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11/01/2005 | FRANCE | N°JURITEXT000006945209

France | France, Cour d'appel de colmar, 11 janvier 2005, JURITEXT000006945209


PA/SU MINUTE N° 1M21/05 Copie exécutoire à : - la SCP G etamp; T CAHN - D.S. BERGMANN - Me Claude LEVY Le 11/01/2005 Le Greffier REPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS COUR D'APPEL DE COLMAR PREMIERE CHAMBRE CIVILE - SECTION A ARRET DU 11 Janvier 2005 Numéro d'inscription au répertoire général : 1 A 03/03234 Décision déférée à la Cour : 23 Juin 2003 par le TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE STRASBOURG APPELANTE et demanderesse : LA S.A. LUNA, ayant son siège social 16, Adrianeou Metamorphossi à 14452 ATHENES "GRECE", prise en la personne de son représentant légal, Représen

tée par la SCP G etamp; T CAHN - D.S. BERGMANN, Avocats à la Cou...

PA/SU MINUTE N° 1M21/05 Copie exécutoire à : - la SCP G etamp; T CAHN - D.S. BERGMANN - Me Claude LEVY Le 11/01/2005 Le Greffier REPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS COUR D'APPEL DE COLMAR PREMIERE CHAMBRE CIVILE - SECTION A ARRET DU 11 Janvier 2005 Numéro d'inscription au répertoire général : 1 A 03/03234 Décision déférée à la Cour : 23 Juin 2003 par le TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE STRASBOURG APPELANTE et demanderesse : LA S.A. LUNA, ayant son siège social 16, Adrianeou Metamorphossi à 14452 ATHENES "GRECE", prise en la personne de son représentant légal, Représentée par la SCP G etamp; T CAHN - D.S. BERGMANN, Avocats à la Cour, Plaidant : Me RICOUART-MAILLET (Cabinet BRM), Avocat à LILLE, INTIME et défendeur :

Monsieur Photios X..., né le 27 septembre 1951 à KARDITSA, demeurant 31, Rue du Docteur Y... à 68100 MULHOUSE, Représenté par Me Claude LEVY, Avocat à la Cour, Plaidant : Me MAHL, Avocat à STRASBOURG, COMPOSITION DE LA COUR : L'affaire a été débattue le 23 Novembre 2004, en audience publique, devant la Cour composée de :

M. HOFFBECK, Président de Chambre

M. DIE, Conseiller

M. ALLARD, Conseiller qui en ont délibéré. Greffier, lors des débats : Mme SCHOENBERGER, ARRET :

- Contradictoire

- prononcé publiquement par M. Michel HOFFBECK, président

- signé par M. Michel HOFFBECK, président et Mme Marie SCHOENBERGER, greffier présent au prononcé.

M. X... a déposé auprès de l'Institut national de la propriété industrielle le 28 novembre 2000 les marques figuratives "Lovey" et "Luna", sous les numéros 00 3 068 062 et 00 3 068 063 pour désigner en classe 25 les articles suivants : Lingerie - corseterie Maillots de bains Pyjama - vêtements (habillements) Peignoirs de bain, Bas -

collants Body. Le 18 décembre 2000, M. X... a déposé ces mêmes marques "Lovey" et "Luna", dotées d'un graphisme différent, sous les numéros 00 3 072 162 et 00 3 072 163, pour désigner en classe 25 des produits similaires. Le 11 juin 2001, M. X... a également déposé auprès de l'OHMI la marque "Luna" en classe 25.

Reprochant à M. X... d'avoir effectué ces dépôts en fraude de ses droits, la société de droit grec LUNA a, selon assignation délivrée le 19 mars 2001, introduit une action en revendication devant le Tribunal de grande instance de Strasbourg.

Par jugement du 23 juin 2003, cette juridiction a débouté la société LUNA de toutes ses demandes, rejeté la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive formée par M. X..., dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile en faveur de M. X... et condamné la société LUNA aux dépens.

