sa part et le préjudice n'est pas certain, direct et exclusif, car l'algodystrophie aurait pu apparaître même si l'intervention avait été différée.
Enfin, le docteur Y... conteste certains des postes de préjudice dont Mme X... demande réparation.
*
La société Pacifica, sur appel incident et provoqué, s'associe aux moyens développés par Mme X... et sollicite la condamnation du docteur Y... à lui payer la somme de 83 838 euros, avec intérêts au taux légal à compter de son intervention volontaire à l'instance en date du 27 janvier 2011, au titre des prestations qu'elle a versées à Mme X..., ainsi qu'une somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
*
La CPAM du Bas-Rhin a constitué avocat mais n'a pas conclu.
La déclaration d'appel et les conclusions de l'appelante ont été signifiées à la mutuelle MFP services, section locale d'assurance maladie de la Dordogne, par actes d'huissier en date, respectivement, du 25 octobre 2013 et du 28 février 2014, remis à personne habilitée. En application de l'article 474, alinéa premier, du code de procédure civile, le présent arrêt sera réputé contradictoire.
Pour l'exposé complet des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions notifiées et transmises par voie électronique
- le 27 novembre 2014 pour Mme X..., - le 31 mars 2015 pour le docteur Y....
La clôture de l'instruction de l'affaire a été prononcée par ordonnance du 10 novembre 2015.

