Chambre 12
R. G. No : 09/ 04416
Minute No : 12M 81/ 11
LRAR aux parties
Copie exécutoire à
la ASS BURNER & FAUROUX
Me Danièle FRICKER
le
Le Greffier RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE COLMAR
ARRET DU 27 MAI 2011
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU PRONONCE
M. LEIBER, Président
Mme SCHIRER, Conseiller
Mme DIEPENBROEK, Conseiller
qui en ont délibéré sur le rapport de Isabelle DIEPENBROEK
Greffier, lors du prononcé : Mme MUNCH-SCHEBACHER, Greffier
MINISTERE PUBLIC auquel le dossier a été communiqué :
M. SCHMELCK, Avocat Général
ARRET CONTRADICTOIRE du 27 Mai 2011
prononcé par le Président.
NATURE DE L'AFFAIRE : vente forcée immobilière
DEMANDERESSE AU POURVOI sous numéro 09/ 4416
CCM DE LA DOLLER
3 rue du 2ème Bataillon de Choc
68290 MASEVAUX
représentée par Mes BURNER & FAUROUX, avocats associés au barreau de MULHOUSE
DEMANDERESSE AU POURVOI sous numéro 09/ 4417
Madame Marie-Rose X...épouse Y...
...
68540 FELDKIRCH
représentée par Me Danièle FRICKER, avocat au barreau de COLMAR
DEFENDERESSE :
Madame Josiane Y...
...
68210 TRAUBACH LE HAUT
Sur requête déposée le 2 juin 2009 par la Caisse de Crédit Mutuel de la Doller, le tribunal d'instance de Guebwiller a, par ordonnance du 3 juin 2009, ordonné l'adjudication forcée de la nue-propriété des biens immobiliers inscrits au livre foncier de Feldkirch, au nom de Mme Josiane Marie-Christine Y...en exécution d'un contrat de prêt passé par-devant Me Z...notaire à Masevaux, en date du 19 novembre 1999, rép. no 90, contenant soumission à exécution forcée, muni de la clause exécutoire le 19 août 2008 et dûment signifié le 13 mars 2009, et en suite d'un commandement de payer délivré le 9 avril 2009, dénoncé à Mme Marie-Rose X...veuve Y..., usufruitière, le 21 avril 2009, aux fins de recouvrement de la contre-valeur en euros au jour du paiement de la somme de 72 266, 98 CHF en principal, outre les intérêts et frais.
Le 11 juin 2009, la Caisse de Crédit Mutuel de la Doller a formé un pourvoi immédiat à l'encontre de cette ordonnance en ce qu'elle n'ordonne l'adjudication forcée que de la seule nue-propriété des biens, alors que Mme Marie-Rose X...veuve Y...est intervenue à l'acte de prêt et a expressément consenti à ce que son droit d'usufruit et son droit de retour conventionnel soient primés par l'inscription hypothécaire prise par la Caisse de Crédit Mutuel de la Doller. Subsidiairement, elle souligne que l'usufruit ne porte pas sur la totalité des biens mais seulement sur le rez de chaussée, un emplacement de parking, un quart de la cave et la moitié du jardin, de sorte que l'adjudication forcée devra à tout le moins porter sur la pleine propriété des biens non grevés de cet usufruit.
Le 22 juin 2009, Mme Marie-Rose X...veuve Y...a également formé un pourvoi immédiat à l'encontre de cette ordonnance à elle notifiée le 6 juin 2009.
Elle fait valoir en premier lieu à l'appui de son pourvoi que la Caisse de Crédit Mutuel de la Doller ne dispose d'aucun titre exécutoire à son encontre, la clause de soumission à l'exécution forcée insérée dans l'acte de prêt ne concernant que la débitrice ou le cas échéant la caution et la clause exécutoire ne visant que Mme Josiane Y....
En second lieu, elle invoque les dispositions de l'article 621 du code civil et conteste toute renonciation de sa part à son usufruit, " la cession de rang " mentionnée dans l'acte de prêt ne pouvant être assimilée à une renonciation et ce d'autant moins qu'elle considère ne pas avoir été clairement informée par le notaire de la signification de cette stipulation.
Par conclusions du 3 août 2009, la Caisse de Crédit Mutuel de la Doller répond que la procédure n'est pas dirigée contre Mme Marie-Rose Y...mais contre Mme Josiane Y...dans la mesure où l'usufruitière, qui ne démontre pas que son consentement aurait été vicié, a clairement accepté que son usufruit et son droit de retour conventionnel soient primés par l'hypothèque consentie et qu'il ne s'agit pas d'une renonciation à son usufruit.
