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25/11/2015 | FRANCE | N°14/05422

France | France, Cour d'appel de colmar, DeuxiÈme chambre civile - section a, 25 novembre 2015, 14/05422


MINUTE No 704/ 2015

Copies exécutoires à

Maîtres ROSENBLIEH, WELSCHINGER et WIESEL

La SCP CAHN et ASSOCIÉS

Le 25 novembre 2015

Le Greffier RÉPUBLIQUE FRANÇAISE AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE COLMAR DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE-SECTION A

ARRÊT DU 25 novembre 2015

Numéro d'inscription au répertoire général : 2 A 14/ 05422

Décision déférée à la Cour : ordonnance du 21 octobre 2014 rendue par le TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE de STRASBOURG

APPELANT et défendeur :

Le COMITÉ D'HYGIÈNE DE S

ÉCURITÉ ET DES CONDITIONS DE TRAVAIL D'ALTRAN EST pris en la personne de son représentant légal ayant son siège social Bâtiment Gauss-...

MINUTE No 704/ 2015

Copies exécutoires à

Maîtres ROSENBLIEH, WELSCHINGER et WIESEL

La SCP CAHN et ASSOCIÉS

Le 25 novembre 2015

Le Greffier RÉPUBLIQUE FRANÇAISE AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE COLMAR DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE-SECTION A

ARRÊT DU 25 novembre 2015

Numéro d'inscription au répertoire général : 2 A 14/ 05422

Décision déférée à la Cour : ordonnance du 21 octobre 2014 rendue par le TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE de STRASBOURG

APPELANT et défendeur :

Le COMITÉ D'HYGIÈNE DE SÉCURITÉ ET DES CONDITIONS DE TRAVAIL D'ALTRAN EST pris en la personne de son représentant légal ayant son siège social Bâtiment Gauss-Boulevard Sébastien Brant B. P. 20143 67404 ILLKIRCH CEDEX

représenté par Maîtres ROSENBLIEH, WELSCHINGER et WIESEL, avocats à COLMAR plaidant : Maître DULMET, avocat à STRASBOURG

INTIMÉE et demanderesse :

La S. A. ALTRAN TECHNOLOGIES prise en la personne de son représentant légal ayant son siège social 54-56 avenue Hoche 75008 PARIS

représentée par la SCP CAHN et ASSOCIÉS, avocats à COLMAR plaidant : Maîtres AKNIN et MARQUES, avocats à PARIS

COMPOSITION DE LA COUR : L'affaire a été débattue le 07 octobre 2015, en audience publique, devant la Cour composée de : Monsieur Bernard POLLET, Président Madame Isabelle DIEPENBROEK, Conseiller Monsieur Olivier DAESCHLER, Conseiller qui en ont délibéré.

Greffier ad hoc, lors des débats : Madame Valérie ALVARO

ARRÊT Contradictoire-prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.- signé par Monsieur Bernard POLLET, Président et Madame Astrid DOLLE, greffier ad hoc, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

La société Altran exerce une activité de conseil en ingénierie en particulier dans le domaine de la maintenance des systèmes informatiques. Au sein de la région Alsace, la société emploie en qualité de " business manager " M. Emmanuel Y..., lequel a sous sa direction une cinquantaine de salariés, notamment ceux affectés au client Lilly France.
Le 29 juin 2014, M. Nicolas Z..., qui faisait partie du personnel travaillant chez Lilly France, s'est suicidé à son domicile.
Par délibération du 15 juillet 2014, le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) d'Altran Est a décidé, contre l'avis de la direction de l'entreprise, de mandater un expert, sur le fondement de l'article L. 4614-12 du code du travail, pour examiner les conditions de travail des équipes dirigées par M. Y..., analyser les risques pour la santé des salariés et définir une démarche préventive.
Le 11 août 2014, la société Altran technologies, estimant que les conditions du recours à une expertise n'étaient pas réunies, a saisi le juge des référés du tribunal de grande instance de Strasbourg d'une demande d'annulation de la délibération du CHSCT.
Par ordonnance en date du 21 octobre 2014, le juge des référés du tribunal de grande instance de Strasbourg a annulé la délibération par laquelle le CHSCT avait décidé de recourir à une expertise et condamné la société Altran technologies aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme de 2 500 euros au titre des frais non compris dans les dépens exposés par le CHSCT.
Le juge des référés a estimé que l'existence d'un lien entre le suicide de M. Z...et ses conditions de travail n'était pas établi, que l'expertise ne pouvait porter sur ce point alors qu'une enquête interne à l'entreprise était en cours, et que, s'il ressortait des éléments produits par le CHSCT l'existence d'un sentiment diffus d'anxiété au sein du personnel dirigé par M. Y..., ce sentiment ne constituait pas un risque grave.
*
Le CHSCT a régulièrement interjeté appel de cette ordonnance par déclaration en date du 5 novembre 2014.
Il demande à la cour d'infirmer l'ordonnance déférée en ce qu'elle a annulé la décision de recourir à un expert, de la confirmer pour le surplus et de condamner la société Altran technologies aux dépens d'appel ainsi qu'au paiement d'une somme de 3 000 euros au titre des frais non compris dans les dépens exposés en cause d'appel.

