MINUTE No 08 / 141
NOTIFICATION :
ASSEDIC ()
Copie aux parties
Clause exécutoire aux :-avocats-délégués syndicaux-parties non représentées
COUR D'APPEL DE COLMAR CHAMBRE SOCIALE-SECTION C
ARRET DU 15 Février 2008
Numéro d'inscription au répertoire général : 4 C 06 / 02953 Décision déférée à la Cour : 08 Mars 2006 par le CONSEIL DE PRUD'HOMMES DE STRASBOURG
APPELANT : Monsieur Chrétien X..., comparant ... 67760 GAMBSHEIM Assisté de Me Laurence AVELINE (avocat au barreau de PARIS)
INTIMEE ET APPELANTE INCIDENTE : SA ELECTRICITE DE STRASBOURG, prise en la personne de son PDG, non comparant 26 boulevard du Président Wilson 67000 STRASBOURG Représentée par Me Annie SCHAF-CODOGNET (avocat au barreau de NANCY)
MISE EN CAUSE : CAISSE NATIONALE DES INDUSTRIES ELECTRIQUES ET GAZIERES, prise en la personne de directeur, non comparant 20 rue des Français Libres BP 61415 44204 NANTES CEDEX Représentée par Me LEFUR Anne-Sophie de la SELARL CORNET VINCENT SEGUREL (avocats au barreau de NANTES)
COMPOSITION DE LA COUR : En application des dispositions de l'article 945-1 du nouveau Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 14 Décembre 2007, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant M. DIE, Conseiller faisant fonction de Président, et Mme WEBER, Vice-Président placé, faisant fonction de Conseiller, chargés d'instruire l'affaire. Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de : M. DIE, Conseiller faisant fonction de Président Mme WOLF, Conseiller Mme WEBER, Vice-Président placé, faisant fonction de Conseiller qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : Mme DONATH, Faisant fonction
ARRET :-contradictoire, en dernier ressort-prononcé publiquement par mise à disposition au greffe-signé par M. Jérôme DIE, Conseiller faisant fonction de Président et Melle Catherine OBERZUSSER, greffier ad hoc, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
M. Chrétien X... est salarié par la société ELECTRICITE DE STRASBOURG depuis le 1er décembre 1975.
Il est père de trois enfants.
Par lettre recommandée du 25 novembre 2004, il sollicita sa mise à la retraite anticipée, avec jouissance immédiate et bénéfice d'une bonification pour enfants dans les mêmes conditions que les agents féminins.
Le 9 décembre 2004, la société ELECTRICITE DE STRASBOURG lui notifia une décision de refus au motif que les dispositions de l'article 3 de l'annexe 3 au statut national du personnel des industries électriques et gazières, invoquées par le salarié, ne concernaient que les seuls agents mères de famille.
Le 31 janvier 2005, M. Chrétien X... saisit la juridiction prud'homale en appelant en cause la Caisse nationale des industries électriques et gazières.
Le 8 mars 2006, par jugement no F05 / 00110 de sa section de l'industrie, le conseil de prud'hommes de STRASBOURG considéra que les dispositions invoquées étaient réservées aux mères de familles, que le salarié demandeur ne justifiait pas avoir élevé seul ses enfants, et que l'avantage accordé aux femmes était la conséquence de ce qu'elles ont une carrière plus courte que les hommes, qu'elles ont des salaires inférieurs, qu'elles subissent la fatigue liée à la grossesse, qu'elles allaitent les enfants et qu'elles interrompent leur activité professionnelle pour assumer la garde, les soins et l'éducation des enfants.
En conséquence, le conseil de prud'hommes débouta le salarié demandeur de l'ensemble de ses prétentions.
Le 12 juin 2006, M. Chrétien X... interjeta régulièrement appel de ce jugement à lui notifié le 18 mai.
