REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE COLMAR
PREMIERE CHAMBRE CIVILE - SECTION A
ARRET DU 19 Janvier 2010
Numéro d'inscription au répertoire général : 1 A 09/04119
Copie exécutoire à
- la SCP CAHN et Associés
- Me François-Xavier HEICHELBECH
- Me Joseph WETZEL
Le 19.01.2010
Le Greffier
Décision déférée à la Cour : 11 Août 2009 par le TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE A COMPETENCE COMMERCIALE DE COLMAR
APPELANTE :
SAS PAPETERIE DE TURCKHEIM
Route d'Ingersheim
68230 TURCKHEIM
Représentée par la SCP CAHN et Associés, avocats à la Cour
Avocat plaidant : Me DIEUDONNE, avocat à COLMAR
INTIMEES :
SA ELECTRICITE DE FRANCE
22/30 Avenue de Wagram
75008 PARIS CEDEX
représentée par Me François-Xavier HEICHELBECH, avocat à la Cour
Avocat plaidant : Me DE LA VILLE-BAUGE, avocat à PARIS
SA RTE RESEAU DE TRANSPORT D'ELECTRICITE
Tour Initiale 1 Terrasse Bellini TSA 41000
92919 LA DEFENSE CEDEX
représentée par Me Joseph WETZEL, avocat à la Cour
Avocat plaidant : Me HENRY, avocat à PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 01 Décembre 2009, en audience publique, devant la Cour composée de :
M. HOFFBECK, Président de Chambre, entendu en son rapport
M. CUENOT, Conseiller
M. ALLARD, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : Mme MUNCH-SCHEBACHER, Greffier
ARRET :
- Contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.
- signé par M. Michel HOFFBECK, président et Mme Corinne ARMSPACH-SENGLE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire. La SAS PAPETERIE DE TURCKHEIM, qui a été créée le 31 décembre 2008 et qui a repris une partie des actifs d'une SA MEYRAN en liquidation judiciaire selon jugement rendu le 28 décembre 2008 par le Tribunal de Commerce de GRENOBLE, a débuté son activité sur le site industriel de Turckheim, anciennement occupé par la société dont elle avait repris les actifs.
Par courrier du 15 janvier 2009, elle a demandé à la Société ELECTRICITE DE FRANCE (ci-après dénommée Société EDF) à pouvoir bénéficier du tarif réglementé de vente d'électricité dans le cadre d'un contrat de fourniture d'électricité à mettre en place.
Par lettre du 10 février 2009, la Société EDF a répondu à la SAS PAPETERIE DE TURCKHEIM qu'il lui était impossible de donner une suite favorable à cette demande, dans la mesure où elle ne remplissait pas les conditions requises par la loi pour bénéficier d'une tel tarif.
Par courrier du 3 mars 2009, la SA RESEAU DE TRANSPORT D'ELECTRICITE (ci-après dénommée Société RTE), gestionnaire du réseau de transport d'électricité français, et filiale de la Société EDF, a informé la SAS PAPETERIE DE TURCKHEIM que l'un des liquidateurs de la Société MEYLAN avait mis fin, à compter du 24 février 2009, au contrat d'accès au réseau de transport (CART) pour le site de Turckheim.
Elle s'y exprimait en ces termes : "En l'absence de responsable d'équilibre pour la fourniture d'électricité de votre site et en application des règles en vigueur, RTE va être amené a vous facturer l'énergie consommée par votre site au prix du règlement des "écarts négatifs"...Cette facturation viendra s'ajouter au coût d'accès au réseau de transport".
Suivant acte d'huissier délivré le 8 juin 2009, la SAS PAPETERIE DE TURCKHEIM a fait assigner à jour fixe la Société EDF devant le Tribunal de Grande Instance de Colmar afin d'obtenir la condamnation de la défenderesse à lui accorder le bénéfice du "tarif vert" ou "tarif réglementé", et ce façon rétroactive à la date de la demande exprimée le 15 janvier 2009, sous peine d'astreinte.
Elle a également appelé dans l'instance la Société RTE, demandant à ce que le jugement à intervenir lui soit déclaré commun et opposable.
La Société RTE a fait savoir qu'elle s'en remettait à l'appréciation du tribunal sur le droit de la SAS PAPETERIE DE TURCKHEIM d'obtenir l'application du tarif vert.
