MINUTE No 30 / 2008
Copie exécutoire à :
- Mes HEICHELBECH, RICHARD- FRICK et CHEVALLIER- GASCHY
- Me Christine LAISSUE- STRAVOPODIS
Le 10 / 01 / 2008
COUR D'APPEL DE COLMAR DEUXIEME CHAMBRE CIVILE- SECTION A
ARRET DU 10 Janvier 2008
Numéro d'inscription au répertoire général : 2 A 04 / 00937
Décision déférée à la Cour : 07 Novembre 2003 par le TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE SAVERNE
APPELANT et défendeur :
L'OFFICE NATIONAL DES FORETS " ONF ", dont le siège social est 2, Avenue de Saint- Mandé à 75570 PARIS, représenté par son représentant légal,
Représenté par Mes HEICHELBECH, RICHARD- FRICK et CHEVALLIER- GASCHY, Avocats à la Cour, Plaidant : Me O. CHARLES, Avocat à SAVERNE,
INTIMES et demandeurs :
1) Monsieur Joseph Y..., demeurant ...,
2) Monsieur Philippe Y..., demeurant ...,
3) Monsieur Jacky Y..., demeurant ...,
4) Madame Nicole Marie A... veuve Y..., venant aux droits de M. Y... Julien, décédé le 4 juin 2005, demeurant ...,
5) Monsieur Eloi Joseph Jacky Y..., venant aux droits de M. Y... Julien, décédé le 4 juin 2005, demeurant ...,
6) Madame Laurence Francine Y... épouse B..., venant aux droits de M. Y... Julien, décédé le 4 juin 2005, demeurant ...,
Représentés par Me Christine LAISSUE- STRAVOPODIS, Avocat à la Cour, Plaidant : Me SCHIRER, Avocat à SAVERNE,
COMPOSITION DE LA COUR : L'affaire a été débattue le 11 Octobre 2007, en audience publique, devant la Cour composée de : M. WERL, Président de Chambre, Madame CONTE, Conseiller, Mme DIEPENBROEK, Conseiller, qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : Mme LAEMLE
ARRET :- Contradictoire- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Nouveau Code de Procédure Civile.- signé par M. Michel WERL, président et Mme Corinne LAEMLE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
- Ouï M. WERL, Président, en son rapport.
* * * * * *
A la suite du refus de l'Office National des Forêts d'inscrire Messieurs Joseph Y..., Julien Y..., Philippe Y... et Jacky Eloi Y..., sur l'état des titulaires du droit d'usage sur les bois, dit " droit au bois bourgeois ", de la forêt communale de DABO, ces derniers ont assigné l'OFFICE NATIONAL DES FORETS devant le Tribunal de Grande Instance de SAVERNE aux fins de juger qu'ils devront être inscrits sur la liste matricule des ayants droit au bois bourgeois de DABO à compter du 5 avril 1996 en ce qui concerne Joseph et Julien Y... et à compter du 21 novembre 1996 en ce qui concerne Philippe et Jacky Y..., et cela chaque année suivante à compter de cette date, de condamner l'ONF à leur délivrer le bois bourgeois à compter de ces dates, soit pour l'année 1996 et pour chaque année depuis lors, ainsi qu'à leur payer 4. 000 euros par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Cette action a été introduite au visa d'un " règlement " du 27 juin 1613 des Comtes de Linange et de Dabo, applicable aux habitants de DABO et d'ENGENTHAL ainsi qu'à leurs descendants, dans des conditions admises par différentes décisions de juridictions du ressort de la Cour d'Appel de COLMAR et notamment par un arrêt de la Cour d'Appel de COLMAR du 7 février 1905, auquel toutes les parties se réfèrent.
Par jugement prononcé le 7 novembre 2003, le Tribunal de Grande Instance de SAVERNE a accueilli intégralement la demande dans les termes susrappelés formulés par les demandeurs, l'exécution provisoire étant en outre ordonnée.
Pour se prononcer ainsi, les premiers juges ont tout d'abord relevé que l'ONF ne contestait pas l'existence d'un droit au bois bourgeois, ni les conditions nécessaires pour pouvoir en bénéficier aujourd'hui, à savoir :- être de nationalité française,- être descendants d'ancêtres ayant habité DABO ou ENGENTHAL avant 1793 ou être venus s'établir dans le Comté avant le 14 février 1917 et avoir payé avant 1824 un droit d'entrée de 30 francs,- habiter DABO ou ENGENTHAL, à l'exclusion de la section d'Obersteigen,- être majeur au sens du Code civil, c'est- à - dire avoir 21 ans révolus au 1er janvier de l'année du premier exercice des droits et être chef d'un ménage propre et indépendant,- avoir payé les redevances fixes annuellement exigées.