A l'audience, M. Chrétien X... fait oralement développer ses conclusions d'appel déposées le 3 août 2007 en invoquant la prohibition des discriminations par le sexe. Il demande à la Cour d'infirmer le jugement entrepris, d'ordonner à l'employeur d'accéder à sa demande de mise en inactivité à compter du trentième jour suivant la notification de l'arrêt, sous astreinte de 300 € par jour de retard, de condamner l'employeur à lui payer les sommes de 2. 400 € de dommages et intérêts et de 2. 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi que de déclarer l'arrêt commun et opposable à la Caisse nationale des industries électriques et gazières. Il ajoute qu'il renonce à la dernière disposition de ses conclusions rédigées comme suit : " la CNIAG devra s'en remettre à la position d'EDS sur la mise en retraite anticipée ".
La société ELECTRICITE DE STRASBOURG fait oralement soutenir ses conclusions déposées le 6 décembre 2007 et au soutien d'un appel incident. Elle demande à la Cour :
-à titre principal, de constater que la mise en inactivité ne peut être prononcée sans que préalablement aient été vérifiés les droits à pension du salarié ; de renvoyer le salarié appelant à mieux se pourvoir devant le tribunal des affaires de sécurité sociale de NANTES ; de surseoir à statuer sur la demande présentée ;-à titre subsidiaire, de débouter le salarié appelant ;-à titre plus subsidiaire, de dire que la mise en inactivité interviendra à l'issue du délai de prévenance de trois mois.
La Caisse nationale des industries électriques et gazières fait oralement soutenir ses conclusions déposées les 28 novembre et 14 décembre 2007. Elle invoque l'incompétence matérielle de la juridiction prud'homale concernant les conditions d'ouverture d'un droit à pension, au profit du tribunal des affaires de sécurité sociale de NANTES. A titre subsidiaire, elle sollicite la confirmation du jugement entrepris.
Il est référé aux conclusions des parties pour un plus ample exposé de leurs moyens et prétentions.
SUR QUOI, LA COUR
Sur l'exception d'incompétence
Pour exciper de l'incompétence matérielle de la juridiction prud'homale, les parties intimées soutiennent que la question de l'existence d'un droit à pension de vieillesse relève de la seule compétence des juridictions de sécurité sociale et, en l'espèce, par application de la loi du 9 août 2004, du tribunal des affaires de sécurité sociales de NANTES dans le ressort duquel a son siège la Caisse nationale des industries électriques et gazières.
Mais leur explication procède d'une dénaturation de l'objet du litige.
Le litige a pour objet, selon la demande du salarié appelant, le refus opposé par l'employeur de faire bénéficier M. Chrétien X... d'une mise en inactivité anticipée en vue d'une jouissance immédiate de ses droits à pension avec le bénéfice de la bonification pour trois enfants.
L'action de M. Chrétien X... est donc relative à la cessation de son contrat de travail. Elle relève de la juridiction prud'homale à laquelle les dispositions de l'article L511-1 du code du travail donnent compétence exclusive pour connaître de tout différend né à l'occasion d'un contrat de travail.
L'exception d'incompétence doit être écartée.
Sur la demande de sursis à statuer
La société intimée ELECTRICITE DE STRASBOURG sollicite un sursis à statuer dans l'attente d'une décision du tribunal des affaires de sécurité sociale de NANTES qu'elle invite le salarié appelant à saisir en vue de la liquidation de sa pension de retraite.
Elle affirme qu'avant de prononcer la rupture du contrat de travail, il est nécessaire que les parties aient la certitude de l'existence du droit à pension.
Mais si l'employeur a le devoir de vérifier que le salarié qui demande sa mise à la retraite satisfait aux conditions requises, il n'a pas à attendre une décision de justice sur la liquidation des droits à pension de vieillesse.
En l'espèce, l'objet du litige est précisément de savoir si M. Chrétien X... satisfait aux conditions requises pour être admis à la retraite, et si son employeur est justifié à lui refuser la cessation qu'il sollicite de son contrat de travail.
Il n'y a pas lieu de différer la décision dans l'attente d'un jugement éventuel, à l'issue d'une hypothétique instance sur la liquidation des droits à pension de Monsieur Chrétien X....
Sur le bénéfice de la bonification
Le salarié appelant réclame sa mise en retraite anticipée au bénéfice d'une bonification qu'il invoque sur deux fondements.
D'une part, le salarié appelant se prévaut du paragraphe c) de l'article 112-35 du chapitre 263 du manuel pratique des questions de personnel EDF-GDF qui dispose :
" Les agents mères de familles ayant eu trois enfants et réunissant 15 ans de service peuvent bénéficier d'une pension immédiate sans conditions d'âge ".