Exposant ensuite qu'elle devait être honorée des factures laissées impayées, elle a demandé à titre incident au tribunal, s'il devait estimer que la SAS PAPETERIE DE TURCKHEIM n'avait pas droit au tarif vert, de la condamner à lui payer la somme de 154.298,13 Euros TTC, avec intérêts au taux BCE + 10 points conformément à l'article L.441-6 du Code de Commerce à compter du 25 mai 2009.
Par contre, si le tribunal devait estimer que la SAS PAPETERIE DE TURCKHEIM avait droit au tarif vert, elle a demandé au tribunal de condamner soit la Société EDF, sur le fondement de l'article 1382 du Code Civil, soit la SAS PAPETERIE DE TURCKHEIM sur le fondement des articles 1134 et 1147 du Code Civil, à payer à la Société RTE les factures laissées partiellement impayées par la SAS PAPETERIE DE TURCKHEIM pour les montants sus-énoncés.
Au vu de ces prétentions, la SAS PAPETERIE DE TURCKHEIM a subsidiairement demandé au tribunal de condamner la Société EDF à la garantir de toute condamnation susceptible d'intervenir à son encontre.
Par un jugement du 11 août 2009, la Chambre commerciale du Tribunal de Grande Instance de Colmar a débouté la SAS PAPETERIE DE TURCKHEIM de sa demande à l'encontre de la Société EDF et, accueillant par contre la demande incidente de la Société RTE, a condamné la SAS PAPETERIE DE TURCKHEIM à payer à cette dernière une somme de 154.298,15 Euros, avec les intérêts au taux BCE + 7 points à compter du 25 mai 2009 et a rejeté toutes autres prétentions, en condamnant la SAS PAPETERIE DE TURCKHEIM aux dépens.
Selon une déclaration enregistrée au greffe le 20 août 2009, la SAS PAPETERIE DE TURCKHEIM a interjeté appel de cette décision.
Par ses dernières conclusions déposées à l'audience, elle reprend devant la Cour ses prétentions initialement dirigées contre la Société EDF et, subsidiairement son appel en garantie pour toute condamnation susceptible d'intervenir à son encontre sur la demande de la Société RTE. Elle réclame en outre la condamnation de la Société EDF aux dépens et au paiement d'une somme de 10.000 Euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
Au soutien de son appel, la SAS PAPETERIE DE TURCKHEIM fait valoir :
- que la position de la Société EDF repose sur une interprétation fausse de la notion de "site de consommation" ; qu'en effet, la Société EDF soutient que, nonobstant tout lien de droit entre la concluante et l'ancienne société MEYLAN, la SAS PAPETERIE DE TURCKHEIM demanderait l'éligibilité pour un site au titre duquel l'exercice des droits à éligibilité a déjà été fait ; que la Société EDF oppose ainsi à la concluante l'irréversibilité du choix, pour le site ;
- que la notion de site, qui est le critère d'application de la loi, a cependant été clairement défini par le législateur, et ce à plusieurs reprises ;
- qu'ainsi le décret 2000-456 du 29 mai 2000 relatif à l'éligibilité des consommateurs d'électricité, définit en son article 1er le site de consommation d'électricité comme étant "constitué par l'établissement identifié par son numéro d'identité au répertoire national des entreprises et des établissements" (SIRET) ;
- que le décret 2004-597 du 23 juin 2004 relatif à l'éligibilité des consommateurs d'énergie, modifiant le décret précédent, définit, en son article 1er, le site de consommation d'électricité comme étant constitué par "l'établissement identifié par son numéro d'identité au répertoire national des entreprises et des établissements, tel que défini par le décret du 14 mars 1973 sus-visé ou, à défaut, pour les sites qui ne sont ni industriels ni commerçants, par le lieu de consommation de l'électricité";
- que le décret 2007-1058 du 29 juin 2007, modifiant le décret du 29 mai 2000, dispose en son article 1er que "le site de consommation d'électricité est constitué par l'établissement identifié par son numéro d'identité au répertoire national des entreprises et des établissements, tel que défini par le décret du 14 mars 1973 sus-visé, ou, à défaut, pour les sites qui sont dépourvus d'un tel numéro, par le lieu de consommation d'électricité";
- qu'en d'autres termes, le site est identifié au numéro SIRET ; que tout numéro SIRET différent constitue un site différent ; que ce n'est qu'en l'absence de numéro SIRET (pour les consommateurs individuels principalement) que la notion de site recouvre la notion géographique du lieu d'exploitation.