C'est la condition relative à la descendance des demandeurs qui a été discutée par l'ONF qui oppose également à Messieurs Joseph et Julien Y... un moyen tiré de la prescription trentenaire.
Le tribunal a considéré, à l'examen des documents versés aux débats, notamment les registres paroissiaux et les actes d'état civil, que les demandeurs établissaient qu'ils étaient les descendants directs de Jean Y..., époux de Catherine D..., ayant demeuré de 1759 à 1761 à WINDSBOURG, annexe d'ENGENTHAL et dont une partie du territoire est la propriété de la Commune de DABO, puis à compter de 1789 à KUHBERG qui est en amont de DABO.
D'autre part, au moyen de l'ONF selon lequel M. Joseph Y..., né le 20 avril 1906, n'avait pu transmettre à sa descendance le droit au bois bourgeois, au motif que pendant la période où il résidait à HARRENBERG, cette commune avait renoncé, par suite de cantonnement, à ses droits d'usage forestier, le tribunal a opposé que l'examen des documents produits révélait qu'en réalité cette commune n'avait renoncé qu'à son droit de pâture et de passage, de sorte que le cantonnement ne peut être opposé aux demandeurs en ce qui concerne le droit au bois bourgeois.
De toute façon, ajoutent les premiers juges, cette renonciation n'est opposable qu'à la Commune de HARRENBERG et non à ses habitants, qui retrouvent la plénitude de leurs droits lorsqu'ils quittent cette commune.
Enfin, le tribunal a analysé le droit au bois bourgeois comme :- une charge réelle grevant la forêt domaniale sur les territoires de l'ancien Comté de DABO,- un droit accordé à perpétuité au bénéfice de tous les descendants d'ancêtres ayant habité DABO ou ENGENTHAL avant 1793,- un droit qui ne se transmet pas par héritage, mais du fait de l'accession du descendant à l'âge de la majorité légale.
Il a donc déduit du caractère incessible, inaliénable et extra- patrimonial du droit au bois bourgeois, la conclusion qu'il est hors du commerce et ne peut donc se prescrire, par application de l'article 2226 du Code civil.
Par déclaration reçue le 10 février 2004 au greffe, l'ONF a interjeté appel contre ce jugement dans des conditions de recevabilité qui apparaissent régulières en la forme, intimant les quatre demandeurs.
M. Julien Y... étant décédé au cours de l'instance d'appel, celle- ci a été reprise par ses héritiers, Mme Nicole Marie A... veuve de M. Julien Y..., M. Eloi Joseph Jacky Y... et Mme Laurence Francine Y... épouse B....
Dans le dernier état de ses conclusions du 15 mars 2006, l'ONF demande à la Cour d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a fait droit aux demandes de Messieurs Joseph et Julien Y... et, statuant à nouveau, de déclarer prescrites les demandes de M. Joseph Y... et prescrits les droits de feu M. Julien Y... et, partant, les demandes de ses héritiers, les en débouter et les condamner aux entiers dépens ainsi qu'à lui payer 4. 000 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Par son appel, l'Office National des Forêts ne remet pas en cause le jugement du 7 novembre 2003 en ce qu'il a fait droit aux demandes de Messieurs Philippe et Jacky Y..., qui sont les enfants respectifs de Messieurs Joseph et Julien Y..., mais soutient, pour ces derniers, que leur droit au bois bourgeois est prescrit, ce qui conduit l'appelante à discuter préalablement la nature juridique de ce droit.
L'ONF fait ainsi valoir que les droits d'usage forestier tels que le droit au bois bourgeois constituent des droits réels assimilables à une servitude " sui generis ", dès lors qu'on reconnaît à des " immeubles " constituant des fonds dominants (" habitation composant les villages de DABO, ENGENTHAL "...) des droits sur un autre immeuble constituant un fonds servant (forêt domaniale de DABO appartenant à l'Etat), ce mécanisme juridique répondant à la notion définie par l'article 637 du Code civil.
L'ONF, si elle admet que certaines conditions pour bénéficier du droit au bois bourgeois, telles qu'elles ont été rappelées par l'arrêt de la Cour d'Appel de COLMAR du 7 février 1905, ont une " composante " personnelle (nationalité, majorité, descendance...), l'obligation de résider à titre permanent dans un immeuble situé dans la Commune de DABO, implique nécessairement selon l'appelante un rapport entre deux immeubles constituant le fonds dominant et le fonds servant, caractérisant une servitude.