MOTIFS

Sur la demande d'expertise
L'expert A... indique dans son rapport avoir adressé aux parties le 6 février 2010 un pré-rapport et n'avoir reçu aucun dire ou commentaire des parties dans le délai fixé pour y répondre, qui expirait le 16 mars 2010. Mme X... produit quant à elle le pré-rapport adressé par l'expert à son avocat et la lettre d'accompagnement datée du 6 février 2010 faisant état d'un délai expirant le 16 mars 2010 pour faire parvenir les dires éventuels.
Le docteur Y... prétend ne pas avoir été destinataire du pré-rapport de l'expert mais n'apporte aucun élément de preuve au soutien de cette affirmation. Il ne démontre pas que le principe du contradictoire n'ait pas été respecté à son égard et, du reste, ne sollicite pas l'annulation de l'expertise pour ce motif.
Par ailleurs, les observations formulées à l'encontre du rapport d'expertise judiciaire par le professeur B..., auteur d'un rapport critique établi à la demande du docteur Y..., ne sont pas suffisantes pour que soit ordonnée une contre-expertise.
En effet, sont produits, outre le rapport d'expertise judiciaire du docteur A..., le rapport du docteur Z... désigné par la CRCI et plusieurs rapports d'expertises effectuées dans le cadre de la prise en charge du sinistre par la compagnie d'assurance Pacifica. La cour estime que ces éléments sont suffisants pour lui permettre de se déterminer.
Le jugement déféré sera donc confirmé en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à nouvelle expertise.
Sur la responsabilité du docteur Y...
Le défaut d'information
L'expert judiciaire a relevé l'absence de trace d'une information donnée à Mme X... sur les complications possibles de l'intervention chirurgicale pratiquée le 4 mars 2004 par le docteur Y.... Celui-ci ne conteste pas ce point.
Ce premier manquement engage la responsabilité du docteur Y..., d'autant que le risque d'apparition d'une algodystrophie post-opératoire est, selon l'expert judiciaire, de 2 à 3 % et qu'il était majoré en l'espèce puisque la patiente présentait déjà avant l'opération des symptômes d'une algodystrophie.
Le caractère précipité de l'intervention chirurgicale
Le docteur Y... conteste ce grief en faisant valoir, d'une part qu'il n'y avait aucune certitude d'une algodystrophie préalable lors de l'intervention du 4 mars 2004, d'autre part que cette intervention était justifiée et nécessaire.
Il convient de relever que, dans un courrier en date du 5 mars 2004, lendemain de l'intervention chirurgicale, le docteur Y... a écrit: "la douleur étant à mon avis très intense par rapport à la pathologie, il est possible qu'elle développe déjà une algodystrophie en pré-opératoire".
Ceci confirme les déclarations de la patiente, selon lesquels le docteur Y... avait envisagé une algodystrophie lors de la consultation du 3 mars 2004. En tous cas, le docteur Y... était pour le moins conscient de cette éventualité.
Or, l'expert judiciaire indique très clairement, en s'appuyant sur des références bibliographiques, que, devant une telle situation, la prudence eût été de différer l'intervention, qui ne présentait pas de caractère urgent, et de prescrire une scintigraphie qui eût permis d'asseoir le diagnostic d'algodystrophie. Il ajoute que la présence d'une algodystrophie post-traumatique était "très probable" et que l'intervention chirurgicale pratiquée dans ce contexte l'a "très probablement fait flamber".
Il s'ensuit que, quand bien même l'état antérieur algodystrophique de la patiente n'était-il pas certain, et quand bien même l'indication opératoire posée par le docteur Y... était-elle justifiée, en pratiquant cette intervention dès le lendemain de la consultation du 3 mars 2004, alors qu'il avait noté une suspicion d'algodystrophie, le docteur Y... a commis une seconde faute engageant sa responsabilité.
Sur le préjudice
Contrairement à ce qui est soutenu par l'appelante, son préjudice ne peut être imputé en totalité aux fautes commises par le docteur Y....
En effet, selon l'expert judiciaire, même si elle avait été informée des risques inhérents à l'intervention chirurgicale pratiquée par le docteur Y... et même si cette intervention avait été différée, les complications survenues, à l'origine de séquelles définitives consistant en un flessum du genou droit, auraient pu se produire, le risque d'apparition d'une algodystrophie post-opératoire étant en toute hypothèse de 2 à 3 %.
Le préjudice de Mme X... consiste donc en une perte de chance d'éviter les complications post-opératoires dont elle a souffert.
Le défaut d'information sur les risques de l'intervention chirurgicale l'a privée de la possibilité de renoncer à l'intervention ou du moins de la différer. La précipitation avec laquelle l'intervention chirurgicale a été pratiquée l'a par ailleurs privée de tout délai de réflexion. Or, le risque pris n'était pas seulement
celui de voir apparaître une algodystrophie post-opératoire, mais celui, plus important, de voir se développer une algodystrophie dont l'existence était suspectée.
Ce risque aurait été réduit si le docteur Y... avait fait pratiquer des examens complémentaires et reporté le geste chirurgical. En effet, l'expert judiciaire indique qu'à défaut d'intervention, l'algodystrophie se serait très probablement confirmée, mais que "sa prise en charge médicale aurait probablement permis une amélioration symptomatique en six mois à deux ans, même s'il reste dans de rares cas des séquelles fonctionnelles à type de flessum du genou, quelles que soient la qualité et la précocité de la prise en charge médicale".
En considération de ces éléments, le jugement déféré doit être confirmé en ce qu'il a retenu l'existence d'une perte de chance, mais infirmé en ce qu'il a estimé que cette perte de chance se réduisait aux souffrances supplémentaires endurées.
La cour estime à 20 % la perte de chance et ce pourcentage doit être appliqué à l'entier préjudice subi par Mme X..., lequel doit être apprécié au vu des indications fournies par l'expert judiciaire Steenman et qui sont les suivantes:
- date de consolidation: 22 février 2006, - déficit fonctionnel permanent: 10 %, - souffrances endurées: 4/7, - préjudice esthétique: 1,5/7, - préjudice professionnel: Mme X... ne peut plus exercer son métier d'aide soignante.
Il y a lieu de tenir compte des prestations versées, à titre d'avance sur recours, par la société Pacifica, à savoir:
- ITT: 13 838 € - incidence professionnelle: 54 000 € - IPP: 11 000 € - souffrances endurées: 3 500 € - préjudice esthétique: 1 500 € total: 83 838 €
Préjudices patrimoniaux
Préjudices patrimoniaux temporaires
Dépenses de santé
La CPAM du Bas-Rhin a pris en charge des frais médicaux, pharmaceutiques et de cure thermale à hauteur de 3 864,12 euros.
Mme X... réclame une somme de 460 euros correspondant pour 300 euros à des honoraires versés au docteur C..., qui été son médecin conseil pour une expertise amiable contradictoire, et pour 160 euros aux honoraires du docteur Y....
La première somme est justifiée, au vu de la copie du chèque et du relevé de compte produits par l'appelante, mais il ne s'agit pas d'une dépense de santé. Elle sera prise en compte au titre du poste frais divers.
La seconde ne l'est pas, les fautes commises par le docteur Y... ne dispensant pas Mme X... de lui payer les honoraires qui sont la contrepartie des soins qu'il lui a prodigués.
Perte de salaire
Mme X... sollicite, pour la période allant de la date de l'intervention chirurgicale (4 mars 2004) à celle de sa consolidation (22 février 2006) une somme de 19 956 euros au titre des salaires qu'elle n'a pas perçus (étant observé qu'elle allègue une perte de 1 700 euros par mois, alors que la somme de 19 956 euros réclamée correspond en réalité à une perte mensuelle de 831 euros sur la période de deux ans considérée).
Il convient de tenir compte de ce que, même en l'absence de complications post-opératoires, Mme X... aurait subi, suite à l'intervention chirurgicale qui était justifiée, un arrêt de travail dont la durée peut raisonnablement être estimée à trois mois. La période à indemniser doit ainsi être fixée du 4 juin 2004 au 22 février 2006, soit 21 mois.
Par ailleurs, il convient de faire application du pourcentage de perte de chance.
L'indemnité réparant la perte de salaires sera ainsi fixée à
831 x 21 x 20 % = 3 490,20 euros.
Si Mme X... a perçu durant la période considérée des indemnités versées par la société Pacifica au titre de la garantie incapacité temporaire totale de travail, d'un montant de 13 838 euros, elle n'en a pas moins subi une perte de
(831 x 21) - 13 838 = 3 613 euros.
Par conséquent, en vertu du droit de préférence qui lui est conféré par les articles 1252 du code civil et 31 de la loi du 5 juillet 1985, ce dernier dans sa rédaction issue de l'article 25 IV de la loi 2006-1640 du 21 décembre 2006, la somme de 3 490,20 euros due par le docteur Y... revient à Mme X....
Frais divers
Ce poste comprend, outre la somme de 300 euros précitée correspondant aux honoraires du docteur C..., la somme de 1 800 euros que Mme X... justifie avoir versée au docteur D... pour assistance à expertises, soit au total 2 100 euros. Compte tenu du pourcentage de perte de chance, Mme X... peut prétendre à une indemnité de 420 euros.