L'appelante ajoute :
- qu'une telle analyse est cohérente avec les autres dispositions législatives relatives à la distribution d'électricité ;
- qu'ainsi, le décret 2000-877 du 7 septembre 2000 relatif à l'autorisation d'exploiter les installations de production d'électricité, définit en son article 1er le site de consommation d'électricité par l'établissement identifié par son numéro SIRET ;
- que le cahier des charges et de l'appel d'offre réglementé, portant sur les installations de production d'électricité à partir de biomasse, se réfère également en son article 3.2 à la définition du site par le numéro SIRET ;
- que les sociétés RTE et ERDF, filiales de la Société EDF, chargées de l'acheminement d'électricité, mentionnent chacune dans leurs conditions générales l'établissement identifié par son numéro SIRET comme étant le site de consommation ;
- que c'est uniquement par référence au numéro SIRET que doit s'apprécier la nouveauté ou l'ancienneté du site ;
- que la SAS PAPETERIE DE TURCKHEIM a un numéro SIRET différent de l'ancienne société MATUSSIERE et FOREST-MEYLAN ;
- qu'ainsi, en application de l'article 66-2 de la loi du 10 février 2000, en sa rédaction issue de la loi du 5 mars 2007, la concluante est en droit de bénéficier du contrat au tarif vert, réglementé, puisqu'elle constitue un nouveau site de consommation d'électricité, demandant son raccordement au réseau de distribution ou de transport avant le 1er juillet 2010 ;
- que s'agissant d'un nouveau site, la Société EDF ne peut opposer l'irréversibilité du choix, puisqu'aucun droit à éligibilité n'a été exercé.
La SAS PAPETERIE DE TURCKHEIM fait ensuite valoir :
- qu'il n'y a pas lieu d'interpréter des textes qui sont clairs ;
- qu'en l'occurrence, les textes à appliquer ne font aucune distinction entre site de consommation et site d'exploitation ;
- que la loi ne distingue pas davantage selon la finalité de l'exploitation ; qu'elle prend uniquement en considération la qualité de l'utilisateur, soit entre ceux qui peuvent être individualisés par un numéro SIRET et ceux qui ne peuvent pas l'être ;
- que la seule distinction se fait au regard du numéro SIRET, et non au regard de la localisation géographique de l'utilisation ;
- que les premiers juges se sont également mépris sur le sens du débat porté devant le Conseil Constitutionnel, lequel avait uniquement concerné la possibilité pour l'utilisateur d'un même site d'opérer une réversibilité du choix ; que le débat n'avait pas porté sur la définition du site ; que le Conseil avait tranché, conformément à la Directive européenne, dans le sens d'une irréversibilité pour le même site ;
- que tant que le tarif historique existe, il est possible de le choisir, même s'il a vocation à disparaître.
L'appelante reproche encore au tribunal d'avoir méconnu un certain nombre de textes légaux, auxquels il n'a pas fait référence, en exposant :
- que les dispositions de la loi du 21 janvier 2008 et de la loi du 5 mars 2007 rappellent que l'article 66 est applicable aux nouveaux sites de consommation raccordés au réseau de disposition ou de transport avant le 1er juillet 2010 ; que la loi est claire : les nouveaux sites sont éligibles ; que si le législateur, après la décision du Conseil Constitutionnel, avait voulu faire une distinction entre nouveau site domestique et nouveau site industriel, il eut pu le faire;
- qu'il n'a été fait aucune allusion au décret du 29 juin 2007, alors que celui-ci est capital pour la compréhension du mot "site" utilisé dans les textes relatifs à l'électricité ; qu'en effet, pour l'application du 1o de l'article 22, tout consommateur final d'électricité est éligible pour chacun de ses sites de consommation d'électricité, avec référence à la définition du site de consommation par l'établissement avec numéro SIRET et, à défaut de SIRET, par le lieu de consommation ; que ce n'est qu'en l'absence de numéro SIRET qu'il y a lieu de faire référence au site géographique ;
- que la législation vient d'être complétée par un décret du 12 août 2009, qui réaffirme en son article 1er la possibilité d'opter pour le tarif réglementé ; que ce texte vise surtout le consommateur final sans référence au site, ce qui ouvre à tout consommateur final un droit personnel à l'éligibilité ; qu'il importe peu que, sur le même site, un autre consommateur final ait déjà fait un choix antérieurement.