Une servitude n'est certes pas dans le commerce, poursuit l'appelante, mais son non- usage pendant trente ans entraîne son extinction par application de l'article 706 du Code civil, l'article 2226 du même code ayant été appliqué à tort par les premiers juges à la situation litigieuse alors que cette disposition ne vise que la prescription acquisitive. Et l'ONF de citer une doctrine ancienne et une jurisprudence non moins ancienne, reconnaissant la prescriptibilité des droits d'usage forestiers en application de l'article 706 du Code civil.
En l'espèce, Messieurs Joseph et Julien Y... ne démontrent pas qu'ils ont conservé le droit au bois bourgeois par sa jouissance depuis moins de trente ans à compter du jour où ils remplissaient les conditions pour en bénéficier (6 février 1954 pour M. Joseph Y... et 6 juillet 1956 pour M. Julien Y...), n'ayant d'ailleurs pas demandé dans ce délai, à être inscrits sur la liste des bénéficiaires de ce droit.
Par leurs dernières conclusions du 23 novembre 2006, les intimés demandent à la Cour :- en ce qui concerne Messieurs Philippe et Jacky Y... à l'encontre desquels aucune conclusion n'a été prise par l'appelant, de rejeter l'appel, de confirmer le jugement en ce qui les concerne et de condamner l'ONF aux dépens des deux instances ainsi qu'à leur payer à chacun 1. 500 € au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,- en ce qui concerne les autres intimés,- de rejeter l'appel, confirmer le jugement entrepris,- de donner acte aux héritiers de M. Julien Y... de ce qu'ils ne revendiquent que la créance du défunt envers l'ONF arrêtée à la date de son décès (droits correspondant à l'inscription sur la liste matricule du 5 avril 1996 au 4 juin 2005),- de condamner l'ONF à leur délivrer le bois bourgeois correspondant à cette période,- de condamner l'ONF aux dépens et à leur payer à chacun 1. 500 € au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Les demandeurs et intimés font une autre analyse de la nature juridique du droit au bois bourgeois, que celle proposée par L'ONF. En effet la condition de résidence prévue par l'arrêt du 7 février 1905 de la Cour d'Appel de COLMAR ne peut être assimilée comme un droit " sur un immeuble " comme le soutient l'ONF, le droit en litige ne bénéficiant qu'à des personnes physiques qui habitent à DABO ou ENGENTHAL, sans être nécessairement propriétaires d'un immeuble. Toutes les conditions pour bénéficier du droit au bois bourgeois sont attachées à la personne qui les remplit et non à un immeuble.
Les intimés rejettent en conséquence l'assimilation du droit au bois bourgeois à une servitude ou à un usufruit et soutiennent qu'on est en présence d'un droit facultatif et individuel accordé à perpétuité à tous ceux qui remplissent les conditions personnelles rappelées par l'arrêt de 1905, ce droit n'étant pas dans le commerce, ni transmissible par voie héréditaire, les intimés s'interrogeant sur la démarche de l'ONF qui fait valoir " l'extinction " de ce droit pour les pères, tout en le reconnaissant pour les fils.
Le droit au bois bourgeois étant ainsi exclusivement attaché à la personne, son non- usage ne peut conduire à son extinction, et l'ONF ne peut donc utilement invoquer sa prescription extinctive.