L'action en revendication de la société LUNA a été rejetée pour le motif suivant : "contrairement aux allégations de la société LUNA, rien dans les pièces versées aux débats, ne démontre que : - les marques dont elle se prévaut, ont été enregistrées, - elle avait le projet de s'implanter en France et d'y exercer son activité après y avoir déposé les marques "Luna" et "Lovey", - Photios X... était informé de ses intentions, - les signes "Luna" et "Lovey" étaient connus en France lors des dépôts reprochés au défendeur."

Par déclaration faite le 10 juillet 2003, la société LUNA a interjeté appel de cette décision. M. X... a formé appel incident.

Suivant conclusions remises au secrétariat-greffe le 10 septembre 2004, la société LUNA demande à la Cour de : - réformer le jugement entrepris ; - dire que les demandes d'enregistrement des marques LUNA n° 3068063 du 28 novembre 2000 et n° 3072162 du 18 décembre 2000, des marques LOVEY n° 3068062 du 28 novembre 2000 et n° 3072163 du 18 décembre 2000 ont été déposées en fraude des droits de la société LUNA . - dire que la propriété des marques LUNA et LOVEY est transférée au profit de la société LUNA à compter de la date du dépôt ; - condamner M. X... à cesser toute utilisation sous quelque forme que ce soit des dénominations LUNA et LOVEY, sous peine d'astreinte de 100 ä par infraction constatée, passée la signification de l'arrêt à intervenir ; - condamner M. X... au paiement d'une somme de 15.245 ä à titre de dommages et intérêts au titre des dépôts frauduleux ; - condamner M. X... au paiement d'une somme de 6.000 ä au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ; - débouter M. X... de l'ensemble de ses prétentions ; - condamner M. X... aux dépens des deux instances. Au soutien de son appel, la société LUNA fait valoir en substance : - que les marques déposées le 28 novembre 2000 reproduisent les éléments graphiques originaux des marques utilisées par la concluante ; - que les premiers juges ont à tort considéré que l'enregistrement préalables des marques litigieuses dans un autre pays est une condition de l'action en revendication ; qu'en tout état de cause, ses marques sont enregistrées en Grèce ; que la concluante n'a pas davantage à établir qu'elle utilisait antérieurement et publiquement les sigles litigieux en France ; - que M. X... qui avait été en relations d'affaires avec la concluante, savait que la société LUNA exploitait les marques "Luna" et "Lovey" en Europe et était informé

de ses projets d'implantation en France ; - qu'en effectuant les dépôts, M. X... a eu pour dessein de bloquer l'expansion de la concluante en Europe ; - que la fraude de M. X... est encore caractérisée par le fait qu'il n'a jamais exploité les marques litigieuses depuis leur dépôt ; - que M. X... dont l'action est frauduleuse, ne peut se retrancher derrière le principe de territorialité ; - que la commercialisation en France des produits de la concluante a été freiné par les dépôts frauduleux.

Par conclusions déposées le 1er septembre 2004, M. X... rétorque : - que les dépôts litigieux ne peuvent être litigieux dès lors que la société LUNA ne détient aucun droit en France sur ces dénominations qui n'y étaient pas connues pour les articles de lingerie au moment du dépôt ; - qu'il ignorait les projets d'implantation commerciale de l'appelante en France, l'existence de liens contractuels antérieures ne suffisant nullement à caractériser la fraude ; qu'il n'a pas cherché à détourner à son profit la propriété d'une marque ou la vocation d'un tiers à l'acquérir ; - que la société LUNA n'a subi aucun préjudice dès lors qu'elle commercialise ses produits en France par le biais d'une filiale.