Mais, comme le fait valoir la société ELECTRICITE DE STRASBOURG, le manuel pratique n'est pas applicable dans cette entreprise non nationalisée.
D'autre part, le salarié appelant se prévaut de l'article 3 de l'annexe 3 au statut national du personnel des industries électriques et gazières, approuvé par le décret no46-1541 du 22 juin 1946, qui instituent une bonification dans les termes suivants :
" Les agents mères de famille ayant eu trois enfants bénéficieront d'un bonification d'âge et de service d'une année par enfant ".
L'octroi de cette bonification est soumis au principe de l'égalité de traitement entre les hommes et les femmes, tel qu'il a été affirmé à l'article 141 du traité instituant la communauté européenne.
La directive européenne 79 / 7 précise, selon la combinaison de ses articles 3 § 1 a) et 8 § 1, que le principe d'égalité de traitement s'applique aux conditions d'accès aux régimes légaux qui assurent une protection contre le risque de vieillesse.
Il s'en suit que la société intimée ne peut refuser à M. Chrétien X... le bénéfice de la bonification réclamée au seul motif qu'il est un homme.
Pour s'opposer à la prétention du salarié appelant, les parties intimées tentent, en premier lieu, d'exciper d'une discrimination positive autorisée par le droit communautaire.
Elles visent les dispositions de l'article 141 § 4 dudit traité instaurant la communauté européenne, lequel est rédigé comme suit :
" Pour assurer concrètement une pleine égalité entre hommes et femmes dans la vie professionnelle, le principe de l'égalité de traitement n'empêche pas un Etat membre de maintenir ou d'adapter des mesures prévoyant des avantages spécifiques destinés à faciliter l'exercice d'une activité professionnelle par le sexe sous-représenté ou compenser des désavantages dans la carrière professionnelle ".
D'une part, les parties intimées présentent la bonification en cause comme la compensation de contraintes auxquelles sont soumises les mères de famille et qui n'affectent pas la carrière professionnelles des hommes.
Elles avancent que sur un plan général, la retraite globale des femmes ne représente que 56 % de celle des hommes et que, dans la branche des industries électriques et gazières, les taux de liquidation de pensions accusent un retard d'environ 30 % entre les hommes et les femmes.
Mais la bonification en cause a été stipulée dans l'intérêts des mères de famille ayant eu trois enfants. Elle ne peut donc avoir été instituée en compensation de désavantages qui affectent la carrière professionnelles des femmes, d'une manière générale comme spécialement dans les industries électriques et gazières, quelque soit leur situation de famille.
D'autre part, les parties intimées présentent la bonification en cause comme la compensation de contraintes liés aux grossesses et aux accouchements.
Mais la bonification en cause a été stipulée dans l'intérêt des mères de famille ayant eu trois enfants, indépendamment de la question de savoir si elle les ont portés et qu'elles en ont accouché.
Elle a été instituée pour compenser des désavantages liés à l'accomplissement des devoirs parentaux, ce qui affecte autant la carrière professionnelle des femmes que celle des hommes.
Aucune discrimination positive ne peut donc justifier de réserver la bonification en cause aux seules femmes salariées de la société ELECTRICITE DE STRASBOURG.
En deuxième lieu, les parties intimées prétendent exiger du salarié appelant la preuve qu'il a assuré l'éducation de ses enfants.
Elles se réfèrent à l'arrêt no280126 du 7 juin 2006 par lequel le Conseil d'Etat a déclaré illégales les dispositions des 1er et 2ème paragraphe de l'article 3 de l'annexe 3 au statut national du personnel des industries électriques et gazières ainsi que les dispositions du c) du paragraphe 112-35 du chapitre 263 du manuel pratique des questions de personnel d'EDF-GDF en tant qu'elles excluent du bénéfice des avantages qu'elles instituent les agents masculins ayant assuré l'éducation de leurs enfants.
Mais cette déclaration d'illégalité partielle n'implique pas qu'il incombe aux agents masculins d'apporter la preuve qu'ils ont effectivement assuré l'éducation de leurs enfants lorsqu'ils réclament le bénéfice de la bonification en cause.
