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23/05/2008 | FRANCE | N°06/04635

France | France, Cour d'appel de colmar, Ct0075, 23 mai 2008, 06/04635


MINUTE N° 08 / 780
COUR D'APPEL DE COLMAR CHAMBRE SOCIALE- SECTION C

ARRET DU 23 Mai 2008
Numéro d'inscription au répertoire général : 4 C 06/04635 Décision déférée à la Cour : 12 Septembre 2006 par le CONSEIL DE PRUD'HOMMES DE STRASBOURG

APPELANTE : SA Société de DISTRIBUTIONS EXCLUSIVES (SDE), prise en la personne de son président, non comparant 13 rue du Maréchal Lefebvre BP 56 67027 STRASBOURG CEDEX 1 Représentée par Me Patrick TRUNZER (avocat au barreau de STRASBOURG)

INTIMEE ET APPELANTE INCIDENTE : Madame Martine X..., non comparante ... R

eprésentée par Me Nicolas BOISSERIE (avocat au barreau de STRASBOURG)

COMPOSITION DE ...

MINUTE N° 08 / 780
COUR D'APPEL DE COLMAR CHAMBRE SOCIALE- SECTION C

ARRET DU 23 Mai 2008
Numéro d'inscription au répertoire général : 4 C 06/04635 Décision déférée à la Cour : 12 Septembre 2006 par le CONSEIL DE PRUD'HOMMES DE STRASBOURG

APPELANTE : SA Société de DISTRIBUTIONS EXCLUSIVES (SDE), prise en la personne de son président, non comparant 13 rue du Maréchal Lefebvre BP 56 67027 STRASBOURG CEDEX 1 Représentée par Me Patrick TRUNZER (avocat au barreau de STRASBOURG)

INTIMEE ET APPELANTE INCIDENTE : Madame Martine X..., non comparante ... Représentée par Me Nicolas BOISSERIE (avocat au barreau de STRASBOURG)

COMPOSITION DE LA COUR : L'affaire a été débattue le 07 Mars 2008, en audience publique, devant la Cour composée de : M. DIE, Conseiller faisant fonction de Président Mme WOLF, Conseiller Mme GAILLY, Conseiller qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Melle OBERZUSSER, Faisant fonction
ARRET :- contradictoire, en dernier ressort- prononcé publiquement par mise à disposition au greffe- signé par M. Jérôme DIE, Conseiller faisant fonction de Président, et Mlle Catherine OBERZUSSER, greffier ad hoc auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La Société de Distributions Exclusives (la SDE) exerce une activité de négoce en gros de linge de maison.
Elle embaucha Mme Martine Z... épouse X... en qualité de responsable de l'administration des achats à effet au 5 juin 2000 et, à compter du 16 mars 2001, elle l'employa également en qualité de responsable de l'administration des ventes.
Le 9 avril 2003, Mme X... se plaignit à son employeur de faits qu'elle a ultérieurement considérés comme constitutifs d'un harcèlement.
Le 1er septembre 2003, la SDE lui adressa un avertissement.
Le 20 novembre 2003, elle la convoqua à un entretien préalable fixé au 26 novembre 2003.
Le 24 novembre 2003, Mme X... saisit la juridiction prud'homale en résiliation du contrat de travail aux torts de l'employeur.
Le 28 novembre 2003, la SDE adressa une lettre recommandée pour notifier à Mme X... son licenciement avec effet immédiat pour faute grave.
Mme X... contesta son licenciement, à titre subsidiaire, devant la juridiction déjà saisie.
Le 12 septembre 2008, par jugement de sa section de l'encadrement, le conseil de prud'hommes de STRASBOURG débouta Mme X... de sa demande principale en résolution du contrat de travail en considérant qu'il n'y avait pas de fait constitutif de harcèlement invoqué par la salariée. Sur la demande subsidiaire, il dit que le licenciement était sans cause réelle et sérieuse en considérant que l'employeur ne satisfait pas à son obligation de démontrer la faute grave qu'il avait alléguée.
En conséquence, le conseil de prud'hommes condamna la SDE à verser à Madame X... les sommes de 13. 872, 87 € au titre du préavis, de 1. 387, 29 € au titre des congés payés y afférents et de 1. 387, 28 € au titre de l'indemnité de licenciement avec les intérêts au taux légal à compter du 28 novembre 2003, ainsi que 28. 000 € à titre de dommages et intérêts et 1. 500 € au titre des frais irrépétibles.
Le 10 octobre 2006, la SDE interjeta régulièrement appel de ce jugement.
A l'audience, la SDE fait oralement développer ses dernières conclusions déposées le 21 janvier 2008 au soutien de son appel. Elle demande à la Cour :
- d'infirmer le jugement entrepris ;- d'écarter des débats les pièces adverses numérotées 37, 60, 61, 67, 71, 87, 88, 109, 110, 113, 114, 156 et 164 comme participant d'une administration illicite et déloyale de la preuve ;- de débouter la salariée et de la condamner à verser 7. 500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Mme X... fait oralement reprendre ses conclusions déposées le 7 novembre 2007 en réplique et au soutien d'un appel incident. Elle demande à la Cour :
- de prouver la résiliation du contrat de travail aux torts de l'employeur au 28 novembre 2003, jour de l'envoi de la lettre de licenciement, subsidiairement de confirmer le jugement en ce qu'il a dit le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse ;- de confirmer les condamnations à payer les sommes de 13. 872, 87 € et de 1. 387, 29 € relatives à la période de préavis ;- de condamner la SDE à verser 100. 000 € à titre de dommages et intérêts, tant sur le fondement de l'article L. 122-49 du Code du travail dans sa rédaction alors en vigueur, ainsi que 4. 226, 26 € à titre d'indemnité de licenciement et 15. 000 € au titre des frais irrépétibles.

