MINUTE N° 433 / 2008
Copie exécutoire à
-Me Joëlle LITOU-WOLFF-Me Claude LEVY
COUR D'APPEL DE COLMAR DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE-SECTION A
ARRÊT DU 15 Mai 2008
Numéro d'inscription au répertoire général : 2 A 06 / 02809 Décision déférée à la Cour : 02 Mai 2006 par le TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE STRASBOURG
APPELANTS et demandeurs :
Monsieur Radovan X... Madame Cathie Y... épouse X... demeurant ensemble au... à 67380 LINGOLSHEIM
Tous deux représentés par Me Joëlle LITOU-WOLFF, avocat au barreau de COLMAR, Avocat plaidant : Me ZAIGER, avocat au barreau de STRASBOURG,
INTIMÉE et défenderesse :
Madame Annie A...... 67120 DUPPIGHEIM
Représentée par Me Claude LEVY, avocat au barreau de COLMAR, Avocat plaidant : Me HENNERESSE, avocat au barreau de STRASBOURG,
COMPOSITION DE LA COUR : L'affaire a été débattue le 13 Février 2008, en audience publique, devant la Cour composée de : M. WERL, Président de Chambre Mme CONTE, Conseiller Mme DIEPENBROEK, Conseiller qui en ont délibéré.
Greffier ad'hoc, lors des débats : Mme WEIGEL,
ARRÊT :- Contradictoire-prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.- signé par M. Michel WERL, président et Mme Corinne LAEMLE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
- Ouï M. WERL, Président, en son rapport. M. et Mme X... sont propriétaires d'un terrain à DUPPIGHEIM, qu'ils ont acquis le 8 octobre 2004 pour y construire une maison d'habitation, le permis de construire de cet immeuble leur ayant été délivré le 13 janvier 2006. Ils sont entrés en conflit avec leur voisine, Mme A..., le litige portant sur :
• un mur, dont chaque partie revendique la propriété et sur lequel Mme A... a installé un détecteur électrique pour l'ouverture de son garage, • un autre mur, édifié pour partie sur le terrain de Mme A... mais empiétant sur une largeur de 70 cm sur leur propriété, • une rangée de thuyas d'une longueur de 16, 89 mètres qui aurait été plantée par Mme A... sur leur terrain, • une fenêtre de garage de Mme A... ayant une vue droite sur leur propriété.
Ils ont assigné le 15 mars 2006 Mme A... devant le Tribunal de Grande Instance de STRASBOURG après avoir fait établir un procès-verbal d'arpentage délimitant leur propriété par un géomètre expert, M. D..., afin de faire dire :
• que le premier mur suscité leur appartient et qu'ils sont autorisés à retirer le détecteur électrique aux frais de la défenderesse, • que le second mur empiète sur leur propriété sur une largeur de 70 cm et qu'ils sont autorisés à détruire ce mur sur cette largeur, • que la rangée de thuyas pourra être arrachée sur une longueur de 16, 89 m, • que Mme A... devra boucher le jour dans le mur de son garage donnant sur leur propriété, • que leur construction telle que prévue dans le permis de construire qui leur a été délivré pourra être établie sur la limite de leur propriété telle qu'elle a été déterminée par le plan cadastral et par le plan d'arpentage de M. D....
Par jugement prononcé le 2 mai 2006, le Tribunal de Grande Instance de STRASBOURG a :
• dit que le mur établi sur la parcelle no20 (premier mur) appartient aux époux X... qui sont autorisés à retirer le détecteur électrique, au besoin aux frais de Mme A..., • constaté que Mme A... est devenue propriétaire par prescription acquisitive de la partie de la parcelle no20 à partir du mur actuel, et a dit que la nouvelle limite séparatrice entre les propriétés se trouve au vu du mur tel que reproduit sur le plan du géomètre expert, • dit que le (second) mur construit par Mme A... empiète partiellement sur la propriété des demandeurs, ceux-ci étant autorisés à le démolir dans le prolongement de leur propre mur en parpaings, • dit que les thuyas se trouvent sur la propriété de Mme A..., • débouté les époux X... de leurs demandes tendant à boucher un " jour " et à déterminer l'emplacement de leur nouvelle construction.