Le 21 août 2009, le tribunal d'instance de Guebwiller a maintenu son ordonnance du 3 juin 2009 et a transmis le dossier à la Cour d'Appel.
Devant la Cour, la Caisse de Crédit Mutuel de la Doller a réitéré par conclusions déposées le 18 février 2011 les termes de son pourvoi et a conclu au rejet des prétentions de Mme Marie-Rose Y....
Elle reprend les moyens précédemment développés tant à l'appui de son pourvoi, qu'en réponse au pourvoi régularisé par Mme Josiane Y...dont elle relève par ailleurs qu'il semble tardif. Elle ajoute que c'est à tort que le premier juge a considéré que l'adjudication ne pouvait porter sur des droits réels dont la débitrice n'est pas propriétaire, alors qu'un tiers peut valablement donner en garantie des droits réels dont il est titulaire afin de répondre de la dette d'autrui.
Par conclusions déposées au greffe le 24 mars 2011, Mme Marie-Rose Y...demande la réformation de la décision entreprise en ce qu'elle ordonne l'adjudication forcée des immeubles, subsidiairement le sursis à statuer dans l'attente de la décision à intervenir dans la procédure qu'elle a engagée devant le tribunal de grande instance de Colmar aux fins d'annulation des engagements qu'elle a pris dans l'acte du 19 novembre 1999.
En tout état de cause, elle conclut au rejet des demandes de la Caisse de Crédit Mutuel de la Doller, à la confirmation de la décision entreprise en ce qui la concerne, et qu'il soit dit et jugé que son usufruit ne pourra être liquidé ni sur la base du contrat de prêt ni sur la base de la clause exécutoire. Elle sollicite enfin la condamnation de la Caisse de Crédit Mutuel de la Doller au paiement d'une somme de 1800 ¿ à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et d'une indemnité de procédure de 2000 ¿ sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Mme Marie-Rose Y...réitère son argumentation antérieure qu'elle complète en faisant valoir que le solde de la dette n'a pas été constaté par acte authentique, contrairement aux stipulations du contrat de prêt.
Elle soutient par ailleurs que son engagement est assimilable à un cautionnement, bien qu'il n'ait pas été expressément qualifié comme tel, et que la banque entend lui faire produire les effets d'un cautionnement. Or elle n'a été pas destinataire de l'offre de prêt ni n'a reçu aucune information annuelle sur l'état de la dette et enfin ni ses revenus ni son patrimoine ne lui permettent de faire face à cette sûreté. Elle considère que son consentement à été vicié, qu'elle a été privée des dispositions protectrices des articles L. 312-7 et L. 313-10 du code de la consommation et indique avoir engagé une procédure en annulation de cet engagement devant le tribunal de grande instance de Colmar.
Le 2 février 2011, Monsieur le Procureur Général s'en est remis à justice.
SUR QUOI, la Cour :
Vu le dossier de la procédure,
Il échet en premier lieu de constater que les pourvois de la Caisse de Crédit Mutuel de la Doller et de Mme Marie-Rose X...veuve Y...ont été enregistrés respectivement sous les numéros 12 U-09-4416 et 12U-09-4417 et que s'agissant de deux appels dirigés contre la même ordonnance, il convient d'en ordonner la jonction dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice.
En second lieu, il convient de constater que l'ordonnance du 29 mai 2009 a été régulièrement signifiée à Mme Josiane Y...par exploit du 17 août 2009 signifié à l'étude de l'huissier, que toutefois celle-ci n'a pas été régulièrement intimée, ni la décision de maintien du 21 août 2009, ni des actes de la procédure, ne lui ayant été notifiés, les courriers qui lui ont été adressés étant revenus avec la mention " non réclamé " ou " destinataire non identifiable ".
Le pourvoi immédiat formé par la Caisse de Crédit Mutuel de la Doller dans le délai légal est recevable en la forme.
La décision querellée a été notifiée à Mme Marie-Rose Y...le 6 juin 2009. Le délai de quinze jours prévu par l'article 8 de l'annexe au Code de Procédure Civile pour former pourvoi immédiat expirant le dimanche 21 juin 2009, le pourvoi formé le 22 juin 2009 n'est donc pas entaché de tardiveté, conformément aux dispositions de l'article 642 du code de procédure civile.
Le premier juge a considéré que ce pourvoi immédiat était irrecevable, faute d'intérêt pour Mme Marie-Rose Y..., dont les droits ont été préservés par la décision prononcée.