Enfin, s'agissant de la demande de la Société RTE, après avoir admis que cette prétention ne peut être contestée, mais qu'il s'agit de déterminer qui doit la supporter, la SAS PAPETERIE DE TURCKHEIM fait valoir :
- que la Société EDF devra garantir la concluante de toutes condamnations prononcées au titre de la facturation de RTE telle qu'elle excède la facturation due au titre du tarif réglementé, et ce jusqu'au jour de l'arrêt à intervenir ;
- que très subsidiairement, le juge peut réduire les pénalités qui lui paraissent excessives ;
- qu'en tout état de cause, le taux pratiqué par RTE est dépourvu de tout fondement contractuel et apparaît abusif.
Par des conclusions déposées le 12 novembre 2009, la Société EDF sollicite la confirmation du jugement entrepris et réclame le paiement par l'appelante d'une somme de 7500 Euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
Par des conclusions déposées le 27 novembre 2009, la Société RTE demande à la Cour de :
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a jugé la concluante bien fondée à demander le règlement des factures impayées ;
En conséquence,
- statuer ce que de droit sur la demande de la SAS PAPETERIE DE TURCKHEIM tendant à obtenir le bénéfice du tarif vert ;
- dire et juger que, quelle que soit la décision de la Cour d'appel de Colmar sur le droit de la SAS PAPETERIE DE TURCKHEIM d'obtenir l'application du tarif vert, la Société RTE devra être réglée des factures laissées impayées ;
En conséquence, vu les articles 1134 et 1147 du Code Civil, si la Cour devait estimer, comme le Tribunal de Grande Instance de Colmar, que la SAS PAPETERIE DE TURCKHEIM n'a pas droit au tarif vert :
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la SAS PAPETERIE DE TURCKHEIM à payer à la Société RTE les factures laissées partiellement impayées à hauteur de 154.298,13 Euros TTC, avec intérêts au taux BCE + 7 points à compter du 25 mai 2009 ;
Y ajoutant,
- condamner la SAS PAPETERIE DE TURCKHEIM à payer à la Société RTE les factures laissées partiellement impayées depuis le 25 juin 2009, date à laquelle les parties ont plaidé devant le Tribunal de Grande Instance de Colmar, soit la somme de 1.354.214,06 Euros TTC, avec intérêts au taux BCE + 7 points à compter du 25 mai 2009 ;
- en conséquence, condamner la SAS PAPETERIE DE TURCKHEIM à payer à la Société RTE la somme totale de 1.508.512,19 Euros TTC, avec intérêts au taux BCE + 7 points à compter du 25 mai 2009 ;
- dire et juger que la SAS PAPETERIE DE TURCKHEIM devra payer à la Société RTE toutes les factures subséquentes tant qu'elle n'aura pas désigné à la Société RTE son responsable d'équilibre ;
Si, contrairement au Tribunal de Grande Instance de Colmar, la Cour devait estimer que la SAS PAPETERIE DE TURCKHEIM avait droit au tarif vert,
- condamner la Société EDF au vu de l'article 1382 du Code Civil, ou la SAS PAPETERIE DE TURCKHEIM au vu des articles 1134 et 1147 du Code Civil, à payer à la Société RTE la somme de 1.508.512,19 Euros TTC, avec intérêts au taux BCE + 7 points à compter du 25 mai 2009, et à régler toutes les factures subséquentes jusqu'à la mise en application effective du tarif vert ;
- condamner la SAS PAPETERIE DE TURCKHEIM et/ou la Société EDF à payer à la Société RTE la somme de 7500 Euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile, ainsi qu'aux dépens.
