MINUTE N° 663/2008
Copie exécutoire à
- Me Christine LAISSUE -STRAVOPODIS- Me Joseph WETZELCopie à M. le PG
Arrêt notifié aux partiesLe 11.09.2008
COUR D'APPEL DE COLMARPREMIERE CHAMBRE CIVILE - SECTION B
ARRET DU 11 Septembre 2008
Numéro d'inscription au répertoire général : 1 B 08/01232
Décision déférée à la Cour : 31 Janvier 2008 par l'INSTITUT NATIONAL DE LA PROPRIETE INDUSTRIELLE DE PARIS
DEMANDERESSE AU RECOURS :SAS VINS D'ALSACE JEAN BAPTISTE ADAM5 rue de l'Aigle 68770 AMMERSCHWIHR
Représentée par Me Christine LAISSUE-STRAVOPODIS, avocat à la Cour Avocat plaidant : Me DECHRISTE, avocat à COLMAR
DÉFENDEUR AU RECOURS :Monsieur le Directeur Général de L'INPI26 bis rue de St Petersbourg 75800 PARIS CEDEX 08
représenté par Mlle MECHIN, chargée de mission, munie d'un pouvoir
PARTIE APPELÉE EN LA CAUSE :SCS JAS HENNESSY et CO1 rue de la Richonne 16100 COGNAC
Représentée par Me Joseph WETZEL, avocat à la Cour Avocat plaidant : Me GOYARD, avocat à PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 18 Juin 2008, en audience publique, devant la Cour composée de :M. LITIQUE, Président de Chambre, entendu en son rapportMme MAZARIN-GEORGIN, ConseillerM. ALLARD, Conseillerqui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : Mme MUNCH-SCHEBACHER
Ministère Public :
représenté lors des débats par Monsieur François JURDEY, avocat général, qui a fait connaître son avis et dont les réquisitions écrites ont été communiquées aux parties.
ARRET :
- Contradictoire- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Nouveau Code de Procédure Civile.- signé par M. Jean-Marie LITIQUE, président et Mme Corinne ARMSPACH-SENGLE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le 26 avril 2007 la SA "Les Caves Jean-Baptiste ADAM Successeurs" a déposé auprès de l'INPI une demande d'enregistrement sous le n° 07 3 497 366 portant sur le signe verbal LE PARADIS D'ADAM et concernant les produits suivants : "vins, spiritueux, liqueurs, eaux de vie".
Invoquant l'antériorité de la marque verbale PARADIS déposée par elle sous le n° 1 252 050, renouvelée en dernier lieu par déclaration du 1er octobre 2003 et portant sur les produits suivants : "alcools et eaux de vie, liqueurs, spiritueux et apéritifs divers", la société en commandite simple JAS HENNESSY et CO a formé opposition le 6 juillet 2007 à l'enregistrement de cette marque, à la suite de quoi la société requérante a limité le libellé de sa marque aux produits suivants : "Vins".
La procédure d'opposition étant menée par la SA JAS HENNESSY et CO, la société requérante soulevait d'une part l'irrecevabilité de l'opposition en l'absence d'éléments justificatifs établissant que l'opposante était bien titulaire de la marque et en ce que l'opposition ne visait que l'identité des produits et non leur similarité, et d'autre part son mal fondé en ce que les produits concernés n'étaient pas similaires et que le terme PARADIS, faiblement distinctif, ne pouvait se confondre avec la marque antérieure dès lors qu'y était juxtaposé le patronyme ADAM.
Dans sa décision du 31 janvier 2008, le Directeur de l'INPI a considéré l'opposition recevable et justifiée dès lors :
- que la société en commandite simple JAS HENNESSY et CO avait donné des indications suffisantes pour comprendre qu'il y avait eu simple changement juridique dans sa forme intervenue depuis l'enregistrement, au demeurant non soumis à inscription au Registre des Marques
- que la société opposante avait en outre développé une argumentation concernant le lien entre les produits de la demande d'enregistrement et ceux de la marque antérieure
- qu'il s'agissait de produits similaires, le public étant amené à leur attribuer une origine commune
- qu'au regard de la comparaison des signes, il existait un risque de confusion entre eux et que le signe contesté constitue l'imitation de la marque antérieure
et a donc rejeté la demande d'enregistrement du signe "LE PARADIS D'ADAM".