Or s'il est exact que seule l'adjudication forcée de la nue-propriété a été ordonnée, Mme Marie-Rose Y...a néanmoins un intérêt à contester la régularité de la procédure d'exécution forcée engagée qui porte sur un bien immobilier sur lequel elle est titulaire d'un droit réel, sur lequel elle bénéficie d'un droit de retour conventionnel et qui est affecté d'une clause d'inaliénabilité.
Son pourvoi immédiat sera donc déclaré recevable.
Mme Marie-Rose Y...soutient que la procédure d'exécution forcée est entachée d'irrégularité en l'absence d'acte authentique constatant le solde restant dû.
Au terme des dispositions de l'article 794-5 du code de procédure civile locale, l'exécution forcée immobilière peut être poursuivie sur la base d'un acte authentique dressé par un notaire exerçant dans l'un des trois départements d'Alsace-Moselle ayant pour objet le paiement d'une somme d'argent déterminée ou la prestation d'une quantité déterminée d'autres choses fongibles ou de valeur mobilières, comportant soumission du débiteur à l'exécution forcée immobilière.
En l'espèce la procédure a été engagée sur la base d'un prêt consenti par la Caisse de Crédit Mutuel de la Doller à Mme Josiane Y...pour un montant de 120. 000 CHF selon acte reçu par Me Z..., notaire à la résidence ..., le 19 novembre 1999.
Cet acte comporte en page 11 une clause au terme de laquelle la partie débitrice, et s'il y a lieu la caution, se soumettent à l'exécution forcée immédiate dans tous leurs biens meubles et immeubles présents et à venir et en tant que de besoin, donnent mandat à un représentant habilité du prêteur, à l'effet, en son nom et pour son compte, de reconnaître le solde de sa dette par acte authentique, l'obliger au remboursement avec tous intérêts, frais et accessoires, en le soumettant à l'exécution forcée immédiate.
Ce mandat d'intérêt commun, conféré " en tant que de besoin " n'a toutefois vocation à s'appliquer que dans l'hypothèse d'une créance non déterminée et non déterminable, telle la créance résultant d'une ouverture de crédit en compte devant donner lieu à établissement d'un arrêté de compte.
Tel n'est pas le cas en l'espèce, s'agissant d'un prêt remboursable en 120 mensualités, dont le solde est parfaitement déterminable
Le contrat de prêt revêtu de la clause exécutoire constitue donc un titre suffisant pour permettre à la Caisse de Crédit Mutuel de la Doller d'engager la procédure d'exécution forcée.
Le prêt est garanti par une affectation hypothécaire consentie par Mme Josiane Y...sur des biens sis à Feldkirch qu'elle a reçu en donation de sa mère, Mme Marie-Rose Y..., selon acte reçu par Me A..., notaire à Soultz le 23 juin 1992, au terme duquel la donatrice s'est réservé l'usufruit du rez de chaussée de l'immeuble ainsi que d'une partie du sous sol et du jardin. L'acte comporte en outre une interdiction d'aliéner et d'hypothéquer et la stipulation d'un droit de retour conventionnel.
Mme Marie-Rose Y...est intervenue à l'acte du 19 novembre 1999 et a déclaré consentir à " ce que le droit d'usufruit et le droit de retour conventionnel, réservés à son profit... soient primés par l'inscription hypothécaire qui va être prise incessamment par la Caisse de Crédit Mutuel de la Doller pour sûreté de la somme de 120. 000 CHF... " ainsi qu'à " toute antériorité au profit de la Caisse de Crédit Mutuel de la Doller et par suite qu'elle soit colloquée avant elle pour raison de la somme de 480 000 F... "
Enfin, il est précisé que l'intervenante a également déclaré donner son consentement à l'affectation hypothécaire qui précède et renoncer définitivement et sans réserve à l'action révocatoire résultant à son profit de l'acte de donation pour cause d'inexécution des conditions.
Il s'ensuit que Mme Marie-Rose Y...a expressément renoncé au bénéfice de la clause d'inaliénabilité figurant dans l'acte de donation et qu'elle a consenti à une " cession de rang " en ce qui concerne son usufruit et son droit de retour conventionnel.
Mme Marie-Rose Y...justifie avoir saisi le tribunal de grande instance de Mulhouse d'une demande en annulation de cet engagement.
Si elle invoque in fine le dol et le vice du consentement, elle ne fait toutefois état d'aucun élément précis susceptible de démontrer que sa demande aurait des chances sérieuses d'aboutir sur ce fondement. Pour le surplus, les moyens qu'elle développe et qu'elle reprend en la présente instance tiennent essentiellement à la nature et à la validité de la " cession de rang " consentie et non à la validité de sa renonciation au bénéfice de la clause d'inaliénabilité.