SUR CE, LA COUR
Vu le dossier de la procédure, les pièces régulièrement versées aux débats et les conclusions des parties auxquelles la Cour se réfère pour plus ample exposé des faits et moyens ;
Attendu que, comme la Société EDF l'expose dans ses conclusions d'intimée, une directive européenne du 19 décembre 1996 a amené les Etats membres à modifier profondément les législations nationales afin de permettre la concurrence sur le marché de l'électricité ; qu'en France, une loi 2000-108 du 10 février 2000, relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité, modifiée par une loi 2006-1537 du 7 décembre 2006, est venue transposer les directives européennes ;
Attendu que le paragraphe I de l'article 22 de ce texte stipule que "tout consommateur final d'électricité peut, pour chacun de ses sites de consommation, librement choisir son fournisseur d'électricité";
Attendu qu'en effectuant ce choix, le consommateur final exerce un droit d'éligibilité;
Attendu ensuite que, en raison de l'ancien monopole de la fourniture d'électricité, les tarifs de vente de l'électricité étaient des tarifs réglementés, appelés aussi "tarifs historiques"; qu'avec l'ouverture du marché à la concurrence, les tarifs réglementés ont vocation à disparaître progressivement au bénéfice des offres du marché ; qu'afin de faciliter la transition entre les tarifs réglementés et les offres du marché, le législateur a choisi de maintenir provisoirement, sous certaines conditions, les tarifs réglementés ;
Attendu que le texte de base, sur l'application duquel les parties sont en litige, est l'article 66 de la loi 2005-781 du 13 juillet 2005, modifiée par la loi 2008-66 du 21 janvier 2008, ainsi libellé :
"I. Sous réserve des dispositions prévues aux IV, V et VI du présent article, un consommateur final d'électricité bénéficie des tarifs réglementés de vente d'électricité mentionnés au premier alinéa du I de l'article 4 de la loi no 2000-108 du 10 février 2000 précitée, pour la consommation d'un site pour lequel il n'use pas de la faculté prévue au I de l'article 22 de la même loi, à la condition qu'il n'ait pas été fait précédemment usage de cette faculté, pour ce site, par ce consommateur ou par une autre personne.
................
IV. Un consommateur final domestique d'électricité qui en fait la demande avant le 1er juillet 2010 bénéficie des tarifs réglementés de vente d'électricité pour la consommation d'un site, à condition qu'il n'ait pas lui-même fait usage, pour ce site, de la faculté prévue au I de l'article 22 précité.
V. Lorsqu'un consommateur final domestique d'électricité a fait usage pour la consommation d'un site de cette faculté depuis plus de six mois, il peut, sous réserve d'en faire la demande avant le 1er juillet 2010, à nouveau bénéficier des tarifs réglementés de vente d'électricité pour ce site.
VI. Un consommateur final non domestique souscrivant une puissance électrique égale ou inférieure à 36 kilovoltampères qui en fait la demande avant le 1er juillet 2010 bénéficie des tarifs réglementés de vente d'électricité pour la consommation d'un site, à condition qu'il n'ait pas lui-même fait usage, pour ce site, de la faculté prévue au I de l'article 22 de la loi no 2000-108 du 10 février 2000 précité" ;
Attendu que l'article 66-2 ajoute que "l'article 66 est également applicable aux nouveaux sites de consommation raccordés aux réseaux de distribution ou de transport avant le 1er juillet 2010" ;
Attendu qu'il en résulte qu'en principe un consommateur final d'électricité, domestique ou non domestique, bénéficie des tarifs réglementés pour la consommation d'un site dès lors qu'il n'exerce pas son droit d'éligibilité par la souscription d'une offre de marché, et à condition que lui-même ou une autre personne n'ait pas auparavant fait usage de cette faculté "pour ce site" ;
Attendu toutefois que, pour favoriser le passage au marché libre, le législateur a mis en place des dispositions qui restreignent tout retour au marché réglementé, une fois que le consommateur final d'électricité a exercé son droit d'éligibilité en changeant de fournisseur, ou en optant pour une offre de marché avec le fournisseur historique ; qu'ainsi, aux termes des dispositions sus-visées, il apparaît que l'irréversibilité du droit d'éligibilité est totale pour le consommateur final non domestique, sauf si la puissance électrique souscrite est égale ou inférieure à 36 kilovoltampères ; qu'il n'est fait exception à ce régime très restrictif qu'au bénéfice d'une part du consommateur final domestique qui a fait usage de son droit d'éligibilité depuis plus de six mois et qui dispose encore provisoirement d'une possibilité de revenir au tarif réglementé, d'autre part au profit des nouveaux sites de consommation raccordés au réseau avant la date butoir du 1er juillet 2010 ;
Attendu que, en se fondant sur ces textes, la SAS PAPETERIE DE TURCKHEIM estime qu'elle est en droit de bénéficier du tarif réglementé, motif pris qu'elle constituerait un nouveau site de consommation d'électricité, sans lien de droit avec le précédent occupant des lieux, et dans la mesure où elle demande son raccordement au réseau de distribution ou de transport avant le 1er juillet 2010 ;
Attendu que, pour démontrer qu'elle serait un "nouveau site de consommation" au sens de l'article 66-2, l'appelante se réfère aux dispositions de l'article 1er du décret 2000-456 du 29 mai 2000 relatif à l'éligibilité des consommateurs d'électricité et portant application de l'article 22 de la loi 2000-108 du 10 février 2000, tel que modifié en dernier lieu par un décret 2007-1058 du 29 juin 2007, libellé en ces termes :
"Pour l'application du premier alinéa du I de l'article 22 de la loi du 10 février 2000, tout consommateur final d'électricité est éligible pour chacun de ses sites de consommation d'électricité.