Préjudices patrimoniaux permanents
Mme X... réclame
- 10 223 euros au titre de sa perte de salaire entre le 22 février 2006, date de consolidation, et le 4 février 2007, date de son licenciement et de son placement en invalidité, - 258 000 euros au titre de son "préjudice professionnel définitif", cette somme étant calculée sur la base d'une perte de revenus de 1 000 euros par mois (différence entre le salaire mensuel de 1 700 euros qu'elle percevait et le montant mensuel de sa rente d'invalidité, soit environ 670 euros par mois), capitalisée jusqu'à l'âge de 62 ans.
Le docteur Y... s'oppose à ces demandes en faisant valoir que, si Mme X... est dans l'incapacité de reprendre son activité d'aide soignante, elle n'est pas inapte à l'exercice de toute profession.
L'expert judiciaire a conclu à l'impossibilité pour Mme X... de continuer à exercer la profession d'aide soignante. Il ne s'est pas prononcé sur l'éventualité d'une réorientation professionnelle. Les autres expertises, notamment celle réalisée le 17 octobre 2007 par les docteurs Batard et Sauquet désignés respectivement par la société Pacifica et par Mme X..., ont conclu à la possibilité d'un emploi à un poste adapté, par exemple un poste sédentaire comme celui de réceptionniste ou de standardiste. Cette appréciation est cohérente avec le taux d'IPP fixé à 10 % pour un flessum du genou droit, qui n'empêche pas l'exercice de toute profession.
Le préjudice de Mme X... ne consiste donc pas dans la perte alléguée de revenus salariaux, mais dans la nécessité de changer de métier et dans la difficulté de trouver un emploi adapté à son handicap.
Il mérite une indemnisation au titre de l'incidence professionnelle, que la cour évalue à 80 000 euros. Ce préjudice n'a pas été intégralement réparé par l'indemnité de 54 000 euros versée par la société Pacifica.
Compte tenu du pourcentage de perte de chance, l'indemnité à la charge du docteur Y... est de 16 000 euros. Elle sera allouée à Mme X... en vertu de son droit de préférence.
Préjudices extra-patrimoniaux
Préjudices extra-patrimoniaux temporaires
Déficit fonctionnel temporaire
Mme X... a subi un déficit fonctionnel du 4 mars 2004 au 22 février 2006, date de consolidation qui, bien que cela n'ait pas été précisé par l'expert judiciaire, peut raisonnablement être qualifié de total au vu de la gravité des séquelles de l'intervention chirurgicale ressenties durant cette période et de la multiplicité des soins subis.
Comme pour la perte de salaires avant consolidation, la période d'indemnisation doit être diminuée de trois mois pour tenir compte de l'arrêt de travail que Mme X... aurait subi même en l'absence de complications post-opératoires.
La somme 14 400 euros réclamée par la victime, calculée sur une base mensuelle de 600 euros, sera réduite à 600 x 21 = 12 600 euros et, par application du pourcentage de perte de chance, il convient d'allouer à Mme X... une indemnité de 12 600 x 20 % = 2 520 euros.
Souffrances endurées
Mme X... réclame une somme de 10 000 euros à ce titre. Elle a été indemnisée par la société Pacifica à hauteur de 3 500 euros.
Du simple fait de l'intervention chirurgicale qui était justifiée, Mme X... aurait subi un pretium doloris. Seules doivent être indemnisées les souffrances résultant des complications post-opératoires, que la cour est en mesure, au vu des observations de l'expert judiciaire, de fixer à 6 000 euros. Mme X... peut donc prétendre à une indemnité de 6 000 x 20 % = 1 200 euros. Cette somme lui sera allouée au titre de son préjudice non réparé par la société Pacifica (6 000 -3 500 = 2 500 euros).
Préjudices extra-patrimoniaux permanents
Déficit fonctionnel permanent
La somme réclamée par Mme X... de ce chef est de 15 000 euros. La société Pacifica lui a versé une indemnité de 11 000 euros au titre de la garantie incapacité permanente, qui est à imputer sur ce poste de préjudice.
Le taux d'IPP a été évalué par l'expert judiciaire à 10 %. Compte tenu de l'âge de Mme X... à la date de consolidation (39 ans), le déficit fonctionnel permanent est fixé par la cour à 14 000 euros.
Le docteur Y... est redevable d'une somme de 14 000 x 20 % = 2 800 euros. Cette somme doit être allouée à Mme X... en réparation de son préjudice non couvert par l'indemnité perçue de la société Pacifica (14 000 -11 000 = 3 000 euros).
Préjudice esthétique
Mme X... sollicite une somme de 1 500 euros.
Qualifié par l'expert judiciaire de très léger à léger (1,5/7), ce préjudice doit être fixé à 1 500 euros, de sorte que l'indemnité à la charge du docteur Y... est de 1 500 x 20 %, soit 300 euros.
Mme X... ayant été intégralement indemnisée au titre de ce préjudice par la société Pacifica qui lui a versé une somme de 1 500 euros, la somme de 300 euros revient à la société Pacifica.
Evaluations Perte de chance 20 % Sommes revenant à la Pacifica Sommes revenant à Mme X...
I-Préjudices patrimoniaux
A- Préjudices patrimoniaux temporaires
1) Dépenses de santé néant néant néant néant
2) Perte de gains professionnels actuels 17 451 € 3 490,20 € néant 3 490,20 €
3) Frais divers 2 100 € 420 € néant 420 € B- Préjudices patrimoniaux permanents
Incidence professionnelle 80 000 € 16 000 € néant 16 000 € II- Préjudices extra-patrimoniaux
A- Préjudices extra-patrimoniaux temporaires
1) Déficit fonctionnel temporaire 12 600 € 2 520 € néant 2 520 €
2) Souffrances endurées 6 000 € 1 200 € néant 1 200 €
B- Préjudices extra-patrimoniaux permanents
1) Déficit fonctionnel permanent 14 000 € 2 800 € néant 2 800 €
2) Préjudice esthétique permanent 1 500 € 300 € 300 € néant
TOTAL: 133 651 € 26 730,20 € 300 € 26 430,20 €