Il est référé aux conclusions des parties pour un plus ample exposé de leurs moyens et prétentions.
SUR QUOI, LA COUR
Sur la demande aux frais d'écarter des pièces
Les parties sont tenues par un devoir de loyauté dans l'administration des preuves qui leur incombe.
En l'espèce, la salariée intimée produit les pièces sus- énumérées qui comportent des mentions de prix d'achat ou de revient, et que la société appelante demande à voir écarter des débats comme contenant des données internes et confidentielles à son entreprise.
Mais, d'une part, la société appelante n'établit pas le caractère confidentiel qu'elle allègue.
D'autre part, elle ne peut contester que ces pièces, consistant en des factures, des études de coût et des notes à caractère commercial et fiscal, ont un lien direct avec le litige dès lors que la salariée intimée avait la responsabilité de l'administration des achats et des ventes de l'entreprise.
La production des pièces visées n'est ni abusive ni irrégulière, et Mme X... n'a pas manqué à son devoir de loyauté dans l'administration des preuves.
Il s'impose dès lors d'écarter la prétention de la société appelante.
Sur la demande de résiliation du contrat de travail aux torts de l'employeur, et sur les demandes subséquentes
Au soutien de son appel incident et de sa demande principale en résolution du contrat de travail aux torts de l'employeur, Mme X... invoque un harcèlement moral dont elle dit avoir été victime.
En application de l'article L. 122-52 devenu l'article L. 1154-1 du Code du travail, il appartient à la salariée d'établir des faits permettant de présumer l'existence du harcèlement, i. e d'agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
Au premier chef, Mme X... se plaint d'avoir été prise à partie, de manière virulente et en public, par le dirigeant de la SDE.
Elle produit l'attestation délivrée par Mme Virginie A..., son ancienne collaboratrice, qui a rapporté que le " PDG (...) lui hurlait dessus devant toute l'équipe ou dans son bureau porte ouverte ", et celle délivrée par l'ancienne assistante Virginie B... selon laquelle Mme X... " faisait l'objet de brimades régulières de la part de ses supérieurs ".
Au deuxième chef, Mme X... se plaint d'avoir été mise à l'écart des embauches affectant le service commercial et le service achat. Mais elle ne produit aucun élément au soutien de son assertion.
Au troisième chef, Mme X... affirme que les personnes embauchées dans ces services ne lui étaient pas systématiquement présentées. Mais elle ne fournit aucun élément sur ce point.
Au quatrième chef, Mme X... se plaint d'avoir été contrainte, en dépit de sa qualité de cadre, d'assurer le standard téléphonique pendant plusieurs semaines. Elle se réfère à l'attestation délivrée par Mme Virginie A... selon laquelle, dans l'intention d'humilier l'intimée et à son insu, l'assistante de la direction de l'entreprise a branché le standard sur le poste téléphonique de Mme X....
Au cinquième chef, Mme X... fait grief à la SDE de l'avoir transférée dans des bureaux collectifs alors qu'elle disposait d'un bureau individuel au service achat et au service commercial. Sur ce point, elle se réfère à l'attestation de Mme Virginie B... qui a écrit : " le 1er septembre 2003, j'ai pu constater que le bureau où Mme X... était installée seule ainsi que son téléphone avaient été supprimés. Le bureau se trouvait au milieu du pool des assistantes commerciales (...) on avait relégué Mme X... au fond d'un bureau exigu, quasiment inaccessible et dos à une fenêtre qui ne fermait pas ".