Les époux X... ont interjeté appel le 7 juin 2006 contre ce jugement dont ils sollicitent l'infirmation, Mme A... formant un appel incident, l'entier litige étant ainsi dévolu à la Cour.
M. et Mme X... demandent ainsi à la Cour, dans le dernier état de leurs conclusions du 24 mai 2007, de réformer le jugement en ce qu'il a :
• constaté que Mme A... est devenue propriétaire par prescription acquisition de la parcelle no20 à partir du mur actuel, • dit que la nouvelle limite séparatrice entre les propriétés se trouve au vu du mur tel que reproduit sur le plan du géomètre-expert, M. D..., • dit que les thuyas se trouvent sur la propriété de Mme A..., • débouté les époux X... de leur demande tendant à boucher un jour, et statuant à nouveau,
de dire que leur propriété est délimitée selon le procès-verbal dressé par M. D... ainsi que selon la limite cadastrale, de dire que la rangée de thuyas située sur leur parcelle pourra être arrachée sur une longueur de 18, 89 mètres, de dire que Mme A... devra boucher la vue dans le mur du garage donnant sur leur parcelle, de dire qu'elle ne peut se prévaloir de la prescription acquisitive, de confirmer pour surplus et de rejeter l'appel incident de la défenderesse.
M. et Mme X... font essentiellement valoir que certains des murs édifiés pour séparer leur propriété de celle de Mme A..., n'ont pas été construits en limite de propriété mais légèrement à l'intérieur de leur parcelle, ce qui justifie non seulement leur destruction mais conduit également à écarter l'acquisition par prescription de l'article 2262 du Code Civil de la partie du terrain se trouvant " au nu " de deux de ces murs (no3 et " probablement " no2). Les appelants soutiennent en effet que Mme A... ne possède " matériellement " ce morceau de terrain que depuis 2000.
Ils estiment également, au vu du procès-verbal d'arpentage et d'un procès-verbal d'huissier que la rangée de thuyas a été plantée sur leur terrain sur une longueur de 16, 89 m et, au surplus, que ces plantations ont une hauteur de plus de 3 mètres, sans respect de la distance imposée par l'article 671 du Code Civil dans l'hypothèse où il serait admis, que ces thuyas ont été plantés à l'intérieur de la propriété de Mme A....
Ils reprennent également leur demande initiale quant à la suppression de la vue droite sur leur propriété, depuis la fenêtre percée dans le mur du garage de la défenderesse, donnant sur leur parcelle.
Mme A..., par ses dernières conclusions du 28 septembre 2007, demande à la Cour de rejeter l'appel principal, de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a constaté qu'elle est devenue propriétaire par prescription acquisitive de la parcelle no20, à partir du mur actuellement existant, en ce qu'il a dit que la nouvelle limite séparative entre les propriétés se trouve " au nu du mur ", telle que reproduite sur le plan de M. D..., et a dit que les thuyas se trouvent sur sa propriété, et, sur son appel incident, Mme A... demande l'infirmation du jugement en ce qu'il a autorisé les époux X... à détruire le muret " d'une distance de 63 cm ", parallèle à la rue du Général de Gaulle et demande à ce qu'il soit jugé qu'elle est devenue propriétaire par prescription acquisitive de la partie de la parcelle n° 20, à partir du mur actuel, depuis la borne référencée position 0, 04 m jusqu'à la borne référencée 29, 44 m, ainsi que du mur fermant l'accès à la propriété de Mme A... depuis la rue du Général de Gaulle, d'une largeur de 63 cm, tel qu'il résulte du plan de géomètre de M. D...,
Que la fenêtre de garage donnant sur le terrain des époux X... constitue une servitude de vue, en conséquence de quoi, il doit être fait interdiction de ceux-ci de construire dans un rayon de 19 centimètres à partir du parement extérieur du mur où l'ouverture est faite.