Les agents féminins n'ont pas la charge d'établir qu'elles ont personnellement élevé leurs trois enfants et, rien ne justifie que cette preuve soit exigée des agents masculins.
Au surplus, en l'espèce, M. Chrétien X... justifie que ses trois enfants sont nés de son union avec Mme Christine D... et, que son mariage prononcé le 15 janvier 1982 n'a pas été dissous. M. Chrétien X... a donc eu la charge effective de l'entretien et de l'éducation de ses trois enfants, aujourd'hui majeurs.
En troisième et dernier lieu, les parties intimées prétendent exiger du salarié appelant la preuve d'un préjudice de carrière.
Elles se réfèrent aux dispositions nouvellement introduites aux articles L12 et R13 du code des pensions civiles et militaires, admises par le conseil constitutionnel en sa décision No2003-483 du 14 août 2003 et validées par le Conseil d'Etat en ses arrêts du 29 décembre 2004 et 6 juillet 2007.
Mais ces dispositions ne sont applicables qu'aux fonctionnaires. Elles sont étrangères aux rapports contractuels qui existent entre la société ELECTRICITE DE STRASBOURG et ses salariés.
Il en résulte que même si le salarié appelant est un homme, il doit bénéficier de la bonification en cause dès lors qu'il n'est pas contesté qu'il satisfait à toutes les conditions d'attribution.
Sur la mise en inactivité
Le salarié appelant ne conteste pas que sa mise en inactivité reste soumise aux dispositions des circulaires PERS 70 et 77, en date des 10 février et 30 avril 1947, diffusées pour l'application du statut national par EDF-GDF lorsque cet établissement public assurait la gestion du régime d'assurance vieillesse de tous les personnels des industries électriques et gazières.
Il s'en suit que, comme le fait valoir la société ELECTRICITE DE STRASBOURG, la mise en inactivité ne peut être prononcée avant l'écoulement d'une période de prévenance de trois mois pendant lequel le salarié doit prendre tous ses congés.
Passé ce délai, il y a néanmoins lieu de faire droit à la demande d'astreinte présentée par le salarié appelant dès lors que la société ELECTRICITE DE STRASBOURG a jusqu'à présent résisté à la demande de M. Chrétien X... alors que ce salarié satisfaisait aux conditions requises.
Sur la demande de dommages et intérêts
M. Chrétien X... subit un préjudice dès lors qu'il ne jouira de sa mise en inactivité qu'avec le retard dû à la résistance de la société ELECTRICITE DE STRASBOURG.
Il est fondé à obtenir l'indemnisation pour le montant qu'il a exactement apprécié.
Sur les dispositions accessoires
En application de l'article 700 du code de procédure civile, il est équitable que l'employeur contribue aux frais irrépétibles qu'il a contraint le salarié à exposer tant en première instance qu'à hauteur de d'appel.
En application de l'article 696 du même code, il échet de mettre les dépens à la charge de l'employeur qui succombe.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et en dernier ressort, après en avoir délibéré conformément à la loi,
Déclare recevables l'appel principal et l'appel incident ;
Infirme le jugement entrepris ;
Dit que la société ELECTRICITE DE STRASBOURG doit prononcer la mise en inactivité de M. Chrétien X..., au bénéfice des dispositions de l'article 3 de l'annexe 3 au statut du personnel des industries électriques et gazières, au terme du délai de prévenance de trois mois à compter de la notification du présent arrêt pendant lequel le salarié doit prendre tous ses congés, et ce sous astreinte de 10 € (dix euros) par jours de retard ;
Condamne la société ELECTRICITE DE STRASBOURG à verser à Monsieur Chrétien X... les sommes de :
-2. 400 € (deux mille quatre cents euros) à titre de dommages et intérêts,-2. 000 € (deux mille euros) en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société ELECTRICITE DE STRASBOURG à supporter les entiers dépens de première instance et d'appel ;
Déclare le présent arrêt commun et opposable à la Caisse nationale des industries électriques et gazières.
Et le présent arrêt a été signé par M. Jérôme DIE, conseiller faisant fonction de président, et Melle Catherine OBERZUSSER, greffier ad hoc.