A l'encontre de cette décision, la SAS Vins d'Alsace Jean-Baptiste ADAM Successeurs a formé le 27 février 2008 un recours déposé le 29 février 2008 au Greffe de la Cour.
Se référant à ses derniers écrits du 17 juin 2008, la demanderesse au recours conclut oralement à l'annulation de la décision attaquée, à l'irrecevabilité de l'opposition, en tout cas à son mal fondé et à la condamnation de la société succombante au paiement, outre les dépens, d'un montant de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, en faisant valoir pour l'essentiel que :
- le recours est recevable, la SA Les Caves Jean-Baptiste ADAM Successeurs, titulaire de la marque, étant l'ancienne dénomination de la société Vins d'Alsace Jean-Baptiste ADAM Successeurs, auteur du recours
- l'opposition de la société en commandite simple JAS HENNESSY et CO est irrecevable pour défaut de qualité à agir, la SA JAS HENNESSY et CO étant celle ayant déposé la marque PARADIS et l'opposante ne fournissant des documents justifiant qu'elle vient aux droits de celle-ci que tardivement suite à la décision de l'INPI
- le formulaire d'opposition ne visait que l'identité des produits et non leur similarité et il n'appartenait pas à l'INPI de procéder à une interprétation au demeurant erronée des moyens de l'opposition
- la marque à enregistrer possède un pouvoir distinctif autonome et au sein de laquelle le terme "PARADIS" ne peut pas être individualisé
- la marque antérieure possède un faible caractère distinctif pour les produits désignés au dépôt
- les deux marques sont différentes tant au plan visuel et phonétique qu'intellectuel.
Se référant à ses derniers écrits en date du 3 juin 2008, la SCS JAS HENNESSY et CO conclut oralement à l'irrecevabilité du recours, subsidiairement à la confirmation de la décision attaquée et à la condamnation de la SAS Vins d'Alsace Jean-Baptiste ADAM Successeurs au paiement, outre les dépens des deux instances, d'un montant de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en soutenant en substance que :
- la requérante, à défaut d'avoir la qualité de titulaire de la marque, devait indiquer les coordonnées de la société la possédant. A défaut, son recours est irrecevable
- l'existence de la société opposante est suffisamment établie, son changement en société en commandite simple n'ayant en rien affecté sa qualité de titulaire de la marque antérieure
- les vins sont des boissons alcoolisées similaires aux produits désignés sous la marque antérieure, ce moyen démontrant que l'opposante entendait bien démontrer autant le caractère identique que similaire des produits concernés
- le terme "PARADIS" est distinctif pour les produits désignés lors du dépôt de la marque antérieure
- les deux signes ont en commun ce terme distinctif PARADIS, présentent une ressemblance conceptuelle, la marque à enregistrer apparaissant comme une déclinaison de la marque antérieure
- le consommateur final ne pourra qu'être amené à attribuer aux produits une origine commune et à les confondre.
Dans ses observations écrites devant la Cour, le Directeur de l'INPI fait valoir en substance que :
- outre que l'INPI doit interpréter strictement les textes, il a appliqué la théorie de l'apparence pour déduire des indications portées sur le formulaire d'opposition et sur le certificat d'enregistrement de la marque antérieure que la société opposante avait changé de forme sociale et était donc recevable en son opposition
- l'opposante a développé dans son acte d'opposition un exposé des moyens relatifs aux produits, ce qui le rendait recevable, et si elle n'a coché que la case "identique" elle y a manifestement entendu développé une argumentation relative à la similarité des produits
- tous les produits concernés sont des boissons alcoolisées répondant aux mêmes habitudes de consommation. Ils sont donc similaires
- le signe contesté peut apparaître comme une déclinaison de la marque antérieure, le terme commun "PARADIS" possédant un fort caractère distinctif dans l'une ou l'autre marque et un caractère dominant dans le signe contesté
- "Le Paradis d'Adam" ne forme pas un ensemble ayant une évocation propre et la comparaison des deux signes est indépendante des circonstances de leur exploitation.