Vu l'ordonnance de clôture du 23 novembre 2007,
Vu les conclusions susvisées, l'ensemble de la procédure et les pièces produites par les parties,
EN CET ETAT :
Attendu que les parties ne remettent pas en cause la constatation de l'expert géomètre, le cabinet Claude D..., telles qu'elles sont consignées sur son procès-verbal du 15 novembre 2005, établissant les limites des propriétés respectives des époux X... et de Mme A... ; qu'il en ressort un empiétement du fonds de cette dernière sur la propriété (lot n° 20) de M. et Mme X..., matérialisé par les murs séparant les deux propriétés et une bande de terrain située le long de ces murs du côté du fonds A..., actuellement plantée d'une haie de thuyas ; que cet empiétement n'est pas contesté par la défenderesse qui fait valoir l'acquisition des murs et de la bande de terrain par voie de prescription trentenaire ;
Attendu, en premier lieu, s'agissant du " mur ", que celui-ci est constitué, outre le mur de façade de l'atelier garage construit en 1952 et empiétant très légèrement sur la propriété X..., de trois murs successifs identifiés par le premier juge sous les numéros 1, 2 et 3, non alignés et présentant un léger décrochement les uns par rapport aux autres ; qu'il ressort des pièces versées aux débats, que les murs no2 et 3 qui existaient lors de l'acquisition du terrain constitué par le lot no20 par M. et Mme X... en 2004, ont été construits en 1985, ce qui est établi par la facture du 5 mars 1985 émise par l'entreprise de construction Y... après exécution de travaux, sur ordre de M. Gérard E..., ancien propriétaire du fonds vendu aux demandeurs qui l'a payée le 18 mars 1985 ;
Que cette facture désigne les travaux comme étant le " mur de clôture côté voisin ", et les prestations facturées (fouilles en rigoles, fondation et soubassement en béton, maçonnerie sur une longueur de 12, 40 mètres et une hauteur de 2, 45 mètres sur un soubassement de 30 cm ;- pose de tuiles et leur scellement sur la partie supérieure du mur) attestant de l'édification complète d'un mur nouveau et non de l'aménagement " d'un mur préexistant " de Mme A... ; que le premier juge était donc bien fondé à juger que Mme A... ne pouvait se prévaloir de la prescription acquisitive des articles 2229 et 2262 du Code Civil sur ces murs no2 et no3, le constat résultant de la reconstruction de ces murs en 1985 PAR Monsieur E... n'étant pas contradictoire avec l'existence antérieure d'un mur séparant entièrement les deux propriétés, attestée par les témoignages produits par Mme A... ; qu'il y a donc lieu de confirmer le jugement entrepris en ses dispositions qui tirent la conséquence de cette situation, à savoir la propriété du mur établi sur la parcelle no20, le retrait du détecteur électrique et l'autorisation donnée aux époux X... de détruire partiellement le mur édifié rue du Général de Gaulle dans la limite du prolongement et de la largeur du mur no3 séparant les deux fonds ;
Attendu en second lieu, s'agissant de la bande de terrain située sur la parcelle no20 le long des murs no2 et 3 du côté de la propriété A... et actuellement plantée de thuyas, que les consorts X... soutiennent que cette bande de terrain correspond en tout cas pour partie, à un " schlupf " qui séparait d'une part une " maisonnette " érigée sur la propriété X... et qui était occupée en son temps par Mme Caroline F... avant d'être détruite en 1969, et d'autre part un " cabinet de peinture " construit sur la propriété A..., détruit en 2000, cette dernière destruction étant suivie, selon les demandeurs, de l'érection par Mme A... d'un muret de pierre, côté rue du Général de Gaulle ; que si la réalité de ce " schlupf " entre ces deux constructions est attestée par le maire de la commune de DUPPIGHEIM et deux témoins, son usage en tant que tel avait nécessairement cessé en 1969 avec la destruction de la " maisonnette " construite sur le lot no20, aucune conséquence ne pouvant par ailleurs être tirée par les demandeurs et appelants de la destruction en 2000 de la cabine de peinture sur le fonds voisin quant à la possession matérielle du " schlupf ", alors qu'il n'est pas discuté par eux que les murs no3 et 2 ont été édifiés en 1985 par leur auteur, M. Gérard E... ; que contrairement à leur appréciation, Mme A... n'avait donc pas " une possession matérielle depuis à peine six ans " (2000) de la bande de terrain correspondant au " schlupf ", mais bien antérieurement ; que s'agissant de la période antérieure à 1985, il ressort de très nombreux témoignages versés aux débats par Mme A... qu'au moins dès le début des années soixante (1960) un mur avait été édifié dans le prolongement de la façade du garage construit en 1952, située du côté de la propriété du fonds X..., jusqu'à la limite marquée par la " maisonnette " occupée par Mme F..., avant d'être prolongé à nouveau immédiatement (en tout cas avant 1973 selon M. G... après la destruction de cet ouvrage en 1969 et ce, jusqu'à la rue du Général de Gaulle (notamment attestations de M. Lucien H..., M. I..., M. J..., M. K..., M. L..., M. M..., M. N..., M. O..., M. P..., M Charles G......) ;