Vu l'ordonnance de clôture du 2 février 2007 ;
Vu les conclusions susvisées, l'ensemble de la procédure et les pièces produites par les parties ;
EN CET ETAT :
Attendu que l'Office National des Forêts, bien qu'ayant intimé Messieurs Philippe et Jacky Y..., ne remet pas en cause le jugement entrepris en ce qu'il a accueilli leurs demandes, ses conclusions tendant uniquement à l'infirmation de cette décision en ce qu'elle a fait droit aux demandes de Messieurs Joseph et Julien Y... auxquels l'appelant oppose la prescription de leurs droits au bois bourgeois du fait du non- usage de celui- ci pendant plus de trente ans depuis leur majorité ;
Attendu que, indépendamment des divergences existant sur l'origine du droit au bois bourgeois, les parties appelante et intimées admettent que les conditions requises pour bénéficier du droit au bois bourgeois ont été déterminées par l'arrêt de principe de la Cour d'Appel de COLMAR du 7 février 1905, confirmé par arrêt de la Cour Suprême de LEIPZIG du 26 février 1906, selon lequel l'exercice de ce droit dans les parties des forêts de l'Etat ayant appartenu autrefois au Comté de DABO situées sur le ban de la Commune d'ENGENTHAL, à l'exception du territoire de l'annexe d'Obersteigen, devait être accordé aux personnes remplissant les conditions de nationalité, de majorité et de descendance précisées dans le dispositif de cet arrêt ;
Attendu que l'ONF ne discute pas devant la Cour que les conditions de nationalité, de majorité et de descendance sont remplies pour Messieurs Joseph Y... et Julien Y... (et les héritiers de ce dernier) comme pour Messieurs Philippe et Jacky Y..., mais soutient que la condition de résidence, non remplie en l'espèce par M. M. Joseph et Julien Y... selon l'appelante, s'analyse comme l'obligation de résider à titre permanent dans un immeuble situé à ENGENTHAL à l'exclusion d'Obersteigen ; que l'ONF déduit de cette affirmation que : " cette obligation de résider dans un immeuble nécessairement attaché au village d'ENGENTHAL visé dans le titre constitutif de l'usage implique qu'il existe bien un rapport entre deux immeubles, l'un constituant le fonds servant (la forêt domaniale de DABO subissant l'usage), l'autre constituant le fonds dominant bénéficiant de l'usage (les domiciles des habitants d'ENGENTHAL) ", et que le droit au bois bourgeois est ainsi une servitude au sens de l'article 637 du Code civil, laquelle s'éteint par le non- usage pendant trente ans conformément à l'article 706 du même code ;
Attendu toutefois que c'est par une dénaturation du dispositif de l'arrêt du 7 février 1905 auquel il se réfère expressément que l'ONF déduit de " l'obligation de résider " dans un immeuble situé à ENGENTHAL l'existence d'une servitude constituant la nature juridique du droit au bois bourgeois, alors qu'il ressort clairement de cet arrêt que l'exercice de ce droit est accordé à des personnes physiques remplissant diverses conditions relatives à leur personne (âge, nationalité, descendance), celle concernant l'exigence d " habiter ENGENTHAL " (et non de " résider à titre permanent dans un immeuble sis à ENGENTHAL " comme l'indique l'ONF) étant également une condition exigée de la personne bénéficiant de ce droit, lequel n'est nullement attaché à l'immeuble que celle- ci est susceptible d'occuper ; que c'est donc à tort que l'appelant prétend définir le droit au bois bourgeois comme une servitude, peu important que ce droit soit, aussi, hors du commerce, et l'ONF ne peut donc utilement opposer aux intimés la prescription tirée du non- usage de ce droit pendant trente ans suivant leur majorité ;
Attendu en effet qu'à juste titre les premiers juges ont défini le droit au bois bourgeois comme un droit personnel et exclusivement individuel, incessible et inaliénable et extra- patrimonial, réservé aux seules personnes remplissant les conditions rappelées par l'arrêt susmentionné du 7 février 1905 de la Cour d'Appel de COLMAR ; que l'exercice par ces personnes de ce droit qui leur est attaché, ne peut donc se prescrire par application de l'article 2226 du Code civil qui trouve bien à s'appliquer en l'espèce ;
Attendu dès lors que le jugement entrepris sera confirmé, la Cour adoptant entièrement les motifs du tribunal ;
Attendu que l'issue du litige conduit à dire que l'Office National des Forêts supportera les entiers dépens de l'instance d'appel et sera condamné à payer à chacun des intimés Philippe, Jacky et Joseph Y... ainsi que, globalement, aux héritiers de M. Julien Y..., une somme de 1. 000 euros au titre des frais irrépétibles qu'ils ont exposés.
PAR CES MOTIFS
DÉCLARE l'appel recevable mais mal fondé,
LE REJETTE,
CONFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
Y ajoutant :
DONNE ACTE aux héritiers de M. Julien Y... de ce qu'ils ne revendiquent que la créance de ce dernier envers l'ONF, arrêtée à la date de son décès survenu le 4 juin 2005, soit l'attribution des droits correspondant à l'inscription sur la liste matricule pour la période du 5 avril 1996 au 4 juin 2005, et condamne en conséquence l'ONF à leur délivrer le bois bourgeois correspondant à cette période,
CONDAMNE l'Office National des Forêts aux entiers dépens de l'instance d'appel ainsi qu'à payer, au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, 1. 000 euros (mille euros) à M. Philippe Y..., 1. 000 euros (mille euros) à M. Jacky Y..., 1. 000 euros (mille euros) à M. Joseph Y..., 1. 000 euros (mille euros) globalement aux héritiers de M. Julien Y... ayant repris l'instance.