Dans des observations écrites du 30 mai 2008, Monsieur le Procureur Général déclare s'en remettre à l'appréciation de la Cour.
SUR QUOI LA COUR :
Vu la procédure et les pièces :
I. - Sur la recevabilité du recours :
L'article R. 411-21-3° du Code de la propriété intellectuelle ayant pour objectif d'assurer le respect du principe du contradictoire dans les procédures contentieuses relatives aux dépôts des marques, cet article ne trouve pas à s'appliquer lorsque l'auteur du recours est également le titulaire de la demande d'enregistrement attaquée (Com. 25/02/03).
Or il se déduit des pièces que la société Cave Jean-Baptiste ADAM Successeurs est l'ancienne dénomination sociale de la société Vins d'Alsace Jean-Baptiste ADAM dès lors que le numéro SIREN est resté identique, à savoir 775 642 143 figurant tant sur la publication de la demande d'enregistrement au BOPI et sur la déclaration de retrait du 9 octobre 2007 que sur l'extrait Kbis du Registre du Commerce du Tribunal de Grande Instance de COLMAR concernant la SAS Vins d'Alsace Jean-Baptiste ADAM. Un tel changement est sans incidence sur le titulaire de la demande d'enregistrement.
En conséquence, l'article R. 411-21-3° du Code de la propriété intellectuelle est inapplicable en l'espèce et le recours doit être déclaré recevable.
II. - Sur la recevabilité de l'opposition :
Aux termes de l'article R. 712-14 du Code de la propriété intellectuelle, l'opposition doit notamment préciser l'identité de l'opposant ainsi que les indications propres à établir l'existence, la nature, l'origine et la portée de ses droits, l'article 4 de l'arrêté du 31 janvier 1992 prévoyant la justification de la qualité pour agir de l'opposant s'il n'est pas le propriétaire originel de la marque.
Il n'en demeure pas moins que le contrôle de l'INPI se limite à une apparence formelle, le Directeur de cet organisme n'ayant pas reçu pouvoir, hormis le cas de défaut de pertinence avérée, de se substituer au Tribunal pour décider de l'identité du titulaire de la marque.
En l'espèce, la SA HENNESSY a seulement changé de forme juridique pour se transformer en SCS HENNESSY. Ce constat est conforté par un ensemble d'indices tels la même dénomination, la même adresse du siège social, le même numéro SIREN qui, s'il ne figure pas sur le formulaire d'opposition qui ne le prévoit pas, apparaît sur les extraits du BOPI.
Dans ces conditions, ce changement de forme sociale n'ayant aucune incidence sur la personnalité morale de la société HENNESSY, l'opposante est donc propriétaire de la marque antérieure, la demanderesse au recours n'ayant pas de son côté apporté la preuve contraire alors qu'elle en avait la charge et le dépôt comme le renouvellement de la marque ayant été fait par une société de conseil en propriété intellectuelle pas forcément au courant de ce changement lorsqu'elle a établi l'acte d'opposition.
Dans ces conditions, le Directeur de l'INPI a pu légitimement se fier en apparence aux éléments fournis pour estimer l'opposition recevable.
III. - Sur le caractère disponible de la marque contestée :
Dès lors que l'opposition contenait un exposé des moyens tirés de la comparaison des produits et/ou des signes, l'article R. 712-15 sur l'irrecevabilité ne pouvait trouver application.
Par ailleurs, s'il est exact que dans l'acte d'opposition était cochée la seule rubrique "produits identiques" à l'exclusion de la rubrique "produits similaires", le Directeur de l'INPI est saisi par les moyens invoqués à l'appui de l'opposition. Or la société HENNESSY y précisait que "tout comme les produits de la marque invoquée, les "vins" de la marque contestée font partie des boissons alcooliques". C'est donc à juste titre que, même si l'opposante poursuivait en ces termes "ils sont identiques à ces produits", l'INPI, sans procéder à une interprétation, s'est contenté de qualifier exactement les faits invoqués en considérant nécessairement qu'à partir du moment où l'opposante englobait tant les produits de la marque à enregistrer que ceux de la marque antérieure dans la catégorie des "boissons alcooliques", elle invoquait nécessairement des produits similaires.