La somme de 26 430,20 euros allouée à Mme X... sera assortie des intérêts au taux légal à compter du présent arrêt et celle de 300 euros revenant à la société Pacifica des intérêts au taux légal à compter de sa demande en date du 27 janvier 2011.
Sur les frais et dépens
Le docteur Y..., qui succombe, sera condamné aux dépens d'appel, cette condamnation emportant nécessairement rejet de sa demande tendant à être indemnisé de ses frais irrépétibles.
Mme X... étant bénéficiaire de l'aide juridictionnelle totale, il n'y a pas lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile en sa faveur.
Il n'apparaît pas inéquitable que la société Pacifica conserve la charge des frais non compris dans les dépens qu'elle a exposés en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt réputé contradictoire, après débats en audience publique,
REFORME le jugement rendu le 6 juin 2013 par le tribunal de grande instance de Strasbourg, en ce qu'il a
- condamné le docteur Franck Y... à payer à Mme Sabine X..., en réparation du préjudice qu'il lui a causé, une somme de 3 000 € (trois mille euros), outre intérêts au taux légal à compter du jugement, - débouté la société Pacifica de toutes ses prétentions ;
Statuant à nouveau sur ces deux seuls chefs,
CONDAMNE le docteur Franck Y... à payer à Mme Sabine X... la somme de 26 430,20 € (vingt six mille quatre cent trente euros et vingt centimes) en réparation de son préjudice, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ;
CONDAMNE le docteur Franck Y... à payer à la société Pacifica la somme de 300 € (trois cents euros), avec intérêts au taux légal à compter du 27 janvier 2011 ;
CONFIRME, pour le surplus, le jugement déféré ;
Ajoutant au dit jugement,