Qu'il existait donc bien avant 1985 et au plus tard en 1973, un mur destiné à séparer entièrement les deux propriétés, du garage édifié en 1952 jusqu'à la rue du Général de Gaulle ;
Attendu, s'agissant de l'emplacement de ce mur initial, qu'il se déduit de l'intervention de M. Gérard E... qui a pris l'initiative de reconstruire entièrement en 1985 les murs no2 et 3 qui étaient nécessairement sur son fonds, que celui-ci n'a pas entendu modifier le tracé de murs qui étaient auparavant en place, aucun litige n'opposant alors les propriétaires respectifs des fonds voisins qui étaient en relations de famille et aucune modification de ce tracé n'ayant été relevé par quelque témoin ;
Que dès lors c'est au moins depuis 1973 soit depuis plus de trente ans, que Mme A... peut se prévaloir d'une possession continue et non interrompue, paisible, publique et non équivoque, à titre de propriétaire, de la bande de terrain du lot no20 située au droit des murs no2et no3, côté fonds A..., ainsi que l'a exactement apprécié le premier juge, dont la décision sera également confirmée de ce chef ;
Attendu, en troisième lieu, que les époux X..., se fondant sur les dispositions de l'article 678 du Code Civil, demandent la suppression de la vue droite sur leur fonds résultant selon eux d'une fenêtre ouverte sur la façade du garage contigu à leur propriété ; qu'à supposer que cette ouverture puisse être qualifiée de vue soumise aux dispositions de l'article susvisé, il est constant qu'elle a été pratiquée en 1952 avec la construction du garage, soit depuis plus de trente ans, et que, dès lors, Mme A... bénéficie d'une servitude de vue sur le fonds des demandeurs, l'allégation de l'ouverture litigieuse au regard du " projet de construction " étant sans emport sur l'acquisition par prescription de cette servitude de vue ;
Attendu qu'il résulte de tout ce qui précède que l'appel des époux X... est dépourvu de fondement et sera rejeté ; que l'appel incident de Mme A... sera rejeté en ce qu'il tend à remettre en cause la décision autorisant les époux X... à détruire, s'ils le jugent utile, la partie du mur (en fait le parement en grès) située dans le prolongement du mur no3 donnant sur la rue du Général de Gaulle, l'interdiction s'imposant par ailleurs aux époux X... de construire dans un rayon de 19 décimètres à partir du parement extérieur du mur du garage, où l'ouverture a été faite, étant la conséquence de l'acquisition de la servitude de vue sur la propriété des demandeurs par Mme A... ; que l'appel incident sera donc accueilli sur ce point du litige ;
Attendu, enfin, que la demande de dommages et intérêts présentée par Mme A... pour abus de droit n'apparaît pas justifiée, les époux X... ayant partiellement obtenu satisfaction sur leur action dirigée contre la défenderesse ;
Attendu que l'issue du litige conduit à dire, les époux X... succombant en leur appel principal, que ceux-ci supporteront les entiers dépens de l'instance d'appel et seront condamnés à payer à Mme A... une somme de 2. 500 euros au titre des frais irrépétibles exposés pour cette instance.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
DÉCLARE les appels recevables,
REJETTE l'appel principal,
CONFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
Y ajoutant sur l'appel incident de Mme A... :
DIT que Mme A... bénéficie d'une servitude de vue sur le fonds des époux X... à partir de la vue ouverte sur la façade de son garage et dit en conséquence qu'il est interdit aux époux X... de construire dans un rayon de 19 décimètres à partir du parement extérieur du mur dudit garage où l'ouverture a été faite,
REJETTE pour le surplus l'appel incident de Mme A...,
CONDAMNE les époux X... aux entiers dépens de l'instance d'appel, ainsi qu'à payer à Mme A... une somme de 2. 500 euros (deux mille cinq cents euros) au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.