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21/04/2016 | FRANCE | N°278

France | France, Cour d'appel de colmar, DeuxiÈme chambre civile - section a, 21 avril 2016, 278


DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE - SECTION A
ARRÊT DU 21 avril 2016
Numéro d'inscription au répertoire général : 2 A 14/03540
Décision déférée à la Cour : jugement du 27 mai 2014 du TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE de MULHOUSE
APPELANTS et demandeurs :
1- Monsieur Rémy Y... 2- Madame Malika B... épouse Y... demeurant ensemble ...68200 MULHOUSE

représentés par la SELARL ARTHUS, avocats à COLMAR
INTIMÉ et défendeur :
Monsieur Bouziane X... Placé sous tutelle de l'UDAF 68 ayant son siège social 1 Faubourg des Vosges 68927 WINTZENHEIM demeurant ...68200 MU

LHOUSE

INTERVENANTE VOLONTAIRE :
La Fédération UDAF68 tuteur de Monsieur Bouziane X... ayan...

DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE - SECTION A
ARRÊT DU 21 avril 2016
Numéro d'inscription au répertoire général : 2 A 14/03540
Décision déférée à la Cour : jugement du 27 mai 2014 du TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE de MULHOUSE
APPELANTS et demandeurs :
1- Monsieur Rémy Y... 2- Madame Malika B... épouse Y... demeurant ensemble ...68200 MULHOUSE

représentés par la SELARL ARTHUS, avocats à COLMAR
INTIMÉ et défendeur :
Monsieur Bouziane X... Placé sous tutelle de l'UDAF 68 ayant son siège social 1 Faubourg des Vosges 68927 WINTZENHEIM demeurant ...68200 MULHOUSE

INTERVENANTE VOLONTAIRE :
La Fédération UDAF68 tuteur de Monsieur Bouziane X... ayant son siège social 1 Faubourg des Vosges 68927 WINTZENHEIM

représentés par Maître HARTER, avocat à COLMAR
COMPOSITION DE LA COUR : En application des dispositions des articles 786 et 910 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 25 février 2016, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Bernard POLLET, Président, et Madame Isabelle DIEPENBROEK, Conseiller, chargés du rapport.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de : Monsieur Bernard POLLET, Président Madame Isabelle DIEPENBROEK, Conseiller Madame Pascale BLIND, Conseiller qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Madame Nathalie NEFF
ARRET Contradictoire-prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.- signé par Monsieur Bernard POLLET, Président et Madame Valérie ALVARO, greffier ad hoc, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

* * *
FAITS, PROCÉDURE et PRÉTENTIONS des PARTIES
Selon compromis de vente sous seing privé en date du 20 juillet 2011, rédigé par Me C..., notaire à Mulhouse, M. Bouziane X... a acquis des époux Y... un appartement sis "... " à Mulhouse au prix de 153 000 euros. Le 7 septembre 2011, la fille de M. X... a demandé l'annulation de ce compromis de vente. M. X... a été placé sous sauvegarde de justice le 21 septembre 2011, puis sous curatelle renforcée le 25 avril 2012 et enfin sous tutelle le 31 mai 2013. Le 20 janvier 2012, les époux Y... ont fait citer M. X... devant le tribunal de grande instance de Mulhouse aux fins d'obtenir sa condamnation au paiement de la clause pénale prévue au contrat, d'un montant de 15 300 euros, ainsi qu'au paiement de dommages et intérêts pour résistance abusive. Par jugement en date du 27 mai 2014, le tribunal a prononcé la nullité du compromis de vente, a débouté les demandeurs de leurs prétentions et les a condamnés au paiement d'une somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. Pour annuler le compromis de vente, le tribunal a relevé que, selon deux certificats médicaux établis les 5 et 7 septembre 2011, M. X... souffrait de troubles mnésiques importants, le rendant influençable, de troubles du jugement et du comportement dans un contexte d'anosognosie et d'acalculie, d'évolution lente mais constante, et il en a déduit une très grande probabilité d'altération de ses facultés mentales au moment de la signature de l'acte, la circonstance que l'acte ait été passé devant notaire et en présence de sa fille n'étant pas suffisante pour exclure une telle altération des facultés mentales. Le tribunal a écarté la demande en tant que fondée sur l'article 414-3 du code civil en l'absence de preuve d'une faute de M. X.... *