En effet, le fait de mettre en évidence l'appartenance des produits à une même catégorie générale revient à établir leur nature commune et donc leur similarité (CA COLMAR 28/02/2008 "Passeport Crédit" - CJCE 29/09/1998 Affaire CANON).
A. - Sur la comparaison des produits et des signes :
La marque antérieure PARADIS ne visant pas la catégorie des vins, mais celle des alcools, eaux-de-vie, liqueurs, spiritueux et apéritifs divers, il ne s'agit pas de produits identiques mais relevant de la catégorie générale des boissons alcoolisées. C'est donc à juste titre que le Directeur de l'INPI a considéré que les "vins" constituaient des produits similaires par leur nature aux produits de la marque antérieure et que le consommateur était fondé à leur attribuer la même origine.
En toute hypothèse, l'appréciation du caractère distinctif doit s'effectuer par référence aux produits ou services désignés par la marque et non au regard de l'activité de son titulaire (Com. 19/12/2000) ou de celle de son déposant.
Dès lors il importe peu que la marque antérieure PARADIS soit utilisée dans l'univers géographique restreint de la fabrication du Cognac alors que la marque déposée le serait dans le domaine des vins d'Alsace, les libellés en présence devant être comparés tels que déposés indépendamment des circonstances d'exploitation réelles ou supposées.
Enfin, même en admettant que le mot PARADIS soit un nom d'usage connu des seuls amateurs de Cognac, il n'est nullement démontré que ces mêmes personnes ne connaissent pas les vins d'Alsace et notamment ceux de la société ADAM. Le risque de confusion dans un espace restreint et circonscrit du territoire français n'est pas avéré.
B. - Sur la comparaison des signes :
Le risque de confusion s'apprécie globalement en fonction tant de l'impression d'ensemble dégagée par les deux marques en ce qui concerne leur similitude visuelle, auditive ou conceptuelle, que des éléments distinctifs et dominants de chacun des signes.
On est en présence d'une marque composée d'un seul mot (PARADIS) et d'une marque complexe composée d'une expression (LE PARADIS D'ADAM).
Elles ont donc en commun le terme PARADIS distinctif au regard des produits qu'il ne désigne ni pour leur origine ni habituellement par une de leurs caractéristiques, le consommateur moyen lui attribuant comme sens immédiat un lieu de bonheur parfait, ce qui est tout à fait arbitraire au regard des boissons alcoolisées en cause.
Par ailleurs le terme PARADIS, contrairement à ce que soutient la requérante, présente un caractère dominant au sein du risque contesté, étant en position d'attaque et étant mis en valeur dès lors qu'il est associé aux termes LE et D'ADAM, ce qui ne modifie en rien sa signification et n'en fait pas avec eux une expression d'ensemble ayant une évocation propre dès lors que celle-ci renvoie aussi au jardin du bonheur parfait de la Genèse dénommé PARADIS où Dieu plaça Adam et Eve. Il est difficile d'affirmer que le consommateur d'attention moyenne pensera au viticulteur ADAM en lisant cette marque sur une bouteille de vin, produit de consommation courante sur l'ensemble du territoire français, le personnage biblique d'Adam ayant une notoriété dépassant même le simple cadre religieux en France pour entrer dans le domaine de la culture populaire.
Dans ces conditions, c'est avec pertinence que le Directeur de l'INPI a considéré que les différences conceptuelles, visuelles et phonétiques des marques PARADIS et LE PARADIS D'ADAM ne suffisaient pas à écarter tout risque de confusion entre elles pour un consommateur d'attention moyenne, la seconde apparaissant au contraire comme une déclinaison de la première.
Dès lors, le recours sera rejeté au fond.
Chacune des parties succombant pour partie dans leur argumentation, il n'y a pas lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile à leur profit.
Compte tenu de la nature du contentieux, il n'y a pas lieu à dépens.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
- DECLARE le recours recevable, mais mal fondé
- En conséquence, le REJETTE
- DEBOUTE les parties de l'intégralité de leurs demandes
- DIT que la présente décision sera notifiée par les soins du Greffe aux parties et au Directeur Général de l'INPI.