Le site de consommation d'électricité est constitué par l'établissement, identifié par son numéro d'identité au répertoire national des entreprises et des établissements, tel que défini par le décret du 14 mars 1973 susvisé, ou, à défaut, pour les sites qui sont dépourvus d'un tel numéro, par le lieu de consommation d'électricité";
Attendu cependant que, ce texte étant d'application stricte, l'identification du site de consommation par référence au numéro SIRET de l'établissement ne concerne que la définition du "site de consommation" tel que visé à l'article 22 de la loi du 10 février 2000 modifiée par une loi du 7 décembre 2006, ainsi que l'intitulé dudit décret le spécifie expressément (décret "portant application de l'article 22 de la loi du 10 février 2000") ; qu'il ne donne par contre aucune définition du "nouveau site de consommation" dont il est question aux articles 66 et 66-2 de la loi 2005-781 du 13 juillet 2005 modifiée par la loi 2008-66 du 21 janvier 2008, relatifs aux conditions exceptionnelles de réversibilité du droit d'éligibilité ;
Attendu au contraire que l'article 66-2 définit expressément le "nouveau" site de consommation par référence aux "sites de consommation raccordés aux réseaux de distribution ou de transport avant le 1er juillet 2010", accordant donc à titre exceptionnel le bénéfice de l'article 66 aux sites nouvellement raccordés au réseau et qui ne l'étaient pas auparavant ;
Attendu qu'il est constant que le site de la SAS PAPETERIE DE TURCKHEIM était déjà raccordé dans le passé au réseau ;
Attendu dès lors que cette société ne peut se prévaloir de l'article 66-2, et corrélativement des dispositions de l'article 66, pour réclamer le bénéfice du tarif réglementé;
Attendu subsidiairement que la société appelante n'est pas fondée à soutenir qu'aucun droit à éligibilité n'aurait encore été exercé sur le site dans les termes de l'article 66 ;
Attendu à cet égard que, contrairement à ce qu'elle soutient, les dispositions de ce texte sont suffisamment claires pour recevoir application par elles-mêmes, sans qu'il soit nécessaire de se référer à un texte réglementaire pour en rechercher le sens ;
Attendu en effet que le paragraphe I de l'article 66, applicable tant aux consommateurs domestiques que non domestiques, en indiquant que le bénéfice des tarifs réglementés pourra être obtenu pour tout consommateur final qui ne fait pas usage de son droit d'éligibilité, et "à la condition qu'il n'ait pas été fait précédemment usage de cette faculté pour ce site, par ce consommateur ou par une autre personne", se réfère clairement à la notion de site géographique occupé soit par le consommateur actuel soit par toute autre personne qui l'aurait occupé précédemment ; qu'il exclut donc le bénéfice des tarifs réglementés dès lors qu'une autre personne ayant auparavant occupé le site, même en l'absence de tout lien de droit entre les occupants successifs, a d'ores et déjà exercé son droit d'éligibilité ;
Attendu en l'occurrence qu'il est constant que la société qui occupait les locaux avant la SAS PAPETERIE DE TURCKHEIM avait déjà exercé son droit d'éligibilité ;
Attendu ainsi que, même s'il n'existe aucun lien de droit entre cette ancienne société et la SAS PAPETERIE DE TURCKHEIM qui s'est contentée de reprendre une partie de ses actifs consécutivement à une liquidation judiciaire, il apparaît que l'appelante ne peut plus aujourd'hui revenir sur un droit d'éligibilité qui a déjà été exercé, pour ce site, par une autre personne ;
Attendu que, plus subsidiairement encore, et alors qu'elle ne le conteste pas vraiment, la société appelante ne peut se prévaloir du régime d'exception prévu au VI l'article 66 de la loi du 13 juillet 2005, dans la mesure où il est constant que la puissance électrique souscrite par elle est bien supérieure à 36 kilovoltampères ;