Les époux Y... ont interjeté appel de ce jugement le 10 juillet 2014. Par conclusions du 11 mai 2015, ils sollicitent l'infirmation du jugement et réitèrent leur demande en paiement de la somme de 15 300 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter de la sommation du 26 octobre 2011 au titre de la clause pénale, subsidiairement sur le fondement de l'article 414-3 du code civil. Ils sollicitent enfin le versement d'une indemnité de procédure de 2 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile. Ils font valoir que le tribunal a retenu une simple probabilité de trouble mental, laquelle, même importante, n'équivaut pas à une preuve, et ils observent que tous les certificats médicaux produits sont postérieurs de plusieurs mois à l'acte litigieux. Ils font valoir que cet acte a été reçu par un notaire, qui ne peut recevoir la signature d'une personne manifestement atteinte de trouble mental, et en présence de la fille de M. X..., qui faisait office de traductrice. Ils soutiennent que le compromis de vente est donc valable et que la clause pénale doit trouver application, le courrier du notaire invitant les parties à se présenter pour la signature de l'acte valant mise en demeure préalable à la mise en oeuvre de cette clause. Subsidiairement, ils invoquent les dispositions de l'article 414-3 du code civil et font valoir que la faute commise par M. X... consiste dans le fait d'avoir, en présence d'une de ses filles, signé un compromis de vente sans avoir l'intention de signer l'acte de vente définitif et de payer le prix. Ils prétendent avoir subi un préjudice important puisque leur bien a été immobilisé de juillet 2011 à février 2012, qu'ils ont dû supporter des frais financiers, ayant contracté un prêt-relais, et qu'ils ont perdu des loyers. * Par conclusions du 31 août 2015, M. X..., représenté par son tuteur, l'UDAF du Haut-Rhin, conclut à la confirmation du jugement et au débouté des époux Y.... Il sollicite le versement d'une indemnité de procédure de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. L'intimé fait valoir que l'anosognosie et l'acalculie ont été diagnostiquées sept semaines seulement après la passation de l'acte, qu'il s'agissait de trouble neuro-psychologiques graves avec perte de conscience de sa condition et perte de la capacité d'effectuer des calculs et que, dès avant la passation de l'acte litigieux, il avait manifesté des troubles du comportement, puisqu'il avait signé deux autres compromis de vente, respectivement 4 mois et 15 jours avant le compromis litigieux, pour lesquels sa fille lui avait fait signer des courriers de rétractation. L'UDAF soutient que les documents médicaux produits sont suffisants pour établir l'altération des facultés mentales de M. X..., avant et après la passation de l'acte, et qu'il appartient dès lors aux appelants de rapporter la preuve que l'acte aurait été établi dans un moment de lucidité. Elle ajoute que l'identité exacte de la personne qui accompagnait M. X... chez le notaire n'est pas connue et observe qu'elle avait été amenée à signaler au juge des tutelles, en décembre 2011, des prélèvements non autorisés sur les comptes de M. X... à hauteur de 37 000 euros dont 18 000 euros en faveur d'une de ses filles, ainsi qu'un projet de mariage suspect, faits ayant motivé une plainte pour abus de faiblesse. Subsidiairement, l'intimé soutient que la clause pénale ne lui est pas opposable, faute de mise en demeure préalable, et qu'elle peut être modérée. Il approuve enfin le jugement en ce qu'il a écarté l'application de l'article 414-3 du code civil, en l'absence de toute faute intentionnelle de sa part du fait de l'altération de ses facultés mentales, et en l'absence de preuve d'un préjudice. La procédure a été clôturée par ordonnance du 3 novembre 2015.

MOTIFS
Il est constant que, dans un certificat médical établi le 5 septembre 2011, dont les termes ont été repris par le premier juge, le Docteur Z..., médecin traitant de M. X..., indiquait que l'intimé présentait des troubles mnésiques importants, le rendant influençable pour toute sorte de transaction et nécessitant une mise sous curatelle, et que, le 7 septembre 2011, le Docteur A..., gériatre, inscrit sur la liste prévue par l'article 431 du code civil, faisait quant à lui état d'un discours incohérent, de troubles du jugement et du comportement, dans un contexte d'anosognosie, de trouble mnésique et d'acalculie. Ce médecin considérait que M. X... ne pouvait plus gérer ses affaires personnelles et administratives, ces altérations mentales empêchant l'expression de sa volonté, et il évoquait, dans un courrier du même jour adressé au juge des tutelle, " une symptomatologie révélatrice d'une atteinte cognitive délirante, d'évolution lente mais constante, en faveur d'une atteinte neuro-dégénérative secondaire de nature vasculaire et dégénérative ". Il résulte des ces certificats médicaux que, dans les semaines qui ont immédiatement suivi la passation de l'acte, M. X... présentait une altération de ses facultés mentales empêchant l'expression de sa volonté, consécutive à une pathologie d'évolution lente et constante, laquelle, nécessairement, existait antérieurement à la date à laquelle elle a été médicalement constatée. Il est en outre établi que M. X... avait déjà signé, le 9 mars 2011, un compromis de vente en vue de l'acquisition d'un appartement situé à Mulhouse au prix de 117 000 euros et, le 6 juillet 2011, soit deux semaines avant la passation de l'acte litigieux, un compromis de vente portant également sur un appartement situé à Mulhouse, au prix de 113 000 euros, lesquels actes ont fait