En conséquence, il prie la Cour de : - rejeter l'appel ; - recevoir l'appel incident ; - condamner la société LUNA à payer à M. X... la somme de 20.000 ä en réparation de son préjudice subi ; - confirmer le jugement entrepris pour le surplus ; - condamner la société LUNA aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme de 6.000 ä par application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile au titre des deux instances.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 24 septembre 2004. SUR CE, LA COUR,

Vu les pièces et les écrits des parties auxquels il est renvoyé pour l'exposé du détail de leur argumentation,

Attendu que l'appel a été interjeté suivant les formes légales, dans le mois du prononcé du jugement entrepris ; qu'il est régulier en la forme et recevable ;

Attendu que l'appel incident de M. X..., régulièrement formalisé par voie de conclusions, est recevable ;

Attendu qu'aux termes de l'article L 712-6 du code de la propriété intellectuelle, si un enregistrement a été demandé soit en fraude des droits d'un tiers, soit en violation d'une obligation légale ou conventionnelle, la personne qui estime avoir un droit sur la marque peut revendiquer sa propriété en justice ;

Attendu qu'il importe peu que la société LUNA, qui se prétend titulaire des marques "Luna" et "Lovey" ne justifie pas de l'enregistrement de ces marques en France ou dans un autre Etat de l'Union européenne, sauf à vider de toute portée l'article précité ;

Attendu que la question de la notoriété des marques "Luna" et "Lovey" en France à la date des dépôts litigieux peut éventuellement être déterminante comme élément de preuve de la fraude imputée à M. X... mais n'est pas, en tant que telle, une condition d'ouverture de l'action en revendication, contrairement à ce que laissent entendre les premiers juges ;

Attendu que la société LUNA justifie commercialiser en Grèce sa production sous la marque "Luna" depuis 1996 (annexes n° 20 à 25) et sous la marque "Lovey" depuis 1999 (annexes n° 40 et 41);

Attendu que M. X... est entré en relation d'affaires avec l'appelante en 1998 ; qu'il a, par l'intermédiaire de la société LISA dont il était le dirigeant, commercialisé en France des articles de lingerie livrés par la société LUNA (factures et notes de crédit échelonnés entre le 30 septembre 1998 et le 20 octobre 2000) ; qu'il n'ignorait pas que la société LUNA utilisait d'une manière publique et continue les marques "Luna" et "Lovey" ; qu'il ne le conteste d'ailleurs pas et pourrait d'ailleurs difficilement le contester dans la mesure où les représentations graphiques des marques déposées le 28 novembre 2000 sont la copie servile des sigles figurant dans les catalogues de l'appelante ;

Attendu que les dépôts litigieux sont contemporains de la dégradation des relations entre les parties, suscitée par un différend sur les tarifs et des retards de paiement des factures, qui a connu son paroxysme avec la mise en paiement par le fournisseur des chèques émis les 23 août 2000, 9 et 10 octobre 2000 par la société LISA pour un montant global de 568.968,69 F ;

Attendu que la société LUNA produit au débat un courrier daté du 8

février 2001, adressé par M. X..., en sa qualité de gérant de la société LISA, dans lequel celui-ci écrivait notamment : "Nous nous sommes entendus afin de faire connaître, dans un premier temps, votre fabrication en France et pays limitrophes, et par la suite, votre produit ayant un accueil favorable, de nous adresser aux professionnels (boutiques)... Vous nous avez assuré que votre société respecterait à la lettre ses engagements, et qu'il fallait attendre début de l'année 2001 pour mettre en place la structure nécessaire, afin de vendre la marchandise aux professionnels... Début Novembre 2000, vous nous avez fait part de votre retournement complet, à savoir : De ne plus être intéressé par notre société pour suivre son développement en vente directe et vente aux professionnels. Vous nous avez dit que votre société de Grèce s'occuperait directement de la vente aux professionnels, après avoir été en pourparler avec un directeur commercial de la société PERLA... Vous nous avez utilisé pour promouvoir et faire connaître votre produit aux consommatrices européennes. Vous nous avez utilisé pour que notre société investisse pour votre compte, et pour cueillir les fruits de nos efforts."