Au soutien de son appel, le CHSCT fait valoir que, contrairement à ce qui est soutenu par la société Altran technologies, le recours à une expertise ne suppose pas nécessairement que le CHSCT ait épuisé ses moyens d'action propres et qu'il suffit que soit caractérisé au sein de l'entreprise un risque grave pour la santé des salariés, qui peut être de nature psycho-social.

Il ajoute qu'il avait été saisi, depuis plusieurs années, de plaintes de salariés dénonçant les conditions de travail imposées par M. Y..., qu'il avait été amené à exercer à plusieurs reprises son droit d'alerte, qu'il avait été décidé le 5 juin 2014 de procéder à une enquête à cet égard et que le suicide de M. Z...est venu confirmer l'existence d'un risque grave.
Selon le CHSCT, les difficultés concernant les astreintes et temps de récupération des salariés affectés au client Lilly étaient récurrentes.
*
La société Altran technologies conclut à la confirmation de la décision déférée et au rejet, subsidiairement à la réduction, de la demande du CHSCT au titre de ses frais irrépétibles.
Elle fait valoir que l'enquête interne à l'entreprise sur le suicide de M. Z...est encore en cours et que l'expertise sollicitée ne peut avoir pour objet d'y suppléer, que les motifs invoqués par le CHSCT concernent des difficultés survenue avec certains salariés, qui sont anciennes et avaient été résolues, et que l'existence d'un risque grave pouvant seule justifier le recours à une expertise n'est pas démontrée.
*
Pour l'exposé complet des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions notifiées et transmises à la cour par voie électronique
-le 7 septembre 2015pour le CHSCT,- le 10 septembre 2015 pour la société Altran technologies.

La clôture de l'instruction de l'affaire a été prononcée par ordonnance en date du 15 septembre 2015.
MOTIFS

Aux termes de l'article L. 4614-12 du code du travail, le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail peut faire appel à un expert agréé lorsqu'un risque grave, révélé ou non par un accident du travail, une maladie professionnelle ou à caractère professionnel, est constaté dans l'établissement.

L'existence d'un risque grave est la seule condition du recours à un expert et il n'est pas nécessaire que le CHSCT ait épuisé ses pouvoirs d'enquête propre.

Le risque grave peut consister en état de stress affectant dangereusement la santé mentale des salariés.
En l'espèce, la délibération par laquelle le CHSCT a décidé d'avoir recours à une expertise vise les raisons suivantes :
"- tentative de suicide d'un consultant,- burn out d'une consultante,- droits d'alerte sur la même équipe,- retours des salariés sur un problème de management,- stress et fatigue de consultants et alertes remontées au management,- au final, le suicide d'un consultant dont on avait déjà relevé un stress au travail ".

Le CHSCT justifie avoir été alerté par de nombreux salariés, placés sous la direction de M. Y..., qui, tous, dénonçaient leurs conditions de travail et les méthodes de leur manager. Ces difficultés sont corroborées par le médecin du travail, Mme Nadia A..., entendue dans le cadre de l'enquête en cours après le décès de M. Z....
Le CHSCT avait lui même été amené à exercer, à au moins quatre reprises, son droit d'alerte
-le 23 février 2010 pour M. Ali B...,- le 12 octobre 2010 pour Mme Alix C...,- le 11 octobre 2011 pour Mme Ana D...,- le 26 octobre 2012 pour Mme Annette E....