REJETTE les demandes formées en cause d'appel sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE le docteur Franck Y... aux dépens d'appel ;
DIT qu'en application de l'article 43 de la loi du 10 juillet 1991, le docteur Franck Y... sera tenu de rembourser au Trésor public les sommes exposées par l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle accordée à Mme Sabine X....

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT DE CHAMBRE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de colmar
Formation : DeuxiÈme chambre civile - section a
Numéro d'arrêt : 312
Date de la décision : 13/05/2016
Type d'affaire : Civile

Analyses

"Le préjudice subi par une patiente par suite d'un défaut d'information du médecin quant aux risques inhérents à l'intervention chirurgicale pratiquée et du caractère précipité de cette intervention, s'analyse en une perte de chance d'éviter les complications post-opératoires dont elle a souffert, le pourcentage de perte de chance retenu devant s'appliquer à l'entier préjudice subi" "Conformément aux articles 1252 du code civil et 31 de la loi du 5 juillet 1985, dans sa rédaction issue de la loi du 21 décembre 2006, lorsque le préjudice subi par la victime au titre de l'incapacité temporaire totale de travail et de l'incidence professionnelle n'a pas été intégralement réparé par les indemnités versées par son assureur au titre d'une garantie des accidents de la vie, l'indemnité mise à la charge du médecin, au titre de la perte de chance, doit revenir à la victime en vertu de son droit de préférence"


Références :

Décision attaquée : Tribunal de grande instance de Strasbourg, 06 juin 2013


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.colmar;arret;2016-05-13;312 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award