l'objet d'une rétractation dans les délais légaux, cette propension à acheter des biens immobiliers sans discernement étant mise en relation par le Docteur A... avec la pathologie dont souffrait M. X.... Il s'évince de l'ensemble de ces éléments preuve suffisante de ce que M. X... présentait, immédiatement avant et après la passation de l'acte litigieux, une altération continue de ses facultés mentales affectant son discernement. Il n'apparaît pas que l'acte ait été conclu dans un intervalle de lucidité de l'acquéreur, ce qui ne saurait résulter du fait que le compromis de vente, qui n'est pas revêtu de la forme authentique, ait été rédigé par un notaire, ni du fait que M. X... ait été assisté d'une personne se présentant comme sa fille, mais dont l'identité exacte est toutefois ignorée, ni, ainsi que l'a exactement relevé le tribunal, des constatations effectuées par le notaire, Me Olivier C..., qui, dans un courrier en date du 2 mai 2012, indiquait : " Pour moi, M. X... faisait mine de parfaitement comprendre les termes de l'avant-contrat. En ce qui concerne les termes les plus obscurs de l'avant-contrat, la personne qui assistait M. X... lui en faisait la traduction ". Le jugement entrepris doit donc être confirmé en ce qu'il a prononcé la nullité du compromis de vente en application de l'article 414-1 du code civil. Si l'article 414-3 du code civil dispose que celui qui a causé un dommage à autrui alors qu'il était sous l'empire d'un trouble mental n'en est pas moins obligé à réparation, cette disposition ne saurait permettre de retenir la responsabilité d'une personne ayant contracté alors qu'elle était privée de discernement, pour le préjudice causé au co-contractant du fait de la conclusion du contrat annulé, sauf à priver cette personne de la protection dont elle bénéficie en vertu de l'article 414-1 du même code. En l'espèce, les époux Y... reprochant à M. X... de ne pas avoir exécuté le contrat annulé et ne caractérisant aucune faute distincte de la seule conclusion du contrat, leur demande de dommages et intérêts doit être rejetée. Les époux Y..., qui succombent, supporteront la charge des dépens ainsi que d'une indemnité de procédure de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, leur propre demande de ce chef étant rejetée.

PAR CES MOTIFS
La cour, statuant contradictoirement, après débats en audience publique et après en avoir délibéré,
CONFIRME le jugement du tribunal de grande instance de Mulhouse en date du 27 mai 2014 en toutes ses dispositions ;
CONDAMNE les époux Rémy Y... et Malika B... aux dépens d'appel, ainsi qu'à payer à M. Bouziane X..., représenté par son tuteur, l'UDAF 68, la somme de 1500 € (mille cinq cents euros) sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de colmar
Formation : DeuxiÈme chambre civile - section a
Numéro d'arrêt : 278
Date de la décision : 21/04/2016
Type d'affaire : Civile

Analyses

Si l'article 414-3 du code civil dispose que celui qui a causé un dommage à autrui alors qu'il était sous l'empire d'un trouble mental n'en est pas moins obligé à réparation, cette disposition ne saurait permettre de retenir la responsabilité d'une personne ayant conclu un compromis de vente alors qu'elle était privée de discernement, pour le préjudice causé au cocontractant du fait de la conclusion du contrat, annulé en vertu de l'article 414-1 du code civil, dès lors qu'aucune faute distincte de la seule conclusion du contrat n'est caractérisée.


Références :

Décision attaquée : Tribunal de grande instance de Mulhouse, 27 mai 2014


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.colmar;arret;2016-04-21;278 ?
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