Attendu en tout état de cause que la SAS PAPETERIE DE TURCKHEIM ne saurait invoquer, au soutien de son argumentation, le nouveau texte issu d'un décret 2009-975 du 12 août 2009, lequel, pour désigner les bénéficiaires des tarifs réglementés, ne fait que se référer aux conditions fixées par les articles 66 et 66-2 de la loi du 13 juillet 2005, et qui ne vient donc en rien modifier le régime antérieurement applicable ;
Attendu enfin que, suivre l'argumentation de l'appelante conduirait à tous les abus, puisqu'il suffirait à un établissement de modifier sa situation juridique, sans changer de site, pour obtenir un nouveau numéro SIRET et obtenir le bénéfice des tarifs réglementés, et ce même si précédemment un autre occupant du site avait déjà exercé son droit d'éligibilité ;
Attendu dans ces conditions que c'est à bon droit que les premiers juges ont débouté la SAS PAPETERIE DE TURCKHEIM de sa demande tendant à obtenir le bénéfice des tarifs réglementés ;
Attendu que, s'agissant de la demande incidente formée par la Société RTE, la société appelante ne conteste en rien les montants réclamés par cette dernière au titre des "écarts négatifs", régime applicable dès lors qu'elle n'a pas désigné de "responsable d'équilibre", c'est-à-dire un nouveau fournisseur avec lequel elle aurait passé un marché ; qu'il convient donc d'accueillir la demande de la Société RTE actualisée devant la Cour ;
Attendu par contre qu'il n'y a pas lieu de se prononcer sur le sort des factures à venir;
Attendu ensuite que la société appelante n'indique pas en quoi la Société EDF serait tenue de la garantir pour les condamnations intervenues à son encontre à la demande de la Société RTE ;
Attendu au contraire que, la SAS PAPETERIE DE TURCKHEIM, qui se voit déboutée de sa demande à l'égard de la Société EDF, doit nécessairement supporter seule et entièrement le poids de la condamnation intervenue à la demande de la Société RTE ;
Attendu pour le surplus que les premiers juges n'ont fait qu'appliquer les dispositions de l'article L.441-6 du Code de Commerce, dont le bénéfice ne pouvait qu'être accordé à la demanderesse dès lors que réclamé ; qu'en tout état de cause, il s'agit de dispositions légales supplétives qui ne peuvent être réduites comme correspondant à des pénalités excessives ;
Attendu en définitive qu'il convient de rejeter l'appel et de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
Attendu toutefois que, comme en première instance, l'équité ne justifie pas qu'il soit fait application de l'article 700 du Code de Procédure Civile dans l'instance d'appel ;
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Reçoit l'appel, régulier en la forme ;
Le déclare cependant non fondé et confirme le jugement entrepris en son principe ;
Statuant toutefois sur l'actualisation des prétentions de la Société RTE,
Condamne la SAS PAPETERIE DE TURCKHEIM à payer à Société RTE EDF TRANSPORT la somme totale de 1.508.512,19 Euros TTC (un million cinq cent huit mille cinq cent douze euros dix neuf centimes), augmentée des intérêts au taux BCE + 7 points à compter du 25 mai 2009, correspondant aux factures laissées partiellement impayées ;
Rejette toutes autres prétentions des parties ;
Condamne la SAS PAPETERIE DE TURCKHEIM aux dépens de son appel dirigé contre la Société EDF et la Société RTE EDF TRANSPORT ;
Condamne la Société RTE EDF TRANSPORT aux dépens de son appel provoqué implicite et subsidiaire dirigé contre la SAS PAPETERIE DE TURCKHEIM et la Société EDF.
Le Greffier : Le Président :