L'engagement de Mme Marie-Rose Y..., dont la Caisse de Crédit Mutuel de la Doller admet qu'il ne peut être assimilé à une renonciation à l'usufruit, doit être analysé comme constituant une sûreté réelle, assimilable à une constitution d'hypothèque sur l'usufruit, la " cession de rang " ainsi consentie ayant pour effet d'affecter la pleine propriété des biens dont s'agit à la garantie de la dette contractée par Mme Josiane Y...envers la Caisse de Crédit Mutuel de la Doller.
C'est donc de manière inopérante que Mme Marie-Rose Y...soutient que son engagement peut être assimilé à un cautionnement. En effet, une sûreté réelle consentie pour garantir la dette d'un tiers n'impliquant aucun engagement personnel à satisfaire à l'obligation d'autrui, ne constitue pas un cautionnement (Cass. Ch. mixte 2 déc. 2005).
Néanmoins et contrairement à ce qui est soutenu par la Caisse de Crédit Mutuel de la Doller, si cet engagement a pour effet de lui conférer une garantie sur la pleine propriété des biens dont s'agit, il n'a pas pour autant pour effet d'attribuer à Mme Josiane Y...la pleine propriété des biens grevés de l'usufruit. La procédure ne peut donc être engagée à l'encontre de celle-ci que pour la nue-propriété desdits biens et contre Mme Marie-Rose Y...pour l'usufruit. Or cette dernière fait valoir à juste titre que le titre ne comporte pas soumission à l'exécution forcée de sa part, de sorte que la Caisse de Crédit Mutuel de la Doller qui ne dispose d'aucun titre exécutoire contre elle, ne peut poursuivre le recouvrement de sa créance sur l'usufruit dont elle est titulaire, nonobstant la " cession de rang " consentie.
En conséquence, et dès lors que Mme Marie-Rose Y...ne conteste pas sérieusement la validité de sa renonciation au bénéfice de la clause d'inaliénabilité, la procédure engagée devant le tribunal de grande instance de Mulhouse est sans emport sur la solution du présent litige. Il n'y a donc pas lieu de surseoir à statuer.
La décision entreprise sera donc confirmée, sauf en ce qui concerne la désignation des biens concernés.
La demande de la Caisse de Crédit Mutuel de la Doller étant partiellement accueillie, la procédure ne revêt aucun caractère abusif et Mme Marie-Rose Y...devra donc être déboutée de sa demande de dommages et intérêts de ce chef.
En considération de la solution du litige, il y a lieu de compenser les dépens et de dire n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile
PAR CES MOTIFS,
La COUR, statuant en Chambre du Conseil,
Ordonne la jonction de la procédure suivie sous le numéro RG 12U-09-4417 à la procédure suivie sous le numéro RG 12U-09-4416 ;
Constate que Mme Josiane Y...n'a pas été régulièrement intimée ;
Déclare recevable les pourvois immédiats ;
Déboute Mme Marie-Rose Y...de son pourvoi immédiat ;
Déclare le pourvoi immédiat de la Caisse de Crédit Mutuel de la Doller partiellement bien fondé ;
Dit n'y avoir lieu de surseoir à statuer ;
Confirme l'ordonnance du tribunal d'instance de Guebwiller du 3 juin 2009, sauf en ce qui concerne la désignation des biens concernés ;
Infirme la décision entreprise dans cette limite,
Statuant à nouveau,
Ordonne l'adjudication des immeubles sis à Feldkirch cadastrés :
- section 15 no ... avec 0, 22 are, terre
-section 15 no ...avec 5, 82 ares, sol
-section 15 no ...avec1, 86 are, sol
à l'exclusion de l'usufruit portant sur les biens suivants :
- au sous sol : un emplacement pour une voiture
-un quart de la cave en superficie
-l'intégralité du rez de chaussée, à l'exception de la cage d'escalier qui sera commune entre le rez de chaussée et le premier étage,
- une moitié du jardin en superficie ;
Déboute Mme Marie-Rose Y...de sa demande de dommages et intérêts ;
Condamne chaque partie à supporter ses propres dépens ;
Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Ordonne la notification du présent arrêt aux parties ;
Dit qu'une copie sera adressée à Me A..., notaire à Soultz, désigné pour les opérations de l'exécution forcée.
Et le présent arrêt a été signé par le Président A. LEIBER et le Greffier divisionnaire C. MUNCH-SCHEBACHER.