Les faits concernant ces salariés travaillant au sein du même service étaient tous de même nature : surcharge de travail, autoritarisme de leur supérieur hiérarchique, générant un état dépressif, voire des envies suicidaires.
S'il est exact que ces difficultés remontaient à plus de deux ans à la date de la délibération litigieuse, et qu'elles avaient été résolues, il convient d'observer que les solutions apportées avaient consisté à changer d'affectation les salariés concernés. Les conditions de travail, notamment concernant les astreintes et temps de récupération, n'avaient pas été modifiées, alors que la réitération d'incidents de même nature aurait du interpeller.
En outre, il est inexact d'affirmer qu'il n'existait plus aucune difficulté à la date du 15 juillet 2014 :
- le problème des astreintes pour les salariés affectés chez le client Lilly France avait été évoqué lors des réunions du CHSCT du 30 juillet 2013 et du 15 avril 2014, un " danger grave et imminent " ayant même été mentionné lors de cette dernière réunion, faisant l'objet d'un désaccord avec la direction de l'entreprise,

- le 5 juin 2014, moins d'un mois avant le suicide de M. Z..., le CHSCT avait, cette fois-ci en accord avec la direction, décidé d'engager une enquête sur les équipes de M. Y....

A ces éléments est venu s'ajouter le suicide de M. Z..., événement particulièrement grave et traumatisant pour ses collègues de travail. Or, en l'état des éléments versés aux débats, notamment les témoignages de ses proches, il ne peut être exclu que ce suicide ait été en lien avec les conditions de travail de l'intéressé.
Ces éléments suffisent à caractériser l'existence d'un risque grave, au sens de l'article L. 4614-12 du code du travail, justifiant le recours à une expertise.
Il sera ajouté que l'intervention d'un expert susceptible de porter une appréciation objective sur les conditions de travail au sein du service dirigé par M. Y...apparaît d'autant plus opportune que de fortes tensions existent manifestement à ce sujet entre le CHSCT, ou du moins certains de ses membres, et la direction de l'entreprise, n'ayant pas permis l'aboutissement, à ce jour, de l'enquête interne ouverte sur les conditions du suicide de M. Z....
Il sera enfin rappelé que l'expertise sollicitée par le CHSCT n'est qu'une mesure d'instruction qui ne préjuge en rien de l'éventuelle responsabilité de l'employeur au titre du décès de M. Z....
L'ordonnance déférée sera donc infirmée.
La société Altran technologies, qui succombe, sera condamnée aux dépens d'appel, ainsi qu'au paiement d'une somme de 3 000 euros au titre des frais non compris dans les dépens exposés par le CHSCT en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire, après débats en audience publique,
INFIRME l'ordonnance rendue le 21 octobre 2014 par le juge des référés du tribunal de grande instance de Strasbourg, en ce qu'elle a annulé la délibération prise par le CHSCT de l'établissement d'Illkirch de la société Altran technologies le 15 juillet 2014, par laquelle le CHSCT a décidé de recourir à une expertise ;
Statuant à nouveau sur ce point,
REJETTE la demande de la société Altran technologies tendant à l'annulation de la délibération susvisée ;
CONFIRME, pour le surplus, l'ordonnance déférée ;

Y ajoutant,

CONDAMNE la société Altran technologies à payer au CHSCT d'Altran Est la somme de 3 000 ¿ (trois mille euros) au titre des frais non compris dans les dépens exposés par ce dernier en cause d'appel ;
CONDAMNE la société Altran technologies aux dépens d'appel.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT DE CHAMBRE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de colmar
Formation : DeuxiÈme chambre civile - section a
Numéro d'arrêt : 14/05422
Date de la décision : 25/11/2015
Type d'affaire : Civile

Analyses

"L'état de stress, en relation directe avec les conditions de travail au sein de l'entreprise, affectant dangereusement la santé mentale des salariés, suffit à caractériser l'existence d'un risque grave, au sens de l'article L.4614-12 du code du travail, justifiant le recours à une expertise, sans qu'il soit nécessaire pour le Comité d'hygiène,de sécurité et des conditions de travail d'épuiser ses pouvoirs d'enquête propre"


Références :

Décision attaquée : Tribunal de grande instance de Strasbourg, 21 octobre 2014


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.colmar;arret;2015-11-25;14.05422 ?
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