Attendu qu'au-delà du ressentiment exprimé par le rédacteur, il ressort clairement de ce courrier que M. X... savait que la société LUNA avait l'intention de s'implanter en France en vendant "directement" aux professionnels ; que M. X... indique même la date à laquelle cette information lui a été donnée : début novembre 2000 ;

Attendu que M. X... qui pensait, après avoir prospecté le marché français par la vente directe aux consommatrices françaises des articles de sa partenaire sous la marque "Lisa", rentabiliser et développer son activité par la prospection de la clientèle professionnelle, s'est senti floué ;

Attendu qu'il résulte de ces éléments que les dépôts litigieux ont

été opérés pour empêcher la société LUNA d'utiliser en France les marques "Luna" et "Lovey", en représailles à la décision de sa partenaire de ne pas lui concéder la distribution de ses produits auprès des boutiquiers ; que la malignité de M. X... est d'autant plus patente qu'il n'a pas hésité à déposer des marques semblables à celles dont usait la société LUNA ;

Attendu qu'il est établi que les dépôts des 28 novembre et 18 décembre 2000 ont été effectués sans autre raison que de faire échec aux droits de la société LUNA ; que le principe de territorialité invoqué par M. X... ne peut conférer aucune valeur juridique à des dépôts frauduleux ; qu'il convient dès lors d'accueillir l'action en revendication de la société LUNA en lui transférant la propriété des marques litigieuses, la subrogation ainsi réalisée prenant rétroactivement effet au jour des dépôts ; qu'il doit être fait injonction à M. X... de ne pas les utiliser ;

Attendu que la société LUNA qui pouvait, à tout moment, être confrontée à une action en contrefaçon initiée par l'auteur des dépôts frauduleux et qui était gênée pour promouvoir ses produits sur le marché français, est fondée à se plaindre d'un préjudice essentiellement constitué par un trouble commercial, qui peut être évalué, en l'état du dossier, à 10.000 ä ;

Attendu que M. X... supportera les dépens de première instance et d'appel et réglera à l'appelante une somme de 5.000 ä sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR,

Statuant publiquement et contradictoirement après en avoir délibéré en dernier ressort,

Déclare la société LUNA recevable en son appel ;

Déclare M. X... recevable en son appel incident ;

Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau,

Déclare fondée l'action en revendication introduite par la société LUNA ;

Ordonne le transfert de la propriété des marques "Luna" et "Lovey" enregistrées à l'INPI sous les numéros 00 3 068 062, 00 3 068 063, 00 3 072 162 et 00 3 072 163, à la société LUNA, à compter de la date de leurs dépôts respectifs ;

Fait injonction à M. X... de ne pas utiliser les marques "Luna" et

Fait injonction à M. X... de ne pas utiliser les marques "Luna" et "Lovey", sous peine d'une astreinte de cent euros (100 ä) par infraction constatée à compter de la signification de la présente décision ;

Condamne M. X... à payer à la société LUNA une somme de dix mille euros (10.000 ä) à titre de dommages et intérêts ;

Déboute M. X... de l'ensemble de ses prétentions ;

Condamne M. X... à payer à la société LUNA une somme de cinq mille euros (5.000ä) par application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;

Condamne M. X... aux dépens de première instance et d'appel.

Et le présent arrêt a été signé par M. HOFFBECK, Président de Chambre, et par Mme SCHOENBERGER, Greffier présent au prononcé.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de colmar
Numéro d'arrêt : JURITEXT000006945209
Date de la décision : 11/01/2005

Analyses

MARQUE DE FABRIQUE - Dépôt - Annulation - /JDF

Selon l'article L 712-6 du code de la propriété intellectuelle, si un enregistrement a été demandé soit en fraude des droits d'un tiers, soit en violation d'une obligation légale ou conventionnelle, la personne qui estime avoir un droit sur la marque peut revendiquer sa propriété en justice.Lorsque les dépôts litigieux ont été opérés par un partenaire pour empêcher la société grecque d'utiliser en France les marques déposées litigieuses, en représailles à la décision de la victime de ne pas lui concéder la distribution de ses produits auprès des boutiquiers et que la malignité de ce partenaire est d'autant plus patente qu'il n'a pas hésité à déposer des marques semblables à celles dont usait la société victime, il y a lieu de faire application de ce texte


Références :

Code de la propriété intellectuelle : L. 712-6

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.colmar;arret;2005-01-11;juritext000006945209 ?
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