Au sixième chef, Mme X... affirme qu'elle a été privée de ligne téléphonique au sein du service commercial. Mais elle n'apporte aucun élément sur ce point.
En outre, Mme X... produit un certificat du Docteur C... qu'elle a consulté à plusieurs reprises en 2003 et qui a attesté qu'elle présentait une symptomatologie inhabituelle due à une somatisation d'un conflit dans son entreprise.
Il en résulte que si la salariée n'apporte pas des éléments au soutien de tous les griefs qu'elle adresse à la SDE, elle établit certains faits qui laissent présumer un harcèlement en ce que les invectives du chef d'entreprise, le branchement du standard téléphonique à l'insu de la salariée, et l'installation dans un bureau collectif inconfortable font suspecter des agissements répétés de nature à dégrader les conditions de travail et à porter atteinte à la dignité de Mme X..., en lien avec l'altération de sa santé.
Or la société appelante ne parvient pas entièrement à démontrer que ces faits ne sont pas constitutifs du harcèlement dénommé, conformément aux dispositions de l'article L. 122-52 devenu l'article L. 1154- 1 du Code du travail qui mettent cette preuve à la charge de l'employeur.
La SDE n'apporte des justifications que sur le branchement du standard téléphonique qui a été opéré pendant quelques semaines à la demande de Mme X... pour réceptionner les appels internationaux en dehors des heures normales d'ouverture des bureaux, et sur l'installation dans un bureau collectif en apportant la preuve que Mme X... n'a jamais bénéficié d'un bureau individuel.
Si elle conteste les invectives de son dirigeant à l'encontre de la salariée intimée, elle ne fournit aucun élément de preuve pour renverser la présomption résultant des attestations fournies par Mme X....
Ces invectives sont des agissements répétés qui ont nécessairement dégradé les conditions de travail, qui ont porté atteinte à la dignité de la salariée par leur publicité, et qui sont susceptibles d'avoir provoqué l'altération de sa santé. Elles sont constitutives du harcèlement moral invoqué.
Le harcèlement moral est un manquement grave aux obligations de l'employeur. Il est d'autant plus grave qu'en l'espèce, par lettre du 9 avril 2003, la salariée intimée a d'abord demandé à la société appelante d'y mettre fin, en particulier les emportements de son dirigeant, mais que les emportements ont persisté.
En application de l'article 1184, ce grave manquement justifie la résolution du contrat de travail aux torts de l'employeur et à la date du 28 novembre 2003 à laquelle son exécution a pris fin à la suite de la lettre de licenciement.
La salariée intimée est dès lors fondée à obtenir l'indemnisation de son préjudice, tant en ce qu'il résulte de la rupture de son contrat de travail qu'en ce qu'il résulte du harcèlement qu'elle a subi. Au vu des éléments lacunaires qu'elle se limite à présenter sur l'étendue de son préjudice, il y a lieu de fixer à 30. 000 € le montant des dommages et intérêts qui lui procureront une réparation intégrale.
La salariée intimée est également fondée à obtenir une indemnité compensatrice de préavis et une indemnité compensatrice des congés payés y afférents, pour les montants qu'elle a exactement chiffrés et qui ne sont pas critiqués en leur calcul.
La salariée intimée est encore fondée à obtenir l'indemnité conventionnelle de licenciement, pour le montant qu'elle a exactement chiffré en application de la convention de commerce de gros des tissus, tapis et linge de maison, et qui n'est pas critiqué en son calcul.
A l'exception des dommages et intérêts qui résultent d'une appréciation faite par la Cour au jour de sa décision, toutes les condamnations doivent être majorées des intérêts au taux légal à compter du jour de la rupture, soit le 28 novembre 2003.
Sur les dispositions accessoires
Il est équitable qu'en application de l'article 700 du code de procédure civile, la SDE contribue aux frais irrépétibles qu'elle a contraint la salariée à exposer tant à hauteur d'appel que devant les premiers juges.
En application de l'article 696 du même code, il échet de mettre les dépens à la charge de la SDE, qui succombe.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et en dernier ressort, après en avoir délibéré conformément à la loi,
Déclare recevables l'appel principal et l'appel incident ;
Infirme le jugement entrepris ;
Prononce la résiliation du contrat de travail, aux torts de l'employeur, à la date du 28 novembre 2003 ;
Condamne la Société de Distributions Exclusives à verser à Mme Martine Z... épouse X... les sommes de :
-30. 000 € (trente mille euros) à titre de dommages et intérêts ;- avec les intérêts au taux légal à compter du 28 novembre 2003, les sommes de 13. 872, 87 € (treize mille huit cent soixante- douze euros et quatre- vingt- sept centimes) bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis, de 1. 387, 29 € (mille trois cent quatre- vingt- sept euros et vingt- neuf centimes) bruts à titre d'indemnité compensatrice des congés payés y afférents, et de 4. 226, 26 € (quatre mille deux cent vingt- six euros et vingt- six centimes) bruts à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement ;-2. 000 € (deux mille euros) en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la Société de Distributions Exclusives à supporter les entiers dépens de première instance et d'appel.
Et le présent arrêt a été signé par M. Jérôme DIE, conseiller faisant fonction de président, et Melle Catherine OBERZUSSER, greffier ad hoc.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de colmar
Formation : Ct0075
Numéro d'arrêt : 06/04635
Date de la décision : 23/05/2008

Références :

Décision attaquée : Conseil de prud'hommes de Strasbourg, 12 septembre 2006


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.colmar;arret;2008-05-23;